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Ces riches Suisses qui vont chercher leur bonheur fiscal à l’étranger

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Jeudi, 20 Novembre, 2014 - 05:58

Zoom. La Suisse, un paradis? Certains Helvètes préfèrent s’installer sous des cieux à l’imposition plus douce. Comme le Royaume-Uni, le Portugal, Chypre ou en Asie.

Un vrai chassé-croisé: ils sont étrangers, riches, et sont venus en Suisse pour y profiter d’un forfait fiscal. Ils sont Suisses, fortunés, et sont partis à l’étranger pour payer, eux aussi, moins d’impôts. Leurs destinations: le Royaume-Uni, le Portugal, Chypre, ou encore les micro-Etats de Monaco et Andorre. Ils ont également choisi des lieux plus éloignés comme les Emirats arabes unis ou Singapour.

Rien de plus normal, diriez-vous, que le nomadisme fasse partie intégrante de la vie d’un homme d’affaires. Lorsque ces itinérants contemporains posent un pied sur terre, c’est pour développer leurs activités. Mais – curieux hasard? – ces points de chute connaissent souvent une fiscalité des plus douces, notamment lorsque l’on est étranger, particulièrement quand on est riche.

«La Suisse est l’un des derniers pays d’Europe à connaître l’imposition sur la fortune, relève l’avocat genevois Thierry Boitelle, de l’étude Bonnard Lawson. Une relocalisation devient intéressante fiscalement à partir d’une fortune de 20 millions de francs ou d’un revenu annuel de 400 000 francs», poursuit-il.

Impossible, toutefois, d’évaluer avec précision le nombre de départs. «Comment voulez-vous que nous sachions si une personne quitte la Suisse pour des raisons fiscales?» plaide un porte-parole de l’Administration fédérale des contributions (AFC). Aucune statistique n’existe au niveau fédéral.

Des indices permettent cependant de se faire une idée de l’ampleur du phénomène. Le Département genevois des finances a, par exemple, enregistré en 2013 le transfert de 22 contribuables pour Monaco, principauté qui ne connaît pas d’impôt sur le revenu ni sur la fortune. De même, 154 personnes ont déménagé au Royaume-Uni, un pays qui permet de réduire parfois considérablement la charge fiscale individuelle grâce au statut de «résident non domicilié» (resident non domiciled ou resident non-dom, pour les familiers de la question). «Nous ne pouvons dire, souligne le Département, combien sur ce nombre ont pu obtenir un statut de résident non domicilié.»

Les destinations favorites

Les spécialistes de la relocalisation fiscale pour les personnes physiques ont cependant une idée assez précise des points de chute favoris des Suisses. En premier lieu, Londres et ses environs, grâce au statut de resident non-dom. Combien sont-ils? Difficile à estimer la part d’Helvètes parmi les plus de 100 000 bénéficiaires de ce statut. Mais parmi eux l’on trouve des poids lourds des affaires comme Jean-Claude Gandur, le fondateur de la société de courtage pétrolier Addax; le financier Urs Schwarzenbach; ou encore l’investisseur immobilier Gabriel Tamman.

«Londres est un centre international, notamment pour le marché de l’art, aux côtés de New York. Ce simple fait justifie que l’on s’y établisse», soutient Simon de Pury, fondateur et patron d’une société de ventes aux enchères. «La fiscalité est un élément à prendre en compte au moment de choisir sa localisation, mais ce n’en est qu’un seul parmi la multiplicité des raisons d’emménager quelque part», ajoute-t-il, sans faire de commentaires sur son statut personnel.

Un pays en pleine ascension est le Portugal. Son argument: le tout nouveau statut de «résident non habituel», qui autorise tout étranger à s’installer dans le pays sans y payer d’impôts sur le revenu pendant dix ans, à condition que ce dernier soit de source étrangère. Ce statut attire surtout les retraités aisés.

Quelques alternatives existent. La principauté montagneuse d’Andorre, entre l’Espagne et la France, permet à l’étranger d’échapper à l’impôt à la condition d’être «résident sans permis de travail». Exigence: séjourner au moins trois mois par an dans ce minuscule pays. Chypre, de son côté, ajoute au soleil et à ses plages le charme d’une imposition nulle des rentes perçues à l’étranger, et limitées à 5% s’il s’agit de rentes de retraite. L’île d’Aphrodite a convaincu, entre autres, le photographe Jean-Marc Payot, héritier de la famille de libraires.

Monaco, classique résidence des allergiques à l’imposition sur le revenu, garde ses attraits. Entre autres entrepreneurs suisses installés sous son soleil fiscal figure Maurice Amon, vice-président du fabricant vaudois d’encres de sécurité Sicpa. Le vieux continent compte encore quelques autres lieux accueillants: Malte, la Belgique, certains pays de l’ancien bloc de l’Est…

D’autres cieux savent aussi développer leurs attraits. L’avocat genevois Dominique Warluzel a choisi en 2011 de s’établir aux Bahamas, où il a ouvert un cabinet de conseil fiscal pour entreprises à Nassau, la capitale de cet Etat insulaire au large de la Floride. Panama et les paradis fiscaux traditionnels des Caraïbes séduisent moins. Le premier en raison de la sulfureuse réputation de blanchisseur d’argent de la drogue acquise dès les années 80, les seconds à cause de leur grande fragilité face aux Etats-Unis.

C’est l’Asie qui attire le plus. En premier lieu, les Emirats du Golfe. A Dubaï, le dynamisme des affaires allié à une fiscalité pour ainsi dire inexistante – pas d’impôts sur la fortune ni sur le revenu – a intéressé quelque 2000 Suisses, «surtout des Romands», comme le relève l’avocat Giancarlo Rossi, qui pendule entre l’émirat et Genève. Des noms? Citons l’horloger Maximilian Büsser, créateur de la marque du même nom, l’architecte d’intérieur Joakim de Rham ou encore Omar Danial, de la chaîne hôtelière Manotel.

Plus à l’est, Singapour diffuse l’éclat d’un centre d’affaires de tout premier plan. Avantage supplémentaire: les étrangers n’y sont pas taxés s’ils prennent la précaution de ne pas y travailler plus de 60 jours dans l’année. Le financier Bernard Sabrier et Yves Bouvier, le patron de la société de déménagement Natural Le Coultre, y ont pris leurs quartiers. L’Asie et l’Océanie recèlent d’autres lieux accueillants comme Hong Kong et la Nouvelle-Zélande.

L’exil fiscal n’est pas forcément définitif. Dans certains pays, à commencer par le Royaume-Uni, l’obtention d’un statut est conditionnée au fait qu’il reste temporaire. Un resident non-dom ne peut bénéficier du statut que vingt ans tout au plus, à la condition de quitter le pays pendant trois ans au cours de cette période, avant d’y revenir.

Enfants prodigues

L’exil n’est pas non plus toujours une partie de plaisir. On ne compte pas les résidents monégasques qui passent le plus clair de leur temps à l’étranger, par exemple dans leur résidence secondaire suisse. L’un d’eux, le financier Esteban Garcia, se voit reprocher par le fisc fédéral une résidence fictive sur le Rocher. Reproche qu’il conteste, selon Le Temps. Il n’est pas le premier à se voir contraint de se défendre. «L’introduction dès 2017 de l’échange automatique d’informations va contraindre maints exilés fiscaux à se montrer très crédibles en matière de domiciliation», observe l’avocat Thierry Boitelle.

Plusieurs exilés fiscaux ont ainsi fait leur retour, plus ou moins volontaire. Ce fut le cas notamment de Daniel Borel, cofondateur de Logitech installé à Londres avant de revenir dans son village vaudois d’Apples.

La facture fiscale peut alors progresser de quelques crans. Mais il y a un moyen efficace d’adoucir le choc: créer une fondation d’utilité publique, laquelle sera défiscalisée, ou une fondation de famille, qui évite de disperser le patrimoine parmi les héritiers. En fin de compte, la Suisse a aussi quelques charmes.

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Les principes de Peter

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Jeudi, 20 Novembre, 2014 - 05:59

Portrait. Parti d’une petite entreprise de Thurgovie, le constructeur de trains Peter Spuhler conquiert le monde et inaugure une usine en Biélorussie. A Genève, il livrera les 18 rames pour la partie suisse du CEVA. Qui est ce grand patron peu connu en Suisse romande, malgré douze ans passés au Parlement fédéral? Et quelles sont les clés de son ascension?

Non, Peter Spuhler n’est pas un intellectuel. Il est un créateur. Un créateur d’emplois, un bâtisseur d’usines. Quand il dit «Werk», il pense à une fabrique, pas à une œuvre d’art. D’ailleurs, aujourd’hui encore, il reproche régulièrement à son ami d’enfance Raymond Bär, de la banque Bär, d’avoir sacrifié leurs derniers sous à visiter le musée du Louvre. «Il m’a traîné deux jours dans ses salles, c’était à devenir fou.» C’était aussi il y a longtemps, les quinquagénaires avaient alors 16 ans et bouclaient leur premier voyage tout seuls, sac au dos. Un périple prémonitoire, puisqu’ils le firent en train, un abonnement InterRail dans la poche.

Entre-temps, le patron des trains Stadler, ex-conseiller national UDC, 55 ans, 1 m 88, a tissé sa propre toile de chemins de fer. En Suisse, après avoir livré des trams, notamment à Genève, et des trains pour d’innombrables réseaux express régionaux (RER), il a obtenu cette année deux commandes importantes des CFF: l’une pour la partie suisse du CEVA, 18 rames au total, pour 210 millions, et surtout celle destinée au passage du Gothard, 29 trains à grande vitesse pour la nouvelle transversale alpine. Un contrat qui frise le milliard. En Europe, il ouvre une première usine à Berlin-Pankow il y a quatorze ans. Puis d’autres en Hongrie, Pologne, République tchèque, Autriche, Italie. Et le groupe livre aussi ses véhicules en Hollande, Norvège, Finlande, Grande-Bretagne, dans les pays baltes et bientôt en Suède.

Dans le vaste monde enfin, ses trains glissent aussi bien au Texas qu’en Algérie, où le groupe a inauguré un atelier de maintenance en 2008. L’an dernier, Stadler Rail a obtenu sa première grosse commande russe pour 460 millions. Et, ce 20 novembre, Peter Spuhler inaugure officiellement son usine de Minsk, où travaillent déjà 800 collaborateurs. Des affaires qui roulent, comme les seize trains régionaux déjà livrés dans la capitale biélorusse, où Stadler espère encore construire les nouvelles rames du métro.

Pour comprendre le personnage et son succès, nous avons tenté de saisir ce qui caractérise la méthode Spuhler, les principes de Peter. Alors nous avons pris le train, what else?, direction la Thurgovie.

Inspirer l’amitié virile

A Bussnang, qu’on pourrait rebaptiser Stadler City tant l’entreprise s’est étendue, multipliant les halles de production et de montage au cours des ans, le patron, massif, carré, chaleureux, nous tend une de ses fameuses mains. Fameuses parce que tout le monde – amis, parlementaires, fonctionnaires, syndicalistes – nous a parlé de ses «paluches» de hockeyeur qui pourraient facilement, d’une petite tape, vous projeter dans le mur comme un petit puck. D’ailleurs, on se demande bien ce qu’il fait aux hommes, Peter Spuhler, pour leur inspirer tant de sympathie. Parce que, mis à part ses concurrents qui le trouvent brutal ou ceux qui l’estiment trop focalisé sur ses affaires, ceux qui le côtoient aiment bien l’ancien grenadier de montagne. Les syndicalistes d’Unia par exemple. André Daguet, et plus tard Corrado Pardini, conseiller national socialiste, qui le trouve «dur en négociations, mais droit et fiable». A Berne, en Thurgovie ou à Zurich, tous partis confondus, on apprécie sa convivialité et ses soirées bien arrosées. Et puis l’homme construit des trains au pays où les garçons, petits et grands, les aiment d’un amour tendre.

Redresser une industrie sur le déclin

Mais il y a davantage. «Spuhler est au ferroviaire ce qu’Hayek fut à l’horlogerie: pas un inventeur mais un accoucheur d’idées», estime un spécialiste des transports travaillant pour la Confédération. Personne n’oublie qu’on lui doit le sauvetage d’une industrie qui périclitait. Comme Nicolas Hayek, il a su tirer parti d’un savoir-faire existant. Récupérant au fil des ans les ingénieurs du ferroviaire restés sur le carreau, reprenant une partie de l’ancienne usine de locomotives de Winterthour et de la fabrique de wagons Schindler.

Corrado Pardini se souvient de sa première rencontre avec le patron. C’était il y a dix ans. A Bienne, l’ancienne fonderie von Roll, un fournisseur de Stadler, se trouvait au bord de la faillite. Septante emplois menacés. «Je suis allé le voir à Berne. Il a garanti les salaires, nous a donné sa parole, c’est tout.» Par la suite, il a honoré sa parole et investi. «La fonderie, une des dernières du pays, existe toujours.»

Personne n’oublie non plus qu’en 1989, quand il racheta l’entreprise Stad­ler fondée par le père de sa première femme, elle ne comptait que 18 employés. Contre 6500 aujourd’hui, dont la moitié en Suisse, entre la Thurgovie, Altenrhein (SG), Bienne et Winterthour. Quant au chiffre d’affaires, il a passé de 4,5 millions à 2,5 milliards. A l’époque, Peter Spuhler n’avait pas un sou vaillant. L’homme sans diplôme – il a raté les examens finaux de ses études d’économie à la Haute Ecole de Saint-Gall – a pourtant convaincu la Banque cantonale de Thurgovie de lui prêter 5,5 millions.

Sentir venir le vent

S’il faut reconnaître un trait de génie au patron thurgovien, c’est celui de sentir venir le vent. Celui du trafic d’agglomération avec ses RER et leurs besoins spécifiques: des trains légers, moins chers, modulables, et qui accélèrent rapidement. Et le vent des pays de l’Est, où l’infrastructure ferroviaire, secteur stratégique longtemps protégé, connaît une longue tradition mais nécessite un important renouvellement.

Conclure des affaires sans grands états d’âme

A Minsk, Peter Spuhler a donc organisé une immense fête. Avec le président Alexandre Loukachenko, qui dirige la Biélorussie depuis vingt ans et passe pour le dernier dictateur d’Europe. Une réputation similaire à celle du président Ilham Aliev, en Azerbaïdjan. Pays avec lequel le constructeur de Thurgovie est aussi en affaires, puisqu’il a décroché une commande en juin. Vingt-sept wagons-lits et trois voitures-restaurants pour la ligne Bakou-Tbilissi-Istanbul: 120 millions. Le mois dernier, Peter Spuhler a posé la première pierre d’une fabrique de maintenance en Azerbaïdjan. En présence du président Aliev. Enfin, ironie de l’histoire pour un homme dont le parti a lancé l’initiative qui interdit la construction de minarets en Suisse, il veut livrer le métro qui, en Arabie saoudite, transportera les pèlerins musulmans de Djeddah à La Mecque.

Alors, Monsieur Spuhler, démocrate, ex-conseiller national, l’argent n’a-t-il pas d’odeur? Visiblement habitué à la question, le patron déroule son argumentation comme un refrain: «Avant tout, il s’agit de protéger 3000 emplois en Suisse. Et, si l’on veut être strict, on ne ferait pas d’affaires avec les Etats-Unis et la Chine, où existe encore la peine de mort. On ne travaillerait qu’avec l’Europe du Nord. De toute façon, c’est aux organisations internationales et à la diplomatie de décider de sanctions. Nous, nous les respectons.» Il poursuit sur un registre bienfaiteur: «Je ne livre pas des armes, mais des trains, dont profite toute la population. Le transfert de savoir peut favoriser le processus démocratique: nous avons formé 120 Biélorusses dans nos ateliers en Suisse.»

Prendre des risques

La conquête de nouveaux marchés? Une nécessité après la crise financière de 2008-2009 et celle du franc fort. Les Etats européens, en proie aux problèmes budgétaires, limitaient leurs achats. Peter Spuhler quitte le Parlement en 2012 pour se consacrer à Stadler, supprime 60 postes dans l’usine d’Altenrhein (SG). Il se lance alors dans une nouvelle stratégie: les métros, les trains à grande vitesse jusqu’à 250 km/h et la conquête de nouveaux marchés, dont les pays d’ex-Union soviétique et le monde arabe.

Une stratégie doublement risquée: ses concurrents n’aiment pas le voir sortir de sa niche des trains régionaux et la corruption mine les pays qu’il conquiert.

Alors certains murmurent que Spuhler distribuerait des enveloppes. Lui nie avec vigueur. «Il n’y a jamais eu la moindre plainte contre nous. Ce qui n’est pas le cas de certains concurrents. Nous devons nous montrer vigilants, une affaire de corruption nous exclurait des offres publiques au sein de l’Union européenne.»

Construire des usines dans les pays clients

Il a des arguments probablement plus convaincants qu’une enveloppe, Peter Spuhler: construire des usines, créer des emplois. La méthode all in one, celle qu’il a appliquée à Minsk, celle qu’il propose aussi en France voisine. Une halle de maintenance pour le CEVA, histoire d’augmenter ses chances de décrocher la commande des 21 rames destinées à la partie française. Cela dit, il nourrit peu d’illusions, le marché hexagonal favorisant généralement les entreprises françaises.

Implanter une fabrique à l’étranger se révèle profitable. Et pas seulement en raison des salaires plus bas qu’en Suisse. «Dans les pays de l’Union douanière eurasiatique, Russie, Biélorussie et Kazakh­stan, on paie jusqu’à 20% de tarifs douaniers si l’on ne produit pas au moins 50% de valeur ajoutée dans un de ces pays», explique Peter Spuhler.

De toute façon, c’est lui qui décide. La méthode Spuhler, c’est aussi cela, un homme aux commandes, autoritaire, qui décide vite. CEO, président du conseil d’administration et propriétaire, il détient 83% du capital-actions du groupe Stadler Rail et ne prévoit toujours pas d’entrée en Bourse.

Utiliser le hockey dans son marketing

Le hockey sur glace, sa passion depuis l’âge de 6 ans, sert aussi ses affaires. Ex-joueur de Ligue nationale B au Grasshopper, président d’honneur et soutien financier du ZSC Lions, il invite clients et relations dans sa loge au Hallenstadion de Zurich. A Minsk aussi, la marque Stadler, un des sponsors principaux du Championnat du monde de hockey sur glace, sautait aux yeux des spectateurs lors de la finale en mai dernier. Quand on sait que les présidents Loukachenko et Poutine adorent ce sport et y étaient, on imagine qu’un tel parrainage met de l’huile dans les roues des trains qui vont vers l’est. Le hockey, populaire dans l’ex-URSS comme en Scandinavie, sert d’instrument de marketing. «On rend visible la marque Stad­ler. Cela facilite aussi le recrutement de personnel», précise Peter Spuhler.

Prendre le parti de l’économie

C’est d’ailleurs par le biais du hockey que les premiers liens se nouent avec l’UDC. Plus précisément via le président du Lions Walter Frey, des garages Emil Frey, ex-conseiller national, UDC néo-libéral proche de Christoph Blocher. Avec Hans Uhlmann, alors chef de l’UDC thurgovienne, ils sauront convaincre Peter Spuhler. «Je lui ai dit que, pour défendre l’économie, mieux valait entrer en politique plutôt que de taper du poing sur la nappe de la Kronenhalle (le restaurant des Zurichois arrivés ou ambitieux, ndlr)», se souvient Walter Frey. Le patron se présente aux élections fédérales de 1999 et accède immédiatement au Conseil national. Son engagement s’y limitera à la politique économique. Quant à sa relation avec le chef suprême, Christoph Blocher, elle se révèle tendue. Les deux patrons divergent sur la libre circulation des personnes. Et Peter Spuhler réussira à convaincre son groupe parlementaire de ne pas appuyer une candidature de combat de Blocher, en automne 2008, quand celui-ci, vengeur, veut revenir au Conseil fédéral alors qu’il n’y a aucune vacance, Samuel Schmid n’ayant pas encore démissionné. Enfin, il résistera à ceux qui lui demandent de se lancer dans la course lui aussi. Instinctif, il sait qu’un bon entrepreneur ne fait pas encore un bon conseiller fédéral.

Aujourd’hui retiré de la politique, il arrive pourtant à Peter Spuhler d’y faire entendre sa grosse voix. Comme, il y a trois semaines, quand il est redescendu dans l’émission Arena pour combattre Ecopop à côté de la socialiste Simonetta Sommaruga. Avec l’autorité du créateur d’emplois, il a mis en garde les téléspectateurs contre une initiative «dangereuse» qui ne tient pas compte du vieillissement de la population. «Les entreprises s’arracheront les permis de travail pour le personnel hautement qualifié. Mais qui s’occupera des malades et des personnes âgées? Qui financera l’AVS?» Risquer de casser les accords bilatéraux? Une «catastrophe». Raison pour laquelle le patron n’avait pas signé l’initiative UDC «Contre l’immigration de masse».

Décidément, Peter Spuhler, vous avez opté pour le faux parti! «On me dit souvent cela. Mais l’UDC a aussi une aile économique et libérale.» Il sourit: «Je concède qu’on l’entend peu depuis quelque temps.» Quoi qu’il en soit, le patron ne se distancie pas de son parti.

Se construire un réseau d’enfer

La politique l’a bien servi dans ses relations. Il tutoie les conseillers fédéraux: Mme Leuthard, c’est Doris; et il connaît bien aussi les travailleurs de l’ombre. Dans ses rapports avec l’Office fédéral des transports, les CFF ou le BLS, Peter Spuhler ne parle pas qu’avec les directeurs. Et, lorsqu’un ministre suisse se rend dans un pays où Stadler Rail tente d’obtenir un contrat, il a souvent un petit dossier à la gloire du groupe thurgovien dans sa valise. Les ambassadeurs y vont aussi de leur coup de pouce: Thomas Borer à l’époque, puis Tim Guldimann ou Edwin Hofer. Des contacts d’autant plus précieux que les clients de Peter Spuhler, ceux qui achètent des trains, sont des acteurs étatiques.

Aujourd’hui comme hier, il soigne ses relations au Palais fédéral. Aux CFF, on a senti les appuis politiques de Peter Spuhler avant l’attribution du mandat pour les trains du Gothard. A la Commission des transports, les questions des parlementaires fusaient sur l’avancement du dossier ou sur le degré de la «suissitude» des différents concurrents.

Comme son groupe, le réseau Spuhler déborde largement les frontières du pays. Son conseil d’administration compte des membres extrêmement bien connectés comme les Allemands Christoph Franz, ex-patron de Swiss puis de Lufthansa, actuel président du conseil d’administration de Roche, ou Werner Müller, ministre de l’Economie sous le gouvernement Schröder. Peter Spuhler, quand il était encore conseiller national, l’a rencontré lors d’une conférence à Berne. Werner Müller vint plus tard visiter la fabrique du Thurgovien à Berlin. Le chancelier Gerhard Schröder fit de même en 2002. Depuis, «Schröder est devenu un ami. Je le vois souvent, il me donne quelques conseils concernant notre expansion à l’Est.»

L’ex-chancelier allemand a d’ailleurs invité l’entrepreneur à son 70e anniversaire à Saint-Pétersbourg, où il lui a présenté Vladimir Poutine, rien de moins. «C’est la première et unique fois que j’ai rencontré Poutine», minimise Peter Spuhler. Il n’empêche, le Thurgovien a décroché la commande pour les 25 trains qui doivent relier Moscou à ses trois aéroports internationaux. Sur ce coup, Peter Spuhler ne fanfaronne pas. Même s’il vient de livrer. Les sanctions se font sentir, le rouble a chuté. Alors, de futures affaires avec la Russie, on verra, «si le monde ne s’effondre pas».

Avec l’obtention du contrat du siècle, le milliard du Gothard, Peter Spuhler ne s’est pas fait que des amis. Un haut fonctionnaire nous confiait: «Avec les trains internationaux à grande vitesse, il grimpe d’une ligue et marche sur les platebandes des plus grands: Siemens ou Alstom. Personne ne va lui faire de cadeaux.» D’ailleurs, Talgo et Alstom ont déposé un recours contre l’attribution du Gothard. Ce qui a fait perdre du temps, et de l’argent, à Stadler Rail. Même si, entre-temps, Alstom a retiré sa plainte et le Tribunal administratif refusé tout effet suspensif.
Risquer d’atteindre ses limites

Cette valse de trains jusque dans des pays où l’on risque sa bonne réputation, ces adversaires qui fourbissent leurs armes, un saut technologique dans la grande vitesse, la firme de Peter Spuhler sera-t‑elle à la hauteur? N’atteint-elle pas ses limites? Tant d’expansion ne donne-t-elle pas le vertige? Le patron frotte ses deux grandes mains l’une contre l’autre. Il dit qu’il a un team d’excellents managers et que, non, il n’éprouve pas de vertige. Même si, quand il considère tous ses projets en cours, quand il vole d’un pays à l’autre pour rencontrer ministres ou chefs d’Etat, il lui arrive de penser: «Hopla!»

Ne pas oublier d’où l’on vient

Face à la pression, aux convulsions qui tordent conjoncture et géopolitique, Peter Spuhler résiste. Peut-être est-ce dû au fait qu’il n’est pas un homme seul. Il a sa tribu. Et n’oublie jamais d’où il vient. Tout le monde vous le dira: Peter Spuhler a réussi, mais il n’a rien d’un snob.

