Analyse. Pour la première fois en Suisse, une entreprise, Implenia, fait mesurer les atteintes à l’environnement de l’un de ses chantiers. Et prévoit des solutions pour y remédier.
Les entreprises ne peuvent désormais plus ignorer l’impact de leurs activités sur l’environnement. Il y va de leur crédibilité. Se contenter d’appliquer lois et règlements existants ne suffit plus. Il faut aller plus loin.
Leurs organisation et fonctionnement doivent aussi s’inspirer de l’«économie verte». C’est ce qu’expérimente Implenia, leader de la construction en Suisse avec quelque 8500 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 3,6 milliards de francs.
Avec le concours de l’une de ses équipes dédiée au développement durable depuis plus de quatre ans, la société zurichoise a mandaté Sofies, entreprise de conseils en durabilité, et les Services industriels de Genève (SIG) pour évaluer la performance énergétique et environnementale de l’un de ses chantiers sur l’arc lémanique.
Si des pays comme le Royaume-Uni ou la France ont déjà entrepris une telle démarche, en Suisse c’est une première.
L’étude achevée fin 2014 a porté sur une période de travaux de vingt mois. «Notre objectif consiste à mettre en place des stratégies d’amélioration pour diminuer les atteintes à l’environnement sur l’ensemble de nos chantiers», souligne François Guisan, responsable du développement durable chez Implenia.
Les données collectées concernent les flux de volumes de marchandises (matériaux de construction, matériaux excavés et déchets de chantier) ainsi que les quantités d’eau et d’énergies (électricité et gasoil) générées lors des travaux préparatoires et du gros œuvre. Elles ont été traduites en émissions de gaz à effet de serre (CO2) afin de faciliter leur comparaison et d’évaluer leur effet sur le changement climatique.
Le poids du transport de personnel
Des surprises? «S’il n’est pas surprenant que l’utilisation des machines de chantier et de notre flotte de véhicules génère la plus grosse part de notre empreinte écologique, nous avons été étonnés de constater que le transport du personnel représente un bon dixième du bilan CO2», relève François Guisan.
Quelques chiffres: les 456 tonnes de CO2 imputées au transport des marchandises équivalent à plus de 4200 trajets Genève-Paris en voiture sur une période de vingt mois. Quant aux 27 tonnes de dioxyde de carbone en relation avec le transport du personnel, elles sont comparables aux émissions de plus de 240 trajets Genève-Paris, toujours en voiture et durant la même période.
Les énergies dépensées équivalent de leur côté à la consommation électrique de 1250 ménages genevois sur un an. Enfin, la gestion des eaux représente un bilan CO2 égal à la consommation d’eau de plus de 39 ménages genevois.
Tous ces chiffres sont destinés à susciter une prise de conscience collective, des collaborateurs de l’entreprise aux pouvoirs publics en passant par la société civile dans son ensemble.
Les limites de l’exercice
Le constat établi, reste à prendre les mesures idoines pour faire baisser le niveau des multiples atteintes à l’environnement d’un chantier. C’est une autre paire de manches. Le rapport annonce d’emblée que les impacts du chantier sont essentiellement dus à des décisions prises lors de la conception du projet immobilier par le maître d’ouvrage et son architecte.
En l’occurrence, le choix d’un immeuble en béton armé, pris en compte dans l’étude de cas, est responsable de plus de 90% du bilan CO2! L’énergie grise (la quantité d’énergie nécessaire au cycle de vie d’un matériau ou d’un produit) liée à la production de ciment ou du fer à béton demeure fort importante.
Agissant comme exécutant, Implenia n’a pas vraiment de prise sur cette étape de la construction qui ne fait d’ailleurs pas l’objet du rapport. Comme maître d’ouvrage, en revanche, la société peut par exemple favoriser des constructions en bois dont la demande est en forte croissance.
Autre limite, celle des sous-traitants pour qui le développement durable n’est pas nécessairement une priorité. Comment les sensibiliser à une meilleure approche de leur activité? Un cahier des charges plus rigoureux de l’entreprise générale permet une sélection plus pointue lors des appels d’offres.
Les candidats ne répondant pas aux critères exigés seraient tout simplement écartés. Mais de la théorie à la pratique, il y a un abîme. Comprendre précisément quel est le cycle de vie d’une charpente, d’une façade ou d’une installation technique – chacune de ces pièces a sa propre histoire – nécessite un énorme travail d’investigation qui reste à accomplir.
Esquisse de solutions
Malgré toutes ces contraintes, l’étude réalisée par Sofies, Implenia et les SIG suggère des pistes pour encourager de nouvelles pratiques. Les «gisements d’économie» les plus significatifs se trouvent dans la planification du transport des marchandises.
Il s’agit par exemple de stocker des excavations dans des décharges régionales ou sur les chantiers quand elles peuvent être réutilisées, de transporter ces marchandises par train ou bateau pour les longues distances.
La réforme la plus importante consisterait à «mutualiser» les flux de matières sur plusieurs chantiers au lieu de gérer ces derniers au cas par cas. Toute rupture de charge dans la livraison d’une marchandise, impliquant notamment un changement de véhicule et toutes sortes de manipulations, alourdit et renchérit la logistique.
Réduire les impacts environnementaux peut dès lors entraîner une diminution des coûts. Mais, hélas, ce n’est pas toujours le cas. Exemple: le covoiturage et l’utilisation des transports publics par le personnel sont a priori de nature à faire baisser les émissions de CO2.
Mais la mise en œuvre d’un tel plan risque d’entraîner un renchérissement des coûts du chantier. Lesquels seront par ailleurs toujours biaisés dans leur interprétation tant que les dégâts à l’environnement et à la santé ne seront pas monétarisés et pris en compte dans toute comptabilité, privée ou publique. Encore de la musique d’avenir!
A la faveur de cette étude, Implenia dispose dorénavant de plus de 25 indicateurs qui lui donnent des informations économiques et environnementales rarement observées jusqu’ici dans le secteur de la construction en Suisse.
Et ce n’est qu’un début. Après les émissions de CO2, d’autres nuisances comme le bruit ou la propagation de la poussière pourraient être passés au peigne fin et ouvrir la voie à de nouvelles solutions. Une étude approfondie du bilan hydrique d’un chantier de même qu’une gestion des déchets dès le début des travaux sont aussi à mettre sur les rails.
Aussi Avec le WWF
Pour améliorer le bilan d’énergie grise de ses chantiers, Implenia collabore depuis quatre ans avec One Planet Living. Cet instrument mis au point par le WWF utilise l’empreinte écologique comme outil de mesure de la durabilité.
Comment développer les circuits courts de production moins gourmands en énergie, moins gaspiller en recyclant les matériaux, économiser en récupérant de la chaleur: les objectifs ambitieux du WWF poussent l’entreprise de construction à aller toujours plus loin dans sa politique environnementale.
Dans le passé, l’ONG a aussi cherché à collaborer avec le cimentier Lafarge, gros émetteur de CO2. De telles alliances, délicates à réaliser, prouvent que l’écologie et l’économie non seulement peuvent mais doivent cheminer ensemble.