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Coupe Davis: la suisse peut rêver

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:51

▼Les faits
De la sueur au champagne: la dream team nationale Wawrinka-Federer a su faire la différence ce week-end à Palexpo. Les Helvètes ont décroché leur ticket pour les demi-finales de la Coupe Davis en éliminant le Kazakhstan (3-2). Heureux renversement de situation lors de ces quarts, puisque la paire Stan-Roger, grande favorite, était menée 2-1 samedi. Reste à déterminer où se déroulera la rencontre contre l’Italie, du 12 au 14 septembre prochain.

▼Les commentaires
«Cela a été dur, mais l’équipe de Suisse l’a fait!» s’enthousiasme rtssport.ch, et d’encenser un Federer «impérial» ainsi qu’un Wawrinka «retrouvé» après sa défaite de vendredi. «Pour la troisième fois de son histoire après 1992 et 2003, la Suisse disputera les demi-finales de la Coupe Davis», rappelle le site. Un Federer «une fois de plus irrésistible» pour Le Matin, qui relève qu’«à 32 ans passés, il témoigne d’une présence physique étonnante qui lui permet de réussir parfois des miracles en défense». Sur l’ambiance, l’actuel numéro quatre confie à la Tribune de Genève qu’ils ont «été poussés par un public formidable. Jouer devant 15 000 personnes n’arrive pas tous les jours. Maintenant, nous avons le bonheur de disputer de nouveau le prochain match à domicile. Pour nous et les fans, c’est un magnifique cadeau.» Un beau cadeau, mais quel emballage pour le présenter? En extérieur ou en salle? La décision de Swiss Tennis sur le lieu de la demi-finale tombera fin mai, note le quotidien genevois.

▼A suivre
Entre Federer, Wawrinka et la suite de l’aventure se dressent trois tournois du Grand Chelem. Le Bâlois ne peut formuler qu’un seul souhait pour l’instant: «Que nous soyons toujours épargnés par les blessures.» La Suisse a donc toutes ses chances de remporter la Coupe Davis cette année, seule grande finale jamais atteinte par le roi Roger.

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Denis Balibouse / Reuters
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Médias et numérique: Publigroupe cède Publicitas

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:52

▼Les faits
Pour un montant supérieur à 10 millions de francs, PubliGroupe cède sa filiale Publicitas à Aurelius, société allemande spécialisée dans le rachat d’entreprises en difficulté. En se séparant de son métier historique, PubliGroupe se concentre désormais sur le développement de ses activités numériques. En 2014, un bénéfice opérationnel de 20 millions devrait être dégagé sur un chiffre d’affaires de 150 millions.

▼Les commentaires
«Dans la presse quotidienne en Suisse, la publicité en ligne ne décolle toujours pas de 1% du chiffre d’affaires. Avec les éditeurs, nous n’avons pas réussi la migration de l’imprimé au numérique», constate Hans-Peter Rohner, président du conseil d’administration de PubliGroupe dans un entretien à Schweiz am Sonntag. Un mauvais présage pour la presse? «Non, écrit la Neue Zürcher Zeitung. N’oublions pas qu’avec un chiffre d’affaires de 1,8 milliard (en 2012), la presse demeure de loin le support publicitaire le plus important, avant la publicité directe (1 milliard) et la télévision (730 millions). Dès lors, si le nouveau propriétaire parvient à s’imposer dans la publicité en ligne, l’ensemble des médias suisses en profitera.» Sensiblement plus critique dans une interview à l’ATS, Hanspeter Lebrument, président de Schweizer Medien, dénonce PubliGroupe «qui a trop investi en Amérique, en Chine ou en Inde et en a fait trop peu pour le marché suisse des annonces».

▼A suivre
La Bourse applaudit PubliGroupe dont l’action s’est envolée (+33%). Moins de presse, moins de soucis. E la nave va…

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Dominic Favre / Keystone
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Suisse-UE: Zagreb et le plan B

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:53

▼Les faits
Plus le temps passe, plus les Suisses s’aperçoivent des difficultés à négocier une sortie de crise avec l’UE après l’approbation de l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse». Berne se dit prête à appliquer le principe de la libre circulation des personnes à la Croatie, via une ordonnance.

▼Les commentaires
«La question croate est cruciale pour sortir de l’impasse avec l’UE», a déclaré à l’ATS le ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, en visite au Brésil. C’est la raison pour laquelle les diplomates helvétiques multiplient les contacts avec Zagreb. Avec succès, semble-t-il, puisque la Croatie a l’air d’accord de trouver une solution pragmatique. Mais l’UE rechigne, c’est elle qui est compétente. Jour après jour, la presse alémanique se fait l’écho de nouveaux fâcheux effets de la votation du 9 février dernier. «En Europe, certaines universités phares comme celle de Cambridge ne veulent plus d’échanges d’étudiants avec la Suisse», révèle la Schweiz am Sonntag. «Certaines jeunes pousses craignent de ne plus avoir accès à des fonds qui leur sont destinés dans le programme communautaire de recherche, alors qu’ils ont décroché quelque 300 millions ces dernières années», annonce le Tages-Anzeiger. Tout cela n’impressionne pas le stratège en chef de l’UDC, qui lâche dans Le Temps: «Aucun accord bilatéral avec l’UE n’est vital.» Et il ajoute dans la foulée: «La Suisse peut très bien dénoncer l’accord sur la libre circulation des personnes.»

▼A suivre
Depuis le 9 février, la crise entre la Suisse et l’UE est peut-être encore plus profonde que celle qui suivit le rejet de l’Espace économique en 1992. Bruxelles a d’autres priorités, d’autant que la Suisse ne manifeste plus la moindre envie d’adhérer.

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Ruben Sprich / Reuters
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«La politique doit servir à rendre demain meilleur qu’hier»

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:53

François Longchamp.Président du Conseil d’Etat genevois pour cinq ans, le libéral-radical revient sur quelques moments clés de son engagement politique, le vote du 9 février, le patriotisme genevois, le modèle vaudois. Entretien au long cours, à l’occasion de ses «100 jours», avec un homme qui confesse son hyperactivité.

Propos recueillis par Catherine Bellini ET Chantal tauxe

Le libéral-radical est le premier président du Conseil d’Etat genevois désigné pour cinq ans. Dans une grande interview réalisée dans son austère salle de réunion, il nous parle du sens du devoir, de sa foi très radicale dans le progrès et des affinités entre les hommes politiques. Il annonce aussi qu’il quittera le gouvernement à la fin de la législature, en 2018. Interview d’un homme libre.

L’ENFANCE

Vous nous avez averties d’emblée: vous n’alliez pas vous étaler sur votre vie privée. Pourquoi cette réserve?

J’ai toujours essayé d’épargner ma vie privée. Mes proches n’ont pas choisi que je fasse de la politique. Et je pense qu’il faut s’abstenir du mélange de genres qui vous amène à raconter des choses qui n’ont pas d’intérêt public. Comme pousser la chansonnette dans une émission TV ou narrer chaque étape de son régime. Cela banalise la politique et fait le lit du populisme. Je dois aux citoyens de respecter la fonction à laquelle ils m’ont élu. Je parle donc de politique. Je souhaite qu’on me juge sur mon bilan et les valeurs que je défends.

Pour comprendre votre engagement, nous aimerions tout de même apprendre deux ou trois choses de votre parcours et de vos origines. Par exemple, de quoi rêvait le petit garçon de Chêne-Bougeries, commune cossue de la rive gauche?

De voyages. J’adorais les trains et les avions. Tous les jeudis, ma grand-tante, une femme d’une patience infinie et qui n’avait pas d’enfants, s’occupait de moi. Elle m’emmenait visiter la Suisse et, au retour, j’insistais pour qu’on s’arrête à la gare de Céligny ou à l’aéroport voir passer les trains et partir les avions.

Vous ne jouiez pas avec d’autres enfants?

Si, bien sûr. Nous étions six frères et cousins à grandir ensemble, dans la maison familiale. Descendre en ville, par contre, on le faisait deux fois l’an.

Vous allez ensuite étudier le droit. Pourquoi ce choix?

Le cousin de mon grand-père, bâtonnier, avait une étude. Il parlait du droit d’une manière captivante.

LES INSPIRATEURS

A quel moment entrez-vous en politique?

D’aussi loin que je m’en souvienne, je me suis toujours intéressé à la politique. Et, durant mes études de droit, j’ai vécu des rencontres déterminantes, notamment au sein du Parti radical. Avec Gilles Petitpierre, professeur de droit civil, et Peter Tschopp, professeur d’économie politique. Tous deux conseillers nationaux, ils démarraient leur vie politique active et discernaient déjà les défis qui sont les nôtres aujourd’hui. Je me souviens très bien d’entendre Peter Tschopp parler du vieillissement de la population et de ses conséquences. Tout ce qu’on dit aujourd’hui, il l’a décrit avec une minutie d’horloger. Il y a plus de trente ans!

Gilles Petitpierre, lui, a engagé le virage environnemental avant les autres. Avant même la création des Verts (ndlr: en 1983), il défendait un changement des politiques de transport, une fibre verte mais qui ne voulait pas opposer l’économie à l’écologie.

Puis j’ai rencontré quelques personnes qui ont compté, comme Françoise Saudan et Guy-Olivier Segond. Ce sont tous des personnes qui incarnent l’idée profondément libérale et radicale que la politique doit servir à rendre l’avenir meilleur que le passé.

Quel rôle a joué l’ancienne conseillère aux Etats Françoise Saudan?

Alors que je n’ai que 23 ans et suis mon stage d’avocat, elle m’accorde sa confiance, me propose le poste de secrétaire général du parti. «Allez, me suis-je dit, j’ai toujours aimé la politique, on y va.» J’ai interrompu mon stage, on verrait la suite plus tard. C’est à cette époque que je croise un certain Didier Burkhalter, secrétaire du Parti radical neuchâtelois. Ensemble, nous mènerons la campagne pour Rail 2000 (grand sourire). Avec le fonds d’infrastructure (FAIF) aujourd’hui, on se trouve dans le prolongement d’alors.

Puis vient le conseiller d’Etat Guy-Olivier Segond, chargé de l’Action sociale et de la Santé, qui vient d’être élu et me propose de le rejoindre. Je me dis: «Tiens, je vais y aller.» Et je suis une carrière administrative jusqu’au secrétariat général de son département.

Que gardez-vous de ces années-là?

Je me souviens de scènes magnifiques, quand le conseiller d’Etat vaudois Philippe Pidoux nous convoquait à Lausanne à 6 heures du matin, histoire, probablement, de tester la résistance des matériaux (sourire). A l’âge de 30 ans, je me retrouve avec des gens bien plus expérimentés, comme Charles Kleiber, alors à la tête des hospices vaudois avant de devenir secrétaire d’Etat à la science.

C’était l’aventure du Rhuso, une réflexion totalement anticipatrice de mise en commun du destin de nos deux cantons par leurs hôpitaux universitaires, la médecine de base et la recherche, métropole lémanique avant l’heure.

Nous avons échoué en votation en 1998, quelques syndicalistes et médecins genevois avaient lancé un référendum. Un drame, ce non. A posteriori, je dirais que ce fut surtout une victoire de la médiocrité.

La collaboration hospitalière d’aujourd’hui entre Vaud et Genève passe pourtant pour exemplaire.

Cette collaboration n’a tout de même pas la puissance d’une structure commune. Nous avions dix ans d’avance. Aujourd’hui, nous avons dix années de retard.

L’EXPÉRIENCE DU JOURNALISME

Soudain, vous laissez tomber votre belle carrière à l’Etat pour vous lancer dans le journalisme. Quelle mouche vous a piqué?

Je suis un homme libre. Secrétaire général, même si c’est le deuxième plus haut poste de l’Etat, vous ne rêvez pas d’y passer toute une vie quand vous avez 37 ans et que vous y êtes depuis dix ans déjà. J’ai connu le rédacteur en chef du Temps, Eric Hoesli, lors de la campagne pour l’Espace économique européen (EEE). Nous étions tous les deux de cette «Génération Europe», un mouvement transparti qui montrait que la jeunesse avait quelque chose à dire.

Une année après la fusion entre Le Nouveau Quotidien et le Journal de Genève, Eric Hoesli m’a demandé ce que je pensais de la couverture genevoise du Temps. J’ai répondu qu’il avait besoin de quelqu’un d’ici pour l’améliorer. L’essentiel des journalistes pendulaient, ne passaient pas leurs soirées à Genève et n’y avaient guère d’ancrage. J’y ai réfléchi ensuite et, quelques mois plus tard, lui ai dit que j’étais partant.

Et vous vous êtes improvisé journaliste?

J’ai toujours aimé l’acte d’écrire. D’abord sentir quelque chose qui mûrit puis ce moment magique, quand vous avez passé le col et que vous pouvez vous mettre à écrire, proposer votre lecture des événements. J’étais reconnu pour mes analyses, beaucoup moins pour le reportage! Je me souviens d’avoir traversé le Népal et le Tibet, visité Chongqing (15 millions d’habitants) sans rencontrer quiconque parlant anglais. Une véritable épreuve! Là, dans la description sans la moindre citation, j’étais très mauvais.

Votre passage au «Temps» vous a-t-il rendu bienveillant ou sévère à l’égard de la presse?

J’ai un regard extrêmement bienveillant. Mais je ne me satisfais pas de la facilité, par exemple quand le journaliste n’amène que son opinion et qu’elle est insuffisamment argumentée.

Comment voyez-vous l’avenir de la presse?

Seuls un éclairage, une ligne éditoriale qui amène quelque chose de plus que la seule information sauveront la presse. Le destin du Temps me tient à cœur, par exemple. J’y suis attaché car il se trouve à Genève mais essaie de s’ouvrir à toute la Suisse et contribue à son rayonnement. Le journal traverse une grande période d’incertitude: on le met en vente tout en affirmant que, si cela ne marche pas, on le gardera. Etrange.

LE TEMPS DE L’INCERTITUDE

Incertitudes, oui à l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» le 9 février: comment vous, président d’un canton qui vit d’échanges internationaux, vivez-vous ce moment charnière?
C’est un regret, évidemment. Mais il y a une perception dans la population qui s’est exprimée, on ne peut pas l’ignorer.

Quand, avec Génération Europe, nous militions pour l’adhésion à Erasmus, je n’aurais pas pensé que, vingt ans plus tard, ce programme serait menacé et que je devrais militer pour son maintien. Je rappelle que ceux qui ont soutenu l’initiative ont joué les gros bras encore la veille du vote, jurant qu’on était les plus forts et que l’initiative n’aurait aucune conséquence. Trois jours plus tard, quand la menace s’est concrétisée, on ne les entendait plus. Même M. Blocher, qui avait promis avec une pointe de mépris d’aider les étudiants qui auraient des difficultés à étudier en Europe, s’est défilé dès qu’il a reçu les premiers courriers. Oui, Erasmus pourrait passer à la trappe. Parce qu’en Europe il y a aussi des gens qui ne sont pas dépourvus d’esprit tactique.

Le discours de l’UDC vous agace-t-il?

Ceux qui m’agacent sont ceux qui n’assument pas les conséquences de leurs actes. Or, les conséquences du 9 février sur la recherche, on les voyait venir. Durant la campagne, j’ai participé à un débat avec Yves Nidegger et Eric Stauffer. Ils ironisaient sur le sujet. Ici, à Genève! Alors qu’on avait craint le pire quand Merck Serono a fermé, supprimant 1250 emplois. Et que c’est l’Union européenne qui nous ramène l’espoir avec le Human Brain Project, devisé à 1000 millions d’euros sur dix ans.

Mais l’Union européenne, en s’en prenant à la recherche et aux étudiants, ne se montre-t-elle pas belliqueuse, elle aussi?

L’Europe défend ses positions. Il faut toujours se mettre à la place de l’autre pour le comprendre. La Suisse considère que la démocratie directe est une vertu cardinale – ce que je pense aussi. Et pour l’Union européenne, l’alpha et l’oméga, c’est la libre circulation, une valeur jugée décisive pour atteindre le but fondamental de l’Union: éviter une nouvelle guerre.

J’ai déjeuné l’autre jour avec l’ambassadeur de Pologne. Au nom de quoi ne pouvons-nous pas avoir un immense respect pour la construction européenne? Quand vous avez des Polonais qui ont vécu la vraie guerre, avec des millions de morts, et qui, à la suite du découpage de l’Europe, se sont trouvés du mauvais côté du mur et ont pris vingt-cinq ans de retard économique? Il faut comprendre qu’au cœur du continent, là où il y avait les champs de bataille, on dise: plus jamais ça. Et qu’on veuille que les citoyens passent librement d’un pays à l’autre, que les marchés soient ouverts. Il faut comprendre que cette libre circulation puisse être tout aussi intouchable que notre démocratie directe.

D’où vous vient cette sensibilité pour d’autres pays, d’autres histoires? De lectures, de voyages?

Le voyage, ce n’est pas seulement aller loin, c’est un état d’esprit, une ouverture sur le monde. J’ai eu le privilège de pouvoir accomplir certains voyages quand j’étais jeune. A une époque où il n’y avait ni portable, ni internet, ni carte de crédit. On partait pour des semaines pour de tout autres mondes: l’Asie, l’Amérique du Sud, les Etats-Unis. Un de ces voyages m’a porté au Viêtnam, je devais avoir 25 ans. A Saigon, j’entre dans un bureau pour prendre un billet de train pour Hanoï. Le vendeur me dit: vous devriez aller au Cambodge, ils viennent d’ouvrir les frontières. Je me suis donc retrouvé à Phnom Penh un mois après la réouverture. Une expérience effarante dans un pays dévasté: 2 millions de morts sur une population de 6 millions. J’ai visité un pays miné, tout seul (!) devant les temples d’Angkor. A l’hôtel, les seuls autres clients étaient des démineurs. De la communauté européenne!

