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Banque: le politicien ukrainien, le banquier et les millions bloqués chez Pictet

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Jeudi, 30 Avril, 2015 - 05:54

Enquête. Ancien parlementaire à Kiev, Oleksandr Shepelev aurait détourné une fortune à la banque ukrainienne Rodovid. Il aurait aussi tenté d’assassiner l’ancien patron de l’établissement. Une partie de l’argent a atterri à Genève, où il a été gelé par le Ministère public.

Quand Oleksandr Shepelev vient ouvrir son compte bancaire chez Pictet à Genève au début de la décennie, la banque privée a tout lieu de se réjouir de cette nouvelle relation. Alors membre de la Rada, le Parlement ukrainien, ce partisan de Ioulia Timochenko semble prometteur.

Ce personnage influent arrive avec des centaines de millions de hryvnias, la monnaie nationale. Traduit en francs, ce dépôt se monte à une coquette somme de sept à huit chiffres. Problème, aujourd’hui Oleksandr Shepelev est en prison en Russie.

Les autorités du pays s’apprêtent d’ailleurs à l’extrader en Ukraine, où il est soupçonné notamment de tentatives d’assassinat et de détournements de fonds. Il fait aussi l’objet d’une plainte pénale en Suisse pour ces mêmes délits. Et ses fonds chez Pictet sont bloqués par le Ministère public de la Confédération (MPC).

Confiance excessive

Pour se prémunir de telles mésaventures, qui peuvent survenir, la banque privée pensait avoir pris les précautions nécessaires. Elle avait examiné sous toutes les coutures ce client sensible, conformément à la loi, avant de l’accepter. Un processus de plusieurs semaines. Un certain nombre d’informations troublantes étaient parvenues à sa connaissance.

Notamment qu’il avait été mêlé à une affaire d’assassinat d’un colonel de la gendarmerie ukrainienne, accusation dont il était ressorti blanchi et que la banque avait comprise comme de simples attaques politiques sans fondement.

Aussi l’établissement genevois était-il arrivé à la conclusion qu’Oleksandr Shepelev n’était rien de plus que sa fonction officielle. Cependant, il n’a pas saisi la face sombre de son client. Et que ce dernier avait pris, de manière officieuse, la haute main sur la banque Rodovid après sa nationalisation en 2009.

Cette institution, l’une des dix plus importantes du pays, avait encouru de grosses pertes en raison de la crise financière.

Pictet, l’une des plus importantes banques de gestion de fortune suisses, aurait alors dû donner plus de crédit aux informations critiques avant d’entrer en affaires avec Oleksandr Shepelev, une personne politiquement exposée provenant d’un pays à la gouvernance fragile atteint d’un degré de corruption élevé.

Ce n’est pas la première fois que cet établissement tombe dans un piège du même genre. Il a ainsi accueilli, comme d’autres banques, des fonds émanant de l’affaire Petrobras, le plus vaste cas de corruption du Brésil. Des fonds déposés par Pedro Barusco, l’un des principaux témoins de ce scandale.

Quelques exemples qui soulignent que les banques suisses ne sont toujours pas parvenues à ériger un cordon sanitaire à toute épreuve contre les fonds d’origine criminelle, alors même que les dispositions pénales contre le blanchiment d’argent sont entrées dans leur vingt-cinquième année.

L’avocat de Lugano

Le Ministère public de la Confédération a fait bloquer les avoirs du politicien ukrainien le 9 septembre 2013, quelques jours après avoir été saisi par la justice de son pays. La juge V. V. Bortnyska, de la Cour d’arrondissement de Petchersky à Kiev, soupçonne Oleksandr Shepelev d’avoir profité de son influence sur la direction de la banque Rodovid pour se servir.

Il aurait détourné entre 2009 et 2010 quelque 9 millions de francs. Puis, toujours selon la magistrate, dans un document qu’elle a adressé au MPC, il aurait encore pris 13 millions de francs à la Banque nationale d’Ukraine.