Sa madeleine de Proust à lui est un sandwich à la viande des Grisons. Celui que lui tendait son père, Paul, un chef réputé, un des meilleurs du pays. Il officiait au Dolder Grand Hotel, rendez-vous de la haute société sur la colline du Zuriberg. Un père qu’il a peu vu tant celui-ci travaillait. Alors, quand Peter venait chercher son père après l’entraînement de hockey, il devait attendre longtemps, en mâchant son sandwich. Car si Paul cuisinait pour les riches, les Spuhler ne l’étaient pas. Ils habitaient un quatre-pièces à Zurich, confortable, sans plus. «Je ne suis pas né avec une cuillère en argent dans la bouche», se souvient-il.

Soigner la smala

Sur l’immense pupitre en demi-cercle du patron trônent de nombreux portraits de toute sa smala: il y a ses parents, eux qui, avant de déménager dans un home l’été dernier, habitaient une petite maison juste à côté de la sienne, à Weiningen (TG). Il y a ses trois enfants, deux grands d’un premier mariage et une petite de 6 ans avec Daniela, sa seconde épouse de dix-huit ans sa cadette. Patronne elle aussi, elle a racheté les entreprises de construction de ses parents et passe avec beaucoup d’aisance de la robe de cocktail à la machine de chantier. «Peter a trouvé une femme qui a autant d’énergie que lui. Entrepreneur dans l’âme, elle aime aussi sortir et socialiser. Et ne dit jamais non», dit un proche. Cet été, Peter Spuhler a dégagé quatre semaines pour des vacances en famille. Et, le week-end, il passe le plus de temps possible avec les siens, souvent sur les pistes de ski. Et il y a les amis de toujours, liés comme les doigts de la main: Raymond Bär et les entrepreneurs Giulio Bianchi, Walo Bertschinger et Beat Schelling. Ces cinq-là, très occupés, se réservent pourtant des soirées entre hommes et, une fois l’an, trois jours d’escapade. «Des amitiés comme ça, profondes et désintéressées, on ne va plus en nouer», conclut Raymond Bär qui, avec les années, a renoncé à traîner Peter Spuhler dans les musées.


Profil
Peter Spuhler

Né en 1959 à Séville, il grandit à Zurich puis étudie l’économie à Saint-Gall. Parallèlement, il joue au hockey sur glace, vingt ans durant, au Grasshopper de Zurich. Il reprend l’entreprise Stadler Rail en 1989. UDC, il siégera au Conseil national de 1999 à 2012. Son groupe compte quatorze usines en Suisse et dans le monde.

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Olivier Nanzig
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Amour: ce que le net a changé

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Jeudi, 20 Novembre, 2014 - 06:00

Enquête. Le web a bouleversé notre rapport à l’amour et à la sexualité, pour le meilleur et pour le pire. La pratique voit le triomphe de «l’entrepreneuriat» amoureux: c’est à qui se vendra le mieux, entre espoirs et désillusions.

Stéphanie et Alexandre Prats se sont connus en septembre 2013 sur Celibataire.ch. Il s’appelait Au bord de l’eau, elle avait pour pseudonyme Coluchette. Aujourd’hui, le maître socioprofessionnel et assistant social de 52 ans vient d’épouser la femme au foyer de 40 ans à Lucens (VD). Ils aimeraient faire passer le message aux célibataires, pour leur prouver qu’on peut dénicher l’âme sœur sur le Net.

En Suisse, 90% des célibataires auraient recours aux rencontres en ligne. Sans compter les usagers mariés, à la recherche d’aventures. Au total, 1,3 million de Suisses seraient en chasse sur les réseaux. Si les chiffres, émanant de communicants, sont invérifiables, il suffit de sonder son entourage pour constater l’ampleur du phénomène, commencé il y a près de quinze ans. Depuis, le tabou qui entourait la drague en ligne s’estompe. La pratique est décomplexée chez la jeune génération, friande d’applications branchées comme Tinder et Adopteunmec. Elle a largement modifié notre façon d’aborder une relation amoureuse, nous obligeant à réinventer la rencontre, pour le meilleur et pour le pire.

L’alchimie des corps

Premier changement de taille, l’ordre de la rencontre a été inversé. «Avant, l’amour amenait au sexe. Aujourd’hui, c’est le contraire, explique la sexologue Denise Medico, cheffe de service à la fondation Profa de Lausanne. On choisissait une personne, puis on lui proposait un rendez-vous. Désormais, on lui donne rendez-vous d’abord, on couche avec, on choisit ensuite.» Même si, pour la spécialiste, l’internet est un outil formidable, «les sites passent à côté des vrais déterminants d’une relation, à savoir la vie charnelle, la façon dont deux corps vibrent en commun». Les chances sont maigres qu’une cyberrencontre fonctionne dans la vie concrète, parce qu’elle dépend d’une alchimie non verbale (l’odeur, la façon de bouger, la présence, etc.).
Pourtant, l’écrit en dit beaucoup, pour qui sait décoder. Lou*, 40 ans, universitaire, a appris à lire entre les lignes. «On peut dire ce qu’on veut sur soi, mentir, enjoliver… La manière dont on le dit trahit qui on est. En lisant ses messages, on voit si un homme a de l’esprit, s’il manie le second degré. La vitesse de repartie trahit l’intelligence… Autant de critères déterminants pour que je sois attirée par lui.» La jeune femme, mère de famille, écarte les prétendants qui l’«ennuient»: «Il faut aller sur les sites en chasseur. Se conduire comme un homme. Si tu y vas en brebis cherchant son berger, alors tu vas trouver beaucoup de loups sur ton chemin!»

Certaines applications comme Tinder, très à la mode parmi les plus jeunes, misent tout sur la photo. Alice*, 24 ans, employée de commerce, y est restée trois semaines. Elle a entamé une relation avec un jeune homme. «C’est la première fois de ma vie que je m’inscris sur une application de ce type. Mes copines me parlent de Tinder depuis la fin de l’été. Ce qui m’a séduite, c’est qu’on n’a pas besoin de se présenter. Une photo et un pseudo suffisent.» Elle a choisi un portrait où on ne la reconnaissait pas. Les garçons avec lesquels elle a chatté portaient souvent des lunettes de soleil sur leur photo de profil. «Je n’ai pas changé d’avis, j’encourage quelque chose de plus romantique, il faut laisser faire le hasard. Mais je remarque qu’en Suisse on a de la peine à sortir et à s’amuser, pour faire connaissance.»

Maintenant, tout de suite

«Les sites présupposent que les gens ne savent plus se rencontrer dans le monde réel», relève Olivier Voirol. Pour le sociologue lausannois, dire qu’on n’a plus de lieux où faire connaissance aujourd’hui s’apparente à une prophétie autoréalisatrice. L’idée que nous n’avons plus le temps est, elle aussi, paradoxale. Surtout quand on sait que les 50 millions d’utilisateurs que Tinder revendique dans le monde se connecteraient en moyenne nonante minutes par jour…

Tinder est une version hétéro de Grindr, qui avait fait ses preuves chez les homosexuels. Son système de géolocalisation permet des «plans» rapides, selon le lieu où vous vous trouvez. A la table d’un restaurant fribourgeois, Bastien* et Cyril*, en couple, consultent chacun l’application, pour détecter les autres gays à proximité. «C’est excitant, ou amusant, de voir qui est dessus. C’est de la drague soft, cela s’arrêtera à quelques photos, pour nourrir mes fantasmes», explique Cyril. Chacun semble capturé par son iPhone, insensible à ce qui l’entoure, à commencer par son voisin. «La première raison du succès des sites, c’est qu’ils permettent d’occuper le temps, de se sentir moins seul», avance Denise Medico. Même au milieu des autres.
Algorithme, mon amour

En plus d’avoir inversé l’ordre de la rencontre, l’internet l’a rendue «mathématique». Partant du principe que «qui se ressemble s’assemble», des sites plus chers comme Parship proposent, via des tests de personnalité et des «algorithmes d’affinité», de «matcher» votre profil avec celui d’un candidat avec lequel vous êtes invité à «badiner». Il y aurait 38% de chances de réussite. Dormez-vous la fenêtre ouverte ou fermée? Suivez-vous vos sentiments ou votre instinct? Après un test d’une demi-heure, le site nous informe que GSWWZ2Y9, 39 ans, 178 cm, domicilié à Bâle, pourrait être l’homme de notre vie. Mais avant de lire son message, il faudra débourser près de 270 francs, pour une formule de trois mois d’abonnement.

La ressemblance est-elle un gage de réussite? Pour Denise Medico, cela ne fait pas de doute. «Dans la plupart des cas, oui. Sinon, le décalage culturel peut devenir rapidement un obstacle à la relation. Mais plus on vieillit, plus c’est une autre notion qui compte: la complémentarité. Et la recherche de similitude est aussi une voie compliquée, qui peut être la cause de pas mal de problèmes!» L’idée fait bondir le psychiatre Serge Tisseron, auteur notamment de Rêver, fantasmer, virtualiser – Du virtuel psychique au virtuel numérique, chez Dunod. «Dans la «vraie vie», les gens avec lesquels on s’entend sont différents de nous. Avec les algorithmes, c’est comme si on voulait trouver son semblable. Donc éviter la surprise, l’inconnu. Si vous craignez la surprise, choisissez l’ennui, c’est plus radical!»

Le marché de l’affect

Troisième glissement opéré par les sites: le télescopage souvent hypocrite de deux domaines apparemment inconciliables. D’un côté, il y a l’Amour, qui échapperait à la Raison et au calcul. De l’autre, l’implacable logique mathématique des algorithmes. Et un «marché» sur lequel on doit se vendre (un profil, c’est un peu l’équivalent d’une lettre d’embauche). «On peut sortir complètement fracassé de cette expérience, rappelle le sociologue Olivier Voirol. Lorsqu’on touche à l’affectif, à l’amour, à la sexualité, on touche à l’identité des gens. C’est cela qui est en jeu, et ce n’est pas un jeu!» L’universitaire s’apprête à publier, avec son collègue Kai Dröge, une étude à ce sujet soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. «C’est incroyablement palpitant de chercher l’amour sur un site. Et, en même temps, c’est une déshumanisation, puisqu’on accepte de s’en remettre à un dispositif technique dont on ne saisit ni la logique ni le fonctionnement. Les sites de vente comme eBay ont la même architecture. On a simplement remplacé le type de «produits», pointe le chercheur.

Rencontrer son voisin via l’Internet

Les sites spécialisés, pour gens «beaux», «riches», «catholiques» ou sympathisants de droite, font débat. Pour Yvan Vuignier, directeur de Swissfriends.ch, cette segmentation ne serait pas intéressante en Suisse romande. «Même gratuit, un site spécialisé ne trouverait pas une communauté suffisamment active pour être attractif. Le bassin est trop petit.» Les Romands restent donc généralistes. Swissfriends, leader du marché, existe depuis quinze ans. A côté des mastodontes internationaux comme Meetic, il a su se distinguer par son ancrage local. «Nous sommes en quelque sorte le plus grand bar de Suisse romande», explique Yvan Vuignier, qui revendique plus de 90 000 membres dans le pays. Il inaugurera à la fin du mois une nouvelle version du site. «En plus des services liés à la rencontre, nous proposerons à nos membres de participer à des événements. Ce sera l’occasion pour eux d’élargir leur cercle de connaissances.» Au programme: visite du musée de l’Hermitage, à Lausanne, avec repas, randonnée à raquettes, initiation aux sushis ou au dessin animalier… Le marché est arrivé à maturité en 2011. Entendez: il ne connaît plus une expansion à deux chiffres en Europe. La Suisse n’est pas épargnée par ce ralentissement, dû à une offre pléthorique. Dans ce contexte, les sites classiques doivent se réinventer, quitte, paradoxalement, à s’éloigner du Net. «Les événements que nous organiserons viendront compléter l’offre du web. Ils expriment une volonté des internautes de revenir à des contacts plus traditionnels. Il y a d’autres manières de découvrir ses semblables que sur le web!»

Autre enseigne locale qui connaît un succès pérenne dans ce marché volage, Celibataire.ch, créé fin 2001. Alain Michel, carreleur de formation, est un webmaster autodidacte. Il gère le site avec sa femme, et compte de 5000 à 6000 visiteurs quotidiens, dont 98% de Suisses. Malgré le potentiel de millions de profils à travers le monde, l’utilisateur lambda choisit des personnes qui vivent à proximité de chez lui. Celibataire.ch, gratuit pour les femmes, organise aussi des soirées bowling ou des pique-niques. Son fondateur se réjouit de voir le web pallier le manque de contacts humains dans notre société. «C’est triste, mais on connaît mieux nos «amis» sur Facebook que nos voisins. Des gens se sont aperçus sur notre plateforme qu’ils habitaient le même immeuble!»

Les vertus du «plan cul»

Point positif, les sites ont amené une plus grande liberté, une mixité dans les rencontres éphémères. «J’ai eu de belles aventures, explique Anaïs*, une styliste de 42 ans. Par exemple un professeur de théologie, ou un jeune ramoneur de 25 ans! Chacun de ces hommes m’a apporté quelque chose. Des discussions intellectuelles, de la tendresse ou du sexe; parfois les trois. Je ne les aurais jamais croisés dans mon milieu.»

Vincent* travaille dans le médical. On lui donnerait facilement 28 ans, même s’il en a 40. Il est sur Adopte­unmec.com depuis une semaine et il a déjà quatre rencontres à son actif. Le site joue sur l’ironie (ou le cynisme), érigeant l’homme en objet que les utilisatrices peuvent mettre dans leur panier à commissions. On précise si on désire une relation ou une aventure en choisissant entre les appellations CDI ou CDD.

Vincent fait défiler les profils: suite de selfies avec bouche en canard et regard «kawaii». «J’y suis par amusement, on verra bien. Les filles, ça s’emballe vite. Pourtant, je ne leur laisse rien espérer! Heureusement, j’ai mes portes de sortie…» Le jeune homme trouve qu’il est plus difficile d’aborder des filles en soirée. «Derrière leur écran, elles se sentent rassurées.» Son portable émet un son de trompette: il vient de recevoir un nouveau message. «C’est curieux, une intimité s’instaure, et pourtant elle ne repose sur rien puisqu’on ne se connaît pas.» Une conquête lui écrit: «Tu m’as fait voir les étoiles l’autre nuit.» Il ne lui donnera pas de second rendez-vous. Ce serait trop «facile», pas assez excitant. «C’est surtout les déçues qui se connectent. Les filles équilibrées n’ont pas besoin de ça! Ici, on brûle les étapes, on ne sait plus attendre. Mon ancienne copine, j’ai mis des mois à pouvoir simplement l’embrasser.»

La fin du virtuel

Dernier changement de taille, se découvrir en ligne n’est plus considéré aujourd’hui comme moins «réel» que des présentations en chair et en os. Même s’il est plus facile de se tromper sur la personne à qui on a affaire. «On ne parle plus de «virtuel» aujourd’hui, mais de «numérique», explique Serge Tisseron. Une rencontre sur l’internet ou dans un café, ce sont deux modalités de présence différentes, mais elles ne sont pas moins authentiques l’une que l’autre.»

Aujourd’hui, la tendance, pour les plus de 40 ans, est de préférer les cyberrencontres érotiques, sans aller plus loin. «Depuis quelque temps, je remarque que les hommes me demandent des photos, des webcams, et que cela leur suffit», raconte Anaïs. La styliste se connecte sur l’application Twoo, qui l’informe aussitôt que sa «cote de popularité» est basse depuis la veille. Pourtant, il y a une trentaine de nouveaux messages dans sa boîte. «Après une interruption de deux ans, je suis revenue avec le même profil et les mêmes photos. Et j’ai constaté que les choses avaient beaucoup changé. Les hommes me demandent directement des photos de moi nue, ce qu’ils ne faisaient pas avant. Ou ils m’envoient des photos de leur membre, sans faire de cérémonie. Ils souhaitaient qu’on se filme, qu’on fasse l’amour à distance, chacun se masturbant dans son salon. Cela leur suffit. C’est pauvre!» La cyberrencontre est rassurante parce qu’elle n’implique aucun engagement. On peut rompre en un clic. «Je crois que la réalité effraie. Les gens ont peur de rencontrer leurs semblables. A distance, on peut se laisser aller», regrette Anaïs.

Amaranta Cecchini a travaillé sur les liens amoureux noués en ligne. Pour son doctorat, soutenu cette année à l’Université de Neuchâtel, elle a passé trois mois à enquêter sur la plateforme Second Life, l’univers virtuel créé en 2003, et constaté l’émergence de couples d’un genre nouveau. «Deux femmes entretenaient une relation de plus de trois ans, à travers leur avatar. Elles ne s’étaient jamais vues dans la vie concrète, et ne connaissaient pas leur vrai nom.» L’une d’elles, mariée, ne souhaitait pas chambouler sa vie de couple. «Cette relation extraconjugale numérique lui avait permis de trouver une compensation. Ce qui est intéressant, c’est que Second Life permet de «vraies rencontres», dans le sens où on fait connaissance avec l’autre au compte-goutte, sans que la relation soit d’emblée dirigée vers l’échange amoureux.» Ce cybercouple se retrouve chaque jour et partage la même maison virtuelle. A l’intérieur, on peut voir des photos souvenirs des deux avatars réunis. L’amour y règne, la vie concrète n’a plus d’importance.

*Noms connus de la rédaction
 


Conseils pour trouver l’amour

Mettez trois photos de vous. Une seule: vous avez quelque chose à cacher. Plus de trois: vous ne vous aimeriez pas un peu trop?

Montrez-vous en train de faire une activité qui vous tient à cœur.

Messieurs, évitez de mettre la photo de votre voiture en tête de votre profil, on verra que vous n’avez pas confiance en vous.

Les smileys, les abréviations comme «mdr» ou «lol» sont à déconseiller dans vos messages si vous avez plus de 16 ans.

Les selfies faussement ingénus et boudeurs sont en voie de ringardisation. Pourriez-vous simplement sourire?

Présentez-vous, plutôt que de dire ce que vous cherchez (ou, pire, ce que vous ne cherchez pas).

Ne jouez pas les désespérés en prétendant chercher le prince ou la reine qui illuminera vos jours ternes. Des attentes démesurées feront fuir les plus intrépides.

Réglez vos anciennes relations (et leurs lots de colère) avant de vous lancer dans une nouvelle histoire. L’aigreur ne vous va pas au teint.

Si vous êtes bisexuel, faites deux profils, l’un hétéro, l’autre homo. Sous les profils de femmes «bis» on trouve souvent des hommes hétéros déguisés. Quant aux hommes au profil «bi», ils n’intéresseront hélas ni les hétéros ni les gays.

Soyez courtois. La galanterie paie toujours.

Ne soyez pas dans l’attente, mais dans l’ouverture.

Rencontrez rapidement la personne en chair et en os, pour éviter les cristallisations mentales. Vous ne pourriez qu’être déçu.

S’il vous invite au palace pour le premier rendez-vous, c’est qu’il a envie de vous faire croire qu’il mène grand train, mais n’a pas les moyens de ses ambitions. Inutile de se mettre la pression, au début, choisissez la simplicité.


Les sites qui ont la cote

Swissfriends.ch Le leader. Bien implanté localement chez les 35-55 ans, le site inaugure sa nouvelle formule ce mois-ci.

Adopteunmec.com Une communication ironique, qui joue sur un consumérisme assumé. L’application du moment, avec Tinder, chez les 20-30 ans.

Parship.ch Un site pour hétéros, un autre pour gays. Service pointu et onéreux. Sorte d’agence matrimoniale du web, qui fonctionne par algorithmes.

Grindr.com (Pour gays) et son équivalent Gotinder.com (pour hétéros). Applications gratuites pour trouver des partenaires, grâce à la géolocalisation. On choisit d’après photo. Les gays se servent de cette vitrine pour des «plans» minute. Les hétéros sont plus sages (en apparence).

Meetic.ch Mastodonte multinational, une institution historique bien huilée qui a fait ses preuves. Ses concurrents: Friendscout24.ch ou Zoosk.com.

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Louiza Becquelin
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Les appareils photo organisent la résistance face aux smartphones

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 05:52

Zoom. Les fabricants traditionnels de la photographie répliquent à l’hégémonie du téléphone portable, désormais l’appareil photo le plus courant. Leurs armes: des modèles haut de gamme, design, connectés, à capteur plein format, voire à fonction téléphonique. Et la vénérable photo instantanée, sur papier, n’a pas dit son dernier mot.

Quelle chute! L’an dernier, les ventes mondiales d’appareils photographiques ont baissé de près de 30%. Le roi smartphone, dont la fonction photo est l’une des plus utilisées, est-il seul responsable de cette bérézina? «Il serait idiot de nier l’impact du téléphone portable, soupirait Marc Héraud, responsable des syndicats professionnels de l’image au récent Salon de la photo de Paris. Mais ce recul historique des ventes tient aussi à ce que la population mondiale s’est bien équipée en photo numérique entre 2007 et 2011. Le marché d’aujourd’hui n’est plus que celui du renouvellement du matériel. Tout indique, surtout avec l’appoint des pays émergents, que le marché reviendra sous peu à un niveau plus acceptable.»

Marc Héraud ajoute que le grand public apprend de plus en plus à utiliser un vrai appareil photo à côté des smartphones. En particulier pour les moments importants de la vie comme les vacances, les mariages ou les naissances. Cette quête de mémoire longue est aussi une recherche de qualité d’image. La forte tendance, au Salon de la photo à Paris, était bien le stage de formation à 100 euros environ. Des cours plébiscités par des amateurs exigeants, qui cherchent à en savoir plus sur les réglages manuels de leurs appareils, la profondeur de champ ou la meilleure manière de conserver une photo.

Après avoir connu elle aussi un désintérêt, l’impression des images numériques est en hausse. Comme si l’utilisation «Snapchat» ou éphémère de la photo, ainsi que son archivage aléatoire sur une carte mémoire, en laissait plus d’un inconfortable.

Reste que les fabricants traditionnels d’appareils (Canon, Nikon, Leica, Olympus, Fuji, etc.) ou issus de l’électronique (Sony, Panasonic, Samsung) réagissent eux aussi. Avec des modèles de plus en plus connectés en 4G ou wifi, une fonction qui serait, à en croire Marc Héraud, utilisée à 78% par les possesseurs de tels appareils. Les grands capteurs 24 x 36 commencent à faire leur apparition sur des modèles hybrides à objectifs interchangeables, à l’exemple du Sony Alpha 7. Avantages? Une vraie vision photographique, qui en revient aux acquis de la technique argentique avec ses focales réelles, l’absence de distorsion aux bords de l’image avec un grand-angle, l’aisance dans les basses lumières… Chez Sony, on le promet: le capteur plein format remplacera d’ici à 5 ans tous les plus petits APS-C.

La photo argentique, elle, était remarquablement absente du Salon de la photo. Avec des exceptions élitaires comme le Leica M-A, modèle entièrement mécanique, sans écran, ni mesure de la lumière, ni batterie. Ou la surprenante résilience de la photographie instantanée, type Polaroid, qui marche si bien que Fuji s’apprête à rouvrir une usine pour cette technologie. Laquelle conserve toujours la magie de l’apparition progressive d’une image sur papier, une photo qui se touche, se montre et se conserve.

Voici quelques directions futures constatées sur place, au Salon de la photo de Paris, à la mi-novembre.


Les atouts du Luxe et du design
De Leica à Hasselblad La marque allemande Leica fête cette année ses 100 ans, mais aussi les 60 ans de la série M avec un très élitaire modèle anniversaire. Proposé dans un coffret gris du plus bel effet, limité à 600 exemplaires, vendu 15 000 euros, dessiné par Audi Design, le M60 est habillé d’acier inoxydable. Comble du snobisme, ou retour au temps où l’on découvrait ses images qu’après coup en chambre noire, le M60 se passe d’écran de contrôle. La marque suédoise Hasselblad propose pour sa part un petit compact en aluminium et bois, le Stellar. La poignée ergonomique sur l’appareil peut être choisie en bois d’olivier, en noyer ou en wengé brun foncé. Le modèle, conçu à partir de l’excellent Sony RX100, se vend paraît-il très bien dans la principauté de Monaco…

 


L’appareil photo qui téléphone
Comme un smartphone haut de gamme Devant la mainmise des smartphones, Panasonic renverse la proposition. Le Lumix CMI est un appareil photo doté, en plus, d’un téléphone Android. Ce compact ultrafin comporte un capteur de 20 mégapixels sept fois plus grand que dans les smartphones standard. Son processeur est lui aussi d’une qualité supérieure, ainsi que son objectif Leica de 28 mm qui ouvre à F2.8. Les contrôles sont accessibles par une bague manuelle sur l’objectif ou sur l’écran tactile. Les aides à la composition sont nombreuses, ainsi que les modes scène pour personnaliser les prises de vue. Le Lumix CM1 est également doté d’une fonction vidéo 4K (à 15 images par seconde) d’où il est possible d’extraire des photos au format d’impression A3.