LE SENS DU DEVOIR

Vous qui répétiez à l’époque que vous ne vouliez pas devenir conseiller d’Etat, vous voici au gouvernement depuis 2005. Que s’est-il passé? L’irrésistible appel du pouvoir?

Vous n’allez pas me croire mais, d’une certaine façon, c’était l’appel du devoir. Je croyais sincèrement que conseiller d’Etat, ce n’était pas mon destin. Je n’avais pas envie de cette vie et de ses sacrifices. J’avais travaillé avec Guy-Olivier Segond qui ne s’arrêtait jamais, nuit et jour, le dimanche aussi.

Mais notre parti se trouvait dans un sale état. Et je me sentais comme le modeste héritier de ces radicaux qui voulaient que l’Etat joue un rôle dans la société, comme il l’avait fait au XIXe et au XXe siècle. Parce que toute l’histoire de Genève est marquée par le radicalisme. De la construction de l’Etat par James Fazy jusqu’à Louis Casaï qui, après la crise des années 30, alors que Genève est exsangue et l’Europe en guerre, réalise qu’il va falloir changer d’échelle. Que cette guerre un jour se terminera et qu’alors les organisations internationales se reconstitueront et qu’il leur faudra un aéroport.

Dieu merci, je n’étais pas seul. Avec Pierre Maudet, habité de la même flamme, nous décidons de retrousser nos manches et de nous répartir les tâches: lui la ville et moi le canton. En 2004, je prends la présidence du parti cantonal, lui la vice-présidence.

Une flamme radicale aujourd’hui bien vacillante au niveau du parti national!

Je me suis peu préoccupé du parti suisse car je dois opérer des choix. Je n’ai pas d’ambition nationale, ma terre est ici. Je ne veux donc pas émettre de jugements définitifs. Mais je crois que la clé de l’affaire consiste à développer ses propres idées et à ne pas loucher sur ce que font les autres. Nous sommes un parti de droite à vocation gouvernementale avec des gens qui l’incarnent. Pensez à Karin Keller-Sutter ou à Pascal Broulis, porteurs d’un idéal de vivre ensemble et pas seulement gestionnaires d’affaires courantes.

Une bande de copains, alors, au bout du compte?
Certains disent qu’en politique on n’a pas d’amis. Pour ma part, il y a des gens pour qui j’ai de l’affection, y compris parmi les modestes militants, et qui comptent beaucoup pour moi. Des amis, oui, qui partagent des valeurs. Pas des copains qui s’échangent des faveurs.

Cela dit, la politique reste une volonté de défendre des idées, de mettre en avant des convictions, une forme d’idéal. C’est donc un rapport de force où vous devez privilégier le résultat.

Quelles sont ces valeurs radicales que vous défendez?
Nous développons une certaine idée de la Suisse, de la place qu’elle donne à la liberté religieuse, à la recherche et au progrès. En bon radical, je suis convaincu que la politique doit chercher à rendre demain meilleur qu’hier. Ce qui se passe dans l’arc lémanique est extraordinaire. Au CERN, on explore l’infiniment grand. Le Human Brain Project ira vers l’infiniment petit étudier le fonctionnement du cerveau, cet organe si peu connu. Un jour, on soignera la maladie d’Alzheimer, j’en suis convaincu. Et c’est ici que cela se joue.

Pourquoi, dès lors, la Suisse se montre-t-elle si frileuse?
Je n’arrive pas vraiment à comprendre pourquoi les partis populistes séduisent tant, si ce n’est la faiblesse des autres et la crainte que demain sera pire qu’aujourd’hui. Oui, le monde change, il a toujours changé, mais les jeunes s’adaptent. C’est nous qui projetons sur eux nos angoisses.

Au fond, je m’élève contre ceux qui plantent un drapeau suisse partout puis détruisent tout ce qui cimente en réalité notre pays: la Banque nationale, le Conseil fédéral, la SSR, le Parlement. Qui détournent les droits populaires à des fins électoralistes ou dénoncent le patriotisme soi-disant déficient des Romands. Que reste-t-il d’un projet collectif?

LE PATRIOTISME GENEVOIS

Vous voulez nous dire que les Genevois seraient patriotes?

Et comment! Genève est l’un des cantons les plus patriotes du pays. Genève a choisi d’entrer dans la Confédération il y a deux cents ans, notamment pour assurer sa sécurité. C’est un Genevois (Pictet de Rochemont) qui a obtenu la neutralité et l’intégrité territoriale de la Suisse. Un Genevois (Dufour) qui lui a donné un drapeau et une armée, et évité une sécession. Il existe ici une véritable ferveur patriotique, il faut y vivre un 1er Août pour s’en convaincre.

Pourquoi?

Peut-être qu’on sait ce qu’on doit à la Confédération, cette tempérance qui nous manque, cette forme de calme.

Dès lors, pourquoi Genève s’est-elle longtemps drapée dans sa superbe solitude, très peu présente à Berne?

Il y a quarante ans, on pouvait vivre en quasi-autarcie. Mais le monde a changé. Les décisions se prennent de plus en plus au niveau national. Longtemps, Genève a pensé qu’il lui suffisait d’être prospère et d’apporter sa contribution à la solidarité confédérale. Mais aujourd’hui, elle comprend que cette prospérité dépend aussi de décisions prises à Berne, en matière d’infrastructures, de fiscalité, d’immigration, de recherche.

Après le vote du 9 février, la situation s’est compliquée parce qu’on nous a coupé les ailes. Parce qu’il faudra contingenter alors que nos entreprises créent des milliers d’emplois, et que la prospérité de tout le pays dépend aussi de leur santé.

N’éprouvez-vous jamais la tentation de la sécession?

Jamais. Ce ne serait pas viable. La force de notre place économique reste liée à notre monnaie et à nos institutions, fortes et pragmatiques.

Au problème de la fiscalité des entreprises, aigu à Genève où siègent de nombreuses holdings internationales, est venu s’ajouter celui des contingents!

Oui, nous avons une nouvelle difficulté. Mais je ne me vois pas aller négocier tout seul à Bruxelles. Les problèmes genevois sont aussi les problèmes de la Suisse. D’ailleurs, la Confédération et les autres cantons en sont conscients.

Je vais jusqu’à trois fois par semaine à Berne. J’y sens une vraie écoute. Les autres gouvernements cantonaux savent comment fonctionne la péréquation financière, dont Genève est l’un des plus gros contributeurs. Sans compter l’impôt fédéral direct, qui rapporte à Berne quelque 4300 francs par habitant genevois, contre 2060 francs en moyenne nationale.

Tout l’arc lémanique a un énorme besoin en permis de travail. Au soir du 9 février, nous avons pris contact avec les Vaudois parce que nous avons des intérêts convergents.

Nous espérons qu’une partie des emplois des organisations internationales, gouvernementales ou non, n’entre pas dans le système des contingents. Et que l’on tienne compte plutôt du solde migratoire que des flux. A Genève, l’an dernier, nous avons délivré 37 000 permis pour un solde migratoire de seulement 3700 personnes.

Personnellement, je crois que tout cela finira par un nouveau vote populaire sur les accords bilatéraux.

LE MODèLE VAUDOIS

Dans ce dossier mais pas seulement, vous travaillez très étroitement avec le canton de Vaud. Que se passe-t-il entre ces deux cantons qui se regardaient longtemps en chiens de faïence? Une affaire d’hommes, d’affinités?

En politique, les affinités entre les personnes sont bien plus importantes qu’on ne le pense. Et quand on aime la politique, on partage un plaisir. Alors oui, nous nous sentons de fortes affinités avec le canton de Vaud qui revient de loin, qui a gagné en confiance, qui s’est ouvert et contribue aussi à la péréquation. Il a réussi à reprendre son destin en main, à dépasser sa crise de confiance interne et la perte de sa place traditionnelle au Conseil fédéral.

Genève doit s’en inspirer. Notre grande faiblesse reste l’ampleur de la dette. Notre étroite collaboration a commencé avec le financement du rail. Pascal Broulis est venu me voir: «J’ai un problème, nous devons mettre de l’argent nous-mêmes.» En une demi-heure c’était fait: 100 millions pour Genève, 200 pour Vaud. David Hiler (ndlr: ministre des Finances genevois jusqu’à l’an dernier), un homme qui se projette dans l’avenir, a tout de suite adhéré: nous ne pouvions pas attirer des emplois haut de gamme et laisser les gens debout dans les trains.

A votre avis, y a-t-il une recette vaudoise dont vous pourriez vous inspirer?

Oui, Vaud a réussi grâce à une équipe gouvernementale qui a parfaitement fonctionné. Sa grande force: la cohérence. Pourtant, le gouvernement a vécu des manifestations de fonctionnaires à 20 000 personnes, un Parlement hostile. Cette cohérence, c’est ce que je souhaite pour Genève. Honneur d’ailleurs à Mauro Poggia qui a privilégié l’intérêt de l’Etat à celui de son parti, le MCG, dans la campagne sur l’initiative «Contre l’immigration de masse».

En février, nous avons visité le site du futur Musée cantonal. Quand on pense à la situation dans laquelle se trouvaient les Vaudois il y a dix ans, c’est extraordinaire de les voir se projeter ainsi dans l’avenir. La situation des grandes institutions culturelles genevoises (Comédie, Grand Théâtre, Musée d’art et d’histoire) est à l’inverse préoccupante.

LA RÉVÉRENCE

Restaurer la collégialité, la confiance au sein du gouvernement: un beau projet pour le premier président genevois pour cinq ans. Et après?

Ceci est ma dernière législature. Je siège au gouvernement depuis neuf ans. A la suite des dernières élections, j’étais le seul à avoir l’expérience de plusieurs années au gouvernement. Mais dans quatre ans, j’aurai rempli mon devoir.

Vraiment? Le pouvoir va vous manquer terriblement!

Il est vrai que je suis un hyper-actif qui ne tient pas en place, bien incapable de supporter le vide.

Les hommes politiques sont rarement des contemplatifs. Ce mouvement permanent sous le regard des autres, l’absence du droit à l’erreur: une vie très intense. Je me souviens de l’affaire libyenne. Ou des négociations avec les réviseurs de la Banque cantonale de Genève, qui ont apporté 110 millions de francs d’indemnisation. Dix-sept semaines quasi jour et nuit.

Arrêter, je suis parfaitement conscient de ce que cela signifie. Du jour au lendemain cessent les flatteries. Je ne crois pas qu’elles me manqueront… Je me suis toujours imposé une certaine distance avec la fonction et mes amitiés datent d’avant mes mandats politiques. De toute façon, il faudra bien se sevrer un jour. Et la vie ne s’arrête pas à la politique, n’est-ce pas?

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Jeunes mamans: l’utopie d’un corps parfait

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:55

Santé.De nombreuses femmes cherchent à maîtriser leur poids pendant et après la grossesse. Une tentative illusoire, qui peut présenter des dangers.

Séverine Géroudet

Avoir un bébé tout en gardant un corps inchangé: les femmes sont toujours plus nombreuses à entretenir cet espoir depuis les grossesses très médiatisées de Victoria Beckham et de Kate Middleton: la première semblait conserver une silhouette filiforme et la seconde affichait un corps de rêve quelques jours à peine après la naissance de son fils. Le phénomène a rapidement été baptisé «mummyrexie» par les magazines people.

Comme l’anorexie, ce comportement se manifeste par des diètes drastiques qui peuvent se révéler dangereuses. «Les régimes restrictifs sont fortement déconseillés durant la grossesse, met en garde Sandra Badel, diététicienne spécialiste en micro­nutrition. Il ne faut pas réduire son alimentation, car si l’on se prive, on prive aussi l’enfant.»

Suffirait-il d’ailleurs de réduire son alimentation pendant sa grossesse pour retrouver ses courbes d’antan après la naissance? La situation est évidemment plus complexe, car chaque corps réagit différemment. «Lorsque je suis tombée enceinte, j’ai eu peur de ne plus pouvoir maîtriser mon poids, raconte Nadia, une Genevoise de 32 ans, pour qui l’annonce de la grossesse a rapidement fait naître de l’anxiété. J’étais très préoccupée par les changements qu’allait subir mon corps et j’ai cherché à tout prix à les limiter en surveillant mon alimentation et en pratiquant le sport de manière assidue. Ma physionomie a changé malgré tout après la naissance de mon enfant.» Telle est la grande injustice de la grossesse: alors que certaines femmes retrouveront sans effort leur silhouette, pour d’autres les conséquences seront inéluctables.

Manger mieux, pas moins. Selon Yvan Vial, médecin-chef du Service de gynécologie et obstétrique du CHUV, une prise de poids de 10 à 12 kilos est tout à fait normale et peu dommageable lorsqu’on est enceinte. «Il y a une marge au-dessous de laquelle il ne faut pas descendre. La prise de kilos conseillée s’adapte à la morphologie de chaque femme. On recommandera à une patiente maigre de prendre plus de kilos qu’à une patiente déjà en surpoids. Il y a un équilibre à trouver pour le bien-être du fœtus et pour celui de la mère. La crainte du corps qui change et du surplus de kilos est de plus en plus présente chez les futures mamans.»

Plutôt que de manger moins, il faut manger mieux, selon Sandra Badel. «L’alimentation influence la génétique avant et pendant la grossesse. Eliminer les éventuelles carences en fer ou en vitamines avant de tomber enceinte va permettre à la future maman de se sentir bien dans son rapport à la nourriture et d’assurer un meilleur développement du futur enfant. Si le corps est bien préparé nutritionnellement pour accueillir le fœtus, la prise de kilos sera normale.» Malgré les risques induits, la mummyrexie n’est pour l’heure pas considérée comme un trouble alimentaire. «Il s’agit surtout d’un effet de mode, poursuit Sandra Badel. Les femmes qui ont toujours été minces veulent le rester après avoir donné naissance à leur enfant.» La tendance du moment veut que la femme active se glisse sans problème dans son tailleur dès son congé maternité terminé.

Surveiller son alimentation donne l’espoir de minimiser la prise de poids pendant et après la grossesse. Car les femmes savent bien que l’élimination des kilos superflus sera une bataille dure à gagner. «Encore plus que ma grossesse, mon congé maternité a été la période la plus difficile à traverser, se rappelle Nadia, la jeune mère genevoise. Je n’arrivais plus à prendre soin de moi ni à faire du sport. J’avais alors un très mauvais rapport à mon corps. Lorsque j’ai repris le travail, j’ai naturellement reperdu du poids sans pour autant retrouver ma silhouette d’antan. A présent, avec du recul, je me sens plus féminine depuis que je suis maman.»

Pression de plus en plus forte. Le phénomène de la mummyrexie rappelle une autre tendance qui a pris de l’ampleur ces dernières années: le recours à la césarienne de confort, qui permet d’éviter les altérations physiques liées à l’accouchement par voie basse. Il y a moins d’un an, un rapport de l’Office fédéral de la santé publique révélait que le nombre de césariennes avait fortement augmenté en Suisse (avec un taux de près de 33% en moyenne, qui place la Confédération dans le peloton de tête des pays de l’OCDE). Dans un contexte social d’intolérance au surpoids et d’obsession de l’apparence, les pressions se font de plus en plus fortes sur les futures mères. Largeur.com

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Mon voisin à trois mètres

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:56

Ville.Densifier? Il n’y a pas que les tours. Il y a aussi la petite échelle des ruelles d’antan. Le quartier du Rôtillon à Lausanne parie sur la chaleur urbaine retrouvée.

Deux mètres, à tout casser. C’est le passage le plus étroit entre deux façades du quartier flambant neuf du Rôtillon, à Lausanne. D’une fenêtre à l’autre, des voisins pourraient se passer le sel. L’étroitesse des voies pavées défie ici tous les règlements de construction en vigueur.

Des ruelles de moins de cinq mètres, c’est en effet une rareté que l’on trouve dans les vieilles villes encore debout, celles qui attirent irrésistiblement le flâneur à Venise, Amsterdam ou Fribourg. Mais quand on construit du neuf, il n’est plus question d’ériger deux façades à une distance qui interdit le passage d’un camion poubelle. «Si nous avons obtenu des dérogations, raconte l’architecte Ivo Frei, l’un des artisans du quartier, c’est que la ville a décidé de rebâtir sur le tracé ancien. Il est rarissime que l’on reconstruise à neuf un quartier entier, un siècle après sa démolition.»

Après quelques décennies de palabres et de polémiques, le Rôtillon, ancien repaire de tanneurs lové dans un repli du cœur de Lausanne, a achevé sa résurrection. C’est chamarré, biscornu, tortueux, drôlement sympa. Sombre? Pas exactement, si l’on en croit cette habitante du premier îlot reconstruit, fâchée contre l’architecte, qui aurait pu prévoir des stores: «Le problème, c’est le soleil, il y en a trop!»

Rêve de bobo. De fait, l’irrégularité des volumes permet des échappées architecturales inattendues: nombre d’appartements fraîchement construits offrent de magnifiques terrasses et baies vitrées avec vue sur la cathédrale. «Il y avait la crainte que ces logements soient peu attractifs», dit Patrice Galland, directeur de la régie du même nom, et qui a investi dans le Rôtillon à plusieurs titres, notamment via la fondation Crèche de Lausanne qu’il préside. «Mais j’ai été moi-même agréablement surpris: les architectes ont fait un superbe travail et les locataires ont afflué.» Seule réserve: «Le pittoresque, ça coûte cher.» Exemple: dans une ruelle à l’étroitesse non réglementaire, les fenêtres se doivent d’être équipées de vitres spéciales pare-feux.