Ces fonds auraient atterri sur des comptes ouverts au nom de plusieurs sociétés offshore dont lui et son épouse sont les ayants droit économiques: Ledoyen Holding à Nicosie, Meganom Development à Panama et Aerotech Management Ltd. aux îles Vierges britanniques. Une partie de cette fortune aurait transité par la banque lituanienne Ukio, tombée en faillite au début de 2013.

D’autres détournements auraient encore eu lieu, l’ensemble totalisant 48 millions de francs, accuse Vladimir Diadetchko. Un motif qui a poussé l’ancien propriétaire de la banque Rodovid, devenu petit actionnaire après la nationalisation, à déposer une plainte pénale auprès du MPC en mars dernier.

Auparavant, il a multiplié les accusations contre Oleksandr Shepelev auprès des juges ukrainiens. Des accusations de détournement suffisamment argumentées et étayées pour que le parlementaire s’inquiète, et cherche à le supprimer.

En mars 2012, près de Kiev, le banquier Diadetchko réchappe par miracle à 26 coups de feu tirés à la kalachnikov contre sa Mercedes. Il est néanmoins sérieusement blessé, comme son garde du corps et un passant. A la suite de cette tentative d’assassinat, le politicien aurait rapidement mis au point un nouveau stratagème.

Celui-ci visait à faire arrêter le banquier à l’étranger, via une notice Interpol, sur la base d’accusations de complicité d’actes de terrorisme commis en Russie. Puis le faire extrader dans ce pays, où il aurait pu être liquidé discrètement.

Pour cette seconde tentative, des agents de sécurité du Caucase du Nord se seraient vu offrir 1,2 million de dollars par un homme d’affaires ukrainien, Sergueï Kassianov, un parent par alliance d’Oleksandr Shepelev. Le financement du contrat proviendrait, en partie au moins, des fonds détournés à la banque Rodovid.

L’argent aurait été payé via ICD Investments SA, une holding tessinoise ayant un compte, actuellement bloqué, chez Pictet, et administrée par un avocat de Lugano, Andrea Prospero. Contacté à plusieurs reprises par L’Hebdo, l’homme de loi n’a pas expliqué son rôle dans cette affaire.

Une extradition après l’autre

Retournement de situation quand Oleksandr Shepelev perd son siège à la Rada lors de l’élection parlementaire de 2012. Après la perte de son immunité, il voit la justice de Kiev s’intéresser à lui. Craignant une arrestation, il fuit en Hongrie au printemps 2013, où il est appréhendé en juillet.

Il est rapidement extradé dans son pays, qui le place en détention préventive. Il s’évade en 2014 et passe en Russie, où la police finit par le cueillir et le remettre en prison. Son extradition vers l’Ukraine pourrait avoir lieu dans les semaines à venir.

C’est en août 2013 que le MPC est saisi d’une demande d’entraide ukrainienne, et bloque rapidement les fonds d’Oleksandr Shepelev. Et c’est aussi en cette même fin août que Pictet annonce ses soupçons au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent.

La banque genevoise vient juste de découvrir que son client ne répond plus. Aujourd’hui, alors que la procédure se poursuit, elle «ne fait aucun commentaire sur une procédure juridique en cours».

Mais la banque genevoise ne chôme pas. En plus de l’affaire Shepelev et du scandale Petrobras, elle doit aussi gérer l’affaire Callahan, du nom de ce gérant externe américain qui se voit reprocher d’avoir détourné des fonds d’un client aux Etats-Unis (lire L’Hebdo du 9 avril 2015).

Enfin, elle n’est pas encore tirée d’affaire dans le dossier fiscal avec les Etats-Unis. Classée en catégorie 1, qui regroupe la dizaine d’établissements qui font l’objet de procédures particulières, elle poursuit ses négociations avec le Département américain de la justice. Elle pourrait s’en tirer avec une grosse amende.

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