Enquête. Deux nouvelles études américaines prouvent que les enfants peuvent «guérir» de l’autisme, pour autant qu’on les soumette à un intense régime de thérapies. «L’Hebdo» a rencontré plusieurs de ces rescapés.
Jake Exkorn est né à New York par une chaude soirée d’été de juillet, en 1996. Le petit brun est rapidement devenu un bébé joueur, rieur et plein d’énergie. Pour le plus grand bonheur de sa mère, Karen.
Mais, à 17 mois, Jake a commencé à changer. Le garçon jouait moins, évitait le regard de sa mère. Il allumait et éteignait la lumière des centaines de fois à la suite, de façon robotique. Il restait couché sur le ventre, amorphe. Cela durant des heures. Karen regardait, impuissante, son fils se déconnecter du monde réel.
Un jour, Jake ne sut plus son prénom. Pire: le petit garçon, qui avait appris à parler, ne parvint plus à s’exprimer.
Paniquée, sa mère consulta de multiples pédiatres. Finalement, l’un d’eux lui livra un diagnostic: son fils était autiste. Elle était terrifiée: «Je ne savais rien de ce trouble, se souvient-elle, la voix tremblante. La seule image que j’avais en tête était le film Rain Man.»
Sa pédiatre lui recommanda de faire suivre une thérapie à Jake le plus vite et le plus intensément possible. C’est ainsi que, du jour au lendemain, une équipe de huit différents thérapeutes sont arrivés chez elle pour faire suivre à son fils un cocktail d’exercices – issus pour la plupart de la méthode ABA (Applied Behaviour Analysis). Durant quarante heures par semaine.
Deux ans plus tard, Karen se promenait dans un parc avec son fils lorsqu’elle a entendu un léger murmure: «Nilla.» Jake voulait de la glace vanille. C’était la première fois qu’il exprimait un désir depuis que ce dernier s’était éteint. Jake était sur le point de ressusciter.
Quelques mois plus tard, Jake pouvait parler avec des amis, comprenait les gens dans son entourage. Perplexe, sa mère l’a alors envoyé chez la pédiatre. «Elle m’a dit que mon fils était «guéri» de l’autisme, raconte Karen. Il n’en présentait plus aucun symptôme. C’était un miracle.»
De nouvelles études
Jusqu’à récemment, peu de gens pensaient que des enfants avaient la possibilité de «guérir» de l’autisme. Certaines personnes pouvaient certes apprendre à vivre avec la maladie, mais ils en conservaient les signes.
Les médecins pensaient que les enfants qui s’étaient en apparence débarrassés de leurs symptômes avaient simplement été mal diagnostiqués à l’origine. Mais, en 2014, deux nouvelles études américaines ont, pour la première fois, prouvé qu’une certaine partie des enfants atteints d’autisme pouvaient réellement surmonter ce trouble.
La première a été effectuée par Deborah Fein, une chercheuse de l’Université du Connecticut: en examinant 34 jeunes, dont Jake Exkorn, la scientifique a prouvé que le garçon et ses camarades avaient correctement été diagnostiqués comme autistes quand ils étaient plus jeunes, et qu’ils avaient par la suite complètement récupéré.
La seconde étude a été menée par Catherine Lord. L’experte de l’autisme au Weill Cornell Medical College, à New York, a suivi 85 enfants autistes à partir du moment où ils ont été diagnostiqués, à l’âge de 2 ans, et cela pendant dix-sept ans. Sa découverte: 9% de ces sujets ne sont plus autistes aujourd’hui.
Jake Exkorn a désormais 18 ans. Et ressemble à un cliché d’étudiant américain. Il est grand, porte ses cheveux mi-longs et a une mâchoire carrée. Dans la maison de ses parents, une grande villa blanche au bord de l’Hudson, sa chambre ressemble à celle de tous les adolescents de son âge: des posters sont collés au mur, le sol est recouvert de chaussettes, son bureau de livres d’école.
Sa vie est tout à fait normale: il est passionné de sport, fait du piano, travaille au fitness du coin pour gagner de l’argent de poche. L’année dernière, il a même vécu sa première promo, le bal de fin d’année des écoles américaines. «Il y est allé avec une fille», dit sa mère en riant.
L’année prochaine, Jake Exkorn, fasciné par le fonctionnement du cerveau, va commencer des études en psychologie à l’Université du Michigan.
Aux Etats-Unis, les enfants autistes sont généralement traités grâce à trois types de thérapies. La plus populaire est la méthode ABA (pour Applied Behaviour Analysis, ou analyse du comportement appliquée).