En somme, l’ancien quartier insalubre au fond de sa cuvette urbaine, menacé par les incendies et les épidémies à cause de la proximité de l’eau et de l’étroitesse des ruelles, s’est transformé en rêve de bobo.
Un peu comme la basse ville de Fribourg, autre magnifique exemple de labyrinthe rétro dans un trou urbain: le quartier longtemps malfamé voit aujourd’hui affluer, au fil des rénovations, une jeune population en quête de chaleur urbaine. «Ce qui était autrefois nuisance devient un atout», observe Thierry Bruttin, architecte de la ville. Le spectre de la malaria écarté, les inconvénients de la vie en périphérie pris en compte, le quotidien au coude à coude dans un petit univers où tout le monde se connaît redevient, pour beaucoup, une perspective désirable.

«Petite échelle».«C’est une ambiance particulière, on est comme dans un village», dit Jessica Emery, une jeune maman croisée avec son bébé place du Petit-Saint-Jean, tout au fond de la cuvette fribourgeoise. Lorsque son compagnon lui a proposé de vivre dans le quartier, elle n’était pas chaude. Mais maintenant, elle aimerait «rester là toute [sa] vie» si le prix des loyers le lui permet.

Tout de même: la fenêtre du voisin à trois mètres de la sienne? «On vit sous le regard des autres, c’est vrai, et cela amène parfois les gens à se mêler de ce qui ne les regarde pas. Mais au fond, ce n’est pas désagréable et l’avantage, c’est qu’il n’y a pas de cambriolages! Si je veux m’isoler, je tire le rideau et c’est réglé. Pas comme sur internet, où des inconnus pompent mes données personnelles sans me demander mon avis…»

Ivo Frei est un fervent partisan de cette «petite échelle» retrouvée: «Le regard du voisin, il est là aussi, de l’autre côté du thuya de votre villa mitoyenne. Mais la ruelle est un lieu vivant, qui suscite des rapports plus conviviaux. On parle beaucoup de densification aujourd’hui: la densification la plus efficace ne passe pas par la construction de tours, mais d’un tissu urbain serré avec des immeubles à quatre ou cinq étages.» (Lire encadré.)

Mixité. D’un côté et de l’autre du passage le plus serré du Rôtillon, les voisins ne se passent pas le sel: les fenêtres sont bouclées par mesure de sécurité, l’étage étant occupé de part et d’autre par la nouvelle crèche du quartier. L’espace est augmenté d’une superbe terrasse sur le toit, et idéalement situé pour rayonner dans les musées et parcs lausannois: «Les enfants qui viennent ici ont la ville comme terrain de jeu», dit la directrice, Isabelle Capt.

Sur notre photo, Music Tabacovic, locataire d’un appartement subventionné, pose avec son fils sur son balcon du premier immeuble reconstruit au Rôtillon, en 2006. Leur vis-à-vis: Patrice Galland en personne, dont la régie a installé ses bureaux dans l’îlot fraîchement sorti de terre. «C’est calme, dit le père de famille bosniaque, on est contents d’avoir des bureaux en face.» De fait, les architectes ont évité de concevoir deux fenêtres de chambres à coucher à trois mètres l’une de l’autre.

Au Café des Artisans, Ignacio Rodriguez se réjouit de vivre le premier été sans travaux du quartier enfin terminé. «J’aime la mixité» dit-il et, au Rôtillon, il y a de quoi faire, entre les habitants des premiers immeubles subventionnés et les privilégiés des nouveaux îlots. On peut même dire que nulle part ailleurs locataires modestes et aisés ne se seront frôlés d’aussi près.

Est-ce que ça va prendre? La chaleur urbaine des ruelles étroites fera-t-elle son convivial effet, ici comme à Fribourg? Début de réponse cet été sur la placette, pour la Fête de la musique.


Densification
Mais pourquoi Paris est-elle plus dense que Manhattan?

Les tours, c’est beau. Mais, contrairement à ce qu’on peut imaginer intuitivement, ce n’est pas la meilleure réponse architecturale au besoin de densification, explique Ivo Frei, l’un des architectes du Rôtillon: «Paris est plus dense que Manhattan.»

Explications. D’abord, «lorsqu’on construit des tours, on a l’obligation de ménager un espace de dégagement autour de chaque immeuble, d’autant plus large que la tour est haute.
A moins d’habiter une ville chinoise, bien sûr. Mais la règle du dégagement est valable en Europe comme aux Etats-Unis.

Ensuite, il y a le problème de la lumière.» Celle-ci ne pénètre que sur 5 à 6 mètres à l’intérieur d’un immeuble. «Or, une tour de 140 mètres repose sur une surface au sol de minimum 20 mètres sur 20. Le résultat, ce sont 10 mètres carrés au milieu de l’immeuble qui sont dans le noir, inutilisables pour des logements ou des bureaux.»

Il faut ensuite compter avec la logistique: plus une tour est haute, plus il faut l’équiper d’ascenseurs et de gaines et tuyaux d’évacuation divers. C’est la raison pour laquelle, dans les gratte-ciel, toute la surface centrale est occupée par ces équipements. «En moyenne, il reste, dans une tour, 50% de surface utile, contre 75% dans un immeuble standard bien conçu.»

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Aude Marcovitch, un désir d’Orient

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:56

Trajectoire.La correspondante de la RTS en Israël publie un livre sur ce pays dans la collection L’âme des peuples. Une manière de retrouvailles avec son grand-père, juif roumain d’Alexandrie, qui sillonnait en train une région alors «fluide».

Lorsque Aude Marcovitch habitait en Suisse, la personne derrière le guichet chargée d’enregistrer son nom lui demandait immanquablement: «Marcovitch, ça s’écrit comment?» Depuis que la correspondante de la RTS vit en Israël, la question est: «Comment écrit-on Aude?» «C’est une anecdote, mais elle symbolise parfaitement ma double appartenance», rit-elle.

Aude a une sœur, Valérie, et toutes deux ont grandi à Lausanne, puis à Orges, près d’Yverdon. Leur mère est Lausannoise, fille de Lausannois avec échappée neuchâteloise. Leur père, lui, était né à Alexandrie d’un couple de juifs roumains qui s’étaient rencontrés à Istanbul.

Lorsqu’il est mort, en 2012, les deux sœurs se sont retrouvées autour du cercueil, chacune avec son mot d’adieu. A les entendre, on avait peine à croire qu’elles aient grandi ensemble. Valérie la Vaudoise a l’accent du nord du canton qu’elle n’a jamais quitté, où elle s’est mariée et travaille comme institutrice. Aude la cosmopolite parle comme la Parisienne qu’elle a été durant ses études postgrades en relations internationales. En des circonstances plus gaies, elle bondit volontiers sur la table pour gratifier l’assemblée d’une danse du ventre de son cru. La double appartenance, ça invite à choisir ses loyautés.

Samovars d’enfance. C’est donc loin d’être un hasard si la journaliste, qui a débuté au Temps, se retrouve depuis maintenant cinq ans et demi correspondante en Israël. Et si c’est elle qui signe le livre que lui consacre la collection L’âme des peuples*. «La Suisse est un petit paradis mais j’avais profondément besoin de sortir de cette zone de confort, dit-elle depuis Tel-Aviv. Et aussi de connaître ce pays et ces gens, qui ont vécu tant de drames, et me passionnent.»

Le désir d’Orient a précédé chez Aude l’intérêt pour Israël. Il est né, dans l’appartement de son enfance, du parfum des samovars et des tableaux de son grand-père, un marchand de couleurs que les peintres payaient parfois en nature.

D’Alexandrie où il vivait, ce grand-père sillonnait la région en train, raconte la journaliste en avant-propos de son livre: il allait du Caire à Jaffa, poussant parfois jusqu’à Beyrouth et Damas. C’était du temps où «le Moyen-Orient était un espace encore fluide», un espace qui, en lui-même, attire la petite-fille d’Osias Marcovitch. «J’ai des cousins au Liban, qui sont chrétiens et musulmans, des amis en Syrie et en Egypte. Ma grande tristesse, c’est qu’à la plupart de ces amis je ne peux pas dire que j’habite en Israël. La tension politique est telle ici qu’un Syrien ou un Libanais ne peuvent pas comprendre que l’on puisse vivre dans ce pays ennemi par simple intérêt personnel.»

Le livre. Le Moyen-Orient n’est plus fluide et la rupture scande le destin des gens qu’Aude Marcovitch côtoie désormais. Elle en a fait le fil rouge de son livre: une «blessure féconde», c’est ce qu’ont en commun les dix Israéliens dont elle fait le portrait, en guise de portrait collectif.

Dirigée par Richard Werly, journaliste au Temps, la collection L’âme des peuples ambitionne d’offrir une vision plus intime de ces pays qui font souvent la une de l’actualité mais dont les ressorts profonds restent opaques. L’ouvrage sur Israël sort en même temps que ceux sur le Rwanda et le Brésil.

La formule de la galerie de personnages, choisie par Aude Marcovitch, dessine un portrait national forcément partiel et impressionniste. N’empêche, elle fait bien sentir le tempérament spectaculairement contrasté d’un peuple qui oscille entre vertige religieux et culture du «cool».

On y croise une fille de laïques devenue ultraorthodoxe au grand désespoir de ses parents. Une descendante de pionniers sionistes qui se découvre un pan de famille arabe, issu d’amours inter­religieuses illégitimes. Un militant palestinien qui a passé vingt-trois ans en prison. Ou un ex-espion du Mossad, découvrant sur le tard que son père était lui-même espion. Loyautés, loyautés.

«Israël, les blessures d’un destin». D’Aude Marcovitch. Nevicata, 90 p. 

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1994, quand le Rwanda plonge dans l’horreur

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:58

Mémoire.Il y a vingt ans débutait au Rwanda le génocide des Tutsis. A l’instar de la plupart des observateurs en Afrique, l’auteur a d’abord cru à un simple affrontement tribal. En cent jours, on a dénombré 800 000 morts parmi les Tutsis et Hutus modérés.

Bartholomäus Grill

Les premières nouvelles qui arrivaient à Johannesburg étaient confuses. On parlait d’un bras de fer entre militaires, de désordres sanglants, de rivalités ethniques, de querelle fratricide. Typiquement africain: «Une fois de plus, les Hutus et les Tutsis se tapent dessus», résumait un collègue anglais. Or les querelles tribales n’étaient rien d’autre qu’un génocide, le plus terrible  génocide depuis l’extermination des juifs par les nazis et les massacres méthodiques perpétrés par les Khmers rouges au Cambodge.

«On nous a abandonnés, le monde entier a détourné le regard», se souvient Jonathan Nturo, 34 ans. Veste de cuir lie-de-vin, jeans Burberry, lunettes de soleil, il est revenu sur les lieux des tueries auxquelles il a échappé, au mémorial de Murambi. Il raconte comment, avec sa famille et cinq vaches, il est arrivé ici. Comment des rescapés ont bâti un camp de fortune dans le chantier d’une école, parmi des dizaines de milliers de morts. Jonathan avait 14 ans en cette année 1994.

A Kigali, le 6 avril à 20 h 20, l’avion du président Juvénal Habyarimana est abattu peu avant l’atterrissage. Et on ne sait toujours pas par qui. Un attentat qui institue le coup d’envoi du génocide: la même nuit, les hommes de la garde présidentielle Interahamwe lancent leurs escouades sanguinaires à travers les rues de la capitale. Une clique de Hutus fanatisés a pris le pouvoir, résolue à exterminer une fois pour toutes la minorité tutsie (environ 10% de la population). En moins d’une semaine, les massacres s’étendent à tout le pays.

«Mon père ne voulait pas y croire, se rappelle Jonathan Nturo. Ce n’est que lorsque des villages furent incendiés dans notre région et que trois de mes frères et sœurs furent abattus que nous sommes partis pour Murambi.»

Cinq morts chaque minute. Au soir du 10 avril, à Kigali, le major-général Roméo Dallaire appelle à New York sa centrale d’engagement. Le Canadien dirige l’Unamir, les troupes des Nations Unies censées assurer au Rwanda une paix fragile et la transition vers la démocratie. Dallaire signale depuis des mois une escalade des violences, des dépôts d’armes secrets, des listes de personnes à exécuter et des escadrons de la mort. Cette fois, il exige que le contingent de Casques bleus soit renforcé: avec 4000 hommes, il doit pouvoir empêcher le désastre. Mais ses supérieurs au Département des opérations de maintien de la paix, dirigé par un certain Kofi Annan, refusent: ils n’y croient pas.

Au fil des cent jours qui suivent, le régime hutu et ses sbires assassinent 800 000 Tutsis et Hutus modérés: cinq morts à la minute. Jamais dans l’histoire de l’humanité tant de séides n’avaient tué autant de leurs semblables. Roméo Dallaire parlera de l’«holocauste africain».

A Murambi, c’est durant la nuit du 21 avril que l’enfer se déchaîne. Des soldats tirent sur les gens au hasard et lancent des grenades, se rappelle Jonathan Nturo. Puis les milices pénètrent dans le camp et entreprennent de massacrer les gens un à un, à coups de machette, de couteau, de faucille, d’épieu et de bêche. La famille Nturo est dispersée. Jonathan se retrouve au sein d’un groupe de jeunes hommes qui parviennent à échapper aux tirs de barrage des soldats, dévalent la colline et traversent à la nage la rivière Murambi.

Quand il évoque ces moments, Jonathan est bouleversé, il gesticule de manière véhémente, les mots se bousculent dans sa bouche, il bégaie. «Nous avons toujours peur d’en parler», s’excuse-t-il. Il raconte les nuits sans sommeil quand les fantômes du passé lui rendent visite, les multiples thérapies entreprises en vain pour soigner ses troubles post-traumatiques.

Au moins 40 000 personnes sont mortes à Murambi, théâtre d’un des pires massacres de ce printemps 1994. Le préfet du district de Gikongoro félicite les assassins: «Vous avez fait du bon travail.»

Une logique d’anéantissement. Les premières images TV qui ont circulé étaient si monstrueuses, si incompréhensibles que les commentateurs ont parlé d’une «maladie de tuer», comme si le génocide était un virus. On sait aujourd’hui qu’il n’était pas l’œuvre des forces archaïques du chaos mais d’une élite moderne, bien formée, recourant à tous les instruments d’un Etat très organisé: l’armée, la police, les services secrets, les milices, l’appareil administratif et les médias. Les coupables n’étaient pas des démons mais les agents d’un système criminel. Ils se conformaient à une pure et simple logique d’anéantissement: si nous ne les éliminons pas, ils nous élimineront.

Les meurtres n’avaient rien à voir avec une guerre tribale, car Hutus et Tutsis partagent depuis des siècles la même langue, les mêmes coutumes, la même culture. Les mariages mixtes sont d’ailleurs nombreux et les Rwandais peinent souvent à se distinguer les uns des autres.

Les causes de la tragédie sont la pression démographique dans un petit pays agricole, la lutte pour la répartition de ressources trop rares, la politique de ségrégation héritée du colonisateur belge qui a attisé le racisme latent entre les deux groupes, le besoin délirant de pouvoir des élites régnantes.

Le mémorial de Murambi empeste: la décomposition se poursuit. Des centaines de corps couleur de craie gisent sur des châlits. Ils ont été conservés dans la chaux. On devine des membres amputés, des enfants décapités, des crânes troués par des épieux, des femmes violées, la terreur figée sur les visages. Jonathan Nturo a remonté ses Ray-Ban sur le front. Il ne dit plus rien. Il lutte contre les larmes. Il ne retrouve la parole qu’une fois sorti sur l’esplanade: «Là-dessous se trouve le charnier sur lequel les Français ont joué au volley-ball.»

La France cultivait ses rapports avec le régime, lui fournissait des armes, formait ses soldats et entraînait ses milices. Une fois que l’orgie de mort eut pris fin, elle a envoyé une mission de sauvetage: «Opération Turquoise». Elle a créé un corridor de sécurité grâce auquel les massacreurs ont trouvé refuge au Burundi ou au Zaïre.

Entre refoulement et souvenirs.«Parfois, je suis émerveillé que de l’herbe puisse pousser ici, que la vie continue», philosophe Jonathan. Il veut encore aller jusqu’à Gataba, où son père et son frère ont été abattus. Il avait l’intention de parler avec la femme du meurtrier de ses proches mais, quand nous passons devant sa boutique, il n’en a plus le courage: «Je n’aime pas l’ambiance.» En effet, l’atmosphère est hostile. Il lit dans les regards qu’on n’aime pas ce type qui se balade avec un journaliste et prétend déterrer des histoires anciennes. Après tout, les «événements» remontent à vingt ans.

C’est ici pourtant que quatre hommes ont battu à mort son père et son frère. Le meneur était un businessman prospère qui est désormais en prison. Jonathan Nturo a grandi dans une famille de quatorze personnes. Hormis sa mère, deux sœurs et un frère, ils sont tous morts.

A Gataba comme ailleurs, coupables et victimes vivent de nouveau côte à côte. Les premiers refoulent ce qui s’est passé, les autres ne peuvent oublier. Le simple fait d’évoquer à haute voix la question tutsie-hutue peut valoir de lourdes peines pour «divisionnisme» et incitation à la rébellion populaire. Le régime autoritaire du Rwanda a mis la réconciliation à l’ordre du jour. Il est toujours dirigé par Paul Kagame, le Tutsi dont l’armée du Front patriotique rwandais a conquis le pays et mis fin au génocide.

De nos jours, le Rwanda connaît le succès économique, il est une dictature du développement, sur le modèle de Singapour et de la Chine. Autant dire que les opposants y sont persécutés et, en cas de besoin, réduits au silence.