 

 


Retour de la photo instantanée
Le charme du petit tirage sur papier La marque japonaise Fuji semble elle-même surprise du succès de sa gamme Instax. Elle ne cesse de proposer de nouvelles couleurs pétantes pour son modèle Instax Mini 8 et ses images au format carte de visite. L’appareil est bon marché, mais les cartouches de photos le sont moins à la longue… Peu importe, soixante-six ans après le lancement du premier Polaroid à développement instantané, cette photographie amusante, conviviale, toujours un rien magique ne semble pas prête à laisser sa place au tout numérique. Fuji a vendu l’an dernier 2,3 millions d’Instax et la demande ne cesse de croître. Du coup, la marque multiplie les nouveautés, comme l’Instax Neo Classic. Ou le plus raffiné Wide 300 à format panoramique, parfait pour les fêtes et le paysage.

 


Choisir sa profondeur de champ
L’invention d’une start-up californienne La petite marque américaine Lytro a commencé sa percée avec un affreux petit appareil rectangulaire, à la fonction plénoptique. Le procédé permet de choisir la mise au point sur telle ou telle zone de la photo après la prise de vue. Après ce coup d’essai, Lytro commercialise un modèle plus imposant et convaincant, l’Illum, doté d’un zoom optique 30-250 mm et d’un capteur plein format. A quoi peut bien servir cette profondeur de champ modulable, accessible uniquement sur un écran? A des photos de fêtes et de mariages, par exemple, où la personne qui reçoit l’image peut faire la mise au point sur un participant en particulier. Mais aussi à la photographie dans les enquêtes policières forensiques, où le moindre détail d’une scène de crime peut être mis en évidence. Ainsi que pour l’imagerie médicale.


L’ultra-haute définition 4k

De la vidéo à la photo Jusqu’ici, tirer des photos d’un enregistrement vidéo, même en Full HD, n’était pas une expérience convaincante. La donne change avec l’apparition de la 4K, l’ultra-haute définition. Ce format vidéo enregistre 25 fois par seconde une image de 8 millions de pixels. En extraire une image fixe devient du coup plus intéressant, surtout plus proche d’une vraie photo. Sony (le modèle hybride Alpha 7s) ou Panasonic (Lumix FZ1000, GH4, LX100) proposent de la vidéo 4K sur leurs derniers appareils photo. Panasonic offre une fonction Photo4K qui permet de choisir le format d’une image captée à l’origine en 16/9. Il est ainsi possible de formater la photo en 3:2 ou 4:3. Ces nouvelles possibilités vidéo-photo permettent aussi de créer des images hybrides, à moitié fixes et à moitié animées. Très étrange…

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La réalisatrice et les prisonnières

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 05:53

Rencontre. Britta Rindelaub a tourné un documentaire dans la prison pour femmes de la Tuilière. Entretien avec la cinéaste et Fatiha, ex-détenue, avant la diffusion du film.

Lausanne, un quartier du nord de la ville. Là, dans un modeste trois-pièces d’un immeuble défraîchi, Fatiha nous accueille avec un sourire chaleureux. Cette ex-détenue de 42 ans est l’une des quatre protagonistes du film documentaire Loin des yeux, de la réalisatrice Britta Rindelaub, 41 ans. La Genevoise a passé pas moins d’une année – à raison de quatre ou cinq jours par mois – à filmer la vie quotidienne dans la prison pour femmes de la Tuilière, à Lonay. Elles sont une trentaine à y purger une peine allant de quelques mois à vingt ans. La cinéaste raconte le déchirement que vivent celles qui sont séparées de leurs enfants, la torpeur médicamenteuse dans laquelle elles tombent, attendant un premier congé, puis un deuxième pour les revoir.

«Je voulais montrer un monde que l’on ne connaît pas en Suisse, celui des femmes en prison.» Pour y parvenir, il lui a fallu du temps pour gagner la confiance des détenues et du personnel. Réticents, quelques collaborateurs avaient de la peine à jouer le jeu jusqu’à ce que la réalisatrice leur dise qu’elle était prête à rester une année et demie pour avoir toutes les images souhaitées. «Au début, j’ai travaillé quelques jours en cuisine, au nettoyage et à l’atelier bricolages de Noël avec les détenues. J’allais également souvent à la Tuilière sans caméra. J’avais les clés du secteur des condamnées.»

Trois ans dans la rue

Fatiha et Britta s’embrassent chaleureusement. Pas de doute: des mois de tournage, ça crée des liens. Dans le salon, un sofa, une immense télévision qui diffuse un dessin animé et une fillette de 2 ans pas trop intimidée par les invités qui débarquent chez sa mère. Elle sautille et ouvre de grands yeux en voyant les cadeaux que lui a apportés «tata» Britta. «Ma fille la connaît bien, elle a souvent entendu sa voix, dans mon ventre, lorsque j’étais en prison et qu’elle tournait son film.»

Les cadeaux sont déballés, le café est servi, Fatiha commence à raconter son histoire. Elle débute par sa rencontre avec un Soleurois venu passer des vacances dans son pays, le Maroc. Elle tombe amoureuse et le rejoint en Suisse alémanique. «Les premiers mois, il était gentil, puis il est devenu violent. Il disait que dans mon pays aussi les hommes battent les femmes. Il a même essayé de m’étrangler. J’en porte encore les séquelles aujourd’hui. J’ai si mal à la nuque que j’ai reçu une rente AI à 84%. Il a fini par me jeter hors de la maison.» Evidemment, pas question de retourner au pays. «Chez nous, une femme qui se marie et qui n’a plus d’époux au bout d’une année, c’est la honte.»

Fatiha est alors enceinte. Elle accouche d’un prématuré, à six mois de grossesse. Elle trouve refuge dans un foyer pour femmes battues, y vit avec 14 francs par jour. Son fils a 7 mois lorsqu’elle en obtient la garde. Pour tenir le coup, elle reçoit des antidépresseurs. Elle prend également d’autres médicaments, «pour me détendre et oublier». Elle finit par ne plus se réveiller pour amener son enfant à la crèche. La dégringolade commence, son fils lui est retiré. Elle plonge dans la drogue. Elle se réfugie un temps chez sa sœur, qui habite près de Lausanne, puis à gauche et à droite chez des connaissances. Elle finit dans la rue. Elle y restera trois ans, de 2007 à 2010, en consommant beaucoup de médicaments et de la cocaïne.

«Parfois des gens m’hébergeaient, mais c’était toujours pour profiter de moi. Quand il fait froid et qu’il neige dehors, que l’on prend des médicaments, on se laisse faire…» Fatiha n’a pas d’argent, mais elle prend régulièrement le train en direction de la Suisse alémanique, pour rendre visite à son fils, placé dans une famille d’accueil. Son père n’en a pas obtenu la garde, car il est trop violent. Les amendes s’accumulent encore et encore. Vient s’y ajouter une condamnation pour troubles sur la voie publique. Et un jour c’est la prison. Elle est condamnée à six mois. Derrière les barreaux, elle apprend qu’elle est enceinte de trois mois. Le père? Un Tunisien qui vit dans la rue, comme elle. Ce bébé inattendu sera sa planche de salut. «J’ai décidé d’arrêter tous les médicaments. J’avais trop peur qu’ils me prennent mon second enfant. J’ai fait le sevrage toute seule. Je tremblais, je vomissais. J’ai vécu deux mois de souffrance.» S’y ajoutait la douleur de ne plus voir son fils. Comme beaucoup de détenues, elle a en effet préféré cacher l’étape prison à son garçon de 15 ans. Elle lui racontera, mais plus tard, lorsqu’il aura 16 ans.

Certaines mères incarcérées inventent toutes sortes d’histoires pour justifier leur absence. Des vacances qui se prolongent, un nouveau travail dans un pays lointain. Une protagoniste du film s’organisait même pour envoyer des cartes postales de son supposé nouveau lieu de vie, grâce à la complicité d’une amie qui lui faisait signer les missives en prison.

Fragile lien parental

La réalisatrice genevoise explique la difficulté de garder le lien parent-enfant lorsqu’on est en prison. «Il y a bien un parloir familial, mais il faut que l’enfant y soit amené par un membre de la famille et ce n’est pas toujours possible. Certaines belles-familles ou familles d’accueil ont encore trois autres enfants à charge et n’ont pas le temps.» Si la mère veut cacher sa détention, deux assistantes sociales doivent se coordonner pour amener la détenue et l’enfant à un point rencontre, hors de la prison. «C’est très difficile à organiser, car les assistantes sociales qui travaillent dans les prisons sont débordées. Et si l’enfant n’est pas en Suisse romande, cela devient une mission presque impossible.»

A sa sortie de prison, Fatiha n’a reçu aucune aide de l’Etat. «Elle avait trois mois pour prouver qu’elle pouvait s’en sortir seule», raconte Britta Rindelaub. Elle a réussi, grâce à sa sœur notamment. Son rêve? Récupérer la garde de son fils. Aujourd’hui, elle s’occupe de sa fille et ne consomme ni médicaments ni drogue. Son séjour en prison lui a permis de tourner la page. Et de gagner une amie.

Genève, à partir du me 3 décembre, cinéma Cinélux. 19 h projection du film, 20 h 30 table ronde «La relation parents-enfants en milieu carcéral». Lausanne, à partir du sa 6 décembre, 20 h Zinema (en présence de la réalisatrice). Oron, di 7 décembre, 17 h. En janvier, le film sortira dans les villes de Bienne, La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel, Vevey, Orbe, Bulle, Château-d’Œx, Delémont, Le Chenit, Le Noirmont, Martigny, Sainte-Croix, Evolène, Aubonne, Carouge, Echallens, Morges, Oron, Chexbres et Châtel-Saint-Denis.

 

 

 

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Yverdon-les-Bains se cherche un visage

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 05:54

Enquête. Avec son technopôle exemplaire, sa Haute école de gestion dynamique, ses activités culturelles florissantes, Yverdon-les-Bains aurait de quoi être fière. Hélas! Tiraillée par des luttes politiques intestines d’un autre âge, la cité du Nord vaudois dont le syndic a démissionné se noie dans d’inextricables problèmes de mobilité et de sécurité.

Au XIXe siècle, l’affaire aurait été réglée depuis belle lurette. Daniel von Siebenthal, syndic socialiste démissionnaire d’Yverdon-les-Bains, se serait battu en duel avec la députée libérale-radicale Pierrette Roulet-Grin. Les duellistes se seraient retrouvés un matin d’automne naturellement brumeux sur la place Pestalozzi, face au château, en présence de l’arbitre Isidore Raposo, directeur du quotidien La Région Nord vaudois. Dans son for intérieur, qu’il extériorise généreusement, ce dernier aurait prié tous les dieux que le sort ne basculât pas en faveur du syndic qu’il a toujours vertement critiqué.

Seulement voilà. Nous ne sommes plus au XIXe siècle. Alors l’ancienne préfète et notable Pierrette Roulet-Grin, toujours assise au premier rang lors des débats politiques yverdonnois, se contente de ferrailler verbalement avec son désormais seul véritable adversaire, le socialiste Stéphane Balet. Cet ingénieur en électronique et enseignant (47 ans) est conseiller communal depuis 2002 et membre de Pro Vélo, une association qui ne roule pas vraiment sur les mêmes pistes que le TCS Vaud présidé par l’omniprésente Pierrette Roulet-Grin. C’est lui qui espère décrocher la timbale, dès le 30 novembre prochain, pour remplacer Daniel von Siebenthal. Lequel a fini, à la surprise générale, par jeter l’éponge en cours de mandat à la tête d’une municipalité rose-verte sur le gril.

A cette élection complémentaire qui émoustille comme jamais le petit monde politique yverdonnois participe aussi Valérie Jaggi Wepf (49 ans), responsable de l’agence BCV à Chavornay et membre PLR du Conseil communal, qu’elle a présidé en 2011-2012. Le troisième candidat en lice est Pascal Gafner (31 ans), considéré comme l’une des étoiles montantes de l’UDC. Ce sportif tiré à quatre épingles est membre du Conseil communal depuis 2006 et conseiller en arts graphiques dans une imprimerie. Valérie Jaggi Wepf et Pascal Gafner incarnent une droite aussi désunie que déterminée à reconquérir un exécutif perdu en 2009.

A quelques semaines de son départ, Daniel von Siebenthal ne cache pas sa grande lassitude face à un climat politique «pas du tout serein», face à tous ces gens qui «font des procès d’intention au lieu d’attendre les résultats de toute décision politique». Entré à la municipalité en 1998, exerçant son quatrième mandat et son deuxième comme syndic, ce géographe de formation se désole de voir qu’aujourd’hui la suppression de cinq places de parc rue du Valentin, dans la perspective d’un aménagement en zone 30, «provoque une manif, drapeaux en berne».

Mobilité et sécurité

Dans cette deuxième ville du canton de Vaud et dixième de Suisse romande, dont la population a passé en cinq ans de 25 000 à près de 30 000 habitants, l’opposition politique droite-gauche, à la française (le panache en moins), s’est focalisée sur les questions de mobilité et, dans une moindre mesure, de sécurité. A se demander si Yverdon-les-Bains, la ville thermale où il faisait jadis bon vivre, n’est pas devenue Yverdon-la-bagnole, symbole de liberté individuelle intouchable pour les uns, et d’un égocentrisme engendrant bouchons et pollution pour les autres. A se demander si dealers et malfrats, certes présents mais bien plus dans les esprits que dans la réalité, n’ont pas réussi à traumatiser les Yverdonnois au point de les inciter à voter en faveur de caméras de surveillance aux alentours de la gare.

Le meurtre l’an dernier d’un adolescent attaqué en plein centre-ville n’a pas contribué à rassurer la population. Une police de proximité, dissuasive, est souhaitée par tous les partis. Il y a quelque douze ans, la perspective d’augmenter d’une dizaine le nombre de policiers municipaux (trente-cinq à l’époque) avait fait monter les socialistes aux barricades. Aujourd’hui, l’engagement de policiers supplémentaires (il y en a septante) ne tourmenterait plus personne. La présence efficace de travailleurs sociaux ainsi que les démarches communautaires engagées dans plusieurs quartiers sont saluées autant par les «on fait c’qu’on peut» des élus aux commandes que par les «y a qu’à» de ceux qui n’y sont pas.

Quant à la mobilité, elle suscite encore bien plus de tension que la sécurité. En 2012, la fermeture de la rue et du pont de Montagny au trafic individuel motorisé, décidée par la municipalité pour améliorer la sécurité des usagers, a provoqué un vent de fronde. La Cour de droit administratif et public a finalement tranché en faveur de la réouverture de cette voie de circulation. Ce fut pour l’exécutif yverdonnois un premier revers, amplifié quelques mois plus tard par l’acceptation par le peuple d’une initiative populaire en faveur d’une route de contournement de la ville au prix de 52 millions de francs. Cette initiative avait été déposée par la droite et combattue par socialistes et écologistes.

L’expérience européenne montre cependant que si les routes de contournement ou l’élargissement des voies offrent l’impression d’une amélioration du trafic routier, à plus ou moins long terme ils ne font que favoriser le nombre de véhicules en circulation avant de nouvelles et inévitables congestions.

Rêve et réalité

Alimentée par des jeux de pouvoir et de vains ferraillages, la vie politique yverdonnoise conduit à un étonnant gaspillage d’énergie. Tout le monde semble d’accord sur l’objectif d’un bien vivre ensemble, mais personne ne semble vouloir s’en donner vraiment les moyens. Quand on demande aux candidats comment ils imaginent leur ville, la PLR Valérie Jaggi Wepf voit une place d’Armes, près de la gare, en zone piétonne et mobilité douce avec une circulation enterrée tout comme le parking. De quoi ravir les écologistes. «Nous avons tous les mêmes rêves», lui réplique placidement son concurrent socialiste Stéphane Balet. Et ce dernier de soulever maintes difficultés techniques et financières à surmonter.

Combien de places à prévoir dans le parking souterrain de la place d’Armes (450 ou le double), quel angle de balayage pour les caméras de surveillance (180 ou 360 degrés)? Les candidats semblent se noyer dans les détails, où le diable se niche, sans réelle vision, sans stratégie d’ensemble. «Nous avons un échiquier politique qui se polarise mais un discours qui s’uniformise», constate fort lucidement Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs, un musée de la science-fiction et de l’utopie. De droite ou de gauche, les élus se heurtent aux mêmes difficultés et se plaignent des mêmes freins tout en s’accusant mutuellement d’inefficacité.

Evincée en 2009 par la gauche après la démission inattendue du syndic PLR Rémy Jaquier, appelé à reprendre la direction de son entreprise après le décès de son associé, la droite yverdonnoise n’a jamais digéré cet échec. Pierrette Roulet-Grin n’imaginait vraiment pas être devancée par le socialiste Jean-Claude Ruchet, alors inconnu au bataillon et devenu municipal. Plus que jamais remontée contre la majorité rose-verte de la municipalité, la députée libérale-radicale reproche à cette dernière «un nombre record de projets communaux non réalisés». Et surtout d’avoir trop tardé à réviser le plan directeur communal, en relation avec le programme AggloY. Lequel vise à concilier croissance démographique et qualité de vie en impliquant la Confédération, le canton de Vaud et huit communes de l’agglomération yverdonnoise.

La pression du temps

«La présente municipalité a continué ce qui a été initié dans les années 2000 avec toutes les contraintes légales et les procédures inhérentes à tout aménagement», constate l’ex-syndic PLR Rémy Jaquier, plutôt amène avec l’équipe en place. Concernant le logement, autre point sensible, la Ville prévoit la construction d’un immeuble abritant trente-neuf chambres pour étudiants. Certes, cela ne répond pas aux besoins de logement, estimés à environ deux cents, des inscrits à la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD). «Mais il a fallu trouver des terrains, concevoir le projet, faire des appels d’offres, cela prend du temps», insiste Rémy Jaquier, membre du conseil de fondation qui pilote cette initiative raillée par la droite, son propre parti!

Le temps. C’est ce qui fait le plus défaut dans cette ville qui grandit comme un champignon sous le brouillard. En 2025, elle comptera 35 000 habitants. Quatre gros projets immobiliers d’envergure – dont un écoquartier prometteur entre la gare et le lac – qui concerneront globalement quelque 8000 habitants sont à l’étude. Mais ils progressent comme s’il n’y avait pas le feu au lac. Révélateur: «Les services municipaux annoncent des investissements qu’ils n’arrivent pas à réaliser à cause de la longueur des procédures et du manque de personnel», déplore Daniel von Siebenthal. De 25 à 30 millions actuellement, ces investissements vont plus que doubler de 2016 à 2018. Les nouveaux venus apportent une manne fiscale supplémentaire qui ancre les comptes de la ville dans le noir. Encore faut-il, pour faire avancer les projets, qu’à l’exécutif comme au législatif (où droite et gauche sont à égalité) il y ait une réelle volonté commune de bousculer les forces d’inertie.

«Pour ce faire, les élus doivent travailler pour leur ville et non pour leur parti», lance le très libéral Pierre-André Michoud, propriétaire de l’Hôtel du Théâtre. Alors comment s’y prendre? Dans le passé, rappelle l’hôtelier, c’est au syndic socialiste Pierre Duvoisin (de 1974 à 1982) qu’Yverdon doit la relance de sa vocation de cité thermale. Et c’est sous l’ère du PLR Rémy Jaquier (de 2002 à 2009) que la HEIG-VD s’est enracinée dans la commune, tout comme Y-Parc, le plus vaste technopôle de Suisse.

Nouvelle image

Yverdon-les-Bains ne rime donc pas seulement avec bagnoles et caméras de surveillance, mais aussi avec Y-Parc, riche de 130 entreprises et 1200 emplois. Une judicieuse combinaison de start-up, de PME et d’entreprises internationales, principalement dans l’industrie de précision et la technologie de l’information. En harmonieuse entente avec Daniel von Siebenthal, qui en sa qualité de syndic préside le conseil d’Y-Parc, son directeur Sandy Wetzel a jusqu’ici pu maintenir la haute valeur technologique du site toujours en expansion. Y-Parc collabore étroitement avec la HEIG-VD conduite par Catherine Hirsch et aussi avec la Maison d’Ailleurs, devenue une référence culturelle nationale avec plus de 2000 visiteurs par mois.

Collaboration, communication, transparence seraient-ils les prochains maîtres mots à Yverdon-les-Bains? Depuis la récente nomination à la rédaction en chef de La Région du pondéré journaliste Yan Pauchard, un ancien de L’illustré, certains sympathisants de la majorité rose-verte observent avec un brin de soulagement un «changement de ton».

Une autre manière de communiquer, c’est aussi la promesse de Stéphane Balet qui visiblement tient à se démarquer du syndic en exercice, à qui il a été maintes fois reproché quelques lacunes à cet égard. «J’insiste là-dessus», martèle le candidat socialiste. «Ecoute», tel un mantra, ce mot est répété à l’envi par les prétendants au trône. Peut-être assistons-nous à une tentative de briser le stérile combat entre la gauche et la droite, héritage d’un centre industriel avec ses célèbres usines Leclanché, l’ex-HPI ou les Ateliers mécaniques CFF. Exit aujourd’hui la ville ouvrière et paysanne d’antan!

C’est peut-être par la culture, au sens large du terme, qu’Yverdon-les-Bains se réconciliera avec elle-même, ses habitants et notamment sa jeunesse. Du Théâtre Benno Besson au tout nouveau Centre d’art contemporain en passant par l’Echandole, l’Amalgame et la Maison d’Ailleurs, la cité du Nord vaudois pourrait se construire une nouvelle image, une nouvelle identité dont elle serait fière. A condition de veiller à un développement qui ne peut être que durable, elle entrerait enfin sans complexe dans le XXIe siècle.

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Le dur rapatriement des cerveaux

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 05:55

Enquête. La Chine tente à tout prix d’inverser la fuite de ses universitaires les plus qualifiés. Mais les domaines de recherche restent toujours déterminés par le Parti et les mentalités peinent à changer, analyse «The Economist».

De la porcelaine fine, des paysages chinois sur parchemin et de la calligraphie décorent le bureau de Shi Yigong, doyen de l’Ecole des sciences de la vie de l’université Tsinghua, à Pékin. Presque rien n’évoque les dix-huit ans qu’il a passés aux Etats-Unis où, à l’instar de milliers de Chinois, il était allé poursuivre de hautes études. M. Shi a même été professeur à l’Université de Princeton. Là, en terres américaines, il s’est senti trop spectateur quand son pays natal est devenu prospère. Alors, en 2008, à 40 ans, il est rentré. Il est l’un des intellectuels les plus fameux à avoir effectué son retour, emblème des efforts du gouvernement pour hisser sa réussite académique au niveau de son succès économique.

Depuis la fin des années 70, la Chine a voulu à tout prix envoyer ses étudiants à l’étranger pour améliorer leur formation, afin de réparer les dégâts causés par Mao Tsé-toung dans les institutions académiques du pays. Plus de 3 millions de Chinois ont ainsi traversé les mers pour étudier. Ils ont constitué jusqu’à un cinquième des étudiants étrangers au sein de l’OCDE. Et plus d’un quart aux Etats-Unis.

Si tous les pays exportent des étudiants, la Chine voit cependant, à la différence des autres, la plupart de ses brillants cerveaux rester à l’étranger. Selon le Ministère de l’éducation, seulement un tiers d’entre eux sont revenus. Et même moins selon d’autres statistiques. Une étude réalisée cette année par un étudiant de l’Oak Ridge Institute for Science and Education a révélé que 85% de ceux qui ont obtenu un doctorat aux Etats-Unis en 2006 y habitaient toujours en 2011.

Pour attirer ces personnes hautement qualifiées dans ses universités, le gouvernement chinois a lancé toute une série de projets depuis les années 90. Certains proposaient la combinaison d’une prime unique allant jusqu’à 1 million de yuans (158 000 francs), une promotion, un salaire assuré et une allocation logement ou même un appartement gratuit. De grandes écoles ont construit des habitations à acheter ou à louer à prix d’ami pour les universitaires convoités. Et toutes ont promis des équipements de premier ordre. Bien des campus qui, jusqu’alors, se révélaient spartiates sont devenus très chics. Les programmes visent aussi les non-Chinois. Lancé en 2011, le plan pour les experts étrangers Mille talents a attiré 200 personnes. Les dépenses en faveur des universités ont ainsi sextuplé de 2001 à 2011. Et les résultats sont saisissants: de 2005 à 2012, les publications universitaires ont augmenté de 54% et les brevets accordés ont été multipliés par huit.

La plupart des grandes écoles ont encore du chemin à faire pour s’imposer. Seuls deux établissements chinois figurent au sein du top 100 du classement mondial Times Higher Education; l’université Jiao Tong de Shanghai ne recense que 32 établissements de Chine continentale parmi les 500 meilleurs. L’absence de tout Chinois parmi les Prix Nobel de sciences tracasse également le gouvernement, quand bien même le pays compte un lauréat en littérature et un autre – peu apprécié – titulaire du prix Nobel de la paix: le dissident emprisonné Liu Xiaobo.

Des incitations perverses

Dans sa volonté de devenir un géant universitaire, la Chine bute sur différents obstacles. Déjà, parmi les cerveaux qui reviennent au pays, nombre d’entre eux le font à temps partiel. Selon David Zweig, de l’Université des sciences et de la technologie de Hong Kong, près de 75% des Chinois séduits par le programme Mille talents n’ont pas renoncé à leur poste ailleurs. De plus, ces programmes achètent souvent une réputation plus que la qualité de la recherche. Ils visent avant tout des enseignants qui ont déjà derrière eux leurs plus belles années ou des spécialistes en sciences, en technologie et en management. Le Parti n’a pas envie d’attirer des experts de sujets politiquement plus controversés.

Sur place, les universités chinoises peinent à motiver leurs cerveaux. Selon Cao Cong, de l’Université de Nottingham (GB), la prime aux études à l’étranger a créé des incitations perverses. Elle envoie aux plus brillants d’entre eux le signal qu’ils feraient bien de passer leurs années les plus productives à l’étranger: chaque année, plus de 300 000 étudiants quittent ainsi le pays.

Autre constat: en Chine, la recherche est formatée par l’Etat. Bien des bourses sont alors accordées par des bureaucrates incapables d’évaluer les projets. Résultat: les chercheurs sont récompensés pour la quantité de leurs publications, pas pour leur qualité. Ce qui crée une tendance à se défiler face à des recherches durables et ouvertes. «Parfois, les relations suffisent pour obtenir une promotion ou une bourse », pense Shi Yigong, de l’université Tsinghua, qui a recruté des scientifiques chinois venus de prestigieuses universités américaines et d’ailleurs pour travailler dans ses laboratoires. En matière scientifique, le Parti communiste a choisi six domaines à creuser, parmi lesquels les nanotechnologies, le changement climatique et les cellules souches. Laisser les politiciens décider n’est cependant pas la bonne recette pour innover.

Des signes encourageants

Jusqu’à il y a peu, les universités recrutaient leurs propres étudiants une fois leur diplôme obtenu. Nombre d’entre eux n’avaient pas de doctorat, les enseignants étaient assurés d’un emploi à vie et la promotion se faisait à l’interne. De nos jours, on perçoit des signes encourageants. Certaines universités modifient les procédures de recrutement et jugent plus aisé de trouver la perle à l’étranger. A l’Université de Pékin, par exemple, les départements recourent désormais aux méthodes d’évaluation internationales et, à voir les résultats, ils en sont récompensés. Des départements tels que celui de M. Shi ont séduit des fonds privés pour des chaires généreusement salariées. Des professeurs assistants dans certains établissements renommés sont payés de 70 000 à 80 000 dollars par an, dont 80% proviennent de donations. Mais la Chine compte plus de 2400 universités et instituts de recherche et, à ce jour, les mentalités n’ont que rarement changé.

© The Economist Magazine Limited
Traduction Gian Pozzy

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Frederic J. BROWN afp
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Nucléaire une sortie par la petite porte

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 05:56

Décodage. Trois ans après Fukushima, le Conseil national est appelé à entériner la stratégie énergétique 2050 de Doris Leuthard. La grande bataille se jouera sur la hausse de la taxe verte.

C’est l’heure de passer à l’action. Le Conseil national aborde cette semaine un débat décisif pour mettre en œuvre la stratégie énergétique 2050. Plus de trois ans se sont écoulés depuis l’accident de la centrale japonaise de Fukushima et la décision historique du Conseil fédéral de sortir du nucléaire. Une décision accouchée au forceps par une majorité de quatre femmes emmenée par la ministre de l’Energie, Doris Leuthard.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui? Rien de précis. En tout cas sur le plan du calendrier. Les Verts s’avouent très déçus et maintiendront leur initiative, qui exige que toute centrale soit fermée après quarante-cinq ans de service, soit au plus tard en 2029 pour la dernière d’entre elles, Leibstadt. Plus pragmatique, le centre gauche se satisfait de l’avancement du projet. Quant à la droite dure, elle freine des quatre fers, proposant son renvoi. L’Hebdo résume les enjeux de cet énorme dossier qui s’étalera sur plusieurs décennies.

1. Un chantier pharaonique

Dans les faits, la stratégie du Conseil fédéral va largement au-delà du dossier sur lequel tous les regards se focalisent, à savoir la sortie du nucléaire. Elle touche le secteur de l’énergie dans son ensemble. Sur le papier, le gouvernement se montre ambitieux: il veut diviser par deux la consommation globale d’énergie (250 milliards de kWh en 2013) d’ici à 2050, notamment celle des carburants. Attention: l’électricité ne constitue qu’un quart de ces besoins. Sa production est, actuellement, surtout assurée par l’hydraulique (58%) et par le nucléaire (36%).

Le Conseil fédéral a prévu de procéder en deux étapes. La première, celle sur laquelle se penche la Chambre basse du Parlement ces jours-ci, est déjà un chantier colossal: elle modifie douze lois au total, notamment celle de l’énergie. La deuxième est agendée pour 2021, une échéance à laquelle une réforme fiscale écologique est prévue.

2. Sortie du nucléaire: un tournant sans fin programmée

Pas folle, la guêpe! Lorsqu’elle annonce la sortie du nucléaire, le 25 mai 2011, Doris Leuthard prend soin de n’articuler aucune date. Mais comme elle parle d’une durée de vie de cinquante ans pour les centrales, les observateurs en déduisent que la Suisse s’affranchira de l’atome en 2034, soit un demi-siècle après la mise en service de la plus récente des centrales, celle de Leibstadt. La ministre argovienne – surnommée Atom Doris tant elle avait la réputation de soutenir cette énergie – est courageuse, mais pas téméraire. Elle sait que son changement de cap suscitera la colère des milieux économiques. C’est d’ailleurs le cas: l’association faîtière, Economiesuisse, parle à l’époque d’une décision «irresponsable».

Trois ans plus tard, la Suisse sort du nucléaire par la toute petite porte. «Ce n’est ni un tournant énergétique ambitieux et volontaire, ni une fermeture programmée de nos centrales», regrette la coprésidente des Verts, Adèle Thorens. «Cette loi traduit simplement une interdiction de construire de nouvelles centrales», ajoute Sabine von Stockar, cheffe de projet à la Fondation suisse de l’énergie. Quant à la Vert’libérale vaudoise Isabelle Chevalley, elle s’avoue également déçue, mais se console en se disant que le pire a été évité. «Quand on pense qu’en 2010 encore les électriciens réclamaient trois nouvelles centrales, il faut reconnaître que nous prenons aujourd’hui la bonne direction.»

C’est vrai. A cette époque, l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) avait déclaré conformes les demandes des grands groupes Alpiq, Axpo et BKW. Le puissant lobby de l’atome, allant jusqu’à réquisitionner l’entraîneur de l’équipe de Suisse de football, Köbi Kuhn, pour se moquer des énergies renouvelables dans un spot télévisé, avait déjà constitué un trésor de guerre estimé à plus de 20 millions pour gagner la votation à venir. Pourtant, le 11 mars 2011, le drame de Fukushima douche définitivement ses ardeurs. Les BKW, propriétaires de la centrale bernoise de Mühleberg, en ont déjà tiré les conséquences. Ils la fermeront en 2019.

Doris Leuthard a ainsi préféré ne pas arrêter de date butoir pour la fin du nucléaire: après quarante ans, les propriétaires d’une centrale devront demander une prolongation de la durée d’exploitation tous les dix ans, en présentant un concept de sécurité accrue auprès de l’IFSN. Cette mesure satisfait le centre droit, qui craignait deux effets pervers. «Arrêter une échéance aurait d’une part légitimé les exploitants de centrales à réclamer des dédommagements pour des investissements encore non amortis, remarque Jacques Bourgeois (PLR/FR). D’autre part, les propriétaires n’auraient plus été incités à investir à l’approche de la fermeture d’une centrale, ce qui aurait impliqué une sécurité en baisse par rapport à la situation actuelle.»

Roger Nordmann (PS/VD), l’un des membres les plus influents de la commission qui a empoigné le dossier (CEATE), réclamait la fin du nucléaire dans un livre en 2010. N’est-il pas désenchanté? Moins qu’on l’imagine. «Bien sûr, j’aurais préféré une fermeture des centrales après quarante-cinq ans, mais il n’y avait pas de majorité en commission pour cela», explique-t-il. Selon lui, la stratégie 2050, qui exclut tout nouveau réacteur nucléaire, prend donc la bonne direction.

En principe, le Conseil national devrait voter l’entrée en matière, pourtant contestée par une minorité formée d’UDC et de PLR, majoritairement alémaniques. «Nous n’avons pas tous les faits sur la table. Le Conseil fédéral nous demande d’entrer dans un tunnel, puis il arrivera plus tard avec la facture: sa taxe sur l’énergie. A ce moment-là, nous ne pourrons plus revenir en arrière», s’irrite Guy Parmelin (UDC/VD).

3. Rétribution au prix coûtant: la mère des batailles

C’est l’élément clé de ce chantier. La rétribution au prix coûtant (RPC) est une taxe verte qui permet de subventionner les nouvelles énergies renouvelables, le solaire et l’éolien notamment. Fixée à 1 centime par kWh pour 2015, elle rapportera 600 millions de francs. Le gouvernement ne veut pas s’arrêter là: il propose d’élever son plafond à 2,3 centimes par kWh.

Le potentiel des énergies vertes est loin d’être négligeable. Quelque 35 000 projets figurent sur la liste d’attente de la RPC, qui pourraient fournir en courant 10% des besoins actuels en Suisse.
Les milieux économiques et grands fournisseurs en électricité, relayés au Parlement par le PLR et l’UDC, s’y opposent farouchement. Pour eux, l’Allemagne représente l’exemple à ne pas suivre. Le grand voisin du nord a certes réussi à faire décoller ses propres énergies renouvelables en les subventionnant massivement, mais au prix d’une faillite de sa politique climatique et en déstabilisant le marché de l’électricité en Suisse. L’association Economiesuisse chiffre les surcoûts de la facture: 20 milliards sur les vingt prochaines années. «Nous risquons une perte de la compétitivité de notre économie», avertit Guy Parmelin. «Les gros consommateurs d’électricité étant exemptés de cette taxe, c’est la classe moyenne qui va trinquer à la fin», s’offusque lui aussi Jacques Bourgeois.

«C’est une guerre économique que mènent les électriciens conservateurs pour pouvoir continuer à vendre le plus longtemps possible leur courant nucléaire, réplique pour sa part Roger Nordmann. Mais si la RPC est renforcée et modernisée, beaucoup d’entreprises et de particuliers investiront dans le renouvelable.»

Dans un combat qui s’annonce serré, le PDC jouera un rôle d’arbitre. Il devrait, en principe, assurer la victoire de Doris Leuthard. «Ce plafond fixé à 2,3 centimes est acceptable, surtout dans le contexte actuel d’un prix de l’électricité qui reste très bas», relève le PDC valaisan Yannick Buttet. Reste à savoir si son parti sera uni derrière sa ministre. «Je le pense. Il y aura très peu de dissidents», ajoute-t-il.

4. Des économies d’énergie sans but ambitieux

C’est l’une des grandes désillusions des partisans d’une stratégie énergétique plus audacieuse. Alors que le Conseil fédéral voulait inscrire dans la loi des objectifs clairs en matière d’efficacité énergétique, la CEATE ne les a repris qu’à titre de «valeurs indicatives» n’ayant plus rien de contraignant: 16% de réduction de la consommation finale d’énergie en 2020, puis 43% à l’horizon 2035. Pour ce qui est de l’électricité, le Conseil fédéral souhaite abaisser les besoins de 3% par an d’ici à 2020, puis de 13% d’ici à 2035.

«Ces valeurs indicatives restent bien en dessous du potentiel technique d’efficacité», se désole Adèle Thorens. Selon les écologistes, 40% de la consommation de courant est perdue. La coprésidente des Verts regrette aussi l’absence d’instrument pour obliger les fournisseurs d’énergie à appuyer la vision de Doris Leuthard. Le système de «certificats blancs» pénalisant les distributeurs n’atteignant pas les buts fixés n’a pas été retenu en commission.

La stratégie énergétique 2050 a été conçue comme un contre-projet à l’initiative des Verts. «Si les décisions prises en commission se confirment, nous la maintiendrons», annonce Adèle Thorens, coprésidente des Verts. Pour Doris Leuthard, le plus grand danger viendra cependant d’un référendum de la droite, quasiment inévitable en cas de hausse de la taxe verte.


« Ce n’est ni un tournant énergétique ambitieux et volontaire ni une stratégie programmée de sortie du nucléaire. »
Adèle Thorens Coprésidente des Verts suisses et conseillère nationale (VD)

« En 2010, les électriciens réclamaient encore trois nouvelles centrales. Il faut reconnaître que nous prenons aujourd’hui la bonne direction. »
Isabelle Chevalley Conseillère nationale (Vert’libéraux/VD)

« Les électriciens conservateurs mènent une guerre économique pour pouvoir continuer à vendre leur courant nucléaire. »
Roger Nordmann Conseiller national (PS/VD)

« Au PDC, nous serons unis derrière Doris Leuthard. Il y aura très peu de dissidents. »
Yannick Buttet Conseiller national (PDC/VS)

« Fixer une échéance pour la sortie du nucléaire aurait incité les exploitants de centrales à négliger la sécurité peu avant l’arrêt des réacteurs. »
Jacques Bourgeois Conseiller national (PLR/FR)

« Le Conseil fédéral nous demande d’entrer dans un tunnel, pour nous présenter plus tard la facture: une taxe sur l’énergie. Là, nous ne pourrons plus revenir en arrière. »
Guy Parmelin Conseiller national (UDC/VD)


Une bombe en plein débat

Analyse. Le Contrôle fédéral des finances donne raison à ceux qui s’inquiètent de la sous-dotation des fonds pour démanteler les centrales nucléaires.

C’est une véritable bombe que lâche le Contrôle des finances (CDF) cette semaine. Alors que le Conseil national aborde son débat marathon sur la stratégie énergétique 2050, l’administration fédérale relève dans un rapport d’inquiétantes lacunes dans la gestion des fonds en lien avec la désaffectation des centrales. Un risque majeur est souligné: la Confédération risque de passer à la caisse pour des montants se chiffrant probablement en milliards de francs.

C’est une grosse bataille qui se déroule à l’abri des regards du grand public. D’une part, l’ère du nucléaire touche à sa fin, même si le Conseil national ne fixera aucune date butoir. On estime que la phase post-exploitation des réacteurs pourrait atteindre plus de 20 milliards de francs, y compris le centre intermédiaire d’entreposage des déchets radioactifs (Zwilag). A lui seul, le démantèlement de Mühleberg, qui doit débuter en 2019, coûtera 2,6 milliards. D’autre part, les exploitants, qui assurent être en mesure de couvrir la totalité de ces coûts, usent de toute leur influence en coulisses pour qu’ils soient évalués au plus bas niveau possible.

La Confédération a mis en place deux fonds pour piloter l’après-atome: l’un de désaffectation (doté aujourd’hui de 1,7 milliard) et l’autre de gestion des déchets radioactifs (3,6 milliards). Ce qui préoccupe le CDF n’est pas le niveau actuel de ceux-ci, jugé correct, mais bien leur évolution à l’avenir.

Si les exploitants de centrales estiment que 8,4 milliards suffiront à l’entreposage des déchets au cours de la seconde moitié du siècle, ce montant est jugé beaucoup trop optimiste par les vigiles des finances fédérales.

Surcoûts pas pris en compte

Jusqu’à présent, ceux qui avaient thématisé ce problème passaient pour d’indécrottables antinucléaires. Mais, implicitement, le CDF leur donne raison. Dès lors, il propose aux exploitants des centrales l’alternative suivante: soit ils accélèrent la croissance de ce deuxième fonds, soit ils demandent à leur actionnariat une garantie juridique afin de pouvoir continuer à l’alimenter après la fermeture des centrales, au plus tard en 2050.

A l’évidence, les propriétaires des réacteurs n’auront pas les moyens d’accepter la première solution, tandis qu’ils rejetteront la seconde: ils sont déjà pris à la gorge par une baisse constante du prix de l’électricité. Il leur sera très difficile, pour ne pas dire impossible, de tenir leur promesse de respecter le principe du pollueur-payeur. Cela d’autant plus que dans ses calculs, le lobby de l’atome n’a pris en compte qu’un scénario idéal, évacuant tous les aléas pouvant survenir dans la gestion des déchets. Les surcoûts dus à de nouvelles technologies? Les prix qui pourraient grimper en raison de la concurrence du démantèlement d’une vingtaine de centrales en Allemagne? D’éventuels retards dus à des oppositions venues du camp des écologistes, comme c’est le cas actuellement outre-Rhin?

Incroyable, et pourtant: dans une étude qu’elle a mandatée en 2011, la Confédération a complètement sous-estimé ces facteurs potentiels de surcoûts. En réalité, c’est plutôt un montant de 10, voire de 12 milliards, qu’il faudra accumuler au sein de ce fonds d’ici à 2050-2100.

A la confédération de payer

Dans son rapport, le CDF critique aussi la gouvernance des deux fonds, coiffés par une commission dans laquelle figurent beaucoup trop de personnes aux doubles casquettes incompatibles. Il suggère donc qu’à l’avenir cette commission ne soit plus formée que d’experts indépendants, surtout du lobby nucléaire, lequel juge déjà ce rapport «trop alarmiste».

La fin de l’histoire est déjà connue: c’est la Confédération qui devra passer à la caisse pour pallier la future sous-dotation de ces fonds. En aparté, les politiciens en conviennent déjà, même si aucun d’entre eux n’ose le dire franchement. Avouer que le nucléaire ne sera bientôt plus rentable si on en calcule les coûts réels reste un tabou.

L’hydraulique aussi gagnante

D’abord écartés au profit de nouvelles énergies renouvelables, les futurs projets hydrauliques seront finalement soutenus par la Confédération. Si les grands électriciens adhèrent à la stratégie énergétique 2050 du bout des lèvres, c’est parce que Doris Leuthard a consenti à intégrer un appui à la grande hydraulique au vu de la chute des prix de gros en Europe. Selon une étude, les projets des producteurs seraient quasiment tous non rentables dans les conditions actuelles. Pas question donc de laisser tomber l’énergie propre des barrages, elle qui fournit 56% du courant du pays, mais dont le prix de revient d’environ 13 centimes par kWh ne peut concurrencer les 5 centimes offerts sur les marchés européens. Cette aide, plafonnée entre 40 et 60% de l’investissement d’un nouveau projet en fonction de son importance, sera financée dans le cadre de la hausse de la taxe verte (RPC), à raison de 60 millions par an. Ainsi, l’énergie hydraulique fera aussi partie des gagnants du tournant énergétique, ce que salue la nouvelle CEO des BKW, Suzanne Thoma, dans la presse alémanique. «Après Fukushima, le Conseil fédéral a fait du bon travail», estime-t-elle.

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Nos enfants ne bougent plus assez!

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 05:57

Enquête. Multiplication des écrans, surprotection des enfants, normes de sécurité accrues: les facteurs qui rendent les plus jeunes trop sédentaires se multiplient. Une dérive qui a des répercussions sur leurs facultés motrices et cognitives.

Imaginez deux jeunes garçons de 5 ans jouant dans un parc. Tous deux ont la même corpulence fine et presque la même taille. Au cours de leurs activités, ils s’essaient à marcher en équilibre le long d’un gros tronc d’arbre posé au sol. Alors que l’un réussit l’exercice aisément, l’autre peine à mettre un pied devant l’autre, manquant régulièrement de tomber. Imaginez encore ces deux mêmes enfants s’amusant avec un ballon. L’un jongle facilement avec la balle, tandis que son camarade parvient tout juste à l’attraper au vol.

A ce stade du récit, vous vous demandez peut-être ce que démontrent ces deux situations. Bien entendu, les facultés des enfants sont diverses et l’acquisition de certaines compétences est plus ou moins précoce et propre au développement de chacun. Sauf que ces petites scènes à l’apparence banale révèlent en réalité un problème sérieux de santé publique: les enfants suisses ne bougent plus assez et cela a des répercussions importantes sur leurs facultés motrices et cognitives.Comme cet enfant incapable de réaliser certains mouvements simples dans notre scénario et dont le déficit précoce de mobilité sera difficilement rattrapable par la suite.

L’activité physique variée a ainsi progressivement fait place à des comportements beaucoup plus sédentaires, y compris chez les enfants de 0 à 6 ans. Selon des travaux publiés dans The Lancet, ces derniers passent entre 76 et 84% de leur temps d’éveil dans des occupations passives. De même, d’après une étude réalisée avec des enfants préscolaires de la région lausannoise, le temps passé chaque jour devant un écran serait supérieur à une heure.

Télévision, tablette et smartphone constituent désormais une part importante de l’activité des plus petits. Ajoutons à cela de longues périodes passées dans un lieu sans liberté de mouvement – comme les sièges auto ou les «baby-relax» –, l’utilisation régulière de poussettes malgré l’acquisition de la marche ou encore les nombreux déplacements en voiture, et le tableau devient pour le moins alarmant. Car les conséquences de ces profondes mutations apparues au cours des dernières décennies ne sont pas anodines. En trente ans, la condition physique des enfants a baissé de 10 à 15%, essentiellement en ce qui concerne les capacités nécessaires dans les activités d’intensité modérée ou d’endurance.

Autre effet concret de ce phénomène: la moitié des enfants de 6 ans ont aujourd’hui des difficultés liées à l’équilibre, et ne parviennent plus à accomplir certains mouvements aussi simples que des roulades avant. Nombreux sont aussi ceux qui peinent à s’orienter dans l’espace de par le fait que les écrans limitent le développement de la coordination visio-spatiale dans la troisième dimension. Du coup, certains enfants manifestent de la difficulté à empiler des cubes les uns sur les autres alors qu’ils recomposent facilement un puzzle sur tablette.

«De plus en plus d’enfants arrivent à l’école avec des problèmes de coordination ou des troubles de la concentration, observe Anouk Longchamp, psycho­motricienne et coordinatrice du programme Youp’là bouge, qui vise à promouvoir l’activité physique dans les crèches. D’autres présentent également des baisses de l’habilité en ce qui concerne la motricité fine. Ce qui engendre des complications d’écriture, par exemple. Ces phénomènes peuvent avoir un lien avec un manque d’expérimentation au niveau de la motricité globale dans la petite enfance.»

Retards difficiles à rattraper

Autre aspect problématique: l’augmentation des traumatismes de l’appareil musculosquelettique en lien avec la sédentarité. Ainsi, le vélo est aujourd’hui la cause la plus fréquente d’accidents chez les enfants de 10 à 14 ans, ces derniers ne sachant plus rouler lentement et coordonner leurs mouvements dans la circulation. «Nous vivons dans un monde qui ne bouge plus. Face à cela, il y a des vérités scientifiques qui ressortent clairement et qui vont aller en s’amplifiant si on ne fait pas quelque chose, s’inquiète Mario Gehri, médecin-chef à l’Hôpital de l’enfance à Lausanne. Nous avons notamment noté une hausse massive, chez les patients entre 10 et 15 ans, des pathologies orthopédiques telles que des troubles de l’axe. Autant d’affections que l’on ne voyait pas avant et qui peuvent clairement être corrélées avec un manque d’agilité.»

Un constat d’autant plus frustrant qu’il a été scientifiquement prouvé que, en deux mois seulement, quinze minutes d’activité physique par jour permettent d’améliorer l’équilibre des enfants de 40% et de diviser les taux d’accidents par deux. «Moins on s’exerce, moins on se sent habile et moins on a de plaisir à entrer en mouvement, remarque Lise Miauton Espejo, cheffe de clinique à l’Hôpital de l’enfance et coauteure, avec Mario Gehri, d’une étude récente portant sur l’importance de l’activité physique dans la petite enfance. Les enfants se mettent alors en position de retrait et évitent les activités où ils ne se sentent pas à l’aise. Cela a des conséquences, puisque plus un enfant bouge, mieux il connaît les limites de son corps et moins il a de risques de se blesser.»
Ces différences en termes d’habilités motrices peuvent être importantes, même chez les plus jeunes. Il faut savoir que le cerveau se développe très rapidement. Ainsi, dès 6 ans, le potentiel est déjà quasiment le même que chez l’adulte. Il est donc déterminant de cumuler les expériences avant cet âge, sans quoi l’acquisition de nouveaux mouvements prend malheureusement beaucoup plus de temps. «L’être humain a été programmé pour acquérir des compétences à des âges bien déterminés. Rattraper cela plus tardivement s’avère très compliqué», confirme Mario Gehri.

Diverses études, publiées notamment dans la revue américaine Pediatrics, ont encore démontré que les enfants bougeant suffisamment et de manière variée font une utilisation beaucoup plus intensive de leurs connexions neuronales. Les informations circulent plus rapidement et de manière ciblée, les capacités attentionnelles s’améliorent. Les mouvements sont eux aussi plus précis. A contrario, l’inactivité a pour effet d’appauvrir les liaisons cérébrales, induisant un ralentissement du flux des informations. Outre les facultés cognitives, plusieurs travaux tendent également à établir qu’il existe une relation positive entre l’augmentation de l’activité physique et la santé cardiométabolique, l’adiposité ou encore la santé osseuse.

