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Jean-Pierre Danthine: "Il est vrai que la Suisse souffre du franc fort. Mais c’est temporaire."

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Jeudi, 21 Mai, 2015 - 05:55

Interview. Conserver une monnaie autonome coûte-t-il trop cher à la Suisse depuis la suppression du cours plancher et l’instauration de taux d’intérêt négatifs? Ce n’est pas ce que pense le numéro deux de la Banque nationale suisse.

Croissance pratiquement divisée par deux, chômage en hausse. La Suisse souffre de la brusque revalorisation du franc face à l’euro en janvier dernier après la fin du cours plancher. Pourtant, la Banque nationale suisse (BNS) ne remet pas sa décision en cause. Bien qu’il parte à la retraite fin juin, son numéro deux, Jean-Pierre Danthine, réaffirme tous les avantages que le pays tire d’une monnaie autonome, détachée des grands blocs monétaires. Même si le prix paraît actuellement élevé.

Vous logez dans une coopérative d’habitation. Votre fonction de banquier central a-t-elle modifié votre regard sur l’économie?

Non. Je n’ai jamais senti de tension entre mon art de vivre personnel et la gestion de la banque nationale. Le travail coopératif peut répondre à une vision de la manière de cultiver les relations sociales. Il est essentiel dans la prise de décisions en matière de politique monétaire.

Vous avez siégé au directoire de la BNS pendant des années particulièrement agitées. Avez-vous toujours bien dormi la nuit?

Pas toujours. L’affaire Hildebrand, début 2012, a réservé des moments particulièrement pénibles. Mais je ne veux pas m’étendre sur ce sujet. Je n’ai en revanche jamais eu de problème de sommeil en ce qui concerne les décisions de politique monétaire, même lorsqu’elles étaient difficiles. Elles étaient toujours bien préparées et mûries, elles ont toujours été prises de façon collégiale.

Début janvier, vous aviez assuré que le cours plancher serait maintenu. Quatre jours après, la BNS y a mis fin. Comment avez-vous vécu cet épisode?

Cela n’a pas été le moment le plus agréable, je le concède. Mais on ne peut pas signaler à l’avance une décision comme l’abandon du cours plancher sans risquer une vague spéculative. Nous avions décidé, entre les trois membres de la direction générale, de la politique de communication à appliquer tant que le cours plancher était en vigueur et l’avons assumée collectivement.

Cet abandon a provoqué une baisse marquée de la croissance de l’économie suisse. Le maintien d’une politique monétaire autonome ne coûte-t-il pas trop cher à la Suisse?

Dans le contexte actuel, l’autonomie monétaire peut apparaître comme un facteur de coût pour une petite économie ouverte comme celle de la Suisse. Mais ce genre d’examen doit porter sur le long terme! En d’autres circonstances, la Suisse a largement bénéficié de son indépendance monétaire. Son économie fonctionne mieux que la plupart de ses voisines. Et les Suisses profitent d’une monnaie forte.

A contrario, certains pays de la zone euro souffrent de ne plus pouvoir gérer leur politique monétaire de manière indépendante. Pour eux, la perte d’autonomie est un très gros désavantage. L’expérience historique montre que cela aurait aussi été le cas pour la Suisse si elle avait été intégrée à un bloc plus vaste. Il faut néanmoins être réaliste: nous sommes tous interdépendants et aucune banque centrale, même parmi les plus grandes, n’est complètement isolée des décisions monétaires et de la situation économique prévalant chez ses partenaires.

Pourquoi ne pas avoir mis fin au taux plancher plus tôt, lorsque le franc était plus bas face à l’euro, notamment en 2012-13?

Le franc se serait très fortement apprécié, même lorsque le cours s’était éloigné du plancher. Si nous y avions mis fin plus tôt, les entreprises auraient bien plus tôt dû faire face à un cours renforcé. Elles auraient donc eu moins de temps pour s’adapter.

Aurait-il bondi de 20% face à l’euro comme en janvier dernier?

Le choc n’aurait sans doute pas été aussi violent le jour de la sortie. Mais chaque mauvaise nouvelle aurait ensuite contribué à renforcer encore le franc par rapport à l’euro. Le cours de change aujourd’hui serait probablement le même.

La BNS s’est vue reprocher une dérive blochérienne après l’abandon du cours plancher. Acceptez-vous cette critique?

Non. La BNS a toujours agi en toute indépendance. C’est très mal connaître ses mécanismes de décision que de croire le contraire.

La Suisse doit-elle donc payer le prix de sa bonne réputation internationale?

Le fait d’avoir une monnaie refuge est certainement le résultat de notre bonne image. En temps normal, cela comporte un avantage: bénéficier de taux d’intérêt plus bas que les autres pays. Aujourd’hui, l’économie souffre de la force du franc. Cet effet est temporaire.

Avec la question des taux d’intérêt, n’a-t-on pas perdu le principal avantage d’une monnaie indépendante?