Cette technique a pour but de faire répéter une tâche des centaines de fois à un enfant, et le récompenser à chaque fois qu’il la réussit. «On me donnait un M&M’s, un Oreo ou des chips quand je faisais juste», se rappelle le jeune homme.
Le deuxième type d’intervention s’appelle l’Early Start Denver Model. «Il s’agit de techniques tirées de l’ABA mais qui suivent les étapes du développement naturel d’un enfant, et qui accordent plus d’importance aux émotions (donner un câlin à l’enfant au lieu d’un chocolat quand il réussit un exercice, ndlr)», explique Geraldine Dawson, qui a développé cette méthode.
La dernière thérapie se nomme TEACCH, et s’appuie sur des outils visuels. Un procédé qui se révèle chronophage: les thérapeutes recommandent au minimum quarante heures de traitement en tête à tête par semaine. Ils coûtent par conséquent très cher, entre 80 000 et 100 000 francs par année.
Des thérapies éreintantes
Traiter l’autisme est difficile. Les parents doivent mobiliser toute leur force pour que ces thérapies fonctionnent. Nancy Ross, une brune énergique qui habite dans le Connecticut, en a fait le combat de sa vie.
Son fils, Jason, a commencé à présenter les premiers signes d’autisme dès l’âge de 12 mois. «Parfois, il sortait de la maison et restait sous la pluie, raconte Nancy. Il ne savait plus où il se trouvait, à l’intérieur ou à l’extérieur.» A 2 ans, il a arrêté de parler.
Mais Nancy a pris les choses en main. Chaque jour, elle amenait son fils à la cave, dans sa maison, où elle avait inscrit en grand sur un mur les mots «kill autism». Elle faisait suivre à son fils quinze heures de thérapie par jour. Du lundi au dimanche. «Je me réveillais à 4 heures du matin, et me couchais à minuit tous les jours», se rappelle-t-elle.
Peu à peu, son fils se mit à aller mieux. «Il ressemblait à quelqu’un qui avait eu une attaque cérébrale et qui retrouvait ses mots avec peine», explique Nancy Ross.
Aujourd’hui, Jason Ross a 22 ans, a terminé un bachelor à l’université et habite désormais à Minneaopolis, où il travaille pour une ONG environnementale. Il a les cheveux bouclés, la silhouette mince, porte des lunettes. Et il parle vite, ponctue ses phrases de blagues ironiques. Il fait partie des 34 jeunes étudiés par Deborah Fein.
«Pour moi, l’époque où j’étais autiste appartient à une autre vie, dit-il. Je me rappelle que j’aimais ouvrir et fermer des portes sans m’arrêter, et que les traitements étaient très intenses pour ma mère.»
Malgré l’existence de ces techniques et les histoires à succès qu’elles ont générées, la science ne parvient toujours pas à expliquer pourquoi certains enfants récupèrent de l’autisme et d’autres pas.
Tout au plus dispose-t-on de quelques pistes. «Nous savons que plus l’enfant est traité tôt, plus il a de chances de récupérer, détaille Marie Schaer, une chercheuse suisse de l’Université Stanford. La plasticité cérébrale de l’enfant est maximale entre 2 et 4 ans, c’est le meilleur moment pour le rééduquer.
D’autres études ont également démontré que les capacités cognitives – l’aptitude à apprendre – de l’enfant, qui varient d’un individu à un autre, jouent un rôle prépondérant. Plus important encore que son quotient intellectuel.»
Et même les enfants qui récupèrent de l’autisme ne sont pas totalement «guéris»: «Le cerveau d’un enfant anciennement autiste va quand même fonctionner différemment que celui d’une autre personne, explique-t-elle. Quelques petits signes subtils vont toujours subsister, comme des tournures de phrases bizarres. Mais seul un expert va vraiment les remarquer.»
La vie de Jason Ross ressemble maintenant à celle de la plupart des jeunes qui sortent de l’université: il enchaîne stages et petits boulots, a des problèmes d’amour, aime sortir. Mais il estime que, malgré tout, certains légers symptômes autistiques persistent: «Je me sens stressé quand je suis en compagnie d’autres gens», dit-il.
Jason Ross a aussi tendance à se fixer sur certains objets: «Quand je découvre quelque chose de neuf, que j’aime, je le répète de manière maladive. Je mange presque tout le temps les mêmes aliments. Ou dès que j’entends une nouvelle chanson et que je l’apprécie, je la réécoute en boucle. Des milliers de fois.»
