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Médecine: comment je me suis (re)découverte par mes gènes

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Jeudi, 21 Mai, 2015 - 05:59

Témoignage. Notre journaliste a tenté l’expérience des tests génétiques en libre accès sur l’internet. Récit entre appréhensions, incompréhensions et découvertes.

Se jeter dans le vide

Dans quoi me suis-je donc lancée? Autant le dire tout de suite: je ne suis pas quelqu’un de spécialement téméraire et l’attrait du danger n’est vraiment pas ma tasse de thé. Mais, à la suite des réactions de mes collègues et de certains proches face à mon intention de réaliser un véritable Full Monty génétique, le sentiment de m’engager dans une opération digne d’un reportage de guerre s’est rapidement imposé.

«C’est vraiment courageux!» appuyait même (plusieurs fois) mon rédacteur en chef, histoire d’en rajouter une couche sur mon ego désormais partagé entre crainte et, il faut bien l’admettre, une pointe de fierté.

Au rayon des réactions les plus fréquentes, la palme va sans aucun doute à l’inquiet: «Je n’aurais pas envie de savoir», suivi de près par le paranoïaque: «Je n’aimerais pas livrer toutes mes données génétiques à Google.»

Deux arguments auxquels, pour être tout à fait franche, je n’étais pas loin d’adhérer, tant il est vrai que je n’avais aucune envie de me découvrir un risque élevé de développer la maladie d’Alzheimer, ou de devenir le deuxième cas familial diagnostiqué de Parkinson. Je goûte finalement assez peu au concept d’épée de Damoclès.

On l’imagine sans peine, cette crainte de se découvrir mortel pourrait en rebuter plus d’un. Pourtant, depuis la fin des années 2000, les tests génétiques direct to consumer ne cessent de faire de nouveaux adeptes et rencontrent un succès absolument phénoménal sur la Toile: 950 000 personnes ont par exemple déjà donné leur matériel génétique à la start-up californienne 23andMe et plusieurs études ont démontré que les clients de ce genre de tests n’avaient pas développé d’angoisses spécifiques quant aux résultats. Alors si d’autres l’ont fait, pourquoi pas moi?

Contourner la loi

Il s’agissait toutefois de contourner un écueil de taille: la plupart des tests génétiques DTC proviennent de firmes basées aux Etats-Unis. En novembre 2013, la Food and Drug Administration (FDA) a toutefois mis son veto au volet médical des analyses proposées par 23andMe, lui interdisant de livrer des résultats liés aux prédispositions à développer des maladies.

Pour la FDA, la société financée en partie par Google (on y revient) n’a apporté aucune donnée clinique permettant de justifier la sûreté, l’efficacité et la fiabilité de ses tests.

23andMe, dont le laboratoire est pourtant accrédité, a donc eu l’obligation de recentrer ses activités sur des analyses généalogiques du génome. Une décision aussitôt suivie par l’ouverture de deux succursales au Royaume-Uni et au Canada, en mesure de proposer une interprétation médicale du génome car n’étant pas sous le coup de la même législation.

Par ailleurs, 23andMe, y compris aux Etats-Unis, continue de fournir à ses clients les données brutes des analyses génétiques. Celles-ci ne sont certes plus interprétées, mais elles peuvent se révéler extrêmement utiles pour qui est motivé à connaître ses risques génétiques.

En effet, pour la somme de 5 dollars, le site Promethease, par exemple, permet de télécharger directement ses données par le biais de 23andMe. Le résultat? Une liste de quelque 15 000 occurrences en lien avec votre ADN est délivrée en quelques minutes.

On y découvre ses risques de développer des affections communes, ses caractéristiques physiques ou encore la façon qu’a notre organisme de métaboliser certains médicaments (lire en page 8).

En menant quelques recherches sur la Toile, on tombe également facilement sur des sociétés proposant des tests génétiques pour quelques centaines de francs. D’aucunes, comme easyDNA,
se targuent même de «pouvoir fournir un test ADN partout en Suisse, y compris à Lausanne, Genève et Montreux».

Outre les tests de paternité, la firme (dont le laboratoire est basé en Angleterre et le siège social en Californie), certifiée ISO 17025, promet de déterminer les risques liés à «25 grandes conditions de santé», dont les maladies cardiovasculaires, les cancers, ou encore la maladie d’Alzheimer. Alors, on se lance?

De l’art de cracher dans une pipette

Trois pipettes, un buvard, une petite lancette et du désinfectant… Voilà la brève série d’objets nécessaires à la collecte de mon ADN via 23andMe et easyDNA. Du côté de 23andMe, trois kits de prélèvement ont été commandés sous trois noms différents, afin de tester la fiabilité des résultats (qui s’avéreront quasi identiques).

Chaque kit coûte 99 dollars, sans compter les frais de port (plus de 100 dollars, tout de même). Le tout arrive en deux jours, accompagné d’une enveloppe prépayée permettant de renvoyer les échantillons séparément par l’intermédiaire d’un service express.

On s’abstient de manger ou de boire trente minutes avant de se vider littéralement de sa salive (pour ne pas contaminer le matériel génétique), on enregistre