Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Turquie: des vidéos pour combattre Daech

$
0
0
Jeudi, 7 Mai, 2015 - 05:54

Edith Bouvier Istanbul

Reportage. Pour lutter contre les vidéos atroces et toutes sanguinaires que diffuse l’organisation de l’Etat islamique, un groupe d’activistes syriens a décidé de les parodier. Depuis un an, ils enchaînent les tournages en Turquie et les diffusent ensuite sur l’internet. Rire pour ne pas subir.

Un milicien syrien dévoué à Bachar al-Assad qui se transforme en émir djihadiste, tout habillé de noir, barbe longue et foulard sur la tête. Et ce sur ordre d’un petit génie vêtu comme un clown en jaune et rouge, tout droit sorti d’une casserole blanche. La scène se déroule dans un appartement d’un immeuble dans le sud de la Turquie.

La scène paraît étrange, très étrange. «Nous avons appelé cet épisode Le cadeau de saint Valentin, parce que c’est l’histoire d’un milicien qui commence à avoir des remords pour tous ces morts et qu’un bon génie transforme en djihadiste. Comme ça, il peut continuer de tuer sans avoir de sentiment de culpabilité.

Nous utilisons plusieurs ingrédients. D’abord, le soldat n’est pas n’importe qui, c’est un shabiha, un homme appartenant à ces hordes sanguinaires de voleurs et tueurs qui sont payées par le régime pour tuer la population.

Tout cela n’a pas commencé avec Bachar al-Assad, son père déjà utilisait ces gangs de mercenaires pour réprimer toute velléité de liberté et réduire le peuple au silence par la violence et la peur.» Maen Watfe a lâché ces mots quasiment sans respirer.

Apporter du sens

Chez ce long et fin jeune homme de 27 ans, on perçoit toute la colère et la douleur d’avoir dû fuir Alep et la Syrie. «Nous essayons de faire passer un message. Il faut que les gens comprennent la différence entre l’islam et les terroristes, sinon on aura perdu le sens de notre révolution.»

Le temps de régler les éclairages, d’ajouter quelques accessoires, et le tournage reprend. Maen court se changer dans une chambre à l’autre bout de l’appartement. Il en revient dans la peau de son nouveau personnage et se réinstalle à sa place.

Youssef finit d’imprimer un portrait du calife al-Baghdadi. «Avec cette image, nous représentons la personne qui leur ordonne de tuer. Nous les mettons tous les deux sur le même plan parce que, pour nous, ce sont les deux dangers de la Syrie.»

Youssef Helali, âgé de 31 ans, était graphiste à Alep, mais en 2013 il a aussi dû abandonner son pays. Aujourd’hui, il s’occupe de tout le montage et des effets vidéo. Il donne le clap de début de tournage. «Nous avons appris avec la révolution et pour elle. Avant, je ne connaissais rien en vidéo.

Notre projet, c’est d’arriver au niveau des clips de l’Etat islamique. Ils sont super bien réalisés, avec des images bien filmées, des ralentis, des changements de plans… Du travail de professionnels, c’est sûr.» Youssef a un large sourire quand il décrit le travail de ces barbares qu’il craint autant qu’il les hait.

Muhammad Damlakhy remet en place la perche pour la prise de son. Agé de 24 ans, cet ancien ingénieur du son est lui aussi originaire de la ville d’Alep. Petit dernier à avoir rejoint le groupe, il est devenu aussi comédien et chanteur.

Entre deux prises, il contrôle les niveaux sur son ordinateur puis retourne s’asseoir avec Maen pour préparer la scène suivante. «Nous créons tout nous-mêmes, avec des bouts de ficelle, c’est vrai, mais ça fonctionne.» Il sourit.

Les discussions pour préparer les images suivantes s’intensifient, les rires fusent. «Nous allons tourner une scène sur les journalistes décapités. Nous l’appellerons Message pour Obama. C’est difficile de rire de l’horreur, cependant il faut trouver une astuce pour se moquer des pratiques moyenâgeuses de Daech.

C’est également notre manière de critiquer les positions et déclarations internationales. La ligne rouge que Bachar a franchie plusieurs fois aurait dû entraîner des répliques occidentales, mais apparemment ils attendent que tous les Syriens aient été tués pour nous venir en aide.»

«Daech et le régime de Bachar sont l’un comme l’autre tout aussi dangereux pour la Syrie, ajoute Maen. Les djihadistes voulant terroriser la population, il faut démonter tous les rouages de leurs pratiques, expliquer qui ils sont et décrypter leurs discours pour empêcher les jeunes de les rejoindre.

Je connais des Syriens qui ont franchi le pas. Nous, on dit «Plus jamais ça!»

Depuis les menaces de l’Etat islamique, la vie des jeunes activistes s’est presque arrêtée. Chaque jour, en fonction de leurs emplois respectifs, le petit groupe se retrouve dans cet appartement au sud de la Turquie. Certains y habitent, d’autres ne sont qu’à quelques centaines de mètres avec leur famille.

Impossible de révéler le lieu et l’adresse de ce studio, ils ont trop peur. «Des hommes proches de l’EI sont venus à notre ancienne maison. Heureusement, nous n’étions pas là. Mais ils ont menacé le propriétaire pour obtenir des informations sur nous. Ensuite, nous avons vu des voitures rôder devant la maison, plusieurs fois.»

Maen est calme, mais sa main tremble sur la table. Il joue avec un stylo entre ses doigts, comme pour canaliser sa rage. «Nous n’avons pas peur, nous continuerons d’expliquer la folie de ces hommes. Ce sont eux qui ont peur, c’est pour ça qu’ils essaient de nous faire taire. C’est parce que nous disons la vérité et que les gens nous écoutent.»

Youssef opine de la tête en écoutant son ami, il reste inquiet. «Ils nous ont dit: «Ils ont eu les dessinateurs français, et vous serez une cible encore plus facile.» Mais nous n’arrêterons pas.» 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Virginie NGUYEN HOANG hanslucas.com
Virginie NGUYEN HOANG hanslucas.com
Virginie NGUYEN HOANG hanslucas.com
Virginie NGUYEN HOANG hanslucas.com
Virginie NGUYEN HOANG hanslucas.com
DR
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles