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Energie: l’ingénieur «fou» qui prône l’essence à 10 francs le litre

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Jeudi, 30 Avril, 2015 - 05:53

Rencontre. Dans un livre aux idées décoiffantes, Anton Gunzinger assure que la sortie du nucléaire est possible grâce aux seules énergies renouvelables.

C’est un inventeur génial pour les uns, un «idiot» ou un «fou» pour les autres. Lorsque Anton Gunzinger a proposé de hausser le prix de l’essence à 10 francs le litre dans un délai de dix ans, il a été très chahuté par les automobilistes.

Ceux-ci oublient un peu vite que cet entrepreneur, fondateur de l’entreprise Supercomputing Systems (SCS), a été considéré comme l’un des cent leaders du XXIe siècle par Time Magazine.

Il sort aujourd’hui un livre* sur la politique énergétique et avance une thèse à laquelle il ne croyait pas lui-même voici deux ans: oui, la sortie du nucléaire est possible avec les seules énergies renouvelables, sans recourir à la construction de centrales combinées à gaz!

Son «plaidoyer pour une politique d’avenir» résonne comme un engagement pris envers les générations futures. Agé de 58 ans, Anton Gunzinger vient de devenir grand-père, ce qui l’investit d’une nouvelle responsabilité. «Ces nouvelles générations doivent avoir la même chance que nous de vivre dans une Suisse jugée paradisiaque par les étrangers», souligne-t-il.

«Qu’avez-vous fait?»

Or, l’ingénieur doute que la Suisse prenne le bon chemin, malgré les progrès exemplaires notés dans l’efficience énergétique des nouveaux bâtiments. Dans ce livre bourré de chiffres, il ne quitte les faits qu’une seule fois, lorsqu’il imagine une lettre fictive datée de 2097 que pourrait lui adresser son arrière-petite-fille Sofia, qui le couvre d’amers reproches.

«Comment ta génération et toi avez-vous pu axer si longtemps la politique énergétique sur le pétrole? Qu’avez-vous fait pour le remplacer par des énergies vertes? Vous avez pillé les ressources naturelles de la Terre.» Un réquisitoire impitoyable!

Anton Gunzinger adopte au quotidien un comportement traduisant ses convictions. Il est végétarien, parcourt à vélo le trajet de 5 kilomètres séparant son domicile de Seefeld du Technopark où il travaille, et il privilégie le train pour ses déplacements en Europe. Mais il y a des limites: trois, quatre, voire cinq fois par an, ses activités professionnelles l’obligent à prendre l’avion.

Visionnaire? Révolutionnaire? Provocateur? Il y a un peu de tout chez ce fils de paysan du Jura soleurois, si tôt fasciné par les ordinateurs qu’il ne songera jamais à reprendre le domaine familial. Il a un côté rebelle qui l’enjoint de tout remettre en cause et de relever de nouveaux défis.

Lorsque le jeune Toni visite la fabrique d’horlogerie (Technos) de son village de Welschenrohr, il pose déjà la question de la montre électronique, ce qui ne lui attire que sarcasmes, car les fabricants n’y croient pas.

Plus tard, l’apprenti radioélectricien devient ingénieur et développe un ordinateur qui stupéfie les Américains en 1992 par sa petite taille et sa très faible consommation d’électricité. Aujourd’hui, son entreprise d’ingénierie informatique développe des programmes hyperperformants capables, entre autres, de faire des simulations de scénarios très poussées.

C’est justement grâce à cet instrument qu’Anton Gunzinger anime aujourd’hui le débat sur la sortie du nucléaire. Lorsque la ministre de l’Energie Doris Leuthard annonce cette décision en 2011, il ne croit pas que ce virage historique pourra se négocier sans recourir à des centrales combinées à gaz.

Il tente même d’en convaincre les associations écologiques, qui cependant balaient cette perspective. Ce n’est qu’en jouant à fond le scénario des énergies vertes qu’il s’aperçoit qu’il est possible de renoncer à de telles centrales très polluantes.

Sa vision? Couvrir un bon tiers des immeubles de Suisse, soit une surface de 112 à 150 km², par des panneaux solaires et ériger quelque 2000 turbines éoliennes à 2 mégawatts, tout en accélérant sensiblement le rythme des rénovations d’immeubles pour les rendre moins gourmands en énergie. Si le pari photovoltaïque paraît jouable tant la recherche a progressé sur ce plan, le défi éolien semble beaucoup moins réaliste.