Surprotection

Comment en sommes-nous arrivés à une telle forme de sédentarité chez nos plus petits? Comment nos sociétés en sont-elles venues à promouvoir des transats pour bébé avec porte-iPad intégré (numéro un des ventes aux Etats-Unis à Noël 2013) ou encore des poussettes avec siège ajouté à l’arrière pour un deuxième jeune passager en âge de marcher? La réponse est avant tout culturelle et principalement liée à un phénomène de surprotection vis-à-vis des enfants, tant de la part des parents que des éducateurs en crèche ou des enseignants à l’école. «Il est évident que les enfants se construisent par le mouvement et par le fait d’essayer des choses de manière autonome, mais malheureusement nous les réfrénons trop, explique Anouk Longchamp. Avant, on laissait davantage les enfants se débrouiller. Aujourd’hui, il y a une crainte de l’extérieur, les petits sont beaucoup plus sous cloche.»

Bien souvent, les adultes projettent leurs propres craintes sur les risques que peuvent encourir leurs enfants, freinant par là même leur besoin naturel de bouger. Ils ont parfois aussi tendance à sous-estimer les capacités des petits, empêchant ainsi une forme de responsabilisation. Des constatations empiriques ont toutefois relevé que, si on laisse un petit se débrouiller par lui-même, il y a peu de risques qu’il se mette réellement en danger. Car, dans le cadre d’un environnement sûr et adapté, la plupart des enfants sont capables d’auto-estimer leurs limites.

Les contraintes en termes de sécurité imposées aujourd’hui dans les écoles ou encore la peur de représailles juridiques en cas de blessures compliquent également la tâche des enseignants, et ont un impact important lorsqu’il s’agit de prévoir des sorties ou des activités physiques.

Différences culturelles et régionales

«Beaucoup d’entraves sont également liées au contexte des parents, nuance Fabio Peduzzi, coordinateur du programme PAPRICA petite enfance, projet visant à former les professionnels de la petite enfance au conseil en matière d’activité physique (lire encadré). Il ne faut pas rendre les parents responsables des contraintes qui sont liées à leur environnement, comme la nécessité de se déplacer en voiture, de travailler plus pour répondre aux pressions financières ou encore la force des campagnes marketing qui incitent les enfants à vouloir des smartphones ou des tablettes.»

Dans le cadre de groupes de discussion composés d’une trentaine de familles d’origines variées, Fabio Peduzzi a également pu tirer un lien entre la situation de la famille et la propension à l’activité physique. «Les familles migrantes ou aux ressources financières peu élevées sortent moins, car elles ont parfois peur d’être confrontées à la richesse des autres dans la rue, analyse-t-il. Le manque de place dans les habitations est aussi un facteur important de sédentarité. Quant aux familles de classe moyenne ou aisée, nous avons parfois constaté des difficultés à organiser des activités sportives dans un emploi du temps par ailleurs surchargé.»

Si les filles ont statistiquement aussi tendance à moins bouger spontanément, des différences régionales sont également à constater. Il apparaît que les enfants préscolaires en Suisse romande sont moins actifs et adoptent davantage de comportements sédentaires que leurs congénères en Suisse alémanique. Une étude a ainsi démontré que les enfants d’une vingtaine d’écoles enfantines de la région lausannoise passent en moyenne septante-quatre minutes par jour à jouer à l’extérieur, soit trente-cinq minutes de moins que les petits Suisses alémaniques.

«Il semble qu’il y a un rapport plus évident à la nature chez les Alémaniques, les structures mises en place pour les enfants sont beaucoup plus osées et il y a moins de craintes quant au risque de blessures, appuie Anouk Longchamp. La preuve avec l’expérience identique menée dans des cours d’école des deux parties du pays et dans lesquelles un tronc d’arbre a été déposé afin que les enfants puissent exercer leur équilibre. Résultat: en Suisse romande, il n’a fallu que deux semaines avant qu’il ne soit enlevé, par peur que les enfants ne tombent ou se blessent avec des échardes.»


Des brochures à l’intention des familles

Initialement créé afin de former les médecins de premier recours au conseil en matière d’activité physique auprès des adultes, le projet PAPRICA a été adapté en 2011 à la pédiatrie. Si les problématiques de l’alimentation ou des risques d’obésité étaient régulièrement évoquées par les pédiatres durant les consultations, ces derniers avaient tendance à occulter, faute d’informations et de sensibilisation à ce sujet, la question de l’activité physique ou de la sédentarité d’un enfant.

Lors de la mise en place de ce programme, des groupes de parole incluant les familles ont permis d’identifier le manque d’un outil spécifiquement adapté au développement des 0-6 ans. Raison pour laquelle cinq dépliants ont été spécialement créés, notamment en collaboration avec l’Hôpital de l’enfance à Lausanne, le CHUV et le programme Ça marche!, afin de proposer des activités pour mettre l’enfant et sa famille en mouvement.

Extrêmement didactiques, peu culpabilisants, ces fascicules suivent le développement psychomoteur de l’enfant entre 0 et 9 mois, 9 et 18 mois, 18 mois et 2 ans et demi, 2 ans et demi et 4 ans, 4 et 6 ans. Ils s’attachent également à proposer des activités à faire avec peu de temps, lorsqu’il pleut, lorsqu’on est trop fatigué pour bouger ou encore lorsqu’il y a peu d’espace à disposition ou que l’on a peur de déranger ses voisins. Autant d’exercices adaptables aux contraintes du quotidien et facilement réalisables avec les enfants sans nécessiter une infrastructure élaborée.
Ils rappellent aussi que les nourrissons devraient être actifs plusieurs fois par jour (passer du temps sur le ventre, le dos, ramper, jouer au sol) et que les tout-petits devraient être actifs une heure, voire trois heures par jour (jouer dehors, ramper, marcher…). Renseignements sur www.paprica.ch.

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«La France a le droit de rejeter les étrangers dont elle ne veut pas»

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 05:58

Interview. Eric Zemmour se fait le porte-voix du peuple contre les élites.

Propos recueillis par Antoine Menusier

Qu’est-ce qu’évoque la Suisse pour vous?

Personnellement ou politiquement?

Personnellement, d’abord.

Les vacances, enfant. L’hiver à la montagne et le chocolat blanc que je rapportais à ma mère, car à l’époque on ne trouvait pas de chocolat blanc en France.

Et politiquement?

Les référendums sur les minarets, la libre circulation des personnes et le plafonnement des hauts salaires. Cette forme de démocratie qu’est le référendum est la seule façon de redonner le pouvoir au peuple, complètement confisqué par la mondialisation et par les élites, en particulier en France.

Etes-vous conscient que, dans le système helvétique, chacun peut se saisir du droit d’initiative, même vos pires adversaires?

Bah évidemment, quand même!

Considérez-vous que les espaces francophones comme la Suisse romande ont en eux une part de France?

Oui, bien sûr. Pour moi, c’est la France.

Etes-vous un annexionniste?

Non. Mais dans le cadre d’une grande France qui, comme au temps de Bonaparte, aurait la Rhénanie, l’Italie du Nord et la Wallonie, je prends la Suisse francophone, je lui ouvre les bras (il rit de sa boutade).

A propos d’initiatives, que voteriez-vous le 30 novembre à celle d’Ecopop si vous en aviez la possibilité?

Je voterais «oui».

Pour quelles raisons?

Je pense que la démographie est à la base de la politique. La démographie fait le destin, c’est elle qui provoque les guerres, les affrontements. C’est la démographie puissante de la France qui a forgé la Révolution française et les guerres de l’Empire. C’est la démographie puissante de l’Allemagne qui va la pousser vers les trois guerres avec la France, et deux d’entre elles avec le reste du monde. C’est la démographie puissante de l’Angleterre à partir du début du XIXe siècle qui va lui permettre de coloniser la moitié de la planète.

Et aujourd’hui?

C’est la démographie puissante de l’Afrique qui est en train de constituer une contre-colonisation en Europe. Soit les Européens acceptent cette contre-colonisation démographique, très largement musulmane, soit ils essaient de la repousser.

Comment le feraient-ils?

Je n’en sais rien, je vous dis comment j’établis ce diagnostic-là. On peut ne pas être d’accord avec ce que je dis.

Si le nombre a raison, il est tout de même du côté non musulman en France…

Pour l’instant, mais la tendance est à l’inverse.

Réalisez-vous que vos propos pourraient encourager une réaction brutale, un jour, contre les musulmans?

Pour l’instant, que je sache et alors que je parle depuis quelques années, c’est plutôt l’inverse qui se passe en France. Il y a des agressions de jeunes gens venus des banlieues contre des personnes vivant dans les centres-villes blancs à la fin des manifestations. Il y a des attentats, des crimes, comme ceux perpétrés par Mehdi Nemmouche et Mohamed Merah, lesquels ne m’ont pas lu et pas spécialement écouté. Il y a eu cet été des cris de «mort aux juifs», je n’en suis pas particulièrement responsable. Enfin, je ne pense pas provoquer quoi que ce soit. Ce sont les gens qui me choisissent, ils reconnaissent dans ce que je dis ce qu’ils pensent.

Mais vous connaissez la «chimie» des peuples. Le «soumis», le «Blanc», silencieusement majoritaire, peut dans une montée de violence s’en prendre physiquement au «musulman».

Vous avez raison. Mais pour l’instant, c’est l’inverse. Il faut trouver une solution si l’on ne veut pas devenir au minimum le Liban dans vingt ans. Ou, pire encore, si la courbe démographique continue au point que la France devienne une république islamique, ce qui pour moi serait sa mort. Il faut envisager la possibilité d’une remigration vers les pays d’origine. L’historien Pierre Milza, dans son livre Voyage en Ritalie, raconte l’immigration italienne dont il est issu. Il donne des chiffres. Entre 1870 et 1940, trois millions et demi d’Italiens sont venus en France; 1,1 million d’entre eux y ont fait souche et les deux tiers sont repartis. Soit le gouvernement français les a renvoyés parce qu’ils étaient chômeurs, soit parce qu’ils n’étaient pas assez assimilés. A l’époque, il fallait être assimilé ou repartir. Je pense que c’était de la bonne politique. Il ne faut garder que ceux qui s’assimilent vraiment.

Avec vos lignes sur «Pétain et les juifs – les Français et étrangers», n’avez-vous pas cherché une justification assez scabreuse de la notion de préférence nationale dans votre ouvrage?

Il faut remettre cela dans le contexte. Comparativement à sa population, la France était le pays occidental recevant le plus d’étrangers. En particulier de juifs qui fuyaient l’Allemagne ou la Pologne. Il y avait des exaspérations de la population française, comme l’indiquaient des rapports de préfets dans les années 30, avant même Vichy. Pétain estimait que depuis le XIXe siècle, avec l’éclosion du capitalisme, les juifs avaient trop de pouvoir en France, ce qui est d’ailleurs en partie vrai. Il aurait pu traiter ça en nationalisant des banques, par exemple. Mais non, il a traité le phénomène de façon tout à fait inique, en faisant une politique de ségrégation des juifs, un peu à la manière des Noirs américains. C’est le fameux statut des juifs.

Que vous ne défendez pas…

Vous comprenez bien, ce n’est pas cela que je défends. Les juifs étrangers, Pétain voulait en renvoyer le plus possible. Il était prêt à les donner aux Etats-Unis, mais ceux-ci n’en voulaient pas. La distinction faite par Pétain entre juifs français et juifs étrangers n’est pas illégitime, à un moment où on peut penser que les dirigeants français ne savaient pas ce qu’était le sort des juifs déportés. Mais je peux tout à fait comprendre que mon analyse puisse heurter des sensibilités. Le fait est que la rafle du Vel’d’Hiv, et c’est ce qui m’intéresse en termes d’instrumentalisation de l’histoire, a servi de fondement à la dénonciation de toute politique migratoire sérieuse.

Si des dizaines de milliers de juifs chassés de France, du fait de cette «préférence nationale», ont été exterminés, des dizaines de milliers de musulmans peuvent bien supporter les quelques souffrances d’un retour qui, lui, ne les enverra pas à la mort. C’est un peu ce que vous dites, non?

Ce n’est pas ce que je dis.

Quand vous avez écrit ces lignes sur Pétain et les juifs, n’avez-vous pas du tout fait ce type de parallèle dans votre tête?

Non. Ce que je dis, c’est que la France a le droit de rejeter des étrangers dont elle ne veut pas, sans immédiatement se faire traiter de nazie. Voilà.

Dans une interview accordée ce mois au magazine français «Causeur», vous affirmez que Mai 68 est un bloc et doit être rejeté comme tel. N’y a-t-il vraiment rien à sauver de cette révolution sociétale?

Je citais dans cette interview la phrase de Bossuet: «Dieu rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.» Mai 68 a une cohérence. On ne peut pas vouloir les prémices sans avoir les conséquences. Le féminisme est pour moi le dernier totalitarisme du XXe siècle. Sous l’apparence d’un mouvement – légitime – de libération et d’émancipation au départ, tout cela finit par devenir un mouvement totalitaire. Avec, aujourd’hui, la volonté d’imposer l’indifférenciation sexuelle comme norme.

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Pierre-Emmanuel Rastoin
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La leçon de xénophobie d’Eric Zemmour

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 05:59

Décodage. Le polémiste et journaliste français a participé à diverses manifestations mardi 25 novembre à Genève, à cinq jours de la votation Ecopop. Pendant ce temps, son livre réquisitoire «Le suicide français» continue de très bien se vendre de part et d’autre du Jura.

C’est un «suicidé» qui se porte bien,à merveille, même: depuis sa parution, le 1er octobre, Le suicide français d’Eric Zemmour a été tiré à 400 000 exemplaires, informe le service de presse de l’auteur. Les chiffres des ventes sont toujours un peu plus compliqués à obtenir auprès des maisons d’édition, stratégie commerciale oblige. Mais la réalité est là: le pavé de 534 pages du journaliste et polémiste s’écoule comme des petits pains. Seul, dans un tout autre genre, l’ouvrage de Valérie Trierweiler Merci pour ce moment, sorti début septembre, fait mieux.

Le sujet n’est pourtant pas gai du tout. Le suicide français est le récit d’une chute, celle de la France au cours de ces quarante dernières années. On pensait les Français repus de visions délétères et autres prédictions catastrophistes les concernant. Il n’en est rien, du moins pas dans le cas présent. C’est que le déclin version Zemmour est aussi une promesse de rebond. Il donne en creux des raisons d’espérer en un avenir meilleur et peut redonner à ceux qui en éprouvent le besoin la fierté d’être Français. Comme le livre porte sur les quarante dernières années et s’emploie à en déceler les errements selon la grille d’analyse de l’auteur, il n’est pas à proprement parler une machine à rêves et ce n’est pas dans cette période qu’on trouvera les grands hommes qui font le panthéon de Zemmour. Seul Pompidou, qui succède au général de Gaulle, trouve grâce à ses yeux. Mais justement, c’est à la mort de ce président qui avait le bon goût d’aimer les classiques que s’ouvre la parenthèse du déclin français. Parenthèse non refermée, on l’a bien compris.

Les raisons d’«être fier» apparaissent comme des antiphrases, en ce que le livre «révèle» et énumère les supercheries et billevesées dont les Français auraient été les victimes plus ou moins consentantes. «Qu’avons-nous fait de ce que nous étions?» pose l’auteur, comme dans une inversion de l’impératif sartrien – «deviens pour toi ce que tu es en soi». Chez Zemmour, l’individu n’a pas d’essence propre, l’essence est un temple et ce temple est la France, celle de Louis XIV, Napoléon et de Gaulle, le dream team mythologique de coach Zemmour. Celui-ci est Jean Paul II en 1980 au Bourget, s’adressant en ces termes aux fidèles français: «France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême?» Il suffit de remplacer le mot baptême – et encore, Clovis sied à Zemmour comme à chacun au demeurant – par celui de grandeur.

Le péché Mai 68

Pour le polémiste, la France a une «âme», sacrifiée sur l’autel du «droit-de-l’hommisme» et du «sans-frontiérisme». Mais l’âme est immortelle et ne demande qu’à irradier de nouveau. Elle brûle comme d’un feu vital dans le corps de Zemmour, qui «sait» ce qu’il doit à la France: ses parents, des juifs qui étaient nés et avaient vécu dans la pauvreté en Algérie, un pays qu’ils ont quitté à l’indépendance pour la France métropolitaine, vouaient à leur nouvelle terre d’accueil et à sa culture un amour inconditionnel, rappelle-t-il souvent. Ils le lui ont visiblement transmis.

Si le Français est devenu l’être mou que fustige l’auteur, c’est à cause de Mai  68, ce péché originel qui va entraîner la France dans la chute, juge-t-il. L’être mou est celui qui n’écoute que ses désirs, qui ne se sent redevable de rien ni de personne. Il est le dieu de lui-même. Cette critique de 68 n’est pas nouvelle: Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner l’ont faite en connaisseurs. Zemmour la reprend à son compte. A partir de cette année venimeuse, toutes les frontières tombent, les hiérarchies volent en éclats, les tabous sont explorés tels la caverne d’Ali Baba. L’homme ne domine plus ses pulsions, il les assouvit. C’est ici qu’entre en jeu un contre-modèle, prêt, selon le polémiste, à ne faire qu’une bouchée de la France affaiblie: l’islam. Lequel a conservé le sens des hiérarchies et sait faire la différence entre l’homme, l’être viril, et la femme, qui donne la vie. Là où Alain Soral, un antisémite, prêche l’alliance du christianisme et de l’islam pour détrôner le judaïsme dominateur, Eric Zemmour prône le sursaut français. L’islam est, pour le journaliste, un contre-projet politique, lui qui est islamophobe au sens politique du terme.

En résonance avec le FN

Tout l’art du propos, contrairement à d’autres ouvrages qui mettent le «petit peuple» en accusation, est d’exonérer le lecteur de quelque responsabilité que ce soit dans le déclin de la France. Cette responsabilité est entièrement imputée aux élites politiques, économiques et culturelles. Travail, capital, immigration, regroupement familial, islam, identité sexuelle, société multiculturelle, elles ont faux en tout, tranche l’auteur, réac assumé. Le livre entre en résonance avec les thèses protectionnistes qui ont en ce moment le vent en poupe, qu’elles émanent du Front national ou d’un Jean-Luc Mélenchon. Il est une charge contre l’Europe «ouverte» et la libre circulation des personnes qui, pense Zemmour, dissolvent la France et par là même l’empêchent de se régénérer en nation.

La nation étant le lieu de l’identité et du partage d’un même peuple, la synthèse, en l’espèce, de l’Ancien Régime de la Révolution de 1789. L’auteur n’accable pas seulement les élites, il pourfend aussi, encore et toujours, l’islam.

Le succès du Suicide français tient essentiellement au personnage Eric Zemmour. Attaqué, insulté, voué aux gémonies par ses détracteurs, ce petit être élastique se remet toujours droit. Il est pour ainsi dire d’humeur égale, comme si tout ce qu’il «subissait» était bien peu de chose au regard de l’histoire qui, il en est convaincu, lui donne déjà raison. Il est intellectuellement vif, cultivé sans paraître cuistre, il apprécie les joutes oratoires bien qu’il cherche en permanence à avoir raison, mais il a de l’humour et rit volontiers. Il serait «méchant», atrabilaire, qui l’aimerait en dehors d’un petit cercle, qui achèterait son livre hormis quelques fidèles? C’est un comble, il paraît bon. Qui sait, il l’est peut-être.

C’est bien le problème. Car ce bon-là est tout sauf un tendre. Porté par une pensée froide et mécanique, il est dépourvu de surmoi. Il s’assoit sur le politiquement correct et prétend dire la vérité qu’on voudrait ne pas voir. Ce faisant, il a fortement tendance à essentialiser les phénomènes sociaux. Son affirmation, dans une émission de télévision, selon laquelle «la plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes, c’est comme ça, c’est un fait», lui vaudra une condamnation en justice pour provocation à la haine raciale, la diffamation n’étant toutefois pas retenue. Il refuse de dire pour qui il vote mais ne s’étrangle pas lorsqu’on soupçonne que ce soit pour le Front national.

Un «juif antisémite»

Le suicide français est du petit-lait pour Marine Le Pen, qui juge Eric Zemmour «bon auteur». Il se paie le luxe d’être «le juif antisémite», et pas sur peu: Pétain et le gouvernement de Vichy. Il tente de faire sauter ce qui est peut-être le dernier verrou dans l’«inconscient» français: la livraison des juifs à l’Allemagne nazie. Il s’en explique dans l’interview qu’il a accordée à L’Hebdo (lire en page ci-contre). Sa démonstration n’a toutefois qu’un but: dédiaboliser la notion de «préférence nationale».

Il n’aura échappé à personne, en Suisse romande, que la participation prévue d’Eric Zemmour à un dîner-débat ainsi qu’à l’émission de la RTS Infrarouge, mardi 25 novembre à Genève, intervenait à cinq jours de la votation sur l’initiative Ecopop, très restrictive en matière d’immigration. Zemmour, dont le livre a dès sa sortie figuré dans le top 5 des ventes romandes, aujourd’hui situé dans le top 20, selon la chaîne de librairies Payot, approuve ce projet de modification constitutionnelle sans l’avoir lu, mais il lui semble aller dans la bonne direction.

Car tout procède de la démographie, affirme l’essayiste. Et les peuples, face au défi du multiculuralisme, ont alors raison de vouloir préserver leur mode de vie. Or, trop d’étrangers, ceux-ci refusant désormais «l’assimilation», nuisent à cet objectif, dit-il. C’est un hommage qu’adresse Zemmour le bonapartiste au système démocratique suisse, le droit référendaire étant selon lui seul capable de faire entendre raison aux «élites». Ceux qui ne se reconnaissent pas dans la pensée zemmourienne verront là l’hommage du vice à la vertu. Ceux qui lui accordent du crédit apprécieront le compliment.


Eric Zemmour

Naît en 1958 à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Journaliste au Figaro.Chroniqueur, avec Eric Naulleau, dans l’émission On n’est pas couché entre 2006 et 2011. Chroniqueur au Figaro Magazine et à RTL. Coanimateur, avec Eric Naulleau, de l’emission Zemmour et Naulleau sur Paris Première. Auteur de romans, dont Petit frère et Le suicide français.


Lire son interview

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Pierre-Emmanuel Rastoin
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Blanchiment d’argent: sale temps pour les avocats d'affaires

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 06:00

Enquête. La fin du secret bancaire éclabousse des hommes de loi. La surveillance de leurs pratiques n’est pas adaptée.

Après avoir submergé le quartier des banques, le tsunami de la transparence fiscale remonte lentement vers les contreforts de la Cité de Calvin. Les remous nauséabonds soulevés par la vague menacent une profession longtemps considérée comme intouchable: celle des avocats d’affaires genevois.

«Je montais dans le bureau, je posais le sac dans un coin et on parlait d’autre chose.» Le dernier épisode en date, révélé la semaine dernière par le quotidien français Libération sur la base du témoignage d’un ancien homme de confiance de Serge Dassault, raconte comment l’héritier de l’avionneur français a pu transférer 56 millions d’euros en liquide, pendant près de vingt ans, de Vaduz à Paris, via Genève. Une partie de la somme aurait servi à acheter des voix dans la circonscription de Corbeil-Essonnes.

Pégase et Balzane

Ces transferts n’auraient pas été possibles sans le concours du célèbre avocat genevois Luc Argand, ancien bâtonnier, ex-président du Salon de l’automobile, partenaire de l’étude dePfyffer et actuel président de la Commission de surveillance des notaires. D’après les procès-verbaux de la justice française cités par le quotidien, c’est lui qui tenait les cordons des deux fondations du Liechtenstein qui alimentaient cette soif de liquidités, Pégase et Balzane.

Lorsque Serge Dassault faisait signe à son homme de confiance en Suisse, Gérard Limat, celui-ci «demandait l’autorisation de Me Argand et se rendait une à trois fois par an à Vaduz pour retirer du cash en francs suisses. Jusqu’à 12 millions d’un coup», précise l’enquête de Libération. Gérard Limat ne transportait pas lui-même les liasses à Paris. Il les confiait à une société genevoise de «compensation», Cofinor, alors spécialisée dans ce genre de services.

Cofinor. Ce nom qui se susurre dans les Rues basses de Genève depuis 1961 évoque une époque peut-être révolue, mais dont les démons commencent tout juste à remonter à la surface. Il rappelle qu’à l’ère du secret bancaire le transport de liasses était une industrie, et que les avocats y avaient une place de tout premier ordre. Même si ces derniers, contrairement à beaucoup de banquiers, préféraient ne pas trop se salir les mains. Cofinor avait fourni exactement les mêmes services de «compensation» à Liliane Bettencourt, l’héritière de L’Oréal. Dans cette saga-là, l’homme de confiance s’appelait Patrice de Maistre et l’avocat genevois René Merkt. Ce dernier l’avait même raconté avec délectation au magazine Le Point en 2012: «Je n’allais tout de même pas transporter l’argent dans mes poches. Je suis avocat, pas banquier.»

Au-delà des fréquentations franco-françaises de Luc Argand et de René Merkt, le volet américain de la chute du secret bancaire permet aussi de rappeler que, parmi les dizaines de «banquiers voyous» inculpés pour fraude fiscale, beaucoup étaient en réalité des avocats.

Appelez la police

Edgar Paltzer, par exemple, qui invitait le gotha zurichois aux «salons de l’esprit», en français dans le texte, organisés chez lui pour deviser philosophie. Inculpé, il a tout raconté à l’Oncle Sam. Il cachait du liquide dans son coffre et envoyait des chèques de 9000 dollars à ses clients par la poste avec mention «cartes postales». Moins chic que Pégase et Balzane.

