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Assurances sociales: comment Berset évitera le naufrage

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Mercredi, 13 Mai, 2015 - 05:53

Enquête. Le récent rassem-blement des forces bourgeoises initié par l’UDC menacera-t-il la refonte des assurances sociales? En coulisses, le conseiller fédéral fribourgeois contre habilement ceux qui rêvent d’une réforme à la tronçonneuse aux dépens des rentiers.

Prière de ne pas déranger. Dans la salle 4 du Palais fédéral en ce vendredi 24 avril, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) du Conseil des Etats carbure à plein régime. Ce printemps, elle multiplie les séances supplémentaires afin de mettre sous toit la réforme de l’AVS et du deuxième pilier avant la fin de la législature. «Nous sommes condamnés à réussir», glisse la sénatrice Christine Egerszegi (PLR/AG). Mais ce chantier est immense et la droite – qui s’est juré de serrer les rangs à l’initiative de l’UDC – rechigne à approuver les mesures de compensation prévues par Alain Berset pour assurer le niveau actuel des rentes. La bataille politique s’annonce chaude, très chaude.

Le temps presse désormais. Pour la première fois en 2014, les comptes de l’AVS ont passé dans le rouge. Or, depuis plus de dix ans, le peuple a tout balayé. En mai 2004, il coule (à 68%) la onzième révision de l’AVS qui prévoyait déjà la retraite à 65 ans pour tous. En mars 2010, alors que la Confédération vient de sauver UBS à coups de dizaines de milliards, il ne tolère pas qu’elle puisse assainir le deuxième pilier sur le dos des petites gens: c’est «non» encore, à 73%!

A chaque fois, un message clair: «Touche pas à mes rentes», clame le peuple en colère, sourd aux avertissements des experts quant à la nécessité d’assurer le financement des assurances sociales à long terme.

En arrivant en janvier 2012 à la tête du Département de l’intérieur, Alain Berset est parfaitement conscient de l’ampleur du défi à relever. Il annonce d’emblée qu’il conduira une réforme ambitieuse, et qu’il prendra à bras-le-corps l’AVS et la prévoyance professionnelle.

Une démarche téméraire que d’aucuns qualifient même de «suicidaire».  «Tous contre Berset!» titre le Blick au lendemain de la mise en consultation du projet en novembre 2013. Les femmes socialistes ne veulent pas de la retraite à 65 ans, les syndicats s’insurgent contre la baisse du taux de conversion, tandis que les associations économiques fustigent la hausse de la TVA. Une terrible guerre de tranchées en perspective.

En ce 24 avril dernier, on ne ressent plus rien de ce climat tempétueux. Alain Berset, qui assiste bien sûr à la séance de ses anciens collègues sénateurs, a pacifié les ardeurs les plus belliqueuses. Il suit sa feuille de route sans en dévier. Après avoir fait avaliser son projet par le Conseil fédéral qui en a discuté cinq fois, il a franchi un deuxième écueil: la Commission de la santé du Conseil des Etats est entrée en matière à l’unanimité, ce qui paraissait impensable voici quelques mois encore.

Ce qui ne veut pas dire que cette réforme sera une promenade de santé, loin de là. Les pommes de discorde restent nombreuses. Les associations patronales, à savoir l’Union patronale suisse (UPS) et economiesuisse, restent très critiques vis-à-vis du projet Berset. Elles ont accouché d’un «plan B» dont elles espèrent qu’il inspirera le trio des leaders bourgeois de la commission: Alex Kuprecht (UDC), Felix Gutzwiller (PLR) et Urs Schwaller (PDC), représentant justement les trois partis de la nouvelle «alliance bourgeoise» rendue publique le 27 mars dernier. Ce jour-là, leurs présidents ont divulgué un catalogue de mesures pour relancer l’économie souffrant du franc fort.

