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«Face à nos partenaires occidentaux, la méfiance reste immense»

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Jeudi, 21 Mai, 2015 - 05:53

Interview. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, se dit optimiste sur un accord mettant fin à la querelle du nucléaire. A la condition que les interlocuteurs de l’Iran se montrent sérieux.

Propos recueillis par Christiane Hoffmann

Monsieur le ministre, vous avez fait danser les Iraniens dans la rue quand, le 2 avril, vous annonciez qu’une solution au conflit sur le nucléaire était en vue, quand bien même les deux parties ne se sont pas mises d’accord sur un protocole commun. Les gens se sont-ils réjouis trop tôt?

C’est bien leur droit de se réjouir, et il est du devoir du gouvernement de rendre les Iraniens heureux. Lausanne a été un jalon, pas un accord. Un accord est très probable, à condition que nos interlocuteurs soient sérieux. Nous nous sommes mis d’accord sur toute une série de paramètres, qui serviront à formuler un accord. Et c’est ce qui se passe en ce moment à Vienne.

Quelles sont, en ce moment, les questions les plus litigieuses?

Tout. Fondamentalement, à Lausanne, nous avons résolu toutes les questions. Mais les divers points doivent être formalisés de manière que les huit parties les acceptent: l’Iran, les P5 + 1, soit les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’UE. Ce sont d’ailleurs les négociations au sein des P5 + 1 qui requièrent le plus de temps. Sur plusieurs points, ils n’ont toujours pas de position commune.

Le document américain ne dit pas grand-chose de la manière de lever les sanctions. Et vous laissez en suspens la manière de réduire votre programme nucléaire.

Nous avons été très concrets sur le nombre de centrifugeuses à Natan et Fordo, de même qu’au sujet du réacteur à eau lourde d’Arak. Mais il est clair que toutes les sanctions de l’UE et des Etats-Unis seront levées.

Autre obstacle: vous exigez que les installations militaires échappent à l’inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA.

Mais l’Iran s’est déclaré prêt, en cas d’accord, à appliquer le protocole additionnel du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Aucun pays n’autorise l’accès à ses installations secrètes, tous les accords internationaux tiennent compte des secrets d’Etat. Je ne vois aucune difficulté à accepter les standards de transparence internationaux. Le problème est que quelques personnes insistent sur une certaine version, ce qui appelle des réactions de Téhéran.

Notamment celle de l’ayatollah Ali Khamenei. Il a dit qu’il se faisait du souci à propos du résultat de Lausanne et craint que «l’autre partie ne nous poignarde dans le dos». N’avez-vous pas pu lever ses craintes?

Nous avons tous du souci quant à savoir si nos partenaires occidentaux, surtout américains, agiront de manière sincère et sérieuse. La méfiance reste immense, et elle est réciproque.

L’antiaméricanisme est un des piliers de la Révolution. Pendant trente-cinq ans, «Mort aux USA» a été le slogan principal des jusqu’au-boutistes. Un accord sur le nucléaire conduirait-il l’Iran à repenser son attitude face au «Grand Satan»?

Ces négociations sont un «test tournesol» qui dira si les Etats-Unis sont prêts à renoncer à l’illusion d’un changement de régime en Iran, de même qu’à leur hostilité contre notre peuple et la Révolution iranienne.

L’ayatollah Khamenei est-il, pour sa part, prêt à un rapprochement?

Il n’est pas question de rapprochement. L’Iran et les Etats-Unis continueront à tous les coups d’avoir une vision du monde différente. Nous ne renoncerons pas à nos positions, elles constituent notre identité. Mais cela ne doit pas conduire à des conflits. Si nous faisons des progrès sérieux sur la question nucléaire, cela peut être une base pour aborder d’autres questions.

A croire que l’ambassade américaine à Téhéran ne rouvrira pas bientôt…

Non, c’est trop tôt.

Le programme nucléaire n’est pas la seule pierre d’achoppement entre l’Iran et les Etats-Unis. Le rôle de l’Iran dans la région génère aussi des conflits. Par exemple, vous soutenez les milices chiites houthis au Yémen, tandis que les Etats-Unis sont aux côtés de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite.

Je ne comprends pas pourquoi les Américains soutiennent le bombardement de civils. Nous, nous ne soutenons personne.

Mais il y a des preuves… Des documents yéménites indiquent que des Gardiens de la Révolution sont dans le pays.

Il y a beaucoup de mensonges. Depuis le début, nous avons condamné la violence au Yémen. Il en résulte un vide de pouvoir que seul al-Qaida exploite.

Et que dites-vous de cette déclaration du secrétaire d’Etat américain, John Kerry: «Il y a manifestement un soutien iranien, plusieurs vols par semaine»?

Ce ne sont pas nos avions qui bombardent le Yémen. Nos avions, qui convoyaient de l’aide humanitaire, ont été empêchés de se poser.

Kerry a également averti que les Américains n’assisteraient pas sans réagir à la déstabilisation de la région. Par l’Iran, voulait-il dire.

L’instabilité dans la région provient de la tentative à courte vue de financer et d’armer l’«Etat islamique», le front al-Nosra et al-Qaida. Tous ceux qui ont soutenu ces groupes extrémistes en sont devenus les victimes. Et l’Occident est une part du problème. Il y a en Occident des gens qui y sont nés et y ont été éduqués et qui, en Irak et en Syrie, décapitent ou brûlent vives leurs victimes. Comment est-ce possible, comment ces personnes peuvent-elles être recrutées?

Reste que l’Iran a pu collaborer avec les Etats-Unis dans la lutte contre l’«Etat islamique».

Nous ne voyons aucune disponibilité américaine à procéder sérieusement contre l’EI. Mais nous soutiendrons toutes les tentatives vraiment sérieuses, aux niveaux global et régional.

Existe-t-il en Irak une telle collaboration, notamment avec les Etats-Unis?

Non, nous coopérons avec le gouvernement irakien.

Et, simultanément, vous soutenez le régime de Bachar al-Assad à l’aide de combattants, d’armes et d’argent. C’est pourquoi la tragédie syrienne se poursuit.

Nous soutenons le régime légitime syrien. Si nous ne l’avions pas fait, l’EI serait aujourd’hui installé à Damas. Nous n’avons jamais cessé de dire qu’il fallait une solution politique en Syrie. Mais des conditions ont été posées, certaines personnes…

Vous voulez dire Bachar al-Assad?

… ne devaient pas être incluses dans le processus politique. Ceux qui posent ces conditions prolongent le conflit.

En 2013, le président iranien Rohani a fait de l’amélioration des relations avec l’Arabie saoudite une priorité. Or, elles se sont détériorées. Pour Rohani, la nouvelle direction saoudienne manque d’expérience.

Nous avons montré beaucoup de maîtrise mais cela a abouti à une marée de commentaires désobligeants de la part de l’Arabie saoudite. Apparemment, il y a des gens qui paniquent.

Il y a de bonnes raisons à cela: la Syrie, l’Irak, le Yémen et l’Afghanistan sont des Etats en faillite, où l’Iran a énormément accru son influence. Que faites-vous pour apaiser la crainte de vos voisins que votre pays n’étende son hégémonie au Moyen-Orient?

L’Iran est un pays puissant avec une grande population et beaucoup de ressources. Nous sommes satisfaits de notre taille et de notre situation géographique. Durant deux cent cinquante ans, nous n’avons jamais été impliqués dans des aventures militaires. Nous ne voulons pas diriger la région, nous voulons de la stabilité. Il n’y a donc pas lieu de paniquer.

Il existe un autre conflit entre votre pays et l’Occident: les droits de l’homme. Il y a deux semaines, vous disiez dans une interview: «Nous ne jetons pas les gens en prison pour leurs opinions.» En même temps, il y a eu des arrestations. Ce cynisme a déclenché des protestations dans les médias sociaux, y compris parmi vos partisans. Comprenez-vous cette déception?

Non, car cette phrase a été extraite de son contexte, je regrette d’avoir été mal compris. Mais il y a quelques personnes qui veulent m’attribuer quelque chose que j’ai dit dans un autre contexte.

Le rapporteur spécial de l’ONU déclarait en mars que, sous le président Rohani, les droits de l’homme s’étaient notablement détériorés.

Le rapporteur spécial de l’ONU n’est pas crédible à propos de l’Iran. Rohani a été élu démocratiquement. Ceux qui disent cela font de la propagande contre le gouvernement élu. Reste que, pour nous, améliorer la situation des droits de l’homme est un objectif important. Nous ne prétendons pas être parfaits.

© DER SPIEGEL traduction et adaptation gian pozzy


Profil
Mohammad Javad Zarif

Agé de 55 ans, l’homme est détendu et jovial en nous recevant dans son bureau de Téhéran. Il plaisante dans un anglais parfait: il a étudié les sciences politiques aux Etats-Unis et fut ambassadeur auprès de l’ONU. Depuis 2013, il est le ministre des Affaires étrangères du président Hassan Rohani et négocie l’accord sur le nucléaire. Il est apprécié de ses interlocuteurs occidentaux et une star dans son pays: son autobiographie est un best-seller. Ils sont nombreux à le voir comme futur président, mais il décline avec le sourire: «La politique intérieure ne me convient pas.»

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Ebrahim Noroozi AP
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