Il y a aussi le Zurichois Felix Mathis, 61 ans, 1 mètre 73 et 79 kilos. Sa photo et son signalement s’affichent sur le site d’Interpol sous la rubrique «personnes recherchées», à la demande des autorités américaines. La notice rouge invite quiconque l’aperçoit à contacter le poste de police le plus proche. N’en faites rien: cet avis de recherche ne l’empêche pas d’exercer tout tranquillement au sein du cabinet Froriep à Zurich. A la belle époque, depuis ce même bureau, Felix Mathis organisait le retrait de milliers de dollars en billets de 100, qu’il fourrait dans des enveloppes pour les envoyer à ses clients.

Cette liste pourrait bientôt s’allonger. Ces derniers mois, des dizaines de banques suisses ont dû envoyer aux Etats-Unis les noms de tous les «intermédiaires» impliqués de près ou de loin dans la gestion de clients américains, avocats compris. «Ça pénètre un peu partout», lâche un membre haut placé de la Fédération suisse des avocats (FSA) qui ne souhaite pas s’exprimer publiquement. Le pire, souligne-t-il, est que, au vu de l’attitude combative des voisins de la Suisse, France en tête, «il n’y a pas de raison que ce risque reste limité aux Etats-Unis».

«Je suis avocat, pas banquier», disait René Merkt. Etrange réponse. Car en théorie, les hommes de loi qui se livrent à des activités d’intermédiaires financiers sont soumis aux mêmes règles que les banquiers. Ce système repose sur des «organismes d’autorégulation», appelés OAR, qui surveillent les activités de leurs membres. La Fédération suisse des avocats dispose par exemple de son propre OAR, spécialisé dans la surveillance des avocats intermédiaires financiers.

Problème: les règles qui s’appliquent à la profession ne sont plus à la hauteur des enjeux. «En général, le niveau d’auto­surveillance des banques a dépassé celui des avocats», reconnaît Paolo Bernasconi, lui-même membre de l’Ordre et ancien procureur du Tessin.

Que de la paperasse?

Confrontées les premières aux conséquences de la fin du secret bancaire, les banques ont réagi et nettoyé activement devant leurs portes. C’est d’ailleurs ce que démontre la récente affaire Dassault. Ce ne sont pas les autorités françaises qui ont mis fin au manège des millions d’euros en cash entre Genève et Paris, mais les banques. Elles ont fini, entre 2010 et 2012, par bloquer ces retraits inexplicables. Luc Argand avait dû expliquer à Serge Dassault que le système qui avait fonctionné pendant vingt ans ne marcherait plus. Il faudrait dorénavant fournir un «dossier complet» pour répondre aux «règles minimales de la loi sur le blanchiment d’argent».

«Les banques ont été sensibilisées les premières par leur exposition à l’étranger», constate l’avocat genevois Shelby du Pasquier. Malgré le changement de pratique des établissements bancaires, les organes d’autosurveillance n’ont pas adapté leur attirail. Ils continuent d’organiser des symposiums, d’éditer des brochures et de mettre en place des formations continues, comme ils l’ont toujours fait. Les OAR séviraient parfois, dit-on, mais leurs éventuelles enquêtes et sanctions se déroulent sous le lourd rideau du secret. «Il y a eu des sanctions, mais elles ne sont pas forcément rendues publiques», témoigne Shelby du Pasquier.

Pour Paolo Bernasconi, le système d’autosurveillance des avocats d’affaires doit aujourd’hui faire la preuve de son efficacité. «Tout comme pour les banquiers, les agissements d’avocats qui violent les droits étrangers sont inacceptables, tonne-t-il. Si des sanctions ne sont pas prises, cela voudra dire que toutes ces règles d’autosurveillance ne sont que de la paperasse. Ce serait inacceptable.» Paolo Bernasconi note que, au Tessin, «l’OAR des avocats ouvre régulièrement des enquêtes lorsque des médias font état de soupçons» sur l’implication de ses membres dans des affaires de fraude ou de blanchiment.

Et pour Luc Argand? Qu’en est-il aujourd’hui à Genève? L’OAR de la Fédération suisse des avocats a-t-il ouvert une enquête à la suite des révélations de Libération? «Le secret de fonction étant applicable, l’OAR ne communique pas au sujet des mesures et des décisions qu’il prend», répond son responsable, l’avocat genevois Didier de Montmollin. Luc Argand n’a pas répondu à nos messages.


La facture du bâtonnier

Des questions se posent sur les règles qui s’appliquent non seulement aux avocats d’affaires, mais aussi aux pénalistes, notamment dans les affaires économiques. Exemple avec Jean-Marc Carnicé, bâtonnier genevois, et les millions cachés de sa cliente lettone.

Un avocat doit-il dénoncer son client s’il s’aperçoit que celui-ci tente de se soustraire à la justice? Doit-il se soucier de l’origine des honoraires qu’il reçoit en échange de ses services? Plus délicat encore: que faire s’il en vient à se douter que les fonds qu’il a déjà perçus pourraient bien provenir du crime dont il est chargé de nier l’existence? «Cette question, tout avocat pénaliste se l’est posée un jour», confie l’un d’entre eux.

Jean-Marc Carnicé, actuel bâtonnier de l’Ordre genevois, lui aussi se l’est récemment posée à propos d’une de ses clientes. Il a choisi de ne rien faire, et de garder l’argent.

Olessia Jemai est une femme d’affaires suisse et lettone de 53 ans, active dans le commerce de coton au Tadjikistan. Sa société genevoise, Jecot SA, a été condamnée par une cour civile de Londres pour avoir blanchi 35 millions de dollars issus d’une fraude rocambolesque qui avait vu des palettes entières de billets verts transiter par les coffres de la banque Bordier & Cie en 2011.
Prévenue des mêmes faits à titre individuel par la justice pénale genevoise, Olessia Jemai joue au chat et à la souris depuis maintenant plus de trois ans avec le procureur Marc Tappolet, dissimulant habilement des millions de dollars de compte en compte entre Douchanbé, Riga, Paris et Genève. Et, à ce petit jeu, la tradeuse de coton semble toujours avoir un coup d’avance.
En théorie, Olessia Jemai ne devait plus pouvoir retirer un kopeck des comptes bancaires de Jecot SA, tous bloqués sur l’ordre des justices genevoise et britannique. Les recherches de L’Hebdo montrent pourtant que l’étude BCCC Avocats, dont Jean-Marc Carnicé est associé, a touché 40 504 francs d’honoraires, le 28 mars 2013, provenant d’un compte de Jecot SA ayant mystérieusement échappé aux séquestres.

Ce virement suffisait à établir qu’Olessia Jemai ne disait pas toute la vérité face à la justice. La prévenue avait assuré, lors d’une audience face au procureur Tappolet et en présence de Jean-Marc Carnicé, qu’elle ne «disposait pas d’autres comptes que ceux qui avaient déjà été bloqués». Curieusement, il s’avère que la tradeuse de coton avait mentionné l’existence d’un compte supplémentaire lors d’un interrogatoire de police, deux ans auparavant, sans que le procureur Tappolet réagisse. «Je n’ai pas assez d’argent pour payer mes avocats, répétait pourtant Olessia Jemai en 2012, quelques mois seulement avant de virer 40 504 francs à BCCC Avocats, et alors que les salaires de ses employés restaient impayés.

Le compte en question a finalement été bloqué par le procureur. La société Jecot SA a été déclarée insolvable, dans des conditions suffisamment troubles pour que l’Office des faillites dépose plainte pénale.

L’avocat et le pizzaiolo

Pour ce qui est des honoraires de Jean-Marc Carnicé, il n’y a pas besoin de chercher loin dans la jurisprudence pour comprendre l’étendue du problème. Dans un arrêt de 2006 resté célèbre au sein de la profession, le Tribunal fédéral avait autorisé la confiscation d’honoraires perçus par des avocats qui pouvaient se douter que les fonds qu’ils avaient touchés provenaient d’une fraude et violaient une mesure de séquestre.

Sur le papier, la règle est claire. «L’avocat ne peut pas être rémunéré ou recevoir de provision dont il sait l’origine criminelle», explique Jean-François Ducrest, lui-même ancien bâtonnier genevois.

Dolus superveniens!

Les juristes les plus éminents ont analysé et commenté les implications de l’arrêt de 2006. Le professeur Alain Macaluso, notamment, a souligné en 2013 tous les aspects «problématiques» de l’éventuelle confiscation d’honoraires, étant donné la «nature particulière du mandat qui s’impose à l’homme de loi». Le droit d’être défendu est un pilier des droits de l’homme, et le secret professionnel de l’avocat en est indissociable. Le travail de l’avocat mérite rétribution, et la clientèle du pénaliste est par nature susceptible d’avoir commis un crime. Pour autant, l’avocat se rend-il coupable en acceptant des fonds dont il peut se douter de l’origine illicite?

La réponse sur laquelle s’accordent les experts est finalement très simple. Le critère déterminant pour juger l’attitude d’un avocat n’est autre que sa bonne foi.

Exemple. Et si, outre de régler sa facture à l’étude BCCC Avocats, ce 28 mars 2013, Olessia Jemai avait également payé son addition à la pizzeria du coin avec les mêmes fonds? La justice devrait-elle se retourner contre cet établissement? La réponse est non, puisque le restaurateur ne pouvait raisonnablement pas se douter que sa cliente réglait l’addition avec le produit d’un crime. Jean-Marc Carnicé pouvait-il en dire autant au moment de toucher ses 40 504 francs d’honoraires depuis un compte de Jecot SA?

«Il est normal que la justice considère l’avocat comme étant de totale bonne foi, explique Jean-François Ducrest. Ce n’est qu’à partir du moment où le doute sur l’origine des honoraires qu’il perçoit intervient dans son esprit que le montant reçu devient potentiellement impur.»

La doctrine estime que, dès l’apparition de ce doute – dolus super­veniens! –, l’avocat doit prendre une décision. Quelques solutions s’offrent à lui: il peut demander un nouveau versement dont il sera cette fois certain de l’origine légitime, résilier son mandat s’il le peut ou demander sa nomination comme avocat d’office.

Dans le cas d’Olessia Jemai et de Jecot SA, dont tous les avoirs étaient officiellement séquestrés, cette solution aurait pu paraître la meilleure. Problème: le tarif de 200 francs de l’heure offert par l’assistance judiciaire pour un juriste expérimenté ne couvre même pas les frais de fonctionnement d’une étude telle que BCCC Avocats.

Dès lors, le choix de Jean-Marc Carnicé d’accepter l’argent était-il à la hauteur de sa réputation? A-t-il respecté l’éthique professionelle défendue par le conseil de l’Ordre qu’il dirige aujourd’hui en tant que bâtonnier? «Lorsque j’ai reçu les fonds en question, je ne disposais d’aucun élément qui m’aurait permis de supposer qu’ils pouvaient provenir d’une infraction, ce qui est d’ailleurs aujourd’hui encore catégoriquement contesté par ma mandante, répond Jean-Marc Carnicé. J’étais donc de parfaite bonne foi.»

Il n’est pas sûr que ces questions soient tranchées un jour. Jean-François Ducrest reconnaît que, outre le cas exemplaire de 2006, «la justice a jusqu’ici montré, avec raison, une certaine retenue» en la matière. Selon lui, les autorités pénales seraient «conscientes de la notion de droit à la défense» et hésiteraient à s’attaquer trop frontalement à ceux qui la garantissent quotidiennement face à elles dans les tribunaux et les parloirs.

Dimanche compris

Même sous le coup d’un jugement civil britannique la déclarant coupable, Olessia Jemai jouit de la présomption d’innocence dans le volet pénal de l’affaire instruite à Genève. Reste que, après avoir découvert un nouveau compte caché par la tradeuse de coton, le procureur Tappolet en a soudain eu assez de ces manigances.

A l’issue de la 79e audience, le vendredi 7 novembre, il a ordonné l’arrestation d’Olessia Jemai. Dès le dimanche suivant, Jean-Marc Carnicé s’est déplacé en personne devant le Tribunal des mesures de contrainte chargé de statuer sur le bien-fondé de la mesure de détention.

Selon un témoin, sa plaidoirie était excellente. Olessia Jemai a été libérée sur-le-champ. Interrogé sur l’origine des honoraires de cette intervention dominicale et de tous les autres qu’il a pu percevoir depuis le virement de mars 2013, le bâtonnier n’a pas souhaité répondre. Le procureur Tappolet a convoqué la tradeuse de coton à une 80e audience, qui ne sera probablement pas la dernière dans cette affaire.

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Course de l’Escalade: trente-six ans d’histoire en images

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:50

Historique. En 1978, la première édition de la Course de l’Escalade réunit quelques centaines de coureurs. Trente-six ans plus tard, on recense près de 37 000 inscrits.

Il s’agit tout simplement, en nombre de participants, de la plus grande compétition de Suisse. A l’heure où toutes les manifestations de ce type ou presque ne cessent de voir leurs pelotons de populaires grandir, la Course de l’Escalade caracole en tête, devant le Grand Prix de Berne et les 20 km de Lausanne. Cette année, les inscrits sont au nombre de 36 694. Un nouveau record! Comme son nom l’indique, la manifestation évoque les événements de 1602, lorsque 2000 soldats savoyards, sur ordre du conquérant et belliqueux Charles-Emmanuel Ier, partent dans la nuit du 11 au 12 décembre à l’assaut des murailles de la ville de Genève.

Il faudra tout le courage des citoyens pour repousser l’attaque avec, en guise de symbole éternel, une marmite de soupe bouillante renversée sur les assaillants par la Mère Royaume. Depuis, les Genevois célèbrent chaque année cette victoire, d’abord discrètement afin de ne pas froisser les susceptibilités savoyardes, puis de manière plus festive dès l’entrée du canton, en 1815, dans la Confédération.

Un peu par hasard

La Course de l’Escalade, un rendez-vous tout aussi incontournable que le grand cortège historique, verra quant à elle le jour à la fin des années 70. Un peu par hasard. Le Stade Genève, club d’athlétisme fondé en 1916, est alors moribond. Lors d’une assemblée générale extraordinaire qui aurait pu le voir mourir, quelques jeunes membres décident heureusement de prendre les choses en main et forment un nouveau comité. Parmi eux, Jean-Louis Bottani, alors spécialiste du 800 et du 1500 mètres, qui se retrouve pour avoir levé la main sans trop réfléchir au sein d’un groupe ayant pour mission de redorer le blason du club et de recruter de nouveaux membres. Mais que faire? C’est alors qu’une idée jaillit: organiser une course. La discussion s’anime, tout le monde y va de son idée et, de fil en aiguille, l’envie de créer une course urbaine, au cœur de la vieille ville, voit le jour.

Après plusieurs séances de brainstorming, décision est prise de faire coïncider la compétition avec la Fête de l’Escalade, afin de créer une sorte de déclinaison sportive du cortège. Ayant eu vent de ce dessein, la Compagnie de 1602, société historique qui organise chaque année les commémorations de la victoire des Genevois sur les troupes du duc de Savoie, écrit alors au Stade Genève pour lui signaler l’impossibilité logistique de mettre sur pied un événement sportif en marge des festivités officielles.

A trois semaines de la date prévue, la course est finalement déplacée. Elle attire néanmoins 800 coureurs, dont 710 seront classés. Le jogging n’est pas encore devenu un phénomène de mode, on court pour l’amour de la compétition et non dans une seule optique de bien-être; seuls des sportifs aguerris, dont à peine plus de 10% de femmes, prennent le départ.

Une classique

Depuis cette première édition, mise sur pied à une époque où il n’existe que peu de petites courses, et encore moins dans des villes, le succès de la manifestation sera exponentiel. Tout en devenant au fil des ans un événement incontournable de la vie genevoise, celle-ci accompagnera le formidable essor de la course à pied, qui voit de plus en plus d’amateurs prendre le départ de compétitions jusque-là réservées à l’élite. Président de la Course de l’Escalade depuis 1984, après avoir déjà dirigé l’édition 1981, Jean-Louis Bottani explique que cette expansion est devenue plus vertigineuse encore depuis 1997 et un vingtième anniversaire qui poussera beaucoup de néophytes à venir se tester sur le bitume et les pavés genevois.

En 2002, à l’occasion du 400e anniversaire de la bataille de l’Escalade, la Compagnie de 1602 lui propose, en guise de clin d’œil, d’organiser une course sur le parcours jadis emprunté par les Savoyards lors de leur marche sur Genève. Longue de 17,5 km, pour un départ en France et une arrivée aux Bastions, la Course du duc réunit 4000 coureurs. Alors qu’elle aurait dû rester unique, elle devient quinquennale, et sera même nocturne en 2012.

De 1978 à 2013, ce sont près de 492 000 personnes qui auront pris le départ de la Course de l’Escalade, organisée par un comité de 25 passionnés et pouvant compter sur un millier de bénévoles qui sont pour beaucoup dans son succès. «Chez nous, c’est la notion de plaisir qui l’emporte», relève non sans fierté Jean-Louis Bottani.

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L’étonnante renaissance des anciens métiers d’art

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:51

Reportage. Etre orfèvre, maroquinier, guillocheur ou peintre en décors aujourd’hui, ce n’est pas seulement exercer un métier mis au goût du jour. C’est un art de vivre la modernité dans la tradition.

Nicolas Marischael l’orfèvre, Serge Amoruso le maroquinier, Supachai le guillocheur et Alexandre Poulaillon le peintre en décors réinventent des métiers jadis florissants et tombés en désuétude au fil des ans. A l’occasion d’un voyage organisé par la manufacture horlogère Vacheron Constantin, très impliquée dans les Journées européennes des métiers d’art, L’Hebdo les a rencontrés à Paris. Quatre savoir-faire que la tradition orale a préservés et que les technologies de notre temps ont encore perfectionnés.

Le guillocheur

En mars dernier, dans une bijouterie lyonnaise, deux machines à guillocher étaient à vendre. Toutes les grandes marques horlogères voulaient les acquérir. «Il est devenu très difficile de trouver de telles machines», observe Supachai, guillocheur chez Vacheron Constantin depuis 2008. Le guillochage consiste à inciser des traits en creux et entrecroisés qui décorent notamment les cadrans et boîtes de montres. Assis devant la machine, l’artisan tourne une manivelle de la main gauche et actionne un chariot mobile de la main droite, équipé d’un burin qui tranche dans le métal (or, platine ou laiton).

Si de tels objets se font toujours plus rares, les experts à savoir les utiliser le sont encore plus. En vogue jusque dans les années 40, le métier a manqué s’éteindre complètement les années suivantes, avant de récemment reprendre du poil de la bête. Arrivé en Suisse en 1989 sans parler un mot de français, le Thaïlandais Supachai s’est formé au guillochage manuel chez le cadranier genevois Stern Créations, auprès de Renato Peronne. Arrivé chez Vacheron Constantin, il se voit lancer un défi: dessiner la carte du monde en utilisant les techniques de guillochage plutôt que de faire et refaire des décors de lignes et de courbes. Créer ainsi des dessins figuratifs, personne ne l’avait encore fait. Quand il est réalisé en partie à l’aide d’une machine-outil à commande numérique, ce qui n’est pas exceptionnel, le guillochage n’autorise pas une aussi grande variété de dessins. Supachai a brillamment relevé le défi et «guilloché» manuellement la carte du monde. Il forme désormais un apprenti. La tradition se perpétue. Quand on lui demande quelle pièce il préfère, il rétorque sans la moindre hésitation: «La suivante!»

Credit photo: DR


Le maroquinier

Un beau jour, un client japonais que Serge Amoruso avait rencontré au Pays du Soleil levant descendit de sa Rolls pour rendre visite au maroquinier, dans son atelier-boutique du XIIe arrondissement, à Paris. Il tirait un petit chariot roulant signé Vuitton. Voyant un des sacs exposés en vitrine, l’homme demanda à Serge Amoruso s’il était possible d’en faire un trolley. «Bien sûr», répliqua l’artisan sans trop se poser de questions. Il lui faudra neuf mois pour réaliser l’objet, une coque en fibre de carbone sur laquelle sont fixées des roulettes de skateboard.

«Je ne fais que des pièces uniques et sur mesure. Derrière chaque œuvre se profile un visage.» Sellier de première formation, Serge Amoruso a passé huit ans chez Hermès avant d’ouvrir sa propre boutique, où il emploie deux collaboratrices. Originaire des Pouilles, il vibre avec les couleurs les plus raffinées et les matières les plus originales. Si on lui dit qu’il est impossible de réaliser un cousu main sur tel matériau, il prouve le contraire. Au Japon, un pays que cet amateur d’aïkido affectionne particulièrement, il a notamment appris les subtilités de la peau de requin galuchat auprès de tanneurs. «J’ai récemment fait mettre de côté cinq peaux qui n’intéressaient personne. Quand j’ai vu les dessins autour des écailles, j’ai trouvé cela extraordinaire. Un vrai tableau!»

Contrairement à l’orfèvre Nicolas Marischael, Serge Amoruso ne s’intéresse pas vraiment à l’internet. «Ma clientèle est suffisante. J’ai besoin de temps pour maîtriser la qualité et l’originalité de mes objets», dit-il. Il prend même le temps d’expliquer à ses clients comment boucler et déboucler une ceinture ou un bracelet-montre sans provoquer d’usure prématurée. Ayant formé maints apprentis, il rêve de trouver un successeur, même si, à 55 ans, il ne souhaite pas arrêter un métier qui a tissé sa vie. «Il ne suffit pas d’aimer le cuir ou les peaux de toutes sortes. Encore faut-il que la main suive l’intention!»

Credit photo: Philippe Rigault


Le peintre en décors

Du papier japon imprimé au polystyrène et peint, ornant les murs de l’antichambre d’une exposition du Palais de Tokyo au début de ce printemps, il ne reste que le souvenir. Celui d’une prouesse artistique et d’une étroite collaboration entre trois hommes: Alexandre Poulaillon, peintre en décors qui réalise des papiers peints dominotés imprimés à la planche selon les techniques traditionnelles, Elias Guenoun, architecte, et Philippe Millot, graphiste. Travailler avec du polystyrène, matériau issu de l’industrie chimique, passer du petit au grand format, et cela en seulement trois semaines, ce ne fut pas une mince affaire. Installé dans un bâtiment que la ville de Mulhouse, son lieu de résidence, lui avait spécialement réservé, le peintre en décors dut imaginer une technique de gravure et d’impression adaptée aux circonstances. Il était assisté par des élèves de la Haute école d’art du Rhin. Le trio communiquait principalement par téléphone, entre seulement deux rencontres dans la capitale. «Elias et Philippe me transmettaient leur vision graphique, esthétique et philosophique pour la transformation de la matière. J’interprétais techniquement leurs besoins.»

Fidèle à des techniques ancestrales, Alexandre Poulaillon n’hésite pas à travailler avec des outils numériques pour graver ses planches d’impression. Le stylet et la table graphique ont remplacé le crayon et le papier. Mais le geste, éternel, perdure. «Au début du XVIIIe siècle, Jean Papillon a inventé le papier peint car il s’est autorisé à utiliser une presse, ce qui lui était interdit en sa qualité de dominotier. Il a outrepassé les codes», souligne l’artisan dont l’enthousiasme grandit au fur et à mesure qu’il parle de son métier. «Aucun papier peint ne ressemble à un autre.» Et de nous montrer sa dernière réalisation: un coffret fabriqué à partir de papiers dominotés. «L’armature est cousue à la main. Il n’y a pas une goutte de colle. Tout tient par la couture et le fil de lin.» Alexandre Poulaillon, qui forme un stagiaire, revisite avec une passion gravée dans son quotidien les techniques anciennes pour les adapter à notre époque. Un authentique retour vers le futur.

Credit photo: Marc Guénard


L’orfèvre

Ses éclats de rire sonnent comme les coups de son marteau, enveloppé dans un petit morceau de drap de billard. Puissants et tendres à la fois. «Il ne faut surtout pas martyriser le métal. Très malléable, l’argent peut facilement être rayé.» Dans son vaste atelier du sous-sol, au viaduc des Arts dans le XIIe arrondissement parisien, Nicolas Marischael a hérité de ses père et grand-père la plupart de ses outils, en fer forgé à la main. Il les manie depuis 1981, quand il a intégré la maison familiale, alors située dans le quartier du Marais et fondée en 1924 par son aïeul. C’est en son sein qu’il a obtenu son certificat d’aptitude professionnelle (CAP). «Ici, ces bouts d’acier que vous voyez sont un trésor irremplaçable. Hors de ce lieu, ils ne valent plus que le poids de la ferraille.»

Au rez-de-chaussée, aiguières, verseuses, bougeoirs, théières et couverts de table en argent massif ont une peau lisse et brillante. Nouveau-nés d’un travail d’orfèvre. Les yeux de l’artisan se font plus lumineux: «Certes, l’orfèvrerie est une petite niche, mais elle existe!» La France compte quelque 250 orfèvres. En dehors des grandes maisons comme Christofle, Ercuis ou Puiforcat, il demeure des artisans indépendants, tel Nicolas Marischael.