Retour vers Kigali. Dans les rizières des fonds de vallée s’activent des brigades de travailleurs forcés. Les détenus de droit commun sont en combinaison rose, les génocidaires sont vêtus d’orange. «Tout le monde doit voir qui ils sont, affirme avec emphase Jonathan Nturo. Ils doivent payer pour leurs actes, ce n’est que justice.»

© Der Spiegel Traduction et adaptation Gian Pozzy

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Des banquiers sous pression

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:59

Enquête.Surcharge de travail, objectifs intenables, menaces de licenciement: les collaborateurs des établissements financiers se plaignent de la dégradation de leurs conditions de travail, dans un secteur en crise.

«Les burn-out sont nombreux. Personne n’échappe à la pression, personne ne sait combien de temps il sera encore là. L’ambiance est extrêmement tendue. Cela fait cinq ans que nous nous trouvons dans une situation de gestion de crise et de restructuration dont nous ne voyons pas le bout.» Catherine*, gestionnaire de fortune dans une grande banque à Genève, dispose désormais d’une hot-line pour trouver un soutien. Depuis peu, son employeur organise aussi des séminaires sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Surcharge de travail, objectifs intenables, menaces de licenciement: les collaborateurs des établissements financiers se plaignent de la dégradation de leurs conditions de travail, dans un secteur sous tension. Depuis l’éclatement de la crise financière, le contrôle des établissements bancaires s’est resserré avec l’application de nouvelles régulations par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA). L’activité transfrontalière a été bouleversée. Par le passé, les banquiers suisses pouvaient démarcher la clientèle étrangère sans respecter les règles en vigueur dans les différents pays. Aujourd’hui, ils doivent suivre à la lettre les conditions locales. Sur le plan fiscal, face aux pressions des pays tiers, les banques consacrent d’importantes ressources pour se mettre à jour. Certaines doivent par ailleurs s’acquitter d’amendes.

«Les coûts de mise en place des nouvelles réglementations se chiffrent à plusieurs centaines de millions, alors que les amendes peuvent être largement plus importantes, indique Jean-François Lagassé, associé responsable Corporate Finance en Suisse pour le cabinet d’audit Deloitte. Cela s’inscrit dans un contexte où plusieurs banques sont déjà déficitaires.» La facture est particulièrement salée pour la place genevoise, très centrée sur la gestion de fortune.

Les employés font les frais de ce changement de paradigme et de la chute des profits. «Nous percevons clairement une augmentation de la pression, souligne Clément Dubois, responsable romand de l’Association suisse des employés de banques (ASEB). Le nombre de personnes qui s’adressent à nous pour demander de l’aide augmente.»

La charge de travail s’est nettement alourdie. Les tâches sont plus nombreuses et complexes, alors que les équipes sont réduites en raison des départs et des licenciements. Et les obligations administratives, découlant des nouvelles réglementations et des efforts entrepris pour le règlement du passé en matière fiscale, ont explosé. Les employés doivent désormais consigner par écrit leurs moindres tâches et être en mesure de tout justifier.

Travail administratif. Malgré ces changements, les objectifs chiffrés sont restés semblables. «Avant, le mot d’ordre était “Fais de l’argent!”. Aujourd’hui, cette exigence demeure mais je dois en plus remplir une multitude de formulaires et de rapports, confie un gestionnaire de fortune. L’administratif représente 70% de mon travail, contre 20% auparavant, raconte un autre. Cet aspect a clairement pris le dessus.» Voyager devient aussi plus compliqué en raison des règles qui varient d’un pays à l’autre et des risques juridiques encourus.

Pour s’assurer que toutes les activités se déroulent selon les normes en vigueur, les banques ont instauré de stricts mécanismes de surveillance interne. Un facteur de pression supplémentaire. Certains établissements vont jusqu’à contrôler courriels et conversations téléphoniques de leurs employés. «Ils agissent comme des policiers et distribuent des blâmes, même pour de petites choses, par exemple pour ne pas avoir rempli correctement un profil de client, poursuit notre interlocuteur. Cela peut rapidement coûter cher et aller jusqu’au licenciement.»

Certains dénoncent cependant l’hypocrisie de leur hiérarchie: parallèlement à ces actions pour se couvrir à tout prix, le personnel est poussé à enfreindre les règles. «Nous sommes jugés en fonction de nos performances, souligne Catherine. Atteindre les rendements exigés est impossible en respectant les règles de démarchage et de conseil à la clientèle étrangère. Du coup, nous les transgressons, mais sans laisser de trace. Nos supérieurs sont bien évidemment conscients de la situation. D’ailleurs, certains objectifs ne sont communiqués que par oral. Mais lorsqu’il y a un problème, la responsabilité repose sur les employés. Cette situation provoque un grand malaise à l’interne. En une année, un tiers de mon équipe est partie.» 

La menace du licenciement. La place financière genevoise a connu quelques licenciements collectifs, mais un certain nombre d’établissements se séparent de leurs employés au compte-goutte, à l’abri des regards, explique Clément Dubois, de l’Association suisse des employés de banques (ASEB). Le phénomène touche aussi le back-office, les activités qui ne sont pas en contact direct avec la clientèle. «Cela représente un facteur de stress supplémentaire, car le management cherche toutes les petites fautes des employés pour justifier ses choix.»

L’ASEB signale aussi un nouveau phénomène «qui s’installe insidieusement» dans les méthodes d’évaluation: les quotas de personnes qui doivent recevoir une note insuffisante. Potentiellement, une réserve de salariés que l’on pourra licencier.

Du côté de Genève Place Financière, la fondation qui regroupe les banques de la place, le directeur Edouard Cuendet indique être mal placé pour s’exprimer, dans la mesure où chaque établissement bancaire a ses spécificités. Il souligne cependant que «la situation des employés ne laisse personne indifférent». Et que les conditions, notamment salariales, restent «au-dessus de la moyenne». La rétribution fixe annuelle moyenne du secteur bancaire en Suisse a atteint 106 000 francs en 2013, selon une enquête de l’ASEB.

La tension se ressent pourtant aussi dans les rémunérations, surtout dans les bonus. Dans la gestion de fortune, la part variable pouvait facilement égaler le montant de la part fixe avant la crise. Aujourd’hui, les bonus représentent généralement un ou deux mois de salaire, voire sont inexistants.

Selon un sondage du portail d’informations financières finews.ch, un employé de banque suisse sur cinq n’a pas reçu de bonus en 2012. «Il y a un immense tabou concernant les rémunérations, notamment en raison des grandes disparités dans l’entreprise, note un employé d’une banque privée genevoise. Les ressources humaines font tout pour que rien ne filtre.»

Largeur.com
* Nom connu de la rédaction.


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Des répercussions sur l’économie locale

Bonus en baisse, avenir incertain: les banquiers dépensent moins que par le passé.

«Nous avons adapté notre train de vie, raconte une gestionnaire de fortune. Les pauses déjeuner de deux heures entre collègues dans des restaurants coûteux n’existent plus.» Pascal Brault, responsable du restaurant étoilé Le Chat Botté, confirme une baisse de la fréquentation de la clientèle bancaire depuis deux ans. Au Nonolet, un bar très fréquenté des banquiers, la gérante Christelle Gaillard observe que la manière de consommer a changé. «Ils regardent davantage les prix, se font moins plaisir.»

Certains garages sentent également une différence. «Depuis fin 2012, cette clientèle a déserté les showrooms, note Thierry Bolle, directeur du garage Mercedes-Benz de la Marbrerie. L’achat d’automobile pour le plaisir, que l’on constatait à la période des bonus, n’existe presque plus.» A l’Usine Opéra, un club de sport haut de gamme du quartier des banques, le directeur Michel Rizzo constate que certains clients renouvellent leur abonnement par trimestre plutôt que par année «en raison du manque de visibilité sur l’emploi, aussi bien en termes de licenciements que de mutations à l’étranger». Les produits annexes, comme le coaching et les soins, sont aussi touchés.

A cela s’ajoutent les réductions des dépenses des banques pour certains services. La société de taxi de luxe Ambassador enregistre une baisse de revenus d’environ 15%, indique le responsable du service limousine Jean-Philippe De Polo. «Depuis une année environ, les locations de véhicule se font à la course plutôt qu’à la journée.» Mencia de Rivoire, directrice de l’entreprise de conciergerie Le Bureau, relève, pour sa part, une diminution de son chiffre d’affaires de 10 à 20% par an. «Les départements de marketing des banques continuent de faire appel à nous pour trouver des billets pour des événements, par exemple sportifs ou de haute couture, pour leurs clients, mais avec des budgets moins importants.»

Les autorités genevoises reconnaissent l’affaiblissement du pouvoir d’achat des employés du domaine bancaire. Elles remarquent toutefois que certains secteurs de l’économie genevoise connaissent une situation plus favorable. «La masse salariale globale versée dans le canton augmente, précise le conseiller d’Etat chargé de l’Economie, Pierre Maudet. La montée en puissance du négoce et la bonne santé de l’horlogerie ont compensé.»

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Mark Henley Panos
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Grâce et disgrâce: la Suisse à canossa, saison II

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:59

C’était une des expressions favorites de Jean-Pascal Delamuraz:«Aller à Canossa», c’est-à-dire s’excuser, s’humilier devant son adversaire. La perspective le fâchait. C’était l’époque où le radical négociait l’Espace économique européen et rêvait encore que la Confédération y jouisse du droit de codécision. Il fallut déchanter, l’Union européenne ne pouvant pas concéder à un Etat tiers ce qu’elle n’offre qu’à ses membres. C’est pourquoi, après avoir signé en mai 1992 l’accord EEE, que les milieux économiques réclamaient pour ne pas être exclus du grand marché unique en cours de constitution, le chef du Département de l’économie et son collègue René Felber, responsable des Affaires étrangères, exprimèrent leur volonté de faire adhérer la Suisse à l’Union européenne. Les deux ministres voulaient absolument préserver la souveraineté du pays en le plaçant à égalité avec les membres de l’UE. Cette manière fière de défendre notre indépendance dans un monde devenu interdépendant ne fut pas comprise, notamment par un entrepreneur du nom de Christoph Blocher, qui s’y opposa avec toute la virulente propagande que ses millions de francs lui permettaient. On connaît la suite.

Il n’est pas anodin que l’autre jour, invité par Le Temps et le Global Studies Institute de l’Université de Genève, Yves Rossier, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, ait utilisé l’expression «long voyage à Canossa». De 1990 à 1998, il a travaillé dans le sillage de Jean-Pascal Delamuraz. Il lui reste de cette proximité avec le conseiller fédéral vaudois une empreinte.

Les trois ans prévus par l’initiative ne suffiront peut-être pasà rétablir des relations dynamiques avec l’UE après la cassure du 9 février, a averti Yves Rossier. En ouverture de cette journée de réflexion sur l’avenir européen de la Suisse, il a expliqué pourquoi ce sera long et laborieux, frustrant et énervant.

Les contrats en vigueur avec l’UE ont une substance complexe très éloignée des «accords de libre-échange de grand-papa», a imagé le secrétaire d’Etat. Dans la plupart des cas, la Suisse a repris à son compte les solutions trouvées par les 28, parce que celles-ci conviennent parfaitement bien. Compte tenu de la densité des échanges, l’alignement sur les règles commerciales de l’UE est l’option la plus pratique, la plus rapide et la moins chère, puisque celles-ci évitent toute discrimination à nos marchandises. Avocat suisse établi à Bruxelles, Jean Russotto a résumé l’enjeu: «Il est illusoire de penser que nous pouvons travailler hors des conditions-cadres de l’UE.» Il faut donc veiller à ce que l’après 9 février ne devienne pas «un purgatoire économique».

Mais, pour négocier, il faut être deux, et malgré la densité des relations Suisse-UE (1,3 million de passages frontaliers par jour, plus qu’entre le Canada et les Etats-Unis), la disponibilité de Bruxelles sera mince. Le service des affaires extérieures a d’autres priorités, comme l’Ukraine, le traité transatlantique avec les Etats-Unis…

Si le vote contre l’immigration de masse agit directement sur nos voisins, qui étaient nos meilleurs alliés et nos ambassadeurs au sein de l’UE, il a également énervé ailleurs. Par exemple en Espagne, a relevé le secrétaire d’Etat. Pas tellement à cause des immigrés, mais plutôt parce que Madrid redoute qu’un arrangement à l’amiable avec la Confédération nourrisse chez les sécessionnistes catalans l’idée que l’UE est prête à négocier son cadre protecteur à qui le demande, sans conditions.

L’UE sait pourtant accommoder les intérêts divergents, elle pratique cela à longueur de journéeà Bruxelles. Négocier avec les 28 équivaut cependant à s’entendre avec tout un clan: ce n’est pas parce que deux ou trois membres de la famille ont donné leur feu vert que tous les autres vont suivre.

Le rapiéçage post 9 février sera tout autant ralenti par le front intérieur. Pour qu’Yves Rossier tricote des solutions, il faudra qu’il puisse s’appuyer sur un consensus entre Suisses. Un préalable qu’il ne sera pas aisé d’obtenir entre ceux qui crient «quotas, quotas» et ceux qui ne veulent pas sacrifier à cette incantation la voie bilatérale. Le secrétaire d’Etat est toutefois resté curieusement évasif sur les moyens que le Conseil fédéral pourrait mettre en œuvre afin de bâtir cette position commune.

Les partis du centre-droite seront sommés de choisir leur camp entre l’UDC, qui ne veut plus de la libre circulation des personnes, et le Parti socialiste, qui a remis sur la table la perspective de l’adhésion. C’est un paradoxe qui n’a pas été débattu, peut-être parce que aucun membre du Nomes ni du PS n’avait été convié à s’exprimer lors de cette journée de réflexion. Plutôt que d’aller à Canossa, la Suisse conserve, comme en 1992, la possibilité de s’installer à Bruxelles à la table des 28, en devenant membre de l’UE. Sans s’humilier. Il ne faut pas redouter de le rappeler.

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Etudes de médecine: le grand gâchis humain

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 06:00

Pénurie.La Suisse manque de médecins indigènes, et surtout de généralistes. Pourtant, le système de formation continue de broyer des centaines de vocations. Enquête sur un paradoxe, avant la votation du 18 mai.

Elle a toujours rêvé de devenir médecin. Généraliste, de préférence. Peut-être même dans une région périphérique. Hobbys, vie sociale, vacances, tout est passé à la trappe au profit de ses études. Mais rien n’y a fait. Trois tentatives et un échec définitif ont eu raison de ses ambitions. A l’image de cette étudiante, ils sont nombreux à avoir sacrifié une partie de leur jeunesse pour un objectif qui ne se concrétisera jamais. En cause, un système de formation draconien et extrêmement sélectif. La Suisse souffre pourtant d’une pénurie de médecins, annoncée et connue de longue date. Une contradiction que la classe politique a longtemps refusé de reconnaître. Aujourd’hui plus que jamais, l’offre médicale de base est mise en péril par l’avalanche de départs à la retraite des médecins et l’absence de relève. Si bien que la problématique a enfin trouvé place dans l’agenda politique.

Une votation peu contestée. Le 18 mai prochain, l’arrêté fédéral sur les soins médicaux de base sera soumis au peuple suisse. Son but? Assurer une médecine de proximité adéquate, accessible à tous et de haute qualité. Il vise ainsi à favoriser tant la médecine de famille que celle de l’enfance. Deux domaines qui, au vu du taux de maladies chroniques toujours plus élevé et de l’espérance de vie toujours plus longue, sont peu à peu devenus les piliers fondamentaux des soins de premier recours. Inscrit dans la Constitution, ce nouvel article 117a trouve ses origines dans le contre-projet direct du Parlement à l’initiative populaire «Oui à la médecine de famille», retirée par ses auteurs le 27 septembre 2013. Une enveloppe de 200 millions de francs devrait notamment permettre de revaloriser les prestations des médecins généralistes et des pédiatres, mais également de renforcer la formation universitaire et post­grade dans ces professions.

Pour l’heure, si le contre-projet se bute à une partie de l’UDC, il remporte cependant une quasi-unanimité. Du Conseil fédéral aux initiants, en passant par le Parlement, les cantons et les partis, l’entente est de mise.

L’enjeu ne se situerait donc pas au niveau de la votation elle-même, mais de son ordonnance d’application. «Il est prévu d’aller soutirer les fonds nécessaires dans le secteur de l’ambulatoire, qui est pourtant déjà déficitaire», réagit Charles Favre (PLR/VD), ancien conseiller d’Etat et médecin généraliste. «Par ailleurs, bien que nécessaire, ce nouvel article ne permettra pas à lui seul de pallier la pénurie de médecins.»

Quelques chiffres synthétisent le défi qui reste à relever: chaque année, environ 800 étudiants obtiennent leur diplôme de médecine humaine. Or il en faudrait de 1200 à 1300 pour combler le déficit actuel. Alors que près de 70% des traitements médicaux prennent place dans le cabinet du médecin de famille et de l’enfance. «Moins de 20% de nos étudiants s’intéressent à la médecine généraliste», note Henri Bounameaux, doyen de la faculté de médecine de Genève.

Les paradoxes du système. Face à ce manque, la Suisse a pris pour habitude d’engager toujours plus de professionnels venus d’ailleurs. En 2013, ils n’étaient pas moins de 9756 médecins détenteurs d’un diplôme étranger (soit 29,4% de l’effectif total). De manière plus précise, 38% des médecins exerçant au sein des HUG en 2012 étaient de nationalité étrangère (11% de Français, 21% UE et AELE et 6% d’autres pays). Une main-d’œuvre sans laquelle le système de santé suisse ferait long feu. Et pourtant, cette solution risque bien de ne pas survivre à l’éventuel retour des contingents, conséquence directe du vote du 9 février sur l’immigration de masse. Mais également à la récente demande de Jürg Schlup. Selon le président de la Fédération des médecins suisses (FMH), les médecins étrangers souhaitant exercer dans le pays devraient en effet se soumettre à un test de langue préalable.

