Propos recueillis par Davide Lerner
Interview. Fondateur du parti antieuropéen UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni), Alan Sked œuvre à un éventuel référendum sur le «Brexit», la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE. De profondes dissensions avec Nigel Farage l’ont néanmoins poussé à quitter son parti.
Nigel Farage entend supprimer les lois contre la discrimination au travail, il parle d’une 5e colonne de musulmans assassins. Cela vous surprend?
Non. Quand j’étais le chef de l’UKIP, nous nous étions demandé avant les élections de 1997 s’il était opportun d’accepter des gens issus de l’extrême droite. J’étais perplexe, mais il m’a dit: «Qu’est-ce que ça peut faire de fâcher les nègres? De toute façon, ils ne voteront pas pour nous.» Certains le trouvaient marrant, moi inquiétant.
Un jour, j’ai reçu une lettre d’électeur d’une circonscription où je le faisais concourir. Il écrivait: «Cela me convient que vous encouragiez l’instruction, mais tant que votre candidat ne saura pas orthographier correctement le mot instruction, vous serez peu crédibles.»
J’ai tenté de lui donner des cours de grammaire, mais il partait en claquant la porte. C’est un raciste ignorant, si bien que j’ai décidé d’abandonner ce parti qui se remplissait d’extrémistes analphabètes comme lui.
Pour moi, l’UE reste un agglomérat de bureaucrates qui pâtit d’un grave déficit démocratique. D’ailleurs, l’idée qu’elle servirait de mégaphone sur le plan international est ridicule: en politique étrangère, nous nous disputons en toute occasion. Mais dans tout cela, l’UKIP est devenu une sorte de monstre qui fait le jeu de Bruxelles.
A savoir?
S’il y a bel et bien un référendum sur la sortie de l’UE, les personnes de bon sens qui comprennent l’absurdité du projet européen risquent de voter le statu quo à cause de Farage. Le référendum est inévitable si David Cameron garde le pouvoir, puisqu’il l’a promis.
Si Farage devenait le symbole de la campagne, ce serait la fin: il croit promouvoir la cause du «Brexit» mais ne fait que la délégitimer. Au lieu de la soutenir, il vilipende la libre circulation qui nous vaut de précieux flux migratoires et contraint Cameron à s’adapter à son discours.
Le rapport de l’University College London d’il y a quelques mois montre que les immigrés sont non seulement indispensables à l’économie mais qu’ils contribuent plus par leurs impôts que ce qu’ils consomment en services et subsides.
L’austérité voulue par le ministre des Finances, George Osborne, paraît fonctionner, l’économie est en croissance.
L’économie s’est remise à croître ces trois dernières années, une fois passé les deux années d’austérité. Mais, en tout cas, Osborne n’a pas atteint son objectif de faire tomber à zéro le déficit primaire durant cette législature. Et son intention de dégager un robuste excédent au cours de la prochaine est irréaliste.
Sur ce point, les travaillistes ont raison: nous ne pouvons ramener l’Etat social au niveau des années 30. Ils ont raison aussi sur les bénéfices inégaux de la reprise, qui a favorisé les plus aisés tandis que les autres payaient l’addition des contractions fiscales et de la hausse croissante du coût de la vie.
Je me demande d’ailleurs comment les conservateurs calculent: ils ne veulent pas toucher aux retraites ni à la santé, puisque leur électorat est en bonne partie âgé mais, en même temps, ils veulent augmenter les dépenses de la Défense. Ils sont sensibles aux sollicitations des Américains qui voient nos dépenses militaires glisser vers les 2% du PIB, minimum requis pour l’OTAN.
Le nucléaire est aussi en jeu: le programme Trident qui le chapeaute exige un investissement important d’ici à 2016.
Oui, et il serait insensé de le démanteler maintenant. Le Moyen-Orient est en flammes et Poutine paraît insister: pourquoi renoncer à la dissuasion? Bien sûr, le bouclage de Trident reste au programme du SNP (ndlr: Parti national écossais). Avec le système majoritaire uninominal, le SNP pourrait obtenir 40 sièges et passer un accord de coalition avec les travaillistes.
Dans ce cas, le Labour devrait concéder quelque chose aux Ecossais. Plutôt que de clore le programme nucléaire, je crois qu’Ed Miliband préférerait céder le contrôle de la politique fiscale au Parlement d’Edimbourg. Il éviterait ainsi l’éventualité que les nationalistes ne lancent un nouveau référendum, pour ne laisser à Westminster que la Défense et les Affaires étrangères. Cameron pourrait lui aussi, s’il l’emportait, amadouer de la même façon les nationalistes écossais.
Pour «The Economist», il est probable que la loi électorale soit mise en discussion puisqu’elle n’est plus en mesure d’assurer des gouvernements stables et qu’elle fait la part trop belle aux partis moyens et petits.
Je ne suis pas d’accord que le fait d’écarter les plus petits partis à l’aide du système majoritaire uninominal soit peu démocratique. Pour moi, il est absurde d’espérer réformer la loi électorale en direction de la proportionnelle, car cela comporterait beaucoup plus d’instabilité. Certes, les partis traditionnels sont en crise, de sorte que les gouvernements se révèlent moins forts.
Cameron et Miliband sont des leaders faibles, faciles à remplacer. Pour les conservateurs, je pense au maire de Londres, Boris Johnson, ou à Theresa May. Chuka Umunna, dit l’«Obama anglais», pourrait remplacer Miliband.
L’actuel leader travailliste a rendu au parti son identité socialiste après la parenthèse Blair avec ses propositions interventionnistes sur le prix de l’énergie et le secteur bancaire, mais il n’a pas de charisme. Quel que soit le vainqueur du 7 mai, il devra former une coalition.
L’UKIP ne sera guère utile dans ce contexte car il n’aura qu’une poignée de sièges: il est trop éclaté sur le territoire. Au bout du compte, je n’exclus pas une alliance entre les deux plus grands partis.