En 2014, l’artisanat d’art marie savoir-faire ancestral et technologies d’avant- garde. L’orfèvre parisien dispose d’une machine à graver à commande numérique et s’apprête à acquérir un appareil à souder au laser. «Pour les petites soudures, comme en joaillerie.» La modernité, c’est aussi l’usage sans retenue de l’internet, «cette vitrine mondiale» grâce à laquelle la clientèle des objets d’orfèvrerie, autrefois fort âgée, s’est sensiblement rajeunie. Pourtant, quelle que soit la demande, il n’est pas question de fabriquer plus de dix exemplaires de toute nouvelle pièce. Pourquoi dix? «D’une part, c’est le nombre de la perfection. D’autre part, j’avais le numéro 10 dans l’équipe nationale de water-polo aux JO de Séoul», lâche l’artisan, également sportif de haut niveau.

Avec l’aide de son épouse, qui commercialise des solutions de rangement pour argenterie tissus (un business développé avec le web), Nicolas Marischael a œuvré avec succès pour que, au sein de l’Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles (UFBJOP), son métier ne soit plus considéré comme «le vilain petit canard». La création prochaine par cette chambre syndicale d’une section de formation en orfèvrerie est le signe tangible de la renaissance d’un métier jadis florissant.

Credit photo: DR

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Philippe Rigault
Marc Guénard
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Là-haut sur l’alpe, dans les pas des déclencheurs d’avalanches

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:52

Reportage. Chaque année, les Remontées mécaniques suisses organisent, à Andermatt (UR), une formation pour le minage des pentes enneigées. Bienvenue dans le monde des explosifs.

«La peur et l’argent sont deux choses que je ne connais pas!» A 24 ans, Pascal Zürcher, paysan et fils de paysan, est un solide gaillard qui tutoie les 190 centimètres. Il est 12 h 45 ce dernier mercredi de novembre et le Bernois qui, l’hiver, travaille comme employé de remontées mécaniques à Engstligenalp, sur le domaine skiable d’Adelboden, finit de siroter son café. La pause de midi est bientôt terminée et les choses sérieuses vont commencer pour les 32 participants, dont deux femmes, au cours «explosifs neige et avalanches» dont il fait partie. Déclencher artificiellement des avalanches permet de sécuriser les pistes et d’éviter des catastrophes.

Organisée par les Remontées mécaniques suisses (RMS), cette formation se déroule à la caserne d’Andermatt, au Centre de compétences du service alpin de l’armée. Elle dure cinq jours et coûte 2030 francs pour les collaborateurs des 264 entreprises de remontées mécaniques qui font partie des RMS, et 1000 de plus pour les autres, soit des employés de communes ou autres services forestiers. Pour la première fois, une dizaine de journalistes sont conviés à suivre une journée de cours.

Tâter de l’explosif

Après deux jours et demi de théorie, les apprentis dynamiteurs vont enfin mettre la main à la pâte. Sur les tables d’une des vastes salles de théorie du bâtiment 8 trônent de volumineuses saucisses emballées dans une toile jaune orangé. En grosses lettres noires, un avertissement: «EXPLOSIFS, ne pas avaler». Mieux vaut être prudent. Non loin trônent d’autres bâtons d’explosifs, plus longs et fins. En tenue de ski et concentrés, les élèves, jeunes pour la plupart, suivent attentivement les explications de l’un des formateurs. L’homme s’exprime en dialecte alémanique du Lötschental. De quoi corser l’exercice? Même pas, à observer les jeunes gens qui l’entourent. Etonnamment, aucune expression de perplexité ne s’inscrit sur leur visage. Ils répondent d’ailleurs rapidement aux questions posées. Sur leur laine polaire et leur pantalon, des inscriptions brodées détaillent leur provenance: Aletsch Arena, Arosa Lenzerheide, Adelboden-Lenk. Beaucoup de domaines skiables alémaniques sont représentés.

A l’aide de ruban adhésif bleu et de câbles, les apprentis exploseurs relient les charges entre elles. Pius Henzen, leur moniteur, profite du fait que leurs mains sont occupées pour faire travailler leur cerveau. Il leur demande la liste des éléments qui ne font pas bon ménage avec les détonateurs. Chacun en cite un. «L’humidité», «le frottement», «les coups», «le feu ou les étincelles». Suit une petite session de calcul mental pour estimer la bonne longueur de la mèche d’allumage. Sachant qu’il faut laisser un minimum de nonante secondes à celui qui jette l’explosif pour aller se mettre à l’abri, quelle doit être la longueur minimale de la mèche? Un des participants applique la sacro-sainte formule qui se résume assez simplement: multiplier par 2 puis diviser par 3. Le nombre de secondes désirées (soit 90) multiplié par 2 donne un résultat (180) qu’il faut diviser par 3. Le résultat est donc 60 centimètres…

Sept mille mètres par seconde

De l’autre côté de la salle, un groupe suit les explications de Curdin Vicenti, patrouilleur grison, «de l’Engadine», précise-t-il. Il montre comment encorder un explosif, histoire de le remonter à la surface si, juste après l’avoir lancé, il s’est enfoncé trop profondément dans la neige poudreuse. Le moniteur explique également comment il faut procéder lorsque la charge – elle pèse de 1,5 à 4 kilos lors de minage à la main – n’explose pas. «Il faut attendre quinze minutes, enlever la mèche et en remettre une autre. Certains détonateurs ont un défaut de fabrication. Lorsque je vais miner des avalanches, j’ai toujours des explosifs de rechange avec moi.»

Le moniteur grison montre encore les entrailles d’une des mèches d’allumage. Elle est remplie de poudre blanche. Sa vitesse de combustion? «Sept mille mètres par seconde. La vitesse varie selon les explosifs. Celle des engins utilisés lors de guerre est de 3500 à 4000 mètres par seconde.» Le domaine skiable de Corvatsch, où Curdin Vicenti est chef des engins d’entretien des pistes, n’utilise pas moins de 1,5 tonne d’explosifs par année quand la neige est abondante. Si elle se fait plus rare, 600 kilos suffisent.

Mourir sous une avalanche

De fait, de 2004 à 2013, 224 personnes ont été tuées dans des avalanches survenues en Suisse. La majorité des victimes, soit 120 personnes, pratiquait du snowboard ou du ski de randonnée. La deuxième catégorie la plus touchée, soit 64 personnes, est celle des skieurs ou des snowboardeurs qui pratiquent le hors-piste. Durant ces dix ans, seuls deux skieurs ont trouvé la mort, emportés par une avalanche qui a atteint les pistes de ski. Plus tôt dans la matinée, Alexander Stüssi, chef de la division Droit et ressources des Remontées mécaniques suisses, exposait des cas de décès par avalanches, qui ont donné lieu à un arrêt du Tribunal fédéral. A quatorze ans d’intervalle, une avalanche a tué deux personnes au même endroit, soit au Rothornbahn à Zermatt, sur une piste sécurisée. Les deux fois, la piste aurait dû être fermée.

«Dans le premier cas, c’est le directeur des remontées mécaniques qui aurait dû endosser la responsabilité d’un accident. On dit souvent qu’il ne lui arrive rien, mais ce n’est pas le cas. C’est lui qui est chargé d’organiser la sécurité.» De fait, dans la première affaire, il a été condamné à une amende de 1000 francs. Dans le deuxième accident, c’est le responsable de la sécurité des pistes qui a été condamné, pour homicide par négligence, à cent vingt heures de travail d’utilité publique. Expert pour la sécurité des pistes aux RMS et responsable du cours donné à Andermatt, Ueli Frutiger a travaillé sur le domaine skiable de la Petite Scheidegg; il a été chef des pistes et du sauvetage durant vingt-trois ans. Il sait bien les différences de vue qui peuvent exister entre un responsable de la sécurité et un directeur de remontées mécaniques. «Si un directeur pousse à ouvrir des pistes qui peuvent présenter un danger, la situation peut devenir très difficile à gérer.»

Il est temps de passer à la pratique. Casque sur la tête, skis dans les mains, appareil détecteur de victimes d’avalanches dans la veste et explosifs dans le sac à dos, les élèves se dirigent vers un premier télésiège, puis un deuxième qui les emmène à Gütsch, à 2344 mètres d’altitude. Les 32 aspirants au permis fédéral d’emploi d’explosifs sont répartis en sept groupes. C’est Pascal Zürcher et ses trois camarades qui serviront de cas d’école aux journalistes, eux-mêmes accompagnés par deux formateurs supplémentaires et trois collaborateurs des RMS. On ne rigole pas avec la sécurité.

Une procédure à suivre

Le solide Bernois sort les explosifs du sac. L’exercice commence par une série de questions, un dialogue entre le patrouilleur chargé de déclencher une avalanche et le moniteur jouant le rôle du collègue qui travaille à la station de départ des remontées mécaniques. «Est-ce que les pistes sont fermées et ont été contrôlées?» demande Pascal Zürcher. «Oui, les pistes sont fermées et ont été contrôlées», répond le moniteur. «La situation n’a pas changé?» interroge le patrouilleur. La réponse est claire: «La situation n’a pas changé.» Cette façon de dialoguer, en répétant les propos entendus, ne permet aucune équivoque.

Pascal Zürcher a accroché une longue cordelette aux explosifs pour pouvoir remonter la charge à la surface au cas où celle-ci s’enfoncerait trop dans la neige. Ce qui ne risque pas d’arriver: ce mercredi, la couche est lourde, mouillée. La mèche est allumée, les explosifs sont lancés, le jeune homme demande calmement à toute la troupe de se mettre à l’abri. Les novices reculent et pressent le pas, inquiets et quelque peu abasourdis par la cool attitude des habitués qui, eux, finissent de discuter non loin de la pente qui va bientôt exploser.

Montre en main, le patrouilleur bernois avertit: encore dix secondes. Tout le monde pose un genou à terre. Tiens, une prière spontanée à 2344 mètres? Ueli Frutiger explique: «S’accroupir, se faire tout petit, cacher un peu sa tête sont une réaction naturelle. Il est également conseillé de se boucher les oreilles et d’ouvrir la bouche pour compenser la pression.» L’explosion enfin. Elle fait trembler le sol et vibrer tout le corps. La sensation est désagréable, même dans un cadre idyllique. Elle prend aux tripes. De petits paquets de neige retombent non loin des patrouilleurs et de leurs accompagnants. Dans la montagne, d’autres explosions retentissent. Les exercices vont bon train. Au suivant! Un autre apprenti dynamiteur s’apprête à faire sauter une charge de… 7 kilos. Mêmes gestes, mêmes précautions, mêmes paroles échangées, même laps de temps pour s’éloigner de l’explosif qui promet une belle secouée. Au fait, c’est par où la sortie?…

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La fin des banques

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:53

Zoom. Dans un ouvrage à paraître, un banquier helvétique explique sous pseudonyme comment la complexité des opérations financières induite par l’informatisation a perverti le système bancaire. Et comment elle pourrait le réparer.

Juin 2011, Jonathan McMillan travaille pour une grande banque zurichoise, dans la division chargée du contrôle des risques. Ce jour-là, il détecte quelque chose de bizarre. Ses recherches l’amènent à repérer une énorme erreur de calcul dans le système informatique censé examiner l’activité des traders de son établissement. Une catastrophe pouvant survenir à tout instant, il avertit immédiatement sa hiérarchie.

Trop tard: l’une des affaires de fraude financière les plus importantes de l’histoire éclate les mois suivants à Londres. Un trader de la banque a perdu le contrôle de ses opérations et causé un trou de plusieurs milliards de dollars dans le chiffre d’affaires. Jonathan McMillan est tout de suite envoyé sur la scène du crime pour étudier les excès commis. Il doit reconstituer ce qu’il s’est passé pour éviter que des abus ne se reproduisent. «J’ai énormément appris sur les dysfonctionnements du système bancaire en très peu de temps, raconte-t-il. Bien plus qu’en plusieurs années de travail.» Ses investigations confirment les doutes qu’il rumine depuis plusieurs années. Le monde bancaire est gangrené par une complexité incontrôlable, des prises de risques indues et, surtout, une opacité extrême.

Au lendemain de cette expérience, le Suisse se lance dans la rédaction d’un livre qui sortira à la fin de ce mois: The End of Banking – Money, Credit, and the Digital Revolution, publié sous le pseudonyme de Jonathan McMillan et corédigé avec un auteur issu du monde académique. Le banquier ne veut pas révéler son identité pour éviter d’entrer en conflit avec l’établissement.

Son ouvrage dénonce l’informatisation, principal coupable des dérives du système bancaire actuel. Avant les années 70, le fonctionnement d’un établissement était relativement simple. Celui-ci acceptait des dépôts et accordait des emprunts. L’ère numérique a permis de complexifier ce fonctionnement: «Les banques ont pu transformer une série d’emprunts en produits financiers toxiques, très vite et à un coût minime, grâce à l’informatique», précise Jonathan McMillan.

Une pratique qui a réduit à néant les tentatives des Etats pour réglementer le secteur bancaire. «A chaque fois que le gouvernement introduisait une nouvelle règle, les banques trouvaient le moyen de la contourner en apportant d’infimes modifications à leurs produits financiers. Une manière de fonctionner qui a été rendue possible par la numérisation du système», explique-t-il. L’informatique a en outre permis l’émergence du shadow banking, une nébuleuse peuplée d’intermédiaires financiers proposant des crédits à hauts risques. L’illégalité de ceux-ci était dissimulée par les montages complexes dont ils faisaient l’objet.

Des plateformes de prêts

Si l’informatique a perverti la finance, elle pourrait également la sauver, selon Jonathan McMillan. Il propose que les banques cessent d’émettre du crédit et de s’occuper des dépôts d’argent. Ces fonctions seraient reprises par des plateformes de peer-to-peer lending, comme The Lending Club. Des plateformes qui permettent à une multitude de participants d’accorder des prêts de taille minimale à d’autres membres du réseau (10 000 personnes prêtant un franc à une seule personne, par exemple), qui leur reversent un intérêt. Le risque présenté par le débiteur est calculé en analysant son historique de remboursement.

Mieux encore, remplacer les monnaies physiques par des monnaies numériques, comme le bitcoin. Le principe offrirait non seulement la possibilité de se passer des établissements bancaires, mais il donnerait aussi les moyens aux banques centrales d’exercer une influence à la hausse ou à la baisse sur les prix, sans avoir recours aux mécanismes actuels qui consistent à attribuer des crédits aux grandes banques. «Les institutions centrales pourraient distribuer un salaire inconditionnel (une somme fixe identique pour tous, ndlr), ce qui augmenterait la masse totale d’argent en circulation et aurait un impact sur les prix, tout en profitant à la population plutôt qu’aux banques.» Et Jonathan McMillan de conclure: «Ces solutions ont déjà été essayées dans le monde réel et fonctionnent très bien.»

«The End of Banking – Money, Credit, and the Digital Revolution». De Jonathan McMillan. 

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Matthias Rihs
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Sarah et Jessica, dialogue de voyageuses extraordinaires

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:54

Rencontre. L’aventurière et marcheuse Sarah Marquis, 42 ans, revient de sa dernière expédition de trois ans avant de repartir pour l’Australie. La Genevoise Jessica Davet, 22 ans, lauréate 2012 du Prix des voyages extraordinaires, a voyagé dix mois en Amérique latine. Pour «L’Hebdo», elles dialoguent sur le voyage, sa philosophie et pourquoi il forme la jeunesse.

Propos recueillis par Isabelle Falconnier

A l’âge de 8 ans, elle part dormir seule avec son chien dans une grotte sans rien dire à personne. A 17 ans, elle traverse l’Anatolie à cheval. Depuis, l’exploratrice, aventurière, conférencière, écrivaine et surtout marcheuse solitaire Sarah Marquis a parcouru des milliers de kilomètres. En 2000, elle traverse les Etats-Unis du Canada au Mexique. En 2002, elle franchit les déserts australiens. En 2006, elle suit la cordillère des Andes du Chili au Machu Picchu. Pour sa dernière aventure, ExplorAsia, elle marche de la Sibérie jusqu’en Australie en traversant l’Asie centrale. Il y a quelques mois, le National Geographic nommait Sarah Marquis aventurière de l’année 2014. Elle est la marraine de l’édition 2015 du Prix des voyages extraordinaires, lancé en l’an 2000 par la Fondation Lombard Odier (lire encadré).

Jessica Davet est née à Genève en 1993. Elle gagne en 2012 le 2e Prix des Voyages extraordinaires avec un projet intitulé «Voyage à la découverte de la relation entre l’homme et la nature». Après sa maturité, d’octobre 2012 à juillet 2013, durant dix mois, elle parcourt l’Argentine, la Bolivie, le Pérou et l’Equateur guidée par deux fils rouges: la découverte de la biodiversité et la manière dont les habitants d’une région la préservent, ou non. Et l’humanitaire en lien avec l’aide amenée aux enfants des régions isolées et défavorisées. Elle passe notamment six mois en Bolivie avec l’association Voix libres, visite des femmes en prison, distribue du matériel scolaire ou des habits, contribue à des projets de microcrédits. La voyageuse en herbe et l’aventurière aguerrie ont chacune développé leur philosophie du voyage. Elles nous l’expliquent.

Que représente le voyage à vos yeux?

Sarah Marquis: Je ne voyage pas à proprement dit. J’explore la nature, plus particulièrement les zones isolées et désertiques de cette planète en marchant. Je pousse sans cesse plus loin une recherche intime et personnelle lancée il y a vingt-trois ans, une recherche en lien avec la terre, nos capacités mentales et physiques. Accessoirement, nécessairement, je rencontre des humains dans mes parcours.

Jessica Davet: Le voyage représente pour moi une manière de partir à la recherche de moi-même. Celui que j’ai fait entre 2012 et 2013, je l’ai voulu comme une transition entre deux parties de ma vie. Je voulais partir seule, clairement, égoïstement. J’avais besoin que ce soit mon voyage. Il m’a permis de remettre en question ma vie, mes projets d’avenir et ma propre personne. Je cherchais des réponses à des questions fondamentales: Qui suis-je? Qu’est-ce que je veux faire de ma vie? Qu’est-ce qui me fait exister? Qui dois-je rencontrer pour avancer? J’avais besoin de voir un autre horizon, de repartir à zéro. Le voyage m’a semblé le meilleur moyen de le faire.

En quoi votre voyage, Jessica, vos voyages ,Sarah, vous ont-ils changées?

JD: Mon voyage m’a permis de faire une coupure dans ma vie à un moment où je ne savais plus trop où j’en étais. En voyageant, j’ai pu comprendre pourquoi j’avais voulu partir, justement, ce qui n’allait pas dans ma vie et qui m’avait poussée loin de ma vie, de mes amis, de ma famille. C’est une sensation unique de se retrouver à l’autre bout du monde, sans aucune référence familière, sans que personne vous connaisse, et de se demander qui on est vraiment une fois que les éléments sociaux ont disparu. Que reste-t-il de chacun de nous lorsque tous nos repères sont loin? Je constate que je suis plus sûre de moi après ce voyage, mes relations au monde sont plus confiantes, plus assurées, plus mûres. Et mon voyage m’a fait changer d’orientation: j’étais en biologie à Neuchâtel, j’étudie maintenant les sciences de l’éducation à Genève. Je souhaite désormais devenir enseignante en primaire, prolonger ce contact avec les enfants que j’ai tant aimé avoir en Amérique latine, faire en sorte que la personne que j’étais en Bolivie avec les enfants soit aussi désormais la personne je suis ici en Suisse…

SM: La marche m’a tout donné. Elle m’a construite. Mes expéditions m’ont permis de tester mes limites, ma capacité à gérer le stress, la solitude, l’écho du vide face à soi-même lorsqu’on voyage seul, de gérer ma sensibilité d’être humain dans un environnement hostile aux êtres humains. En marchant comme je le fais, je suis constamment hors de ma zone de confort. Je m’imprègne de ce qui vient de l’extérieur, je deviens le monde extérieur, en un sens. C’est pourquoi l’environnement est si important, pour moi comme pour tous les êtres humains. Nous sommes constitués de l’environnement que nous absorbons tout au long de notre vie!

Naît-on voyageuse? Le devient-on?

SM: Je suis née aventurière, ma maman en parle mieux que moi. C’est constitutif de ma personne. J’ai écouté cet appel de mon cœur, ma voie. A 8 ans, je me faisais de l’argent de poche en ramassant des limaces dans le jardin familial, et avec cet argent de poche j’allais m’acheter le National Geographic, je le cachais sous mon lit et je regardais pendant des heures en rêvant les photos de paysages exotiques, de perroquets, de jungles, de contrées lointaines. Pendant mon enfance, nous ne sommes jamais partis en vacances hors des frontières helvétiques…

JD: J’adorais partir en vacances avec mes parents, chaque été. Mais lorsque j’avais 15 ans, mon petit ami est décédé. Je crois que cela a déclenché en moi quelque chose qui n’a trouvé son terme que lors de ce voyage très particulier, qui m’a poussée à partir longtemps, et loin.

Que représente l’Amérique latine à vos yeux? Jessica, vous y avez passé presque un an, et Sarah de longs mois, notamment lors de votre expédition de 2006 le long de la cordillère des Andes…

SM: Je pense immédiatement au vent, qui était tout le temps présent, et aux couleurs incroyables du ciel. Et à une petite main qui un matin a déposé trois pommes rouges devant ma tente, à 3500 mètres d’altitude, là où rien ne pousse. Un trésor à cette hauteur, quand on pense qu’elles venaient de tout en bas dans la plaine! Je me sens plus proche de l’Amérique latine que de la Chine, c’est certain. J’ai le cœur latin. Là-bas ils te prennent dans leurs bras, ils sont émouvants, chaleureux, ils oublient les codes culturels, ils partagent. Il n’y a pas de barrière entre toi et les gens que tu rencontres sur les plateaux des Andes.

JD: J’ai choisi d’aller en Amérique latine parce que j’aime la langue espagnole que j’ai apprise au collège. C’est aussi la nature, à mes yeux. Je voulais me confronter aux espaces sauvages, aux animaux de ce continent. J’ai choisi comme option au collège la biologie, et la biodiversité a toujours été un gros centre d’intérêt pour moi. Du coup, j’ai visité des réserves naturelles, en commençant par la Patagonie qui a une université qui étudie la biodiversité. En matière de nature, je n’oublierai jamais les chutes d’Iguazú, à la frontière entre l’Argentine et le Brésil. Quelle puissance, quelle féerie! Mais l’Amérique latine, ce sont aussi les enfants. J’ai travaillé avec des associations qui s’occupent d’enfants des rues, orphelins, et quelles rencontres! Je me souviendrai toute ma vie de ce petit Eric, qui vivait dans la rue et venait parfois à l’orphelinat, si drôle et rigolo, qui un jour s’est mis à me raconter son histoire terrible en pleurant toutes les larmes de son corps. Ces enfants m’ont tellement donné. Je suis encore émue lorsque je pense aux sourires sur leurs visages, à leurs regards malicieux, aux moments où je les voyais jouer, s’amuser et éclater de rire entre eux.

Toutes deux, vous êtes des femmes blanches voyageant seules. Est-ce un problème parfois?

SM: Mon dernier voyage à pied, et plus particulièrement à travers la Mongolie, la Chine et l’Australie, m’a renvoyée ma condition de femme blanche seule en plein visage. En Mongolie, par exemple, une femme hors de la yourte, c’est contre nature. Je faisais peur, je suscitais de l’hostilité. D’autant plus qu’une légende dit que, lorsqu’on rencontre une femme blanche seule qui marche dans le désert, de mauvaises nouvelles sont attendues. En Chine, à la campagne, une femme seule peut souvent être interprétée comme étant une prostituée. Même en Australie, dans les zones très isolées de l’outback, une femme seule doit être très vigilante. J’ai développé des techniques parfaites pour passer inaperçue, pour me cacher, me déguiser en homme, me déplacer la nuit s’il le faut, trouver des endroits sûrs, effacer mes traces… La plus grande force, c’est l’observation. En marchant des mois dans la nature, je retrouve mes sensations animales et je me lave de mes repères d’humain. Il ne faut surtout pas avoir une arme, elle se retourne souvent contre vous et vous donne un faux sens de sécurité. A part peut-être un spray au poivre…

JD: Je n’ai heureusement jamais dû me cacher en Amérique du Sud! Mais on se sent vite mal à l’aise lorsqu’on arrive dans de petits hôtels où il n’y a que des hommes parce que ce sont des régions très peu touristiques. Il faut savoir garder une contenance, expliquer ce qu’on fait seule. J’étais perçue comme le serait un riche colon, hélas. Les hommes que je croisais ne voyageraient jamais par simple curiosité. Du coup, il était parfois difficile d’avoir des rapports naturels.

Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Vous êtes d’accord?

SM: Evidemment! Il faudrait même rendre le voyage obligatoire pour tous les jeunes! Cette errance programmée est une vraie école de vie. L’école ne nourrit que l’intellect. Le voyage seul permet de se confronter au monde, aux autres cultures, de s’enrichir au contact de l’autre, de se connaître mieux soi-même. Mais surtout de développer l’empathie, le respect et la compréhension des différences qui habitent chaque coin de la planète.

JD: Je ne suis pas tout à fait d’accord. Je n’aime pas le côté malsain du Blanc privilégié qui va à la rencontre de l’indigène qui, lui, ne ferait jamais ce genre de voyage, faute de moyens mais aussi parce qu’il n’en voit pas l’utilité.