Dès lors, une urgence paraît s’imposer: augmenter les capacités d’accueil dans les facultés de médecine. Cependant, elles aussi se heurtent sans cesse à de multiples obstacles. Politiques, tout d’abord. Mais également pédagogiques.

Couperet fatidique.«Si chaque université a une certaine latitude, elle reste toutefois tributaire de la politique, notamment quant à ses moyens ainsi qu’à ses capacités d’accueil», note Gregory Roeder, responsable du bachelor en médecine humaine (1re année) de l’Université de Neuchâtel. Malheureusement, à trop se focaliser sur les coûts de la santé, la classe politique, à Berne ou dans les cantons, peine à garder la réalité en vue. Résultat, alors que le nombre de places sur les bancs universitaires de même que dans les couloirs des hôpitaux devrait augmenter, l’accès aux études ne cesse de se durcir. «Au grand dam des universités qui n’éprouvent aucune satisfaction à devoir proposer un cursus aussi sélectif», précise encore Gregory Roeder.

C’est dans ce contexte que, le 18 mars dernier, un nouveau couperet fatidique est tombé. La Conférence universitaire suisse (organe commun de la Confédération et des cantons pour la collaboration dans le domaine de la politique des hautes écoles universitaires) a décidé de limiter une fois encore l’accès aux études de médecine. Pourquoi? Il y a trop de candidats! Trois mille trois cent dix personnes se sont inscrites en médecine humaine auprès des quatre universités pratiquant le numerus clausus, soit Bâle, Berne, Fribourg et Zurich. Or, ces quatre universités ne peuvent pas dépasser un total de 793 étudiants. Même constat du côté des trois autres universités. Avec 619 inscriptions pour 160 places, Lausanne est suivie de près par Genève qui, elle, a reçu 531 inscriptions pour 140 places. Loin d’être en reste, Neuchâtel a pour sa part compté 103 demandes pour 55 places.

Cruel constat, les vocations ne manquent pas, mais les facultés de médecine ne sont pas taillées pour y faire face. A moins d’augmenter de manière drastique leur capacité d’accueil.

Un tri trop radical. Cette insuffisance de places de formation anéantit le credo politique romand selon lequel la voie universitaire doit rester ouverte à toute personne détenant un diplôme de maturité fédérale. Les facultés de médecine de Genève, Lausanne et Neuchâtel n’ont donc pas d’autre choix que de pratiquer le système dit de «sélection renforcée». Le ratissage s’exerce tout au long des deux premières années, construites en modules focalisés sur les sciences dures, l’appris par cœur et le bachotage. Une méthode stricte et draconienne qui engendre de 30 à 50% d’échec. «De réels efforts ont toutefois été faits ces dernières années pour que les contenus de première et de deuxième années soient d’ores et déjà orientés “médecine” et pas uniquement sciences “dures” et “écœurantes”», intervient Gregory Roeder.

Quant aux facultés de Fribourg, Berne, Bâle et Zurich, elles pratiquent le numerus clausus. Un processus non moins rigide qui dispose toutefois, la sélection préuniversitaire une fois effectuée, de l’avantage de pouvoir fixer ses barèmes sur des critères d’exigence et non plus des quotas. En aval de ce test d’aptitude, le taux de réussite vogue entre 80 et 90%.

«Il n’en reste pas moins que l’examen est extrêmement rude et ne juge pas les connaissances médicales des étudiants, mais uniquement leur méthode de travail ainsi que leur capacité de concentration et d’analyse», nuance Jan Breckwoldt, coordinateur au sein du décanat de la faculté de médecine de Zurich.

Qu’il soit romand ou alémanique, le cap des premières années de médecine est teinté d’arbitraire et se franchit avec peine. «Aucune méthode n’est parfaite ni ne permet de savoir qui fera un médecin adéquat ou non, souligne Henri Bounameaux. Toute forme d’examen élimine sans doute des étudiants qui auraient fait de bons médecins, tout comme elle en garde certains qui finalement se révéleront médiocres.»

Bien que différents sur le principe, les cursus romands et alémaniques aboutissent donc au même résultat. Cependant, «un échec à Lausanne, ou un parcours réussi mais de manière difficile, reste un épisode traumatisant qui, à mon sens, laisse plus de traces que le numerus clausus des Alémaniques», note Luc Michel, psychiatre, psychanalyste et ancien responsable de la consultation psychothérapeutique pour les étudiants de l’UNIL et de l’EPFL. Mais une sélection efficace et respectueuse de l’individu existe-t-elle? «Nous pourrions imaginer instaurer un stage de six mois obligatoire, en amont de la formation», propose Marina Carobbio, conseillère nationale (PS/TI) et médecin généraliste.

Pas de place pour les plus frêles. Indéniablement, cette formation universitaire démarre tel un parcours du combattant où stress et pression psychologique mettent constamment les nerfs des étudiants à vif. Tous s’accordent toutefois sur un point: être sous tension est propre à la fonction de médecin. «Celui qui ne supporte pas le stress ne peut exercer cette profession», analyse  ainsi Henri Bounameaux. Même son de cloche du côté de Charlotte*, étudiante en troisième année à la faculté de médecine de Lausanne: «Seules ont une chance de réussir les personnes dotées d’une certaine autodiscipline, qui savent prendre du recul et gérer la pression.»

Reste que ce début de formation, basé sur des critères rigides et restrictifs, ne laisse que peu de chances aux étudiants plus fragiles. «Il faut être prêt à mettre sa vie entre parenthèses au profit de ses études», remarque Maïa Alberte, 23 ans, ancienne étudiante en médecine, actuellement en sciences de l’éducation. Un sacrifice parfois cher payé. «Je n’avais plus aucune vie sociale, révisais de 8  à 22 heures tous les jours et perdais du poids à vue d’œil», témoigne Marie*, ancienne étudiante de médecine qui, après deux ans et un échec définitif, s’est redirigée vers le domaine de la psychologie.

Entre ceux qui essuient un échec définitif et ceux qui renoncent pour se diriger vers une autre profession, nombreux sont ceux qui ne vont pas au terme de leur cursus, sans qu’aucune étude ne quantifie l’ampleur du phénomène.

D’autres encore préfèrent quitter les bancs suisses afin de se former dans une université étrangère. Belgique, Roumanie, Hongrie, Lituanie. Entre les cursus francophones et les filières en anglais, le choix est large. Les Romands semblent souvent opter pour la Roumanie, où la formation peut se suivre en français.

Renforcer l’aspect relationnel. Conscients des failles du cursus, les responsables académiques mettent peu à peu sur pied des mesures d’accompagnement et de soutien. La faculté de médecine de Lausanne dispose par exemple d’un système de parrainage des étudiants de première année par leurs aînés de troisième année. L’aspect relationnel reste toutefois encore trop souvent mis de côté. En début de parcours principalement. «Nous faisons tout notre possible pour que la formation soit dotée d’une grande composante de contacts avec les patients», rétorque Pierre-André Michaud, vice-doyen de la faculté de médecine de Lausanne.

Des cours axés sur la communication et les relations humaines, des patients simulés, des journées de stage en cabinets et hôpitaux… Ces dix dernières années, les universités n’ont pas lésiné sur les moyens de renforcer les liens entre étudiants et patients. Une démarche entreprise notamment dans le but d’inciter les jeunes médecins à se diriger vers le domaine dans lequel la pénurie est la plus forte: la médecine générale. En effet, «le souci principal n’est pas tant le nombre d’étudiants que nous formons, mais le type de futurs médecins qu’ils deviendront», précise Henri Bounameaux. Chaque faculté est désormais dotée d’un institut de médecine générale et propose toujours plus de cours axés sur cette spécialisation. L’enseignement reste cependant non seulement très variable d’une faculté à l’autre, mais également parcellaire et discontinu au cours des six années d’études.

L’homogénéiser, tel sera l’un des défis du nouvel article constitutionnel. Dans l’intervalle, Genève offrira, à l’image des facultés de Lausanne et de Berne et dès l’année prochaine, un stage de plusieurs semaines à tous ses étudiants. Quant au Conseil d’Etat de Fribourg, il a pour sa part mandaté un groupe de travail chargé d’analyser la faisabilité d’un master orienté vers la médecine de premier recours.

Quelques promesses. Tous ces efforts resteront vains s’ils ne s’accompagnent pas de mesures propres, d’une part, à augmenter le nombre de places de stages en hôpitaux et, d’autre part, à améliorer l’attractivité des conditions professionnelles. «Afin de convaincre plus d’étudiants, les exigences principales à remplir seraient de permettre une installation en cabinet adéquate et de pallier la surcharge administrative de paperasse qui devient toujours plus lourde», explique Pierre-André Michaud. Reste à voir si la votation du 18 mai permettra d’avancer dans cette direction. «Certainement, mais cela aurait dû être fait il y a longtemps. Et, malheureusement, les effets ne seront sans doute pas palpables avant dix ou douze ans, soit le temps d’un cycle de formation», estime Gregory Roeder.

Pour l’heure, les facultés profitent de la marge de manœuvre qui leur est accordée. A l’automne 2014, Lausanne et Zurich ouvriront leurs portes à 60 personnes de plus, passant de 160 à 220 étudiants, respectivement de 240 à 300. Bâle et Berne suivront le mouvement une année plus tard et augmenteront leurs capacités respectives de 40 places. Au Tessin, les autorités politiques cantonales discutent par ailleurs de la création d’une faculté de biomédecine, qui abriterait un institut de médecine humaine, chargé de l’organisation d’un master correspondant. Cette faculté pourrait, en partenariat avec d’autres universités, former entre 60 et 70 médecins supplémentaires par année.

A terme, c’est donc un total de 200 places supplémentaires qui aura été mis à disposition des candidats aux études de médecine. Et Gregory Roeder de conclure: «Si les moyens sont donnés, les facultés et écoles de médecine seront les premières à augmenter de nouveau leurs capacités de formation.» Une promesse dont les conséquences positives ne se feront sentir que le jour où les efforts des autorités politiques seront moins timides que ceux déployés jusqu’ici.

* Prénoms connus de la rédaction


Pénurie de médecins
Au sujet de la votation du 18 mai, retrouvez notre dossier spécial regroupant toutes nos enquêtes sur la pénurie de personnel soignant sur www.hebdo.ch.


Salon de la formation
Un focus sur l’ensemble de la filière médicale

Depuis l’an dernier, le Salon de la formation, élément constitutif du Salon du livre et de la presse (à Palexpo, du 30 avril au 4 mai) a poursuivi sa mue décisive: un positionnement plus clair, axé sur le lien entre formation et emploi.

Dès lors, au-delà des présentations et exposants, écoles ou universités, il s’agit bien de mettre en lumière des professions et des filières d’avenir. L’édition 2014 a ainsi choisi de mettre un accent particulier sur les professions de la santé et des soins à la personne. Cela, en plus, au moment opportun d’un profond questionnement sur ces thèmes, à la suite de la votation fédérale sur l’immigration massive du 9 février dernier: frontaliers et étrangers sont en effet souvent très nombreux dans nos hôpitaux ou EMS.

Des débats (dont un, le jeudi 1er mai, sur la scène de L’Hebdo) permettront ainsi d’aborder aussi bien les filières les plus prometteuses que de faire le point sur celles qui existent déjà, profitant notamment de la présence active au Salon d’institutions comme l’Office genevois pour l’orientation, la formation professionnelle et continue (OFPC), des Hôpitaux universitaires de Genève ou de l’Aide et soins à domicile du canton de Genève (IMAD). Durant cinq jours à Palexpo, la scène du Zoom réunira aussi de nombreux et passionnants panels évoquant ces questions. Le programme complet est à retrouver sur www.salondelaformation.ch. CP


 

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Eric Deroze CEMCAV-CHUV
Willy Blanchard CEMCAV-CHUV
Gaetan Bally Keystone
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Hebdo.ch » revue de blogs de la semaine

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:51

Blogs» Politique»
Une Suisse en mouvement

Qui sera l’iznogoud du nomes?

Chacun d’entre nous a déjà été confronté au «syndrome d’Iznogoud»: un collaborateur prêt à tout pour prendre la place du calife.
Johan Rochel

Jouer des coudes, frapper dans le dos, ou quand tous les coups sont permis pour accéder au poste tant convoité. Pour le Nouveau mouvement européen suisse (Nomes), les Iznogoud manquent à l’appel. Problématique, car le calife, Christa Markwalder, conseillère nationale PLR du canton de Berne, a récemment annoncé vouloir remettre son poste de présidente. (…) L’assemblée générale du Nomes du 10 mai prochain aura pour délicate mission de trouver un(e) successeur(e) à Christa Markwalder. L’ambiance post-9 février rend le départ de la conseillère nationale particulièrement symbolique. Le poste vacant fait clairement apparaître le manque de remplaçants. D’aucuns diraient sans rougir «l’absence». Pour remplir au mieux les objectifs du Nomes, son président devrait être une personnalité du centre droit alémanique, capable d’assurer le dialogue aussi bien avec une gauche traditionnellement plus ouverte à l’idée européenne qu’avec les milieux économiques. Il devrait savoir faire preuve d’un enthousiasme sans faute pour défendre l’idée européenne et contester la vision des nationalistes romantiques de l’Albisgütli. Mais qui, dans les partis du centre droit et au sein du PLR, souhaiterait se profiler sur l’Europe? Qui a l’ambition et les moyens de proposer une véritable vision de l’avenir de la Suisse avec son partenaire européen? Cédant à la facilité de quelques lieux communs sur la «voie bilatérale» et l’«importance économique de l’Europe», les partis du centre droit ont asséché leur potentiel de réflexions européennes. Toute velléité de s’intéresser à l’Europe autrement que sous la forme d’un «bashing» ou d’une vénération du dieu de la voie bilatérale est punie par le mépris. A ce titre, Christa Markwalder, dans la lignée de son prédécesseur Yves Christen, est l’une des dernières représentantes de la réflexion européenne au centre. A passer en revue les papables, on ne voit vaguement qu’Elisabeth Schneider-Schneiter (PDC, Bâle-Campagne), Tiana Moser (Vert’libéraux, Zurich), Kathy Riklin (PDC, Zurich) ou Pirmin Bischof (PDC, Soleure). Doris Fiala (PLR, Zurich) copréside depuis mars le groupe parlementaire Suisse-UE, groupe dont le secrétariat est assuré par le Nomes. Peut-on prêter une ambition européenne à la Zurichoise, également vice-présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe? Inutile de se faire trop d’illusions, les intérêts européens ne sont qu’à peine mentionnés sur les sites personnels de ces élus… Si Iznogoud veut le califat, il cache bien son jeu. La difficulté de recruter un candidat va de pair avec la difficile mission du Nomes. Sur la page d’accueil du site, Christa Markwalder est citée avec la phrase suivante: «Nous travaillons pour que la Suisse devienne un membre actif de l’Union européenne et pour que les Suissesses et les Suisses obtiennent le droit de vote européen.» Quel politicien suisse (du centre ou de droite) croit pouvoir être élu avec une telle déclaration? Afin de débattre des suites du 9 février, le Nomes appelle ses membres et les intéressés à participer, le 10 mai, aux «états généraux européens». Le mouvement peut-il encore espérer convaincre et faire avancer les choses en fixant comme objectif l’adhésion de la Suisse à l’UE? Doit-on considérer que cette question pourrait rapidement (re) devenir pertinente si la Suisse devait être mise à l’écart du marché européen? Ou doit-on au contraire penser que cette question est farfelue au point de couper le contact avec les décideurs et la population? Autant de questions difficiles pour un(e) président(e) encore aux abonnés absents. A moins que le califat ne bascule à gauche, là où quelques Iznogoud pourraient
se lancer dans la course.


Blogs» Politique»
Blog dans le coin

Le m2 ne connaîtra pas son pendant aérien Taoua

Beaulieu voulait renaître et exister au cœur d’une région en plein boom.
Vincent Pellissier

La région ouest de l’agglomération lausannoise est en mutation, économique, académique mais aussi urbanistique. La construction de tours dans de telles régions recueille régulièrement l’assentiment du public. On pense ici à l’acceptation de la population de Chavannes-près-Renens d’un plan de quartier prévoyant la construction d’une tour de 117 mètres. Et c’est là que survient la votation sur Taoua, la tour au cœur de Lausanne. Requalifier des zones à vocation industrielle ou des anciennes friches à proximité de voies de circulation comme les chemins de fer ou les autoroutes arrive à dégager des majorités. Par contre, transformer en profondeur des quartiers plus proches des centres urbains, occupés depuis des décennies (voire des siècles) par des habitantes et des habitants enracinés dans ces lieux, provoque toujours des réactions vives. Nos villes sont des lieux qui évoluent, qui s’adaptent à leur temps tout en s’ancrant profondément dans leurs pierres, dans leur histoire gravée dans le bâti, dans leurs espaces vides également. La modernité d’un temps est très vite désuète. Les constructions de zones entières de centres commerciaux ou de parcs industriels seront les friches à requalifier dans quelques années. Les tendances lourdes qui se mettent en place, comme la dématérialisation du commerce ou encore la mixité fonctionnelle voulue par le planificateur, auront à ce moment pleinement déployé leurs effets territoriaux. Pour la construction d’ouvrages hauts, il en va de même. Bâtiments emblématiques car marquant des aspérités dans le paysage urbain, les édifices pionniers rencontrent toujours les mêmes écueils. L’approche paysagère n’aime pas les fractures, les pics de contraintes, que ces contraintes soient visuelles ou encore auditives. L’acceptation passe donc souvent par des paliers, en échelonnant, soit dans le temps soit dans l’espace, les tailles croissantes. La difficulté de Taoua était de convaincre malgré tout de la justesse du projet, énergétique, fonctionnelle ou encore esthétique, sans proposer ces étapes de transition douce accompagnant le public. C’était faire le pari de l’audace des Vaudois! Les initiants avaient peut-être raison d’y croire, car cette audace s’était déjà manifestée quand il avait fallu voter sur le crédit du m2, le métro automatique qui a changé Lausanne.


