Dave Zirin
L’enquête à New York de Dave Zirin, journaliste à «The Nation»
De Trayvon Martin à Walter Scott, chronologie des bavures
Interview d’Alice Goffman, une sociologue qui analyse les brutalités policières à l’égard des Noirs
Nous ne voulons pas nous voiler la face. Au moment où les citoyens de tous les Etats-Unis sont confrontés à la fatale réalité de la violence policière et à la terreur qu’elle impose aux communautés noires, les agents du New York Police Department (NYPD) ont fracturé la cheville d’un joueur de la NBA (National Basketball Association). Le NYPD s’est battu avec Thabo Sefolosha et lui a brisé la jambe.
La blessure de Sefolosha intervient au terme d’une saison qui a vu, l’hiver dernier, les joueurs de NBA protester contre la violence de la police après les homicides de Michael Brown et d’Eric Garner. Elle intervient au moment où cette brutalité policière est placée sous la loupe après l’exécution, le 4 avril, de Walter Scott par l’agent Michael Slager à North Charleston (Caroline du Sud).
Elle intervient encore, dans la réalité bornée du sport, à une période où l’équipe du joueur suisse, les Atlanta Hawks, est en train d’aborder les play-off avec le meilleur score de la Conférence Est, menaçant ainsi ce qui fut une saison de rêve.
Désormais, à moins qu’ils ne réussissent des play-off inspirés, on s’en souviendra comme d’un rêve cerné de cauchemars: une équipe dont la saison a commencé sous l’orage d’une controverse raciste, avec les dialogues répugnants entre le propriétaire du club, Bruce Levenson, et son directeur, Danny Ferry, et qui se termine dans la même ambiance.
Comment s’y est pris le NYPD pour blesser Thabo Sefolosha? Au cours de cette nuit du mardi au mercredi 8 avril, le basketteur de NBA Chris Copeland et sa compagne, Katrine Saltara, ont essuyé des coups de couteau dans un bar branché de Chelsea (tous deux sont dans une condition stabilisée), puis Thabo Sefolosha et son camarade Pero Antic ont été arrêtés pour obstruction. Ensuite, la jambe fracturée.
A ce stade, il y a la version de la police et celle de Sefolosha. Etonnamment, plusieurs médias ont commencé par donner comme sûre la version de la police. Faute de mieux, la mort de Walter Scott devrait montrer qu’il existe un gouffre entre ce que dit la police et la réalité.
La version de la police, selon la grande chaîne sportive ESPN, retient que «Sefolosha a subi cette blessure en résistant à son arrestation à l’extérieur d’un night-club de Manhattan à l’aube de mercredi matin. Il a été arrêté avec son coéquipier Pero Antic pour s’être ingéré dans les efforts de la police pour mettre en place une scène de crime après que l’ailier des Indiana Pacers eut été poignardé.»
On n’accordera pas trop de crédit à l’auteur de ce communiqué, Kevin Amowitz, qui en a changé les termes après les doutes exprimés dans les médias sociaux. Mais le texte original devrait nous rappeler qu’il ne faut jamais prendre la version de la police comme l’expression de la vérité.
Ce que l’on sait, c’est que Thabo Sefolosha et Pero Antic réfutent cette version. Leur unique déclaration est la suivante: «En tant que membres des Atlanta Hawks, nous respectons des normes élevées et prenons très au sérieux nos rôles de professionnels.
Nous contesterons ces accusations et communiquerons au moment voulu la réalité des faits. Nous nous excusons auprès de nos familles, de nos coéquipiers et des Atlanta Hawks pour la curiosité malsaine que cet incident a engendrée. En ce moment, il nous est impossible d’en dire davantage sur une affaire en cours.»
Nous possédons une vidéo de la scène, mais tout ce qu’elle révèle est que plusieurs agents de police ont sauté sur le frêle Sefolosha (100 kilos pour 204 centimètres). Son copain Pero Antic, nous le décririons comme littéralement terrifiant; avec ses 213 centimètres et ses plus de 118 kilos, son crâne chauve et ses tatouages, il est le Macédonien qui, par hasard, est le Blanc de l’équipe, tandis que Sefolosha est le Suisse qui, par hasard, est le Noir. Le Macédonien terrifiant s’est tiré et le Suisse s’est fait sauter dessus. Qu’on voie là un brin de racisme ou non, le résultat doit être très familier à quiconque observe les méthodes du NYPD.
On saura un jour ce qui s’est passé. Thabo Sefolosha a les moyens et les avocats pour obtenir justice ou, le cas échéant, si la sentence confirme qu’il a fait obstruction, laisser les choses tomber dans l’oubli. Mais au sein de la NBA, on y verra plus qu’une affaire, une dispute, une blessure.
Car cette année la NBA s’est jointe au mouvement #BlackLivesMatter. Peut-être qu’après une accalmie de quelques mois la NBPA (l’association des joueurs de NBA) aura quelque chose à dire, sinon à propos de Walter Scott, du moins à propos de Thabo Sefolosha. L’hiver dernier, le message des joueurs de NBA était: «Ce qui est arrivé à Michael Brown ou à Eric Garner pourrait m’arriver.»
La violence policière s’est installée: c’est pire que ce que les Hawks endurent avec leur rêve de titre, on se demande ici si la gloire et la fortune peuvent aussi acheter la sécurité, quand il se trouve qu’on est Noir.
© The Nation Traduction et adaptation Gian Pozzy
Une soirée peu claire
Le Veveysan Thabo Sefolosha, de père sud-africain et de mère suisse, a été victime le mercredi 8 avril d’une intervention musclée de la police newyorkaise. Le champion de basket est tellement populaire en Suisse romande que la Banque cantonale vaudoise en a d’ailleurs fait l’un de ses ambassadeurs dans une campagne de publicité.
La blessure infligée à Thabo par le NYPD est un nouvel épisode dans la longue liste des dérapages policiers contre des citoyens noirs. Que se passe-t-il dans ce pays dont le président, Barack Obama, a lui aussi la peau sombre, dans cette ville dont le maire italien, Bill de Blasio, a eu deux enfants de son épouse afro-américaine?