Ne pas guérir
Malgré les avancées réalisées en matière de traitement de l’autisme, certaines personnes rejettent l’idée qu’il faille guérir, comme Ari Ne’eman, le président de l’Autistic Self Advocacy Network, une organisation gérée par et pour les adultes autistes: «Les gens veulent forcer les autistes à avoir l’air normaux, explique-t-il.
Par exemple, ils obligent les autistes à regarder les gens dans les yeux, un facteur de stress pour nous, ou encore à arrêter d’agiter les mains dans les airs.»
Carmine DiFlorio, 18 ans, un autre participant de l’étude de Deborah Fein, est un cas emblématique de ce paradoxe. «Enfant, j’étais submergé par une vague de bonheur permanente, raconte ce grand brun au visage joufflu, qui étudie désormais la musique à Boston. Particulièrement quand j’écoutais certains morceaux ou que je voyais la couleur rouge.
En guérissant de l’autisme, j’ai perdu cela. De même, j’aimais – j’adorais – battre des mains en l’air. Mais on m’a appris à cesser de le faire, en mettant mes mains dans les poches. C’était douloureux.»
Pour Ari Ne’eman, les thérapies pour soigner l’autisme s’apparentent aux méthodes de guérison de l’homosexualité: il rappelle qu’Ivar Lovaas, l’homme qui a développé les méthodes ABA, avait un projet parallèle qui avait pour but de «soigner» l’homosexualité.
Comme dans le cas des homosexuels «guéris», les autistes cacheraient leur véritable nature. Ces traitements auraient des conséquences néfastes sur leur santé mentale, selon le militant.
Carmine DiFlorio, lui, voit ça différemment. Certes, il ne peut plus battre des mains. Mais il est heureux: «Je reste un original, dit-il de son ton candide. Mais tout va bien, j’ai des amis, j’aime mon école.» Son rêve? Devenir compositeur de musique de films.
Une augmentation radicale de l’autisme
Le nombre d’enfants autistes a drastiquement augmenté ces dernières années: un enfant sur 5000 était diagnostiqué autiste en 1975, ce chiffre est passé à 1 sur 150 en 2000. Aux Etats-Unis, cette statistique est de 1 sur 68. En Suisse, aucun chiffre officiel n’existe.
«Le personnel clinique utilise généralement le chiffre de 0,6 à 1%», indique Stéphane Eliez, le directeur de l’OMP à Genève.
Une augmentation causée par l’élargissement de la définition de ce qu’est l’autisme mais aussi par le fait que les gens font des enfants à un âge plus avancé dans le monde occidental.
La suisse en retard
Par rapport aux Etats-Unis, la Suisse est gravement en retard sur le traitement de l’autisme. «Il y a une grande différence de mentalité entre les deux pays, explique Hilary Wood, la responsable du Centre de consultation spécialisée en autisme de Genève.
La Suisse a longtemps été influencée par les méthodes de psychanalyse francophone, qui cherchaient à comprendre pourquoi l’enfant était autiste au lieu de le traiter. Les traitements étaient rares et les enfants les suivaient trop tard, parfois à l’âge de 10 ou 12 ans.»
Les coûts engendrés par les méthodes américaines sont aussi un frein à leur implémentation. «Quand on dit qu’il faut diagnostiquer les enfants le plus tôt possible, à l’âge de 2 ans, et qu’il faut leur donner un traitement intensif d’entre vingt et quarante-cinq heures par semaine, en tête à tête, les institutions sont effrayées, explique Yves Crausaz, le président d’Autisme Suisse romande, l’association des parents d’enfants autistes.
Le coût de ces méthodes (d’environ 80 000 à 100 000 francs par année par enfant, ndlr) leur fait peur.»
Récemment, de nouveaux projets ont été mis en place: le CHUV a ouvert en septembre 2014 une nouvelle chaire sur l’autisme occupée par la professeure Nadia Chabane. Et son centre de diagnostic et de traitement devrait être opérationnel en septembre prochain.
L’assurance invalidité a aussi accepté de financer quatre projets pilotes en Suisse (Lugano, Genève, Zurich et Bâle) jusqu’en 2018, dont le Centre d’intervention précoce en autisme de Genève, qui utilise plusieurs méthodes développées aux Etats-Unis.
Un centre qui s’occupe de 16 enfants pour vingt heures de traitement par semaine. Les résultats sont encourageants: 75% des jeunes qui sont passés par cette institution poursuivent une scolarité normale.