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Daniel Fazan, «Bad» boy au cœur d’artichaut

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Jeudi, 21 Mai, 2015 - 05:49

Portrait. L’animateur radio et écrivain publie «Bad», un cinquième livre à la veille de prendre sa retraite de la RTS. Rencontre à Saint-Légier avec un électron très libre.

Il aime si peu son image qu’il arrive à se raser sans se regarder dans le miroir. Au photographe venu lui tirer le portrait, il supplie de ne pas le prendre debout à cause de sa bedaine. On le rassure: ses lèvres ourlées appellent les baisers et la force fragile de son visage les caresses. C’est le problème des vieux enfants mal-aimés: ils ne pensent pas que l’on peut les aimer.

Daniel Fazan, Loulou pour les proches, Fazan pour les autres, né à Bière, aîné d’une fratrie de trois pour qui il a «essuyé les plâtres», habite depuis 1977 au rez de la vaste maison du domaine de la Veyre, en dessous de Saint-Légier, qui a donné depuis son nom à une zone industrielle et un échangeur autoroutier. Le reste d’une belle allée de tilleuls y mène. Dans le bureau avec ordinateur, dans le salon, des tableaux partout – Mafli, Alain Longet, ceux de sa femme, Susie, les siens – et d’immenses bouquets de fleurs séchées – «Nous sommes décorateurs, quand même!»

Il ouvre une bouteille de chardonnay de Pessy, allume cigarette sur cigarette, des Muratti. Bad, son nouveau roman et cinquième livre, a une histoire à la Fazan: le 5 janvier, après un an jour pour jour de brouille, son éditeur Olivier Morattel l’appelle et lui demande ce qu’il a écrit en un an. «Rien.» «Dommage, je voulais te publier ce printemps!» «Pas de souci, je te l’écris pour février.» En trois jours – «J’avais un ange sur l’épaule» –, Fazan pond cette histoire dont la première scène – une femme qui se souvient avoir accouché d’un enfant monstrueux, des années auparavant – et la dernière – ce même enfant, surnommé Badadia, qu’elle n’a pas revu depuis des décennies, recevant le prix Nobel à la télévision – lui trottaient dans la tête.

Bad, fable à la vitalité désespérée, impeccable, doit beaucoup à sa rencontre, pour son émission Intérieurs, avec Louis Derungs, 20 ans, amputé de ses deux bras à la suite d’une électrocution à la gare de Morges. La rencontre, diffusée le 1er février sur les ondes de la RTS, le traumatise et ouvre en lui des vannes insoupçonnées. «J’ai rencontré des milliers d’hommes et de femmes avec des passions ou des blessures terribles, passé des heures avec Gainsbourg ou Alice Sapritch, mais la rencontre avec Louis a provoqué un bouleversement intérieur que je n’avais jamais ressenti.» Depuis, il a renoncé à ses interviews pour Intérieurs et passe des rediffusions jusqu’à fin juin, date de son départ à la retraite de la RTS après trente-cinq ans de bons et loyaux services et des dizaines d’émissions mémorables comme Scooter, Passé simple, Sauve-qui-peut, Premier service, Miam miam ou Ami/Amis.

Ni snob ni inculte

«C’est le début d’autre chose. Je ne suis pas nostalgique. La radio a été le berceau de ma liberté. Grâce à elle, j’ai tout vu, tout entendu. Je suis le récipiendaire des récits de vie que les gens m’ont confiés. J’ai réussi à être fédérateur. Les intellos comme les non-intellos me comprennent. Je ne suis pas snob, mais pas inculte non plus. Je suis empathique mais ironique, sincère, les gens le sentent.» Il a poussé l’art de l’interview très loin, suscitant des confidences d’inconnus taiseux paralysés de se retrouver à la radio en direct. «Je sais inspirer confiance aux gens. Je donne de moi pour qu’ils donnent d’eux.»

Electron libre, touche-à-tout doué, Daniel Fazan a démarré par un apprentissage de décorateur étalagiste à l’Innovation, à Lausanne, avant de conquérir mille territoires: décors et costumes de théâtre, graphisme, voyages autour du monde, peinture, design pour des labels de montre prestigieux, chroniques pour le magazine Coop, enseignement à l’Ecole des arts appliqués à Vevey, rédaction de livres de grands chefs, amoureux de Susie à une époque où un couple formé par un garçon de 20 ans et une femme de 30 la faisait passer pour une cougar avant l’heure. Il la séduit en lui écrivant des centaines de lettres depuis l’Amérique latine. Depuis quarante-cinq ans, ils vivent un compagnonnage joyeux et complice.

Radiothérapie

Chacun de ses livres est né par hasard. Ainsi son premier livre, Faim de vie, signé du pseudo Kasimir K.: mobbé pendant cinq ans par sa supérieure, Fazan tombe en dépression. Il consulte un psy mais, lassé de n’avoir aucun retour, préfère écrire ce qu’il a à dire dans un récit qu’il fait lire à son docteur et à l’éditeur Michel Moret. Le psy l’estime en voie de guérison et Moret le publie. «Après avoir écouté les autres pendant trente ans, j’ai commencé à m’intéresser à ma voix.» Vacarme est né, lui, lors de six mois d’immobilisme forcé à la suite d’une double tendinite et un tendon d’Achille cassé, il y a cinq ans. «D’un coup, je me suis senti vieux, alors que dans ma tête j’ai 30 ans. Vacarme raconte cette colère.» A la fin d’une interview avec le metteur en scène Laurent Gachoud, il lui donne son livre. Le lendemain, Gachoud l’appelle: il veut en faire un one man show, soit un one Fazan show. La première est agendée, ce sera au Théâtre de la Grenette, à Vevey, au printemps prochain.

La dernière étape d’une «radiothérapie» entamée lorsque à 30 ans, après un pari avec un copain, il se retrouve engagé comme animateur pour la future chaîne Couleur 3. «J’étais maladivement timide. La radio m’a guéri. Je n’ai plus peur des autres. J’ai été précoce pour beaucoup de choses, tardif pour certaines.» Ce qu’il a osé tard? «Draguer les gars… Et la scène, bientôt!»

La bouteille de chardonnay vide, on passe à table. Salade de haricots, raviolis aux bolets. Il s’excuse de ne pas servir un repas à la hauteur de sa réputation: il est rentré tard, la veille, d’une escapade au Portugal. Le monde de la gastronomie, il est tombé dedans lorsqu’on lui a proposé de reprendre l’émission de Catherine Michel, qui chaque semaine faisait le portrait d’un restaurant. «La cuisine est un monde merveilleux. Les Carlo Crisci, Benoît Violier ou Damien Germanier sont admirables. Mais je ne suis pas un obsédé de la bouffe. Je peux manger un croque-monsieur dans un vol easyJet si j’ai faim.» En cuisine, il sait «tout» faire, bricelets, fondue ou cuisine thaïlandaise, sa préférée, «parce qu’elle mêle douceur et acidité à la fois».

Le téléphone sonne, une connaissance qui cherche des adresses où manger des filets de perche. «C’est tout le temps comme ça. Un jour, une collègue m’a demandé des noms de châteaux avec resto gastronomique et rampe pour fauteuil roulant. Je lui ai dit: «Et puis quoi encore?» Douceur, et acidité à la fois.

«Bad». De Daniel Fazan. Olivier Morattel, 136 p. Vernissage le 22 mai à 17 h, Payot Lausanne.

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Reto / Albertali Phovea
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