Portrait. Mitch McConnell, nouveau chef de la majorité au Sénat américain, est un calculateur, prêt à tout pour gagner. L’élu du Kentucky sera le principal ennemi de Barack Obama ces deux prochaines années.
Mitch McConnell s’avance devant Joe Biden, le vice-président des Etats-Unis. Ses lèvres fines se contorsionnent de plaisir. Puis l’homme de 72 ans pose sa main gauche sur la Bible et prête serment de sa voix lente et saccadée. Sa femme, Elaine Chao, une petite Asiatique, sourit trop à ses côtés. Pour ce natif du Kentucky, c’est le rêve de toute une vie qui s’est enfin réalisé le 6 janvier dernier. Le républicain est devenu le chef de la majorité au Sénat, une position clé au sein du système législatif américain, qui lui confère peu ou prou le contrôle du Parlement.
En obtenant ce poste, l’élu du Kentucky est devenu le second politicien le plus puissant des Etats-Unis après le président, celui par qui Barack Obama doit passer s’il veut faire adopter la moindre loi. L’héritage du démocrate dépend désormais de cet homme chétif au sourire forcé.
Mitch McConnell ressemble de façon presque stéréotypée à un méchant de dessin animé, un Jafar ou un Pat Hibulaire. Et ses grands yeux globuleux ainsi que son cou à la peau légèrement distendue lui donnent un air d’iguane diabolique. Conscient de son aspect démoniaque, il s’est d’ailleurs autoproclamé le Dark Vador de Washington D.C., du nom du célèbre méchant de la saga Star Wars.
Ce n’est pas par hasard que le républicain a réussi à devenir aussi puissant. «Mitch McConnell est le meilleur joueur d’échecs de Washington, explique Hunter Bates, ancien chef de cabinet du politicien. Il a systématiquement deux ou trois coups d’avance sur ses adversaires.» Historiquement, le politicien a souvent pris des décisions difficiles sur le moment, mais qui lui étaient bénéfiques à long terme. «Il n’a pas hésité, par exemple, à lancer des enquêtes contre ses propres collègues de parti, comme Bob Packwood, une star enlisée dans un scandale sexuel, précise John Dyche, l’auteur de sa biographie. En s’attaquant à ce genre de personnalités, Mitch McConnell a rapidement accru sa notoriété au sein du Parlement, et éliminé de potentiels adversaires par la même occasion.»
L’homme n’a pas non plus tergiversé avant de faire passer des lois impopulaires pour servir sa cause, ajoute John Dyche: «Mitch McConnell s’est battu pour éliminer les limites sur le financement des partis lors des élections, car il savait que ces réformes allaient profiter au Parti républicain, qui arrive plus facilement à lever de l’argent que les démocrates.» Et pour y parvenir il a osé défier les poids lourds de son parti, comme John McCain, qui s’était opposé à cette dérégulation.
Un cynique
Toujours avec l’idée de promouvoir sa propre personne, Mitch McConnell a tenu à rencontrer son ami George Bush. Mais la discussion dans le bureau présidentiel n’avait rien eu de cordial. C’était en septembre 2006, quelques mois avant les élections de mi-mandat. «M. le Président, lui a dit le sénateur du Kentucky, votre manque de popularité va nous coûter le Congrès.» Les Américains étaient fatigués de la politique désastreuse menée par George Bush, et Mitch McConnell voulait sauver les chances de son parti aux élections.
«Mitch, qu’est-ce que tu veux que j’y fasse?» lui rétorque le président.
«M. le Président, ramenez des troupes d’Irak.»
Le républicain venait de demander à son leader de désavouer l’un des piliers de la politique qu’il avait menée depuis les attentats du 11 septembre.
Le président américain, choqué, refusa: ses soldats ne pouvaient pas quitter l’Irak, ravagé par la guerre. «Le but de Mitch McConnell n’était pas de sauver des vies, il ne voulait que remporter des élections, explique Alec MacGillis, auteur de The Cynic, un livre sur le politicien. Tout ce qu’il fait, il le fait pour gagner, pour aucune autre raison.»