Blogs» Politique»
Politique migratoire

Des quotas «vieux Style»?

Le nouvel article constitutionnel sur l’immigration voté le 9 février 2014 est flou et laisse une marge de manœuvre politique considérable.
Étienne Piguet

Penchons-nous d’abord sur la remise en place de la politique de quotas menée de 1970 à 2002. Comme nous l’avons montré dans un blog précédent, il faut reconnaître que ce système a eu un effet sensible sur les flux d’immigration de travail: le nombre d’entrées en Suisse a décliné et le solde migratoire s’est infléchi. La demande de main-d’œuvre étrangère a dépassé l’offre durant une bonne partie de la période et la répartition à l’intérieur du pays ne s’est donc pas faite par le marché. Les contingents ont par contre eu peu d’effet sur la population étrangère qui a continué de croître. (…) Dès 1990, les contingents ont cependant été accrus sous la pression des milieux économiques dans une proportion telle qu’ils n’ont plus été entièrement utilisés et sont devenus largement inopérants. (…) La mobilité des étrangers devait être restreinte puisque les contingents étaient octroyés par canton. (…) Tous les acteurs n’étaient pas placés sur un pied d’égalité dans le processus de préparation des contingents. (…) Le souhait de s’approprier des quotas conduisait les branches et régions à consacrer des ressources au lobbying et à faire pression sur l’administration aux dépens de la collaboration interrégionale et entre branches. Les cantons périphériques étaient en outre mécontents de voir «leurs étrangers» les quitter vers des régions plus attractives et exigeaient un flux continu de nouveaux immigrants. (…) Même si, durant les trente années considérées, les employeurs suisses ont toujours trouvé des candidats à l’immigration, la fragilité des droits de séjour accordés a parfois dissuadé les gouvernements des pays d’origine et certains travailleurs eux-mêmes d’envisager un départ vers la Suisse. (…) Les contraintes extérieures ont joué un rôle important durant la période et la politique migratoire de la Suisse n’a jamais été autonome. Ainsi, en 1965, les besoins de main-d’œuvre obligent déjà la Suisse à concéder à l’Italie la transformation automatique du permis de saisonnier en permis annuel après cinq saisons. Cette concession sera ultérieurement accordée aux autres pays d’émigration, ce qui constituera une brèche majeure mais inévitable dans le système de contingentement. En conclusion, on peut citer le chef du Service des migrations internationales du BIT, M. Abella: «Un modèle de quotas d’immigration totalement flexible, tel que celui adopté par la Suisse dans les années 70, permet incontestablement à l’Etat d’accueil de disposer d’un instrument supplémentaire de politique conjoncturelle, tout en gardant le contrôle sur l’effectif total de la population étrangère. L’expérience suisse montre cependant que le contexte international, les relations avec les pays d’origine ainsi que la politique intérieure permettent rarement d’atteindre pleinement ces objectifs à long terme.» A la lumière de l’expérience historique que nous venons de relater, la réintroduction d’un système de quotas sur le modèle historique pour remplacer la libre circulation avec l’Union européenne semble une fausse piste. Elle rappelle l’incantation pathétique de Winnie dans Oh les beaux jours: «Le vieux style!
Le vieux style…»

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Académie française: le sacre du printemps de Finkielkraut

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:52

▼Les faits
Né en 1949 à Paris dans une famille juive polonaise, le philosophe Alain Finkielkraut, défenseur de la culture et de la langue, a été élu jeudi 10 avril à l’Académie française, au fauteuil de Félicien Marceau, au premier tour, avec seize voix, huit bulletins blancs ayant été marqués d’une croix en signe de désapprobation. Rarement l’élection d’un futur immortel avait suscité pareille controverse.

▼Les commentaires
«Je ne croyais pas que cela fût possible (toujours commencer par un imparfait du subjonctif, quand il s’agit de l’Académie française). J’étais naïf: cette France rance, ce pays qui marine dans l’affront national, est désormais capable de tout. Alain Finkielkraut va donc venir s’asseoir dans un des fauteuils qui recueillit les postérieurs du monarchiste Charles Maurras, condamné à la Libération à la dégradation nationale, de Philippe Pétain (…)», écrit Alain Ruscio sur l’Humanité.fr. Pour Ivan Rioufol, du Figaro.fr, «l’élection du philosophe sous la Coupole met un terme à l’ostracisme qu’ont à subir le plus souvent les néo-réacs, ainsi désignés par la bien-pensance», Rioufol étant lui-même dépeint comme «néo-réac» par ses adversaires. «Triomphe sur la morale médiatique et intellectuelle, qu’il a brillamment réussi à bousculer», commente l’hebdomadaire Valeurs actuelles. «Mais soyons beau joueur, écrit Frédéric Martel sur Franceinfo.fr: félicitons Alain Finkielkraut pour cette élection, car après tout son entrée à l’Académie française est légitime. Il est un homme blanc, un peu “scrogneugneu”, qui rejoint un cénacle à dominante masculine et très blanc pâle.»

▼A suivre
La «réception» en grande pompe du nouvel académicien n’aura pas lieu avant «un an, un an et demi», comme le veut l’usage, précise-t-on au standard de l’Académie.

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Berne-Bruxelles: feu à l’orange

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:53

▼Les faits
L’UE pourrait approuver un mandat de négociation avec la Suisse sur l’avenir de la voie bilatérale. C’est ce qu’a laissé entrevoir le négociateur européen David O’Sullivan lors d’une manifestation publique organisée par un think tank bruxellois. Tout en restant ferme sur le principe de libre circulation des personnes, ce haut commis de l’UE estime important de conserver «un agenda positif» avec la Suisse.

▼Les commentaires
L’UE fait souffler le chaud et le froid dans le dossier helvétique, constate la NZZ. «Le diplomate en chef de l’UE fait preuve de flexibilité et de dureté», écrit-elle. Dans ses pages de débats, la «vieille tante» zurichoise souligne pourtant qu’il faut réfléchir au-delà de la question croate et des contingents liés à la libre circulation des personnes. Selon elle, il est temps de discuter de tous les dossiers ouverts, de manière à élargir le champ des négociations et donc aussi la marge de manœuvre. Ces importants dossiers – allant de la question institutionnelle à un accord sur l’énergie – «ne doivent pas être oubliés».

Dans le camp suisse, l’accord trouvé par le secrétaire d’Etat Yves Rossier avec la Croatie a fait souffler une brise d’optimisme.

Le correspondant de La Liberté à Bruxelles n’y croit pas. «Peut-être que les pourparlers avec l’UE vont reprendre, mais la libre circulation des personnes est un principe clé que l’UE n’est pas prête à brader», insiste-t-il.

Dans ce dossier, Berne doit non seulement se battre à Bruxelles, mais aussi sur le front intérieur face à un camp des vainqueurs qui ne sait plus trop quoi faire de sa victoire du 9 février dernier. Le Blick révèle que les agriculteurs thurgoviens, qui ont milité en faveur de l’initiative «Contre l’immigration de masse», veulent désormais des exceptions. Ils souhaitent que les permis de courts séjours ne soient plus inclus dans les contingents introduits par l’initiative.

▼A suivre
Si la Suisse peut se préparer à des bilatérales III, celles-ci s’annoncent aussi longues que laborieuses. Elles dureront au minimum trois ans. Le purgatoire des étudiants et chercheurs helvétiques risque de s’éterniser.

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Japon: retour du nucléaire

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:54

▼Les faits
Le gouvernement japonais du libéral-démocrate Shinzo Abe a adopté une nouvelle politique énergétique abandonnant le plan post-Fukushima du précédent exécutif de centre gauche. Ce dernier visait à supprimer l’énergie nucléaire d’ici à 2040. Annoncée le 11 avril, la nouvelle stratégie définit le nucléaire comme «une source importante d’énergie de base» et précise que les 48 réacteurs à l’arrêt seront redémarrés après leur mise aux normes en matière de sécurité.

▼Les commentaires
Indigné, The Asahi Shimbun juge «inacceptable que le gouvernement encourage le redémarrage précoce des réacteurs à l’arrêt alors que les mesures de sécurité visant à prévenir de sérieux accidents restent encore à mettre en place». Reste que certains titres comme Modern Tokyo Times soutiennent ouvertement l’exécutif conservateur: «L’hystérie autour du secteur du nucléaire est souvent basée sur des manipulations de langage. Après tout, l’énorme pollution générée par d’autres facteurs non nucléaires tue de nombreuses personnes chaque année sans que l’on en parle.» Et le quotidien de rappeler que, si le gouvernement Abe a ignoré l’avis du peuple, «au moins, une direction et un but sont désormais planifiés afin que le Japon réponde au besoin d’une société moderne manquant de ressources énergétiques naturelles». De son côté, The New York Times pointe les «ambiguïtés» de la politique nucléaire du Japon: depuis les années 70, le pays a renoncé à la possession d’armes nucléaires, tout en poursuivant une politique énergétique «centrée sur le cycle du combustible nucléaire».

▼A suivre
Seuls une vingtaine de réacteurs pourraient être rallumés, les autres étant trop vieux, trop chers à moderniser ou situés dans une zone sismique trop sensible.

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Toru Hanai / Reuters
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Un père qui dit tout sur les bébés

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:55

Puériculture.Editeur et chroniqueur humoristique, l’ancien journaliste économique Cyril Jost publie un ouvrage qui fait la synthèse des théories sur les 0-3 ans.

Les bébés suisses ont désormais leur expert en puériculture. Il est moustachu, a le cheveu fourni et un accent indien à couper au couteau lorsqu’il expose ses abracadabrantes théories économiques, tous les vendredis, sur Couleur 3, dans la chronique 120 secondes. Dans la vraie vie, Rajiv Patel, hilarant attaché économique à l’ambassade d’Inde à Berne, s’appelle Cyril Jost. Cet ancien journaliste économique et humoriste de talent – qui se consacre actuellement à l’édition – vient de publier L’essentiel sur les bébés, un ouvrage de 160 pages consacré aux 0-3 ans.

Le Vaudois de 37 ans, père de fillettes de 2 et 4 ans, a fait un travail admirable de digestion et de synthèse d’une matière traitée par d’innombrables livres, magazines et sites spécialisés. Grand et décontracté, Cyril Jost a un sourire aussi franc que juvénile. Pas de trace de moustache et encore moins d’accent indien. Assis dans la salle de conférence d’un bureau-appartement au centre de Lausanne, il explique son ouvrage: «Dans le domaine de la puériculture, on peut vite se trouver face à une overdose d’informations. Pour un non-spécialiste, il y a de quoi en perdre son latin. Je me suis donné pour mission de séparer ce qui relève du fait et de l’opinion, en me gardant de donner des conseils. Le seul valable, selon moi: faire confiance à son bon sens en étant préalablement bien informé.»

Oust les partis pris! Dans l’introduction, il explique d’ailleurs que «les différentes écoles, modes et autres théories ont été analysées scrupuleusement, pour mieux relativiser les guerres de clocher et les avis personnels, et ne présenter qu’une information purement factuelle.» L’exercice est réussi. En sept chapitres, qui concernent notamment l’alimentation, le sommeil ou le développement de l’enfant et la vie pratique, l’auteur fait le tour des principales questions que se posent les nouveaux parents. Un exemple? L’épineux choix entre le pouce ou la tétine. Son constat: «Certains parents affichent une préférence pour l’une ou l’autre méthode, mettant en avant leurs avantages et inconvénients respectifs. D’un point de vue médical, les deux options sont équivalentes.»

En plus des données rigoureusement vérifiées, l’ouvrage comprend également des tableaux dont un, par exemple, sur l’ordre d’apparition des dents. Pas moins de 40 personnes en Suisse, en France et en Belgique ont relu le texte, dont neuf professeurs et docteurs, spécialistes en pédiatrie. Un guide de père pour ses pairs? «Non, c’est un livre tous publics, mais je n’exclus pas le fait que mon approche soit celle d’un papa. La mère a porté son enfant, le père endosse différemment son rôle. Pour moi, la recherche d’informations et la lecture ont clairement fait partie de ce processus.»

Nouveaux pères. Dans sa préface, l’auteur explique qu’avant d’écrire son livre, il a changé 3147 couches, donné 1842 biberons et raconté 469 fois l’histoire des Trois petits cochons. Papa poule, Cyril Jost? «Complètement! Comme beaucoup d’autres hommes de ma génération, je vois ça comme une chance que nous offre notre époque. Je passe un jour par semaine, les week-ends et beaucoup de vacances avec mes filles.» Elles ont de la chance, leur papa adore cuisiner.

Ce dernier constate qu’autour de lui de plus en plus de pères travaillent à temps partiel ou deviennent indépendants pour ainsi mieux gérer le temps qu’ils consacrent à leur famille. «Ma compagne, elle, travaille à 80%. Il m’arrive de partir en voyage d’affaires avec elle et les enfants. Je me retrouve alors avec d’autres pères sur les places de jeux.» Avocat de l’instinct paternel, Cyril Jost? «Je n’aime pas beaucoup le terme, il est tellement connoté. Avant de devenir père, on se construit en fonction de sa propre histoire, des autres pères qui nous entourent, du temps dont on dispose ou que l’on va se donner pour sa famille. L’instinct me semble loin de la réalité qui, elle, est très construite.»

Génial Rajiv. L’histoire de Cyril Jost, elle, a débuté à Vevey. Il a ensuite vécu au Japon de 2 à 14 ans. Son père, un Alémanique, est alors directeur de Nestlé Japon, sa mère, ex-secrétaire de direction, est femme au foyer. C’est ensuite le retour au pays, un master en sciences politiques et un postgrade en relations internationales à Paris pour ce parfait trilingue. «Durant mes études, j’étais très actif au Montreux Jazz et à Cully.» Il passe ensuite deux ans à l’Expo.02, dans l’équipe de Daniel Rossellat, suivis par cinq ans à Film Location Switzerland pour attirer les tournages de productions étrangères en Suisse. «Les Indiens, eux, venaient tout seuls.» D’où l’accent de Rajiv Patel? «Non, il m’a été inspiré par les nombreux élèves indiens que j’ai côtoyés à l’école internationale au Japon.» Suivront encore trois ans au magazine Bilan et deux ans à L’Hebdo, comme chef de la rubrique économique. Deux de ses collègues se souviennent. «C’est un homme respectueux des gens, enthousiaste, très précis et ne cherchant jamais à dominer les autres. Il avait une manière d’être très paternelle et un humour très fin et élégant.»

Il prend ensuite un virage, direction les Editions Loisirs et Pédagogie (LEP), dont il est le responsable éditorial. Le point commun entre l’auteur Cyril Jost et l’attaché économique Rajiv Patel? «Dans le domaine de l’économie comme dans celui des bébés, beaucoup de gens disent beaucoup de choses, alors que l’essentiel peut être expliqué en peu de mots. Le défi, c’est de trouver les mots justes.»

L’essentiel sur les bébés.
De Cyril Jost et Pierre Wazem (illustrations).
Ed. Loisirs et pédagogie.
Vernissage et dédicace, mercredi 23 avril dès 17 h 30, librairie Payot Lausanne.
Cyril Jost sera au Salon du livre de Genève dimanche 4 mai à 13 h sur la scène de «L’Hebdo» avec Fred Valet et Frank Cézilly et samedi 3 à 12 h sur la Place du moi avec Pierre Wazem et Frank Cézilly.


Expérience
Sur le chemin de la paternité

L’essentiel sur les bébés est illustré par l’auteur genevois de bandes dessinées Pierre Wazem, qui a publié près de 20 albums et collabore régulièrement avec la presse écrite. Drôles et pertinents, ses dessins parlent à tous ceux qui sont passés par la case «nourrisson». Il est lui-même père de deux enfants – bientôt d’un troisième – et ça se voit.

Autre père de famille qui s’intéresse aux questions liées à la parentalité, Frank Cézilly vient de publier De mâle en père - A la recherche de l’instinct paternel. Ce professeur et chercheur en écologie comportementale à l’Université de Bourgogne observe que si, dans la nature, les femelles sont en moyenne plus impliquées que les mâles dans les soins parentaux, cette règle souffre de très nombreuses exceptions. Il se demande pourquoi et comment, au cours de l’évolution, les mâles ont dépassé dans plusieurs espèces le simple rôle de géniteurs pour devenir de bons pères de famille. Pourquoi tant de mâles et si peu de pères? De quoi est faite la fibre paternelle? Les femmes préfèrent-elles les bons pères? Voilà quelques-unes des questions auxquelles il tente de répondre.

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Thierry Porchet
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Luc Michel: L’outil de travail des étudiants est le cerveau, c’est là que surviennent les pannes

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:56

Psychologie.Soigner les maux spécifiques des jeunes adultes aux études. Avec une psychothérapie brève, mais sans tuer le père Freud. C’est la voie originale tracée par le psychiatre lausannois Luc Michel.

Les étudiants qui frappent à votre porte ne sont plus des adolescents, pas encore de vrais adultes. Cet entre-deux existentiel a-t-il tendance à s’allonger?

C’est une évolution largement observée, qui a amené certains auteurs à parler d’«adulescence». Pour la mettre en image: le passage à l’âge adulte était autrefois une étape en forme
de marche d’escalier, il est devenu un plan incliné et extensible.

Les étudiants ont pourtant toujours existé, y compris les spécimens dits «éternels» qui font durer le plaisir…

D’abord, les jeunes qui font des études supérieures sont plus nombreux. Et puis, avec les post-grades, les masters, les spécialisations, les formations ont tendance à s’allonger. Bien sûr, avec le système de Bologne, on ne peut plus comme autrefois s’attarder dix ans dans une faculté, mais ceux qui le faisaient étaient une exception. La plupart des jeunes gens, il y a vingt ans, entraient à l’uni et en ressortaient avec un métier, ce n’est plus le cas. Ajoutez à cela que l’entrée dans le monde du travail est devenue plus difficile. Entre l’adolescence et l’entrée dans la «vraie vie», la période de transition s’allonge bel et bien.

Pour ceux qui ne sont pas pressés de devenir adultes, c’est un bon alibi?

Certains étudiants, en effet, ont une appréhension particulière à affronter le monde du travail, perçu comme trop brutal. Mais en elle-même, cette période «en suspens» aiguise la problématique de l’autonomie et de l’indépendance. Les jeunes adultes traversent un âge où ils ont commencé à se distancier du modèle parental mais ne se sont pas encore constitués en une nouvelle personne avec son propre référentiel. C’est un processus d’autonomisation, et les étudiants se retrouvent dans une situation particulièrement délicate: ils doivent faire preuve d’autonomie pour réussir, mais d’un autre côté, ils ne sont pas autonomes. Il y a encore des professeurs qui leur mettent des notes et financièrement, ils dépendent de leurs parents. C’est un statut plein de contradictions, pas facile à vivre.

L’apprenti qui gagne sa vie à 18 ans, lui, est vraiment adulte?

Il est indépendant, c’est-à-dire qu’il subvient à ses besoins. Mais pas forcément autonome, dans le sens où il ne s’est pas encore forgé ses propres valeurs intérieures. A l’inverse, un étudiant peut être psychiquement autonome tout en vivant chez ses parents. Mais quand même: l’indépendance financière, ou l’éloignement des parents, favorise souvent une certaine autonomie psychique.

De quoi souffrent les étudiants qui viennent vous voir?

D’angoisses, d’idées sombres, de difficultés de concentration, de procrastination, de difficultés relationnelles. Leur outil de travail est le cerveau, et c’est là que surviennent les pannes. On doit considérer ces difficultés comme un symptôme d’appel, toute la question étant de savoir ce qu’il y a derrière. La crise peut avoir des causes très circonscrites (une rupture amoureuse, un échec accidentel) ou alors résonner profondément dans l’histoire du sujet.

Par exemple: j’échoue aux examens parce que je me suis inscrit en droit pour faire comme mon grand-père mais en fait je rêve d’être jardinier…

La référence aux modèles familiaux reste centrale, en effet. Certains ont besoin de l’échec pour s’avouer qu’ils veulent changer de cap, ou pour faire accepter l’idée à leur entourage.

La tendance est aux thérapies brèves, notamment grâce aux approches cognitivo-comportementales ou systémiques, qui ont le vent en poupe. Vous répondez à cette concurrence avec un format bref, mais freudien quand même. Avec quels arguments?

L’idée est qu’on peut opter pour une thérapie brève, particulièrement adaptée à la vie mouvante des étudiants, mais sans laisser tomber le postulat de base: les conflits qui s’expriment dans le symptôme ont une dimension inconsciente, qu’il vaut la peine d’explorer pour lui donner du sens et résoudre les problèmes durablement. Mais si un patient me dit qu’il préfère se concentrer sur les symptômes et qu’il n’est pas prêt à parler de sa maman et de son papa, je respecte son vœu et le dirige vers un confrère qui lui proposera un autre type de thérapie. De même, il faut préciser que la thérapie brève, même psychodynamique, ne remplace pas dans tous les cas une cure plus longue: certaines personnes, notamment celles avec de graves troubles de la personnalité, ont besoin d’être soignées à plus long terme.

Vous faites du fast-Freud pour contrer la concurrence, en somme. N’est-ce pas de la psychanalyse au rabais?

C’est comme cela que cette voie thérapeutique a été accueillie au départ, mais à tort. D’abord, il faut dire que Freud lui-même a commencé par des traitements très courts. Par exemple, il a résolu le problème d’impuissance de Mahler en une séance. A ses débuts, la psychanalyse a exploré toutes sortes de dispositifs différents. Ce n’est qu’avec le temps qu’elle a été identifiée à la cure type, une prise en charge de plusieurs années, à raison de plusieurs séances par semaine. Avec l’approche brève, qui s’est développée à partir des années 70, on ne fait que revenir à la diversité de départ. Durant ces mêmes années, de nouveaux modèles ont émergé, systémiques ou cognitivistes, qui revendiquaient la brièveté comme argument décisif. Mais avec le temps et l’expérience clinique, les pratiquants de ces approches ont vu leurs prises en charge se rallonger. Il faut ajouter que, contrairement à ce qui s’est passé en France, il n’y a pas de guerre des modèles en Suisse. Les approches psychodynamique, cognitive et systémique sont toutes trois enseignées aux étudiants en psychiatrie et la cohabitation entre praticiens est généralement bonne, dans le respect des différences.

Combien dure une thérapie brève?

Une situation de crise peut se résoudre en trois ou quatre séances. Si une psychothérapie brève est engagée, elle peut s’étaler sur une année et une quarantaine de séances, ce qui correspond d’ailleurs à ce que les assurances remboursent en général sans rapport circonstancié au médecin-conseil.

En somme, l’offre thérapeutique s’adapte aux «contraintes d’économicité». Plus qu’aux besoins des patients?

L’accélération est une tendance sociétale profonde, et les patients eux-mêmes tendent à chercher des solutions de plus en plus rapides. Mais sur le fond, je dirai plutôt que les contraintes nouvelles poussent à la créativité. Les crises peuvent être stimulantes, l’histoire de la psychothérapie l’a démontré: les thérapies de groupe, par exemple, sont nées en Grande-Bretagne, au moment où il fallait prendre en charge des milliers de soldats traumatisés de retour du front. Faute de soignants, on en a pris plusieurs à la fois, pour s’apercevoir ensuite que le groupe créait une dynamique bénéfique.

Qu’est-ce qui distingue une psychothérapie psychodynamique brève d’une psychanalyse classique?

On fixe une durée limitée au départ, avec des objectifs plus précis. On renonce à tout analyser. Le divan traditionnel est abandonné, le thérapeute et le patient sont assis l’un en face de l’autre et ils dialoguent. Après quelques séances, le thérapeute formule une interprétation à la crise actuelle, qui va lui servir de «focus», de boussole au traitement, même s’il ne le partage pas toujours explicitement au départ avec son patient. Par exemple, dans le cas de figure que vous citiez tout à l’heure: l’échec de cet étudiant est le symptôme d’un conflit de loyauté familial qui ne trouve pas d’autre expression.

Les émotions, ça influence l’intelligence?

Contrairement à l’image que l’on se fait traditionnellement de l’intellectuel détaché de ses émotions, l’imbrication est profonde. Quand toute l’énergie psychique est captée par un conflit émotionnel, l’intelligence est grippée. Idéalement, les émotions et l’intelligence devraient s’équilibrer et avancer dans la vie en dansant le tango!

Etre un intellectuel, c’est un atout un ou handicap pour réussir une thérapie?

Les deux. Pouvoir mettre des mots sur ses tensions est un avantage. Mais un beau parleur peut utiliser son outil intellectuel comme stratégie d’évitement et ça, c’est un piège fondamental. Parce qu’elle fixe d’emblée un terme au traitement, la thérapie brève peut permettre de l’éviter.

* «Psychothérapie brève de l’étudiant». De Luc Michel. In Press, 231 p.
Luc Michel sera au Salon du livre de Genève vendredi 2 mai à 13 heures sur la Place du Moi. www.salondulivre.ch

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Félix Imhof
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Ton histoire européenne est la mienne

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:57

Guillaume Klossa.Le fondateur d’EuropaNova a écrit une œuvre littéraire non identifiée qui appelle aux responsabilités une nouvelle génération de jeunes leaders européens. A lire impérativement avant les élections de mai.

Il a d’abord cru à un canular.

A Thessalonique, Guillaume Klossa était le chef d’une délégation française à l’une des premières sessions du Parlement européen des jeunes. On venait de lui passer un billet lui enjoignant d’annoncer à l’Assemblée que, ce 9 novembre 1989, le mur de Berlin venait de tomber. Le lycéen prit son courage à deux mains – c’était la première fois qu’il prenait la parole dans un hémicycle – et annonça l’incroyable nouvelle «à ses collègues européens et à ses amis allemands».

Près d’un quart de siècle plus tard, tout juste quadra, Guillaume Klossa raconte cette anecdote dans Une jeunesse européenne. Son petit ouvrage, qu’il présente comme une «œuvre littéraire non identifiée», mi-essai, mi-récit, retrace l’histoire d’une génération, celle née dans les années 70, post-baby-boomer mais tôt biberonnée aux crises économiques, celle surtout qui devint adulte avec la chute du mur mais aussi l’émergence de l’internet.

Dans ses veines, écrit-il, coule la mémoire de l’Alsace, du Limousin, du Quercy, mais aussi de la Silésie et de l’Aragon, façon de signaler que, outre l’épisode grec de novembre 1989, il est né Européen, enraciné dans plusieurs cultures. Il eût pu ajouter la Suisse, où sa grand-mère maternelle est née à Bâle le 31 décembre 1914.

A la terrasse d’un café genevois, il nous raconte qu’il a beaucoup hésité sur le titre du livre: «Ton histoire est mon histoire» fut sa première idée pour suggérer l’aventure collective, ou alors «Notre jeunesse», mais déjà pris par Charles Péguy, ou encore «Une éducation européenne», utilisé naguère par Romain Gary.

C’est que ses presque 200 pages parues dans la Petite Collection blanche de Grasset sont aussi un appel à la mobilisation et à l’action. Elles s’ouvrent sur quelques citations du Monde d’hier de Stefan Zweig, ces souvenirs d’un Européen qui chercha à comprendre comment une époque optimiste qui croyait au progrès sombra dans le chaos de la guerre. Guillaume Klossa écrit de «manière préventive», contre «le repli sur soi et le fatalisme», lui qui redoute que les dérives populistes et nationalistes ne mènent à un nouveau 1914.

Erasmus+. Malgré les sarcasmes et l’euroscepticisme, il fait donc profession de foi européenne. Mais cet homme-là ne se contente pas de parler d’Europe comme tant de politiciens sur le mode incantatoire, il la fabrique comme d’autres mettent au point des antivirus.

En 2003 déjà, il fonde avec Enrico Letta le think tank Europa Nova et le réseau de jeunes leaders européens 40under40, parrainé par Daniel Cohn-Bendit, et dans lequel il rêve d’intégrer des Suisses. Conseiller de Jean-Pierre Jouyet, alors que la France préside l’UE en 2008, il porte le projet d’étendre Erasmus à tous les jeunes en formation, idée qui aboutira au fameux programme Erasmus+ (et dont les Suisses viennent d’être écartés, mesure qu’il juge hautement regrettable).

Aujourd’hui, Guillaume Klossa lance un appel à la mobilisation de toutes les générations et invite plus particulièrement la sienne à prendre ses responsabilités et à agir: «Nous sommes la génération de la chute du mur, qui a encore dans ses gènes le souvenir du monde d’hier bâti sur la peur de l’explosion atomique et la mémoire des atrocités de la guerre que nous ont transmises nos grands-parents. Nous sommes la première génération de l’internet, à l’aise avec les nouvelles technologies mais capable de garder une distance critique par rapport à celles-ci.» Car il incombe à cette génération qui «garde en héritage la conscience de la fragilité des démocraties» d’écrire «la suite de l’histoire».


Guillaume Klossa

1972 Naissance à Paris le 21 juin
1990-1997 HEC, Sciences- po, LSE à Londres
2003 Fonde EuropaNova avec Enrico Letta
2007-2008 Conseiller de Jean-Pierre Jouyet, ministre des Affaires européennes
2011 Publie un essai, «Europe, la dernière chance?»
2013 Directeur de l’Union européenne de radiotélévision
2014 Publie «Une jeunesse européenne» (Grasset)

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Jean-François Paga / Grasset
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«Le risque est réel d’une division de l’Europe»

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:58

Frank-Walter Steinmeier.Le ministre allemand des Affaires étrangères croit au pouvoir de la diplomatie, y compris dans la crise ukrainienne. Il entend aider l’Ukraine et, simultanément, maintenir le dialogue avec Moscou. Tout en avertissant: la Russie pourrait économiquement étrangler l’Ukraine.

Propos recueillis par Eric Gujer

Berlin est le symbole des bouleversements européens, de la victoire sur le communisme et de la guerre froide. Avec l’annexion de la Crimée par les Russes, risque-t-on de rebasculer dans le passé?

Le risque d’une nouvelle division de l’Europe est effectif. Une politique étrangère responsable doit tout mettre en œuvre pour l’empêcher. La réussite ne dépend pas que de nous, elle dépend fortement des plans ultérieurs de la Russie. Moscou doit montrer désormais si elle est prête à se détourner du chemin pris en annexant la Crimée.

Existe-t-il un indice que la Russie est disposée à changer de comportement?

Diverses appréciations suggèrent que la politique extérieure russe se conforme à un scénario déjà écrit. J’ai plutôt l’impression qu’avec sa politique, la Russie teste l’Occident et agit en fonction de la situation, certes poussée aussi par une atmosphère nationaliste qu’elle a créée elle-même dans le pays. J’espère que le commandement russe sait qu’un isolement croissant ne contribue pas à sa propre sécurité future. On verra au fil de ces prochains jours si nos entretiens, en cours depuis des semaines pour constituer des normes internationales de gestion des crises, indiquent un changement de comportement.

L’annexion de la Crimée constitue-t-elle un précédent quant à la manière de tracer désormais les frontières en Europe?

Il n’est pas possible que, sept décennies après la fin de la Deuxième Guerre et vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide, nous nous remettions à modifier les frontières selon des critères ethniques, de langue ou de religion. Il n’existe pratiquement pas un Etat en Europe qui ne comporte des minorités. Premièrement, il est juste de faire une politique où les minorités ne sont pas exclues mais trouvent dans le pays qu’elles habitent leur patrie, leur appartenance et des droits égaux. Quand ce n’est pas le cas, il faut y travailler avec des moyens politiques. Mais, par ailleurs, il ne peut pas en résulter un droit d’agir avec des moyens militaires chez le voisin, à la manière d’un protecteur autoproclamé, et de préparer des cessions de territoires.

A quel point la Russie s’est-elle ainsi isolée sur le plan international?

Au fond, c’est à la Russie, Etat pluriethnique, que l’idée d’une correction de frontière arbitraire devrait causer le plus de souci. Le vote de l’Assemblée générale de l’ONU devrait avoir montré à la Russie qu’hors de l’Europe aussi sa politique rencontre peu d’approbation mais plutôt du scepticisme. Quand des Etats craignent que des frontières ne soient corrigées sous prétexte d’une prétendue protection des minorités et d’une nouvelle définition du droit à l’autodétermination nationale, il faut prendre la chose au sérieux.

Comment jaugez-vous la situation en Ukraine orientale? L’opinion est-elle clairement prorusse?

Non, des sondages d’opinion montrent que la plupart des gens en Ukraine orientale rejettent un ralliement à la Russie. Il est toutefois crucial que le gouvernement de Kiev fasse comprendre que sa politique ne s’adresse pas à une partie des Ukrainiens mais bien à tous. Il doit affirmer sa présence en Ukraine orientale et y inviter les gens à contribuer à l’avenir commun du pays.

Mais les manifestations sont à l’évidence coordonnées avec la Russie. Moscou entend donc poursuivre l’escalade.

Il importe que nous ne réagissions pas de manière irréfléchie. Notre politique étrangère ne se fonde pas sur des rumeurs et des supputations mais sur des faits. La mission de l’OSCE en Ukraine nous aide à récolter des faits. Il y a des indices que des provocateurs prorusses se mêlent aux manifestants d’Ukraine orientale et prennent part aux occupations d’immeubles publics. Si inquiétantes que soient les images d’Odessa, Louhansk et Donetsk, on n’assiste pas encore à l’effondrement de l’ordre public à l’est de l’Ukraine. Nous voyons que beaucoup de gens s’efforcent d’éviter cela. Il importe d’autant plus que nous réunissions aussi vite que possible les deux parties, la Russie et l’Ukraine, dans le cadre d’un groupe de contact composé de la Russie, de l’Ukraine, des Etats-Unis et de l’Union européenne.

Cette escalade est-elle une raison pour accentuer les sanctions conformément au plan par étapes de l’UE?

Nous avons eu au sein de l’UE une longue discussion, pas toujours facile, sur de possibles sanctions à l’encontre de la Russie. La voie arrêtée s’est traduite par une grande unité, une grande détermination parmi les vingt-huit Etats membres. Nous avons mis en œuvre deux niveaux de sanctions, parmi lesquelles des restrictions à la liberté de voyager et le gel des comptes de certains ressortissants russes et politiciens de Crimée. Nous avons encore dit clairement que si la Russie tente d’incorporer des portions de l’Ukraine de l’Est ou du Sud, nous déciderions aussi des sanctions économiques. Cette politique reste inchangée.

Mais, pour vous, il n’y a pas d’urgence dans l’immédiat?

Nous travaillons sur les conditions d’une stabilisation économique de l’Ukraine, à des mesures de soutien pour une réforme administrative et à la mise sur pied rapide d’une mission européenne de soutien à la réforme de la justice et de la police. De quoi contribuer à rétablir la confiance dans l’Etat de droit en Ukraine.