La crise exceptionnelle que nous vivons a forcé tous les grands pays à abaisser leurs taux d’intérêt à zéro. Il est difficile pour la Suisse, dans cette situation, d’afficher des taux d’intérêt encore inférieurs. Et pourtant, le franc suisse a besoin de cette différence pour être moins attractif que les autres monnaies, donc pour éviter de se renforcer. Et c’est pour maintenir cette différence que la BNS a instauré des taux négatifs en janvier dernier.

En imposant les taux d’intérêt négatifs, vous incitez les investisseurs à choisir d’autres formes de placement que les dépôts en liquide, au risque de gonfler l’encours des crédits qui vous inquiète déjà. Votre politique n’est-elle pas contradictoire?

La crise a rendu les investisseurs plus frileux. Elle les a notamment incités à garder leurs avoirs en francs suisses. Les Suisses ont beaucoup moins investi en monnaies étrangères. Les étrangers, eux, se sont tournés de plus en plus vers les actifs en francs. Or, la Suisse connaît une balance des transactions courantes largement excédentaire. Il est dès lors nécessaire que l’excès d’épargne reparte à l’étranger pour éviter une hausse excessive du franc. La fin de la crise qui se dessine devrait permettre le retour de comportements d’investissement plus normaux.

Pourquoi assujettir les caisses de retraite aux taux d’intérêt négatifs?

Ce n’est pas la BNS qui inflige les taux négatifs aux institutions de prévoyance, mais les banques commerciales. Cela dit, si les institutions de prévoyance souffrent des taux bas prévalant dans tous les pays développés, l’impact direct des taux négatifs est minuscule. Les dépôts bancaires constituent en principe une part relativement faible de leurs avoirs. Un exemple: une caisse de pension qui détiendrait 5% de son portefeuille en actif liquide soumis à un taux d’intérêt négatif de 0,75% ne verrait sa fortune totale amputée que de 0,035% par an.

Que fera-t-on avec les énormes liquidités que les banques centrales ont injecté dans l’économie? Avec les gigantesques réserves de devises de la BNS?

Les mesures exceptionnelles de la Fed et de la Banque centrale européenne semblent porter leurs fruits. Certains prédisaient une explosion de l’inflation, mais on n’en prend pas le chemin! Il est vrai que le retrait des liquidités, auquel il faudra procéder le moment venu, n’a encore jamais été testé. Il pourrait y avoir de fortes réactions conduisant à des périodes de forte volatilité. D’où l’extrême prudence des banques centrales concernées.

En revanche, les réserves de devises de la BNS ne sont clairement pas un facteur d’instabilité. Notre institution est forte. Elle n’est pas le hedge fund que certains dénoncent. Elle peut imprimer la monnaie nécessaire en cas de pertes au bilan et peut continuer de mener, en tout temps, une politique monétaire appropriée. Une banque centrale n’est pas une banque normale. Elle reste tout à fait opérationnelle même après des chocs très violents.

Pourquoi la BNS est-elle opposée à la transformation d’une partie de ses réserves de devises en fonds souverain?

Certains de ses défenseurs pensent qu’un fonds souverain peut permettre à son Etat propriétaire de gagner de l’influence politique à travers ses placements. C’est là une approche politique. Ce n’est absolument pas du ressort de la BNS. D’autres partisans affirment qu’un tel fonds peut produire des rendements plus élevés sans prendre de risques accrus. Or, si on veut des rendements plus élevés, il faut prendre plus de risques!

La crise a contraint les banquiers centraux à assumer des responsabilités jamais vues. Ils ont parfois donné le sentiment d’être dépassés, ou écrasés. Avez-vous eu de tels sentiments?

Il y a un malaise, certes, parce qu’un poids excessif a été mis sur les politiques monétaires et sur les banques centrales ces dernières années. C’est en partie l’héritage d’erreurs commises avant la crise, résultant en un manque de marge de manœuvre pour les politiques fiscales. Et aussi d’un certain manque de courage pour entreprendre des réformes structurelles. Par défaut, les banques centrales se sont souvent trouvées seules à agir. Elles ont assumé. Mais ce faisant, elles ont aussi validé l’inaction sur d’autres fronts. A l’avenir, il faudra veiller à ce que les banques centrales ne se trouvent pas aussi isolées dans la lutte contre les crises.

Une femme, Andréa Maechler, va vous succéder. A quand une direction de la BNS entièrement féminine?

Cette nomination est un excellent développement. La base de recrutement féminine est plus mince actuellement que la base masculine, mais cette situation est appelée à évoluer. L’exemple de nominations au plus haut niveau peut y contribuer.


Profil
Jean-Pierre Danthine

Le vice-président de la direction générale de la BNS fait partie du triumvirat à la tête de la banque centrale depuis 2010. Il est particulière-ment en charge des questions de stabilité financière. Le double national suisse et belge, né en 1950, était jusqu’alors professeur de finance à l’Université de Lausanne, institution dont il a été vice-recteur. Reconnu au plan international, il a cofondé Fame, devenu par la suite le Swiss Finance Institute, dont il a assumé la direction.

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