Ce pragmatisme – ce cynisme, diront d’aucuns – et cette absence d’idéologie démontrent la capacité de Mitch McConnell à retourner ses idéaux politiques afin de se muer en une invincible machine électorale.
Au début de sa carrière, n’était-il pas un conservateur modéré, en faveur de l’avortement et de lois qui protègent les travailleurs? «Mais, lorsque le Parti républicain et l’Etat du Kentucky sont devenus de plus en plus conservateurs, dans le sillage de la vague du Tea Party, il a modifié ses positions, sans broncher», raconte Alec MacGillis.
Cette envie irrépressible de toujours gagner, Mitch McConnell l’a développée durant son enfance: à 2 ans, le sénateur a contracté la poliomyélite, une maladie qui l’a presque tué et qui lui a laissé un léger boitement. «Son combat contre le virus a fait de lui un véritable battant», souligne Alec MacGillis.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, en 2008, le sénateur a exploité tout son savoir-faire pour réduire le démocrate en miettes. «La chose la plus importante que nous souhaitons accomplir est que le président Obama ne fasse qu’un seul mandat», avait-il déclaré en 2010. Depuis, l’élu a consacré toute son énergie à rallier les élus républicains à sa politique obstructionniste. «Il a réussi à mobiliser son groupe parlementaire pour bloquer systématiquement tout ce que le président proposait et dire non à tout ce qui émanait du camp opposé», relève Sarah Binder, une spécialiste du Parlement américain auprès de la Brookings Institution, un think tank.
Des lois menaçantes
Il savait que cette stratégie allait rapporter gros à son parti. «Mitch McConnell a tablé sur le fait qu’en rendant le pays ingouvernable les républicains allaient gagner des voix lors des élections, note Alec MacGillis. Barack Obama symbolise l’Etat; si ce dernier ne fonctionne plus, on lui en attribue la responsabilité.» Résultat: en novembre 2014, les électeurs ont sanctionné le président démocrate aux urnes et les républicains ont obtenu leur majorité la plus nette au Parlement depuis plus d’un siècle.
Ces deux prochaines années, le chef de meute conservateur va poursuivre un seul objectif: s’assurer que les siens conservent leur emprise sur le Congrès américain en 2016. Il compte s’y prendre de deux façons: premièrement, le républicain «va se concentrer sur les lois qui bénéficient d’un soutien bipartisan, comme la réforme de la fiscalité, monstrueusement complexe, ou les investissements dans les infrastructures délabrées comme les autoroutes», indique son ancien conseiller, Hunter Bates. Une manière de montrer que les conservateurs savent contrôler Washington D.C. «Maintenant que le Parti républicain dispose de la majorité dans les deux Chambres du Parlement, Mitch McConnell se rend compte qu’il doit prouver que son groupe peut gouverner de manière responsable, estime Andrea Hatcher, auteure d’un livre sur les chefs de majorité au Sénat américain. Il ne peut pas faire peur à l’électorat américain.»
Dans un second temps, Mitch McConnell cherchera à faire passer des lois qui correspondent à l’ADN républicain, soit des normes provocatrices et ultraconservatrices, à l’image de la construction du pipeline Keystone XL. Il sait qu’elles seront sans doute bloquées par Barack Obama, mais l’important est de montrer à la base républicaine que le Parlement est à l’écoute de leurs doléances.
Parmi les principales cibles dans le viseur du républicain se trouvent les lois de protection de l’environnement, comme la limitation des émissions de CO2 causées par l’industrie du charbon décidée par Barack Obama. «Ces lois menacent directement sa réélection, car le Kentucky est une région productrice de charbon, Mitch McConnell va donc tout entreprendre pour lever ces restrictions», commente Alec MacGillis. Lors de sa première semaine au Parlement, il a ainsi nommé James Inhofe à la tête du comité chargé de la régulation de l’environnement. Un sénateur originaire de l’Iowa qui nie l’existence du réchauffement climatique.