SM: En marchant, l’approche est différente qu’en arrivant en véhicule 4x4. Peu importe l’endroit, les indigènes reconnaissent dans ma démarche une recherche profondément ancestrale. J’ai croisé de nombreux pèlerins, des gens qui marchaient sur de longues distances, des gens à cheval qui parcouraient le monde depuis des années. La marche est d’abord une démarche philosophique, d’où que l’on soit. Ensuite, on s’en donne les moyens, même s’ils sont dérisoires. Au début aussi j’avais l’impression d’être Pizarro arrivant chez les Incas, avec toute cette culpabilité héritée de notre passé européen conquérant. Puis l’expérience et l’étude des cultures, le respect des populations locales permettent de comprendre que tous les humains sont faits pareils et que nous sommes tous reliés.

Votre prochain rêve à toutes deux?

SM: Je vais réaliser un vieux rêve, celui de partir marcher et explorer sans un sac de 30 kg sur le dos. Je pars en juin 2015 pour quatre mois dans les Kimberley, une région isolée et impénétrable du nord-ouest de l’Australie. Jungle, crocodiles, falaises, savane: j’irai là-bas munie d’une machette, d’une fronde et d’une sarbacane. Je vais devoir chercher ma nourriture chaque jour sous forme d’insectes, de végétaux, de mollusques et d’autres techniques de survie que j’ai déjà pratiquées. Une expédition qui s’annonce intense. Mais, après vingt-trois ans d’expérience, je me sens prête pour un tel défi, encore un peu plus hors de ma zone de confort.

JD: J’ai envie de faire de la marche, comme Sarah. Je me rends compte qu’à pied on est beaucoup plus proche à la fois de la nature et des gens. Je commencerai par aller en Corse l’été prochain. Mais mon long périple de presque un an l’année dernière a rempli sa fonction. Pour le moment, je ne souhaite pas repartir pour longtemps. Je sais ce que j’ai envie de faire dans la vie maintenant.


Le Prix des Voyages Extraordinaires désormais romand

Comment, au XXIe siècle, lorsqu’on est la banque genevoise Lombard Odier, rendre hommage à l’esprit d’aventure propre à Jules Verne, qui a eu l’amabilité de vous mentionner dans l’un de ses romans, en l’occurrence De la Terre à la Lune, parmi les souscripteurs à l’expédition imaginaire De la Terre à la Lune? En créant, quelle bonne idée, via sa fondation présidée par Thierry Lombard, un Prix des voyages extraordinaires destiné à encourager les jeunes à partir à l’aventure autour du monde et à réaliser le périple de leurs rêves. De genevois à sa création en 2000, il prend dès cette année et pour sa 16e édition une dimension romande, puisque ce sont les jeunes en dernière année de scolarité postobligatoire (étudiants et apprentis) de tous les cantons romands, grâce à un partenariat avec la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), qui peuvent déposer leurs projets de voyage d’ici au 12 janvier 2015. Au final, cinq d’entre eux seront primés au printemps 2015 lors d’une cérémonie au Salon du livre de Genève.

Au-delà de la présence d’une marraine en la personne de Sarah Marquis, le Prix des voyages extraordinaires a également lancé un carnet de voyage sur le site du prix et une page Facebook. Ces rendez-vous électroniques ambitionnent de restituer les pérégrinations des jeunes sous la forme de textes, de photos, de vidéos et de dessins. La naissance de ce volet multimédia va donner lieu à une initiation aux nouveaux médias, proposée par la CIIP à la classe de chacun des lauréats de l’édition 2015. Un livre illustré commémorant les quinze ans du prix est paru ce printemps. Disponible sur le site, il regroupe les récits d’une dizaine des 70 lauréats précédents.
www.prixdesvoyagesextraordinaires.ch

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Lea Kloos
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Les soirées des 1%

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:55

Portrait. Lee Abbamonte organise des fêtes pour les plus riches de la planète. Il emmène des stars et des banquiers de Wall Street faire des courses de tanks en Ukraine ou festoyer dans les manoirs de Pablo Escobar en Colombie.

Enterrer sa vie de garçon à Las Vegas relève du cliché. Mais, quand l’événement est organisé par Lee Abbamonte, l’ordinaire et le commun ne sont pas au rendez-vous. Embarqués à bord d’un jet privé, ses clients se retrouvent ainsi quelques heures plus tard dans la Sky Villa Suite du Palms Hotel, une chambre de 600 mètres carrés dotée de son propre fitness et d’une piscine avec vue plongeante sur Sin City. Un majordome reste à disposition des fêtards vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Coût d’un week-end dans cet espace particulier: 20 000 dollars. Et ce n’est pas fini.

Cet Américain de 35 ans, qui s’est spécialisé dans les fêtes déjantées pour stars ou banquiers de Wall Street, envoie ensuite les fêtards conduire des Ferrari non bridées qui peuvent atteindre les 300 km/h, tirer avec des mitraillettes dans le désert et faire du base jump à 300 mètres de hauteur depuis le toit d’un hôtel adjacent. Cerise sur le gâteau, les traders et autres starlettes montent ensuite à bord d’un avion de chasse F-16 pour un vol autour de la ville. Coût total de ce séjour électrique: au minimum 10 000 dollars par personne. Bienvenue dans le monde des 1%.

Lee Abbamonte ressemble à un bro, à l’un de ces jeunes Américains qui aiment le sport, la bière et la fête. Il porte ainsi un T-shirt noir de la marque Under Armour, des baskets Nike et une casquette des New York Yankees. «Je reviens d’une réunion avec un client», glisse-t-il en souriant. Ce grand brun à la mâchoire angulaire tient à la main un gigantesque gobelet de café Starbucks, qu’il ne semble jamais vouloir vraiment abandonner.

Originaire du Connecticut, il a commencé sa carrière dans la finance, à Wall Street, raconte-t-il assis sur un banc dans un parc de Manhattan. «Je travaillais dans une firme de consulting où je gagnais bien ma vie.» Puis, du jour au lendemain, son métier ne lui convient plus. «Comme les bureaux de ma firme étaient situés au sommet du World Trade Center, j’ai perdu beaucoup d’amis lors des attentats du 11 septembre. C’était dur. Je devais prendre l’air, de la distance.» Il décide alors de voyager durant plusieurs mois, revient un moment à Wall Street puis repart. L’homme fait peu à peu du voyage un métier. Il crée un blog, participe à des émissions télévisées. Et sa quête d’adrénaline s’intensifie au fil du temps. Il pratique le golf en Afghanistan, se joint à des courses de chameaux sur les plages kényanes, visite la Libye en pleine guerre civile. Périple après périple, il finit par faire le tour de la planète et devient le plus jeune Américain à avoir visité les 193 pays du globe.

Lance-flammes en Ukraine

Son job d’organisateur de soirées ne commence qu’en 2012, quand l’un de ses meilleurs amis lui demande d’orchestrer son enterrement de vie de garçon. Lee Abbamonte l’emmène à Kiev, en Ukraine. Des femmes aguichantes y font office de guide, «pas d’escorts», assure l’Américain, pour les jeunes hommes. «L’Ukraine, et les pays de l’Est en général, ont cela d’exceptionnel que l’on y trouve des merveilles issues de l’époque soviétique. On peut alors monter des courses de tanks, tirer avec des AK-47, s’amuser avec des lance-flammes.» Lee Abbamonte vante aussi le prix des bouteilles de vodka en boîte de nuit, «20 dollars, contre 500 à Las Vegas».

A son retour, il évoque ce séjour sur son blog et son récit fait instantanément le tour du web. Une foule de gens le contactent pour qu’il leur organise une soirée. Il a depuis créé de nouveaux itinéraires. Il emmène désormais ses clients à Prague jouer au paintball, à Cracovie assister à des combats de catch féminin où les participantes sont enduites d’huile, ou encore à Medellín, en Colombie, «pour faire la fête dans des manoirs de Pablo Escobar».

Sa prochaine idée: exploiter son expérience de voyageur pour organiser des lunes de miel exceptionnelles. «Vous êtes déjà allé à Bora Bora ou aux îles Cook? C’est à l’autre bout de la planète et c’est assez fantastique.»

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New York rivalise avec la Silicon Valley

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:56

Enquête. La métropole est devenue l’un des principaux hubs technologiques des Etats-Unis, juste derrière San Francisco. Dans la Grande Pomme, les start-up ont pour thème la finance, la mode ou la publicité.

Julie Zaugg New York

L’atmosphère est celle d’une ruche studieuse dans cet espace de travail partagé du quartier de Flatiron, en plein Manhattan. Des hommes aux lunettes carrées sont assis côte à côte à de longues tables en bois, le nez dans leur laptop. D’autres s’affairent derrière des parois vitrées. Des grappes de gens discutent dans l’embrasure des portes en métal brut au look postindustriel. Coworkrs abrite une cinquantaine de start-up, au cœur de la Silicon Alley, le hub technologique new-yorkais.

«Le secteur est en plein boom, relève Reza Chowdhury, l’un des locataires de Coworkrs et fondateur d’un site consacré à ce hub, Alleywatch. New York a récemment dépassé Boston en tant que deuxième hub technologique des Etats-Unis, en termes d’investissements, après la Silicon Valley.» Rien que depuis le début de l’année, la métropole a attiré plus de 3 milliards de dollars de capital-risque.

Il s’agit plutôt d’une renaissance. Le mot Silicon Alley a été utilisé pour la première fois en 1995 dans une annonce d’emploi. Une série de start-up ont vu le jour à cette époque, notamment dans le domaine de la production de contenus et de l’e-commerce. «Avec l’éclatement de la bulle internet, suivi un an plus tard par les attentats du 11 septembre, ces entreprises ont disparu», raconte Alessandro Piol, venture capitalist et auteur du livre Tech and the City. La scène n’a commencé à rebondir qu’à partir du milieu des années 2000.

Premier grand coup, DoubleClick, une plateforme de publicité en ligne, a été rachetée par Google en 2008 pour 3,1 milliards de dollars. L’acquisition du site de microblogging Tumblr par Yahoo! en 2013 pour 1,1 milliard de dollars a cimenté le statut de New York comme une capitale de la «tech».

D’autres histoires à succès sont venues s’ajouter à ce palmarès, à l’image d’Etsy (e-commerce), Kickstarter (financement participatif), Buzzfeed (médias), Makerbot (impression 3D), Foursquare (géolocalisation) ou Shutterstock (vente de photos en ligne). Cette dernière a été cotée en Bourse l’an dernier. Son fondateur, Jon Oringer, est alors devenu le premier milliardaire de la Silicon Alley.

Pourquoi New York? La crise financière de 2007 a joué un rôle décisif. «Beaucoup d’ingénieurs travaillant pour des banques ont perdu leur emploi à ce moment-là, rappelle Alessandro Piol. Ils ont alors choisi de fonder des start-up.» Soucieux de relancer l’économie, l’ex-maire Michael Bloomberg, lui-même issu du monde de la tech, a activement promu ce secteur à coups de subventions, de rabais fiscaux et d’incubateurs. En 2011, il a annoncé la création d’un campus technologique à 2,1 millions de dollars sur l’île Roosevelt, sur l’East River, coordonné par l’Université Cornell et l’institut israélien Technion.

Pas de vivier d’ingénieurs

New York se distingue des autres hubs technologiques par sa taille, sa diversité et son statut de centre mondial de la finance, des médias, de la publicité et de la mode. Des industries auxquelles «les patrons de la Silicon Alley s’adressent en priorité. Et ils sont souvent eux-mêmes issus de ces secteurs», note Andrew Rasiej, président de la rencontre mensuelle NY Tech Meetup. On a ainsi vu émerger dans la métropole une multitude de start-up spécialisées dans la fintech (Lendoo, Learnvest, Betterment), l’adtech (AppNexus, Tremor Video, Mopub), la mode (Fab, Gilt, Zady) ou les médias (Vine, Instapaper, Aereo).

Mais il manque à la Silicon Alley certains des ingrédients qui ont fait la réussite de son grand cousin californien. «La Silicon Valley s’est nourrie du vivier d’ingénieurs produits par l’Université Stanford, relève Oliver Haugen, responsable du bureau Swissnex à New York. De même, Boston a profité de la proximité du MIT et de Harvard. Ici, il n’y a pas d’institution de cette envergure. Columbia, NYU, Yale ou Princeton ne jouent pas ce rôle.»

De plus, les possibilités de financement ne sont pas aussi abondantes qu’on pourrait l’imaginer. «Si la ville compte un certain nombre de firmes de micro-capital-risque et de business angels, il y a peu d’occasions de lever des fonds plus importants, de l’ordre de 30 à 50 millions de dollars, complète David Iskold, directeur de TechStars, un incubateur new-yorkais. Pour trouver ce genre d’argent, il faut aller en Californie.»

Autre handicap, New York n’a pas encore produit de Google ou de Facebook. «Or, précise Reza Chowdhury, les ex-employés de ces firmes représentent la relève, ce sont eux qui ont porté la seconde vague d’innovation en Californie.»


La Suisse veut une part du gâteau

Une foule bigarrée se promène entre les exposants, s’arrêtant un instant pour admirer une chaussette qui enregistre le pouls de celui qui la porte, une robe Akris garnie de diodes ou des sous-vêtements munis de senseurs pour prodiguer des caresses à distance. Dans un coin, un professeur de l’EPFL explique comment les nanotechnologies vont révolutionner les vêtements intelligents. Cet événement, organisé par la Suisse mi-septembre à New York, en pleine Fashion Week, témoigne de l’envie des Helvètes de prendre part à la Silicon Alley. En mai, c’est l’industrie zurichoise qui était mise en valeur dans le cadre d’une manifestation intitulée Zurich Meets New York. Afin de renforcer le leadership de la Suisse comme pôle mondial d’excellence dans la science, l’éducation et l’innovation, le réseau des ambassades scientifiques Swissnex a ouvert une antenne en 2013 à New York. Ses locaux se trouvent chez Coworkrs, un espace de travail partagé au cœur de la Silicon Alley. Une dizaine de start-up suisses sont déjà basées à New York, à l’image de Zkip-ster, qui propose des guest lists virtuelles, Livestream, une plateforme de streaming, Soshio, qui analyse les réseaux sociaux chinois, ou Appway, qui fait le lien entre les banques et leurs clients.


Louer un peu de luxe

Une robe fourreau Dolce & Gabbana au motif léopard pour 30 dollars? Une robe Kate Spade ornée de sequins pour 40 dollars? Ou alors un sac Moschino bleu ciel pour 35 dollars? Ce sont les prix pratiqués par Rent the Runway… pour louer ces pièces le temps d’une soirée.

La plateforme, créée en 2009, a aujourd’hui 5 millions de membres et héberge 250 designers de mode. La commande se fait en ligne et les vêtements arrivent dans deux tailles différentes. La start-up, qui a 311 employés, dit vouloir «réécrire les règles de la mode et redéfinir la propriété privée, en rendant le luxe accessible à tout le monde». Ses deux cofondatrices, Jennifer Fleiss et Jennifer Hyman, se sont rencontrées à la Harvard Business School. La première a commencé sa carrière dans l’événementiel. La seconde dans la finance.

 

La finance en groupe

Dans le monde de la finance, l’information vaut de l’or. Et ne se partage pas. Cette logique, Leigh Drogen (photo) a voulu l’inverser en lançant, début 2012, Estimize, une plateforme ouverte à tous qui regroupe des avis sur la performance des entreprises. «Nous avons 5000 contributeurs anonymes qui couvrent plus de 1000 sociétés. Ce sont des analystes, des traders ou des étudiants», détaille le New-Yorkais de 28 ans, qui a commencé sa carrière dans un hedge fund.

Les prévisions d’Estimize sont souvent plus précises que celles des analystes professionnels. Leigh Drogen pointe du doigt la courbe des actions de Michael Kors sur son ordinateur. La courbe bleue d’Estimize est légèrement en deçà. La ligne grise des analystes professionnels est loin en dessous. «Cette marque de vêtements, qui enregistre une croissance énorme, a tout intérêt à sous-estimer ses résultats et les analystes n’osent pas se détacher de ces prévisions erronées», détaille l’entrepreneur, qui emploie actuellement dix personnes. Estimize profite aussi d’un effet de masse. «Alors qu’Apple n’a que 42 analystes officiels, nous avons 400 contributeurs sur ce groupe. C’est le principe de base du crowdsourcing.
 

Un média pour les «milléniaux»

Un gif avec les noms des départements du gouvernement américain qui clignotent en temps réel à chaque fois que l’Etat dépense 300 dollars. Ou la guerre en Syrie racontée à travers le fil Instagram d’une jeune djihadiste. Ce sont deux des histoires publiées récemment par le site Mic, un média en ligne destiné aux «milléniaux». «Les moins de 30 ans ne se reconnaissent ni dans les journaux traditionnels, qui ne s’adressent pas à eux, ni dans les nouveaux médias numériques, qui font l’impasse sur l’actualité sérieuse», explique James Allen, porte-parole de cette plateforme.

Fondé en 2011, Mic est l’œuvre de Christopher Altchek, un ex-banquier et analyste politique pour la Maison Blanche, et de Jake Horowitz, un ancien de change.org. Le site attire 20 millions de visiteurs uniques par mois. L’accent est mis sur le multimédia, l’immédiateté et la possibilité de partager les articles sur les réseaux sociaux. Mic a une section entière consacrée aux questions d’identité (race, genre, etc.), «des thèmes qui préoccupent particulièrement la génération actuelle», selon le porte-parole.

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«Comment j’ai inventé mes souvenirs de l’Expo 64»

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:57

Vécu. L’exposition nationale quinquagénaire a marqué les esprits suisses comme peu d’événements. Trois nouvelles parutions en témoignent. Dans «L’étonnante visite de l’Expo 64 du Petit Nicolet», notre confrère Luc Debraine livre son «faux témoignage». Bonnes feuilles.

«Monsieur le Juge,

Je tiens à confesser devant vous un fait de faux témoignage.

J’ai souvent dit, lorsqu’on me posait la question, que je me souvenais bien de l’Expo 64. J’avais 6 ans à l’époque de ce grand rendez-vous national. Pas encore l’âge de raison, certes, mais j’avais tout de même dépassé le stade du miroir. Vous savez, celui où on se dit «C’est moi!» devant une glace, au lieu de se demander qui diable peut être le gamin aux bonnes joues qui se présente soudain devant nous. J’avais des culottes courtes, une casquette et je suivais, un rien paniqué, les cours de l’école enfantine au Mont-sur-Lausanne. Presque un grand, donc.

Donc, sans avoir jamais entendu parler de Georges Perec, dont j’ai connu la femme Paulette bien plus tard, j’ai dit et répété que je me souvenais de:

Le monorail qui serpentait au-dessus et au travers des pavillons.

La grande statue de Gulliver.

Le jardin d’enfants avec ses costumes aux chapeaux rouges et ses poussins à l’intérieur du bâtiment. J’avais même pris l’un de ces malheureux oisillons entre mes mains, l’avais ausculté du bec au croupion et serré tant et si bien que je l’avais reposé raide mort dans la sciure de bois, au sol.

La machine à Tinguely qui couinait.

L’immense, la si colossale tour Spirale qui s’élevait loin au-dessus du site. Je mesurais un peu plus d’un mètre, elle en faisait cent fois plus.

Le pavillon des drapeaux de toutes les communes suisses.

Le logo rouge qui jouait si habilement de la croix fédérale et du «E» d’«Exposition».

En fait, non. Nous voilà au cœur de l’affaire, Monsieur le Juge.

A 50 ans passés, je me rends compte que la mémoire n’est en rien cette madeleine dorée que nous a vendue Marcel Proust. Elle est une pâte recuite, informe et truffée de fragments grumeleux qu’on peine à identifier. J’ai pris pour argent comptant des souvenirs qui n’étaient que ceux de photos aperçues bien plus tard. Elles me disaient vaguement quelque chose, ces photos. Elles n’étaient en fait que la réminiscence d’autres photographies découvertes auparavant. Je tenterai comme vague excuse d’avancer le fait que j’avais un père reporter-photographe. Il avait documenté en détail l’exposition nationale de 1964. Pour les magazines L’illustré et Life, ainsi que pour le livre officiel de la manifestation, que je garde toujours comme un talisman. Bref, l’abondance d’images nuit à la clarté de la mémoire.

Quant à l’épisode meurtrier du poussin, j’ai croisé deux autres souvenirs, comme l’on dit tare pour barre. Ma chère épouse m’a raconté un jour que l’un de ses amis proches (je tairai son nom) avait réellement commis ce forfait dans le jardin d’enfants sponsorisé par Nestlé, à l’Expo 64. Si je fais le malin en mentionnant le mécénat de Nestlé, c’est que je viens de regarder dans Wikipédia ce qu’il en était de cet enclos pour marmots, il y a cinquante ans à Vidy.

Or, à peu près à la même époque, alors qu’un matin je m’ennuyais ferme dans la chambre de ma cousine Danielle dans la petite ville de Troyes en France, j’avais ouvert la porte de la volière, saisi l’un des petits oiseaux exotiques qui s’y trouvaient, l’avais regardé en le serrant trop fort et étouffé aussi sec. Je l’avais reposé dans la volière en souhaitant que mon crime passât inaperçu.

Pas du tout. Malgré ce que suggèrent les Monty Python dans leur célèbre sketch du Dead Parrot, rien ne ressemble plus à un oiseau mort qu’un autre oiseau mort. Le gnome malfaisant que j’étais alors s’était fait vertement engueuler. J’ai ensuite oublié l’épisode, l’ai croisé avec l’autre susmentionné avant qu’il ne me revienne avec l’évidence d’un boomerang assommeur de kangourou.

En vérité, Monsieur le Juge, encore un instant d’attention s’il vous plaît, je ne me remémore qu’une chose, en ce qui concerne cette belle exposition nationale. C’est une image flottante, à l’exemple de la mémoire du même nom. Telle une scène que l’on aperçoit du coin de l’œil, de manière subreptice, avant que l’on passe son chemin. Quelle chose, ne me demandez-vous pas? Le train qui n’avait qu’un rail. Comme moi-même je n’ai qu’un souvenir de l’Expo 64.

A bien examiner les raisons de ce faux témoignage, je dirai qu’il est le produit d’un fantasme. Vous savez, l’une de ces constructions a posteriori qu’a si bien décrites le Dr Sigmund Freud. Une sécrétion de l’esprit sous l’effet d’un désir inconscient. Et ce désir, c’est bien celui qu’a diffusé en abondance cette exposition entre le printemps et l’automne 1964. Un événement exceptionnel dont j’aimerais tant me souvenir avec précision. Je ne le peux pas. D’où les ratés de ma machine à produire des images en couleur sur papier glacé.

Voilà mon forfait avoué, Monsieur le Magistrat. Jugez-moi, je le mérite, je n’ai presque aucune excuse. Mais permettez-moi auparavant de vous poser une question. Vous avez l’air, sauf votre respect, d’avoir à peu près le même âge que moi. Et vous, quels sont vos souvenirs de l’Expo 64?»

Retrouvez la galerie d'images des mémoires de l'Expo 64.


Trois ouvrages sur l’Expo 64

Des souvenirs racontés à la première personne, l’analyse d’une exposition vue comme un médium à part entière, le recueil d’une collection d’articles de 24 Heures: riche actualité éditoriale sur le grand rendez-vous quinquagénaire de Vidy.

L’étonnante visite de l’Expo 64 du Petit Nicolet Demander à quelques-uns des 11 728  406 visiteurs de raconter leurs souvenirs de l’exposition nationale. Tel a été le principe de ce livre aussi original qu’amusant, conçu par la journaliste Florence Perret et illustré par Louis Morier-Genoud. Le journal de bord de l’un de ces visiteurs, le réalisateur Philippe Nicolet, 11 ans à l’époque, traverse le livre comme un fil rouge. Parmi la quarantaine de souvenirs, ceux de Marlène Belilos, Robin Cornelius, Jacques Pilet, Charles Poncet ou Daniel Rausis.

Revisiter l’Expo 64 Et si l’Expo 64 avait été bien davantage qu’un miroir tendu au pays il y a cinquante ans? N’a-t-elle pas été un médium à part entière, mettant en relation des milieux, intérêts et opinions très divers? Ce livre collectif, dirigé par Olivier Lugon et François Vallotton, de l’Université de Lausanne, met en lumière les projets rejetés, les controverses oubliées, les répercussions de l’événement sur la Suisse entière. En particulier dans la politique, l’économie, les arts et les médias.

Ed. Presses polytechniques et universitaires romandes

Expo 64, 50 ans après Cette année, le quotidien 24 Heures a consacré une très complète et intéressante série d’articles sur l’exposition nationale, après tout le plus grand événement jamais organisé en terres vaudoises. L’occasion de revenir en détail sur cette ode à la consommation, ce prodige technique, le mésoscaphe, l’uniforme des hôtesses, mais aussi les limites du modèle suisse à l’époque ou la faible place de la femme dans la société… De «L’âge du tout à la voiture» à «Un avenir encore brumeux», cet ouvrage groupe une trentaine d’articles parus cet été dans le quotidien vaudois.

Ed. Favre

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Yves Debraine
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