Vous avez dit qu’il ne fallait pas contraindre l’Ukraine à choisir entre l’Est et l’Ouest. Est-ce à dire que vous excluez une adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’Otan même dans un avenir plus lointain?

J’ai dit que nous devions d’abord éviter l’effondrement politique et économique du pays. C’est pourquoi l’UE et le FMI ont proposé une aide concrète. Il importe maintenant que les gens en Ukraine ressentent cette aide. A cet effet, le gouvernement de Kiev doit combattre la corruption et créer les conditions d’une bonne gouvernance. Il ne faut pas lier ce processus à une pression pour que l’Ukraine opte pour une adhésion à l’Otan ou à l’UE. Pour ce qui est de l’Otan, je partage l’avis du président américain, qui a dit qu’il ne voyait pas l’Ukraine sur le chemin de l’Otan.

La Russie a-t-elle droit à une zone d’influence en Europe de l’Est largement identique à celle de l’ancienne Union soviétique, les pays baltes exceptés?

Depuis la fin de la guerre froide, le monde a fondamentalement changé – pour nous autres Allemands en bien, puisque la réunification a été possible. Nul n’a le droit de remonter le temps et de rétablir la bipartition du monde, y compris les espaces géopolitiques associés soit à l’Ouest, soit à l’Est. L’avènement de nouveaux acteurs sur la scène internationale modifie aussi la donne. Des Etats d’Asie et d’Amérique latine voient croître leur influence économique et luttent pour plus de pouvoir politique. Cela remet en cause la réflexion géopolitique traditionnelle à l’échelle planétaire. Pour tout le monde, y compris pour la Russie.

La Russie n’a pas, par conséquent, de droit de veto quant à l’évolution de l’Ukraine et d’autres Etats de l’ancienne Union soviétique?

Non. Mais que nous le voulions ou non, l’Ukraine demeure un grand pays entre la frontière orientale de l’UE et la frontière occidentale de la Russie, avec des relations politiques, économiques et interpersonnelles étroites avec la Russie. Nous devons tout faire pour que l’Ukraine reste intacte et recouvre sa santé politique et économique. Ce ne sera guère possible sans la Russie. La plupart des entreprises ukrainiennes dépendent du marché russe, c’est une bonne raison pour ne pas couper les ponts. Aussi la tentative d’impliquer la Russie n’est-elle ni une concession ni un cadeau: elle correspond aux intérêts de l’Ukraine mais aussi aux nôtres.

Vous plaidez donc en faveur d’un dialogue constructif avec la Russie?

Votre question suppose que nous aurions une masse d’autres instruments efficaces sous la main. Je ne vois pas les choses ainsi. A moins de tabler sur le fait que, par une politique d’isolement et de sanctions, nous parvenions déjà à éliminer les entraves au commerce imposées par la Russie à l’Ukraine et à faire baisser le prix du gaz payé par l’Ukraine. Comme je n’ai pas cet espoir, je m’engage de toutes mes forces pour qu’aient lieu des négociations sérieuses incluant la Russie et l’Ukraine.

Le voyage à Kiev des ministres des Affaires étrangères allemand, français et polonais a-t-il précipité la chute du régime Ianoukovitch et, par conséquent, l’annexion de la Crimée? L’UE a-t-elle donc sa part de responsabilité dans l’escalade?

Nous sommes allés à Kiev à un moment où il y avait déjà beaucoup de morts. A notre arrivée, les Ukrainiens se tiraient dessus. A ce stade, mettre fin à ces morts et empêcher la guerre civile devait nous suffire. Aucun de nous trois n’avait l’illusion que nous tiendrions la solution. Mais il nous faut désormais d’autres initiatives pour maintenir l’intégrité de l’Etat ukrainien et lui permettre un nouvel avenir politique et économique. Cette tâche ne se liquide pas en six ou huit mois, elle nécessite des années d’efforts. Elle comporte d’impliquer la Russie dans un groupe de contact international pour la persuader qu’il n’y a pas d’avantage pour Moscou à avoir un voisin chancelant. Comme ce groupe de contact n’a même pas encore été constitué, je ne saurais dire si ce travail de persuasion réussira.

On n’a pas l’impression que la Russie soit actuellement intéressée à un dialogue. Qui a encore le contact avec Moscou?

La chancelière Merkel et moi tentons de rester en dialogue avec la Russie. Le président Obama et le secrétaire d’Etat Kerry font de même. Nous faisons tout pour que le groupe de contact international puisse entreprendre ses travaux. Ce n’est pas encore une solution mais déjà un début. Nous sommes face à un dilemme classique de la politique étrangère: au début d’une crise, l’attente d’une solution rapide augmente au rythme des informations des agences de presse. Il faut tenir. Je persiste à voir la possibilité de réunir la Russie et l’Ukraine au sein d’un groupe de contact.

Il y a peu, vous avez dit qu’en matière de politique étrangère l’Allemagne devrait désormais s’impliquer «plus tôt, de façon plus résolue et substantielle». La crise ukrainienne est-elle un test pour cette nouvelle doctrine?

Après la réunification, ils étaient sans doute nombreux, en Allemagne, non pas à croire à la fin de l’histoire mais bien à une paix perpétuelle et aux dividendes annuels, régulièrement versés, de la paix. Ce qui se passe en ce moment en Ukraine nous a bel et bien ramenés sur terre.

L’Allemagne joue-t-elle un rôle de leader au sein de l’UE en matière de politique russe?

Ce rôle de leader dans l’UE est régulièrement exigé mais n’a jamais été accepté. C’est facile à comprendre. L’UE a créé des institutions – le haut représentant pour les Affaires étrangères – permettant d’éviter toute compétition pour le pouvoir ou l’hégémonie. Je constate cependant que, parfois, les plus grands Etats membres suscitent de plus grandes attentes. En restant sur la ligne de touche à commenter le match et distribuer les notes, nous n’y répondons pas.

Quand les trois ministres des Affaires étrangères sont allés à Kiev, en février, et ont négocié un accord avec le président Ianoukovitch, ils revendiquaient clairement un leader­ship.

Le 20 février, plus de 80 personnes sont mortes dans les rues de Kiev et guère moins les jours d’avant. Lorsque nous sommes partis, beaucoup de gens nous ont déconseillé d’y aller dans une situation aussi imprévisible, car aucun d’entre nous ne savait ce qui nous attendait sur place et qui seraient nos interlocuteurs. Le danger était grand de rester planté là les bras ballants. Mais, dans un tel cas, on doit accepter l’échec éventuel des efforts diplomatiques. Il n’est pas permis de ne rien faire du tout par peur du risque.

Donc, une politique étrangère qui ne prend pas de risque n’est pas une politique étrangère?

La politique étrangère doit être ouverte à des normes inhabituelles et à des configurations peu conventionnelles pour défricher de nouveaux chemins dans des situations sans issue. Les risques en font aussi partie, certes. Mais ne rien faire est de toute façon un risque plus grand.

© Neue Zürcher Zeitung
Traduction Gian Pozzy


Frank-Walter Steinmeier

Membre du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), il devient ministre fédéral des Affaires étrangères de 2005 à 2009.
Une nomination qu’il doit à une grande coalition entre la CDU/CSU et le SPD, sous la direction d’Angela Merkel.
Une fonction qu’il retrouve en 2013, de nouveau dans le cadre d’une grande coalition.

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Salaire minimum: vrai/faux

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:59

Votation.Les Suisses devront se prononcer sur l’instauration d’une rémunération plancher obligatoire. L’une des plus élevées au monde.

L’introduction d’un salaire minimum va-t-elle vraiment apporter un avantage aux Suisses et à leur économie? Les citoyens diront le 18 mai prochain s’ils entendent confier à l’Etat la responsabilité de déterminer la rémunération plancher du travail, rompant ainsi avec des décennies de négociations paritaires sans intervention publique. Une question pratique certes, mais aux profondes incidences politiques et philosophiques sur l’implication de l’Etat dans le fonctionnement des rapports entre employeurs et salariés.

Inédite en Suisse, la question a trouvé une réponse positive dans 26 des 42 pays membres de l’OCDE, dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Italie et le Japon. L’Allemagne est en passe de les rejoindre. Dès 2017, les salariés seront payés au moins 8,50 euros l’heure.

La proposition émane d’un double regret de l’Union syndicale suisse (USS). Près d’un salarié sur deux n’est pas couvert par une convention collective de travail (CCT). De plus, les CCT de certaines professions font commencer l’échelle salariale à un niveau à peine supérieur à celui des minima sociaux.

En 1998 déjà, l’USS avait lancé une campagne visant à élever toutes les rémunérations mensuelles à 3000 francs au moins. Quatorze ans plus tard, son plancher s’est hissé de 1000 francs. Un relèvement un peu supérieur à celui du salaire médian, qui a grimpé de 5020 francs mensuels (en 1998) à 5823 francs (en 2012).

Néanmoins, ce plancher est critiqué par les employeurs et certains économistes, qui y voient non seulement une atteinte aux marges des entreprises, mais aussi à leur compétitivité. A 4000 francs mensuels, le salaire minimum proposé représente 64% du salaire médian (l’USS l’estime à 61%), l’un des niveaux les plus élevés au monde. La France a placé son SMIC à 60% du revenu médian. Or, dans la plupart des autres pays de l’OCDE, ce niveau est inférieur à 50%.

Outre aux salariés eux-mêmes, la mesure pourrait profiter aux pouvoirs publics, moins contraints d’aider des ménages modestes au travers de subventions diverses comme l’aide à l’assurance maladie, au logement ou encore à la famille. Mais elle pourrait aussi inciter les entreprises à ralentir leur embauche d’employés peu qualifiés, voire procéder à des licenciements, et ainsi pousser le chômage à la hausse dans cette catégorie de travailleurs déjà défavorisée.

Quel est l’impact réel du salaire minimum sur l’emploi? Le débat fait rage parmi les économistes depuis le début des années 80, principalement aux Etats-Unis, où les études les plus nombreuses et les plus fouillées ont été conduites sans qu’un consensus ait été dégagé. Arguant de la fixation de tarifs trop élevés, certains chercheurs concluent à la perte d’emplois, ce que d’autres contestent. La polémique a été nourrie par la volonté de Barack Obama de relever le plancher de 7,25 dollars l’heure à 10,10 dollars.

Ainsi, le National Bureau of Economic Research (NBER), qui conseille la Maison Blanche, a comparé l’évolution des marchés du travail entre différents Etats fédérés américains (libres de fixer leurs propres salaires minimaux). Au terme de leur recherche, les économistes Jonathan Meer et Jeremy West constatent des suppressions de jobs dans les régions qui relèvent leur salaire minimum.

L’Institut de recherche sur le travail à Bonn ne voit pas les choses de la même manière. Après avoir étudié l’évolution de l’embauche selon les bassins d’emploi aux Etats-Unis (qui recouvrent parfois plusieurs Etats fédérés), il ne constate pas d’écarts significatifs de part et d’autre des frontières politiques. Difficile de se faire une opinion après cela.

En Suisse, curieusement, très peu de travaux de recherche ont été menés sur le sujet alors que le débat enfle. L’USS a ouvert les feux en 2011 pour affirmer qu’«il n’y a aucun effet négatif». Ses conclusions ont été contrées à l’été 2013 par une enquête du SECO, qui conclut que le problème des bas salaires demeure plutôt marginal et qu’une intervention de l’Etat mettrait «sérieusement en péril» le fonctionnement du marché du travail en Suisse. Faute de mieux, le débat suit des lignes idéologiques. Aussi L’Hebdo a-t-il examiné la validité de cinq arguments.

Le marché du travail serait moins flexible

FAUX À 80%. Le système des conventions collectives va évidemment se poursuivre, aucun des partenaires sociaux n’ayant manifesté de volonté contraire. «Il a porté ses fruits en permettant à l’économie suisse de surmonter les crises passées en générant peu de chômage», souligne le professeur Yves Flückiger, de l’Université de Genève, spécialiste du marché du travail. De plus, les CCT organisent quantité d’autres éléments constituant les relations entre employeurs et salariés, comme la durée maximale du temps de travail et des vacances, les systèmes de formation, etc., auxquels tiennent les partenaires sociaux.

Néanmoins, Yves Flückiger redoute que l’instauration d’un plancher légal ne soit saisie comme prétexte, dans certains corps de métiers, pour mettre fin au système existant. Cela amènerait les salariés à ne bénéficier que de protections minimales légales, comme la limitation de la durée des vacances à quatre semaines par an. Le SECO, dans son rapport, va jusqu’à redouter une «véritable rupture avec la politique de formation des salaires».

l’économie serait assez forte pour supporter un minimum de 4000 francs

VRAI À 80%. Le salaire minimum proposé par l’initiative a toutes les chances d’être le plus élevé au monde. Ceux du Luxembourg et des Pays-Bas, aux structures économiques proches de celle de la Suisse, sont bien inférieurs (voir graphique page 22). Au Danemark, les partenaires sociaux se sont mis d’accord sur un salaire horaire minimal de quelque 16,80 francs. En Suède, où 90% des professions font l’objet d’une convention collective, le salaire mensuel conventionné le plus bas, celui des garçons de café, se monte à 2714 francs.
En Norvège, la situation est beaucoup plus comparable à celle de la Suisse. Le niveau des prix et des salaires y est très proche, le degré de couverture par des CCT aussi. Alors que près de la moitié des professions ne font l’objet d’aucune protection particulière, la rémunération conventionnée la plus basse, celle des coiffeuses, s’élève à 3818 francs par mois.
L’étude du SECO, qui se base sur des données de 2010, estime à 294 000 le nombre de postes de travail à temps plein et à temps partiel faisant l’objet d’une rémunération inférieure à 22 francs l’heure, soit 8,2% du total des emplois. A ce chiffre s’ajoutent environ 35 000 travailleurs des secteurs agricole et domestique. Le chiffre actuel est probablement inférieur.
Mais plusieurs corps de métiers ont relevé leurs salaires minimaux ces dernières années pour les amener à 4000 francs par mois, notamment dans la grande distribution. Là où ce seuil n’est pas franchi, les minima ont été fortement rehaussés et s’en rapprochent (les paysagistes et les boulangers, notamment).
Pour l’économiste Daniel Lampart, secrétaire général de l’Union syndicale suisse, les efforts consentis par ces corps de métiers démontrent le caractère supportable de la mesure. «Les entreprises peuvent accepter une baisse de leur rentabilité et relever certains prix.» Mais certaines PME n’ont pas la marge suffisante pour assumer une hausse de leurs coûts salariaux, et pourraient diminuer leur personnel. Quant aux augmentations de prix, elles ne sont guère possibles que dans des secteurs peu concurrentiels. Les plus menacées sont les entreprises à la limite de la survie économique, notamment les plus petites d’entre elles.

Les besoins en assistance sociale diminueraient

VRAI À 50%.«Intuitivement, le lien est évident. Mais il est plus compliqué qu’il n’y paraît de prime abord», avance Yves Flückiger. Un salarié qui voit sa rémunération augmenter a moins besoin de recourir aux subsides à l’assurance maladie, aux logements subventionnés, voire à l’aide sociale, ce qui allège d’autant les frais que les bas revenus occasionnent à la collectivité. Un économiste du syndicat Unia, Beat Baumann, a chiffré dans une étude publiée en février dernier à 100 millions de francs cet allègement. Donnée qui n’a été reprise ni par les partisans ni par les adversaires de l’initiative, tant les conditions de l’octroi d’aides peuvent être diverses et difficiles à appréhender.

Un plancher dangereux pour Les régions les moins favorisées

VRAI À 60%. Un salaire minimum de 4000 francs n’aurait pas le même effet au Tessin, où le revenu médian est de 5076 francs, le plus bas de Suisse, qu’à Zurich, où il atteint 6349 francs, le plus élevé du pays. Les adversaires du salaire minimum insistent justement sur la souplesse offerte par le système des CCT, qui permet des minima différents selon les régions, contrairement à la rigidité d’un plancher national. Une faiblesse que justifie néanmoins Daniel Lampart: «Lancer une telle initiative nécessitait la fixation d’un plancher valable dans tout le pays.» La rente AVS est du reste identique sur tout le territoire.
Les conséquences risquent d’être des disparitions, brutales ou progressives, d’emplois peu qualifiés dans les régions les plus affectées. En premier lieu dans l’industrie textile du Mendrisiotto, dans le sud du Tessin, qui emploie nombre de frontaliers. Et, dans l’arc jurassien, les segments les moins qualifiés de l’industrie horlogère et de la mécanique.

l’entrée sur le marché du travail serait plus difficile pour les jeunes

VRAI À 60%. Un salaire minimum «aurait des effets négatifs (…) pour les personnes ayant un niveau de qualification relativement faible. Il pourrait rendre plus malaisée l’entrée des jeunes sur le marché du travail», avertit l’étude du SECO. Les entreprises pourraient être tentées d’embaucher, pour le même tarif, des salariés plus âgés et plus expérimentés que des juniors qui doivent encore beaucoup apprendre. «Il y aura une baisse du nombre d’emplois peu qualifiés, notamment dans l’agriculture», ajoute Yves Flückiger.

Mais cette évolution «aurait de toute façon eu lieu. Elle ne s’en trouverait qu’accélérée», ajoute le professeur genevois.

Dans l’ensemble, les effets concrets sur l’économie suisse de l’introduction d’un salaire minimum à 4000 francs devraient être très modestes. Les entreprises qui souffriront le plus sont celles qui se situent déjà à la limite de la survie. Quant aux salariés, ils ont déjà bénéficié de la perspective de cette innovation par le relèvement, parfois massif, de leurs minima conventionnels.


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