La réforme des retraites sera-t-elle le premier dossier concret à en faire les frais? A première vue, le risque existe. «Le projet est totalement surchargé et déséquilibré. Alain Berset tente de régler tous les problèmes par des financements additionnels», déplore Martin Kaiser, responsable de la politique sociale à l’UPS. Les milieux économiques veulent donc l’alléger sensiblement et le réduire à trois points: élévation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans, baisse du taux de conversion de 6,8 à 6% – avec certaines mesures de compensation pour «maintenir le niveau des rentes» – dans le deuxième pilier et relèvement de la TVA de 0,6%. Ils proposent de plus un mécanisme de stabilisation pour l’AVS. On est tout de même très loin du projet initial.

Leur «plan B» a cependant peu de chances de s’imposer au Conseil des Etats, une chambre peu sensible à la politique des blocs. «Personne ne sent ce rassemblement des forces bourgeoises dans les discussions en cours», assurent plusieurs sénateurs, de gauche comme de droite. Pour une raison dont tout le monde est très conscient. «Sur le dossier des assurances sociales, nous disposons d’une majorité de gauche dans la population. Les résultats des dernières votations l’ont bien montré», assure Hans Stöckli (PS/BE). Urs Schwaller le pense aussi, mais l’exprime différemment: «Nous ne pouvons pas jouer les bulldozers au Parlement», estime-t-il.

Dans la commission, on perçoit surtout l’urgence de boucler rapidement un premier paquet de mesures à soumettre en votation à fin 2017, quand tout le monde voudrait récupérer pour l’AVS 0,3 point de TVA actuellement affecté à l’assainissement de l’assurance invalidité. Avec un danger à la clé: boucler dans la précipitation une première étape sans résoudre le problème structurel, en évitant les cinq questions qui fâchent.

1. Retraite à 65 ans pour les hommes et les femmes

Pour ce qui est de l’AVS comme de la prévoyance professionnelle, le projet harmonise «l’âge de référence» de la retraite à 65 ans pour les hommes et les femmes en l’espace de six ans, tout en permettant une flexibilisation entre 62 et 70 ans. Les femmes devront ainsi travailler un an de plus, ce qui améliore les comptes de l’AVS de 1,2 milliard par an.

Certes, cette mesure est de moins en moins contestée chez les femmes, dont l’espérance de vie est plus longue de trois ans que chez les hommes. Mais elle fait encore tousser les syndicats. «Pas question qu’on assainisse les assurances sociales sur le dos des femmes, d’autant plus que celles-ci sont encore victimes de fortes inégalités salariales de 15 à 20% en moyenne», avertit Aldo Ferrari, membre du comité directeur du syndicat Unia. Il exige que le Parlement vote une disposition contraignante pour obtenir l’égalité – un dossier sur lequel travaille la ministre de la Justice Simonetta Sommaruga –, de manière à ce que ce principe ne reste pas un simple vœu pieux inscrit dans la Constitution.

Le Conseil fédéral, sur l’insistance d’Alain Berset, a renoncé à envisager une hausse de l’âge de la retraite, irréaliste à l’heure où l’économie se débarrasse des séniors. Les milieux économiques aussi, à l’exception notoire de l’USAM. L’association faîtière des PME fustige une réforme qui pourrait coûter à terme 11 milliards par an et revendique une hausse de l’âge de la retraite en fonction du niveau des réserves de l’AVS.

2. Hausse de la TVA pour financer l’assainissement du compte de l’AVS

Ce sera l’un des grands enjeux de la réforme. Alain Berset réclame une hausse d’un point de TVA dans un premier temps – avec des recettes supplémentaires de 2,3 milliards à la clé –, puis un demi-point à l’horizon 2030. Après un premier mouvement de rejet, la droite et les milieux économiques ont fini par entrer en matière, mais de manière plus prudente. «Au maximum 0,6 point, et cela en deux phases», précise Martin Kaiser à l’UPS. La première étape consisterait à récupérer 0,3 point destiné à l’AI jusqu’en 2017, puis accorder à nouveau 0,3 point en 2022.

Au sein de la Commission de la santé comme en plénum, le démocrate-chrétien Urs Schwaller jouera un rôle d’arbitre décisif entre la gauche et la droite. A quel niveau fixe-t-il la hausse de la TVA? «Elle se situera dans une fourchette entre 0,6 et 1 point au maximum, et cela en plusieurs étapes. Tout dépendra des améliorations retenues», répond-il.

3. Baisse du taux de conversion de 6,8 à 6%

Voici cinq ans, le PLR Didier Burkhalter, alors juste arrivé au Département de l’intérieur, avait subi sa plus cuisante défaite de conseiller fédéral en devant défendre une baisse de ce taux à 6,4%. Aujourd’hui, le socialiste Alain Berset va encore plus loin, mais il n’a pas le choix. Le rendement de la fortune du deuxième pilier a chuté depuis 2000, et la décision de la BNS d’abandonner le taux plancher du franc par rapport à l’euro et d’introduire des intérêts négatifs sur les liquidités a encore aggravé le problème. De plus, l’espérance de vie continuer à s’allonger.

Cette baisse du taux de conversion apparaît dès lors inéluctable, même aux yeux de la gauche. «Nous entrons en matière, mais à condition qu’on l’accompagne de mesures de compensation pour garantir le niveau des rentes», souligne Hans Stöckli (PS/BE).

4. Mesures d’amélioration du système

La réforme inclut plusieurs mesures pour améliorer le système. D’abord, pour compenser la baisse du taux de conversion, elle supprime la «déduction de coordination», soit le montant initial (24 000 francs actuellement) du revenu qui n’est jusqu’à présent pas soumis à cotisation. Concrètement,  on exige un effort supplémentaire des entreprises et de leur employés (2,3 millards par an) pour assurer le niveau actuel de la rente. Parallèlement, la réforme rend les travailleurs âgés plus attractifs sur le marché en revoyant à la baisse leur taux de contribution au deuxième pilier.

Le projet Berset offre aussi une compensation à la génération du babyboom, celle qui est âgée de 55 à 65 ans. Il abaisse enfin le seuil d’accès à la prévoyance professionnelle obligatoire, qui passerait de 21 000 à 14 000 francs. S’adaptant à l’évolution d’un marché multipliant les temps partiels peu rémunérés en majorité occupés par des femmes, il permettrait à 220 000 personnes d’intégrer le deuxième pilier.

Tout cela n’est donc pas gratuit. Au total, le maintien du niveau des rentes coûtera quelque 3 milliards par an, à la charge paritaire des entreprises et de leurs employés. Ce qui a incité le bloc bourgeois et les milieux économiques à tirer la sonnette d’alarme. «La suppression de la déduction de coordination est une fausse bonne idée qui pénalise l’économie, mais aussi les travailleurs à bas revenus», critique le président de la CSSS du Conseil national, Guy Parmelin (UDC/VD). Même Urs Schwaller (PDC/FR) désavoue son ex-collègue sénateur Alain Berset sur ce plan, estimant lui aussi le fardeau trop lourd à porter. «Nous allons peu ou ne pas toucher à la déduction de coordination.» Mais la droite le sait: elle ne pourra pas aller trop loin en sabrant dans les retraites. «Je pense qu’à la fin de nos travaux, nous resterons assez fidèles au projet du Conseil fédéral», pronostique Christine Egerszegi (PLR/AG).

5. La rente de veuve

Ah, le peuple! C’est comme s’il hantait tel un fantôme la salle 4 du Palais fédéral, tant les sénateurs craignent sa sanction ultime. Ce fantôme a déjà crucifié un point précis de la réforme des retraites: la rente de veuve, déjà à l’origine de l’échec de la onzième révision de l’AVS en 2004.  Alain Berset propose de la réserver aux veuves ayant encore des enfants à charge, soit environ 1500 personnes sur les quelque 10 000 nouvelles bénéficiaires de cette rente chaque année, ce qui représenterait des économies de 360 millions. «Cette rente de veuve est un anachronisme, mais mieux vaut ne pas y toucher tant elle constitue un killer politique», glisse en aparté un sénateur.

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Ruben Wyttenbach, 13 Photo
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