Reportage. Installé en Ukraine, le Genevois Niels Ackermann s’est lancé dans une longue enquête visuelle sur la cité construite après la catastrophe nucléaire. Un portrait d’une génération mi-perdue, mi-confiante dans l’avenir de son pays en conflit ouvert avec la Russie.
Niels Ackermann, 28 ans, était il y a peu l’invité du Forum des 100 de L’Hebdo, consacré cette année à ceux qui feront la Suisse de demain. Y compris depuis l’étranger, tant cette génération est mobile, à la fois ici et ailleurs, adepte des vols à bas coûts entre capitales européennes. Le photographe genevois, membre de l’agence Rezo, s’est installé à Kiev, ce qui ne l’empêche pas de revenir régulièrement en Suisse pour répondre à des commandes, par exemple pour des institutions genevoises.
En Ukraine, Niels Ackermann multiplie depuis 2012 les séjours dans la cité nouvelle de Slavoutitch, proche de la frontière biélorusse. Edifiée pour le personnel de la centrale de Tchernobyl après la catastrophe de 1986, Slavoutitch est la ville la plus jeune d’Ukraine. Ses habitants travaillent pour l’essentiel sur le site de la centrale voisine, dont le sarcophage protecteur est construit grâce à l’aide internationale. Ils gagnent bien leur vie, mieux que dans le reste du pays, mais sont confrontés, lors de leurs longues périodes de repos, à l’ennui, à l’alcool, à la drogue. Certains sombrent et paient de leur vie l’excès de vodka, tueuse bien plus redoutable que ne l’est la radioactivité. D’autres, au contraire, passent de la postadolescence fragile à l’état adulte, confiant dans l’avenir d’un pays pourtant en conflit ouvert avec la Russie.
C’est exactement ces périodes personnelles de transition qui ont intéressé Niels Ackermann. Elles sont à l’image de l’Ukraine proeuropéenne confrontée à des choix cruciaux, comme si elle aussi passait de l’adolescence à l’âge adulte, à ses risques et périls. Slavoutitch pourrait n’être qu’une exception candide dans un pays en guerre miné par une crise économique. Elle est au contraire la métaphore d’une Ukraine agitée, menacée, mais dont les jeunes générations prennent aussi leur avenir en main. Diplômé en sciences politiques, Niels Ackermann s’est lancé dans une longue enquête visuelle sur Slavoutitch, suivant sur plusieurs années le destin de quelques-uns de ses habitants. Comme la jeune Yulia, rencontrée en 2012, alors victime des excès que la ville distille en masse mais aujourd’hui mariée et fière de son poste d’interprète et du costume qui l’accompagne.
Partageant la vie de cette génération mi-perdue, mi-résolue, Niels Ackermann a travaillé au plus près de ses sujets, au 35 mm, la nuit aussi bien que le jour, livrant un portrait saisissant de ces enfants de Tchernobyl, confirmant un formidable talent de photographe. Il a aussi transcrit en graphiques la pyramide démographique de la ville ou les liaisons brèves entre les jeunes, dont le sexe débridé n’est pas loin d’être la principale activité. Il a rédigé des textes qui éclairent la situation sur place ou racontent la vie de Yulia, Nadia, Ruslan et Kiril. Un livre est à venir, financé, l’espère Niels Ackermann, grâce au site participatif wemakeit. Son titre? Réaction en chaîne.
www.slavuty.ch est la ville la plus jeune d’Ukraine.