Comment imposer la pose de 2000 éoliennes alors qu’il n’y en a que 34 aujourd’hui et que la résistance de la population est énorme à cet égard? «C’est aux gens de savoir s’ils préfèrent les dangers du nucléaire aux nuisances des turbines. Pour moi, l’éolien est sexy et sa contribution au mix énergétique marquerait le symbole de notre indépendance en la matière.»

N’étant pas un politicien devant assurer sa réélection, Anton Gunzinger jouit d’une liberté totale de penser. Il se pose donc toujours en ingénieur et entrepreneur. Sur le plan du coût total (incluant production et transport), il renvoie dos à dos le nucléaire et les énergies vertes, qui reviendront tous deux à environ 17 centimes le kWh à l’horizon 2035.

Mais le prix du solaire ne cesse de baisser, tandis que celui du nucléaire – sans même inclure les risques et le traitement des déchets – augmente de 4% chaque année. «Avec de telles tendances, jamais un entrepreneur ne miserait sur le nucléaire», affirme-t-il.

Une «attitude absurde»

Le virage énergétique est aussi une grande chance pour l’économie suisse, à condition de réfléchir à long terme. Selon la stratégie énergétique 2050, il coûtera certes 200 milliards de francs, mais cette somme profitera à des entreprises du pays, notamment des PME. En choisissant le statu quo, la Suisse continuerait à dépendre des rois du pétrole et du gaz.

«Personnellement, je préfère donner mon argent aux artisans helvétiques qu’à Vladimir Poutine et aux cheiks arabes, qui ensuite rachètent nos entreprises.» Autant dire qu’Anton Gunzinger se montre sévère envers tous ceux qui freinent des quatre fers la sortie du nucléaire, de l’UDC à l’association faîtière Economiesuisse. «Leur attitude est absurde et contraire aux intérêts de l’économie. Je ne la comprends tout simplement pas.»

Ah, cette incapacité à se projeter dans l’avenir! Anton Gunzinger a de la peine à la digérer. C’est le mal du siècle nouveau. En été 2014, dans le cadre d’une visite effectuée par Doris Leuthard aux Etats-Unis, il tient un exposé à Boston et lance aux Américains: «En isolant vos immeubles selon les standards suisses, vous pourriez économiser 1200 milliards de dollars de frais de combustible par an!» Il n’a toujours pas encaissé leur réponse: «Tant que nous avons assez de pétrole, nous n’avons aucune raison d’agir.»

Pour la Suisse aussi, Anton Gunzinger est trop révolutionnaire. Voici deux ans, il lance l’idée d’un prix de l’essence calculé sur la vérité des coûts, une notion «libérale» qui lui tient très à cœur. Il propose donc de taxer les automobilistes aux kilomètres effectivement parcourus selon le principe du «Mobility Pricing», faisant passer à la caisse ceux qui roulent beaucoup et donc polluent le plus, tout en récompensant les autres, y compris les propriétaires d’une Rolls et d’une Ferrari qui laisseraient ces voitures le plus souvent au garage.

Question de «justice sociale»

D’où l’idée de l’essence à plus de 10 francs le litre, pour laquelle la radio privée Energy le taxe d’«idiot du mois». De la pure provocation? Pas forcément, lorsqu’on prend la peine d’écouter son raisonnement jusqu’au bout. Il brise un tabou en affirmant que les automobilistes devraient payer non seulement le prix de l’essence, mais aussi la location de l’espace public, les dommages dus à la pollution et les nuisances du bruit.

Au total 65 milliards de francs par an, dont les deux tiers seraient remboursés aux privés et aux entreprises les plus soucieux de l’environnement. Inutile de dire que l’idée fait tousser tous les politiciens, y compris ceux de gauche, qui la trouvent asociale. «Au contraire, rétorque-t-il. Récompenser ceux qui consomment peu tient de la justice sociale.»

Les détracteurs d’Anton Gunzinger n’ont pas trop de souci à se faire. Jamais la Suisse politique ne fixera des conditions-cadres renchérissant le courant et l’essence selon ses calculs de la vérité des coûts.

En témoignent les compromis que doit multiplier la conseillère fédérale Doris Leuthard pour calmer l’économie, qui rejette toute hausse de la taxe verte (rétribution au prix coûtant) en raison du franc fort, et les automobilistes, persuadés de n’être que des «vaches à lait».

Dès lors, on peut craindre que cette Sofia, qui n’est pas encore née, ne doive effectivement écrire cette lettre à son arrière-grand-père en l’accusant de ne pas avoir suffisamment réveillé les consciences.

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dominic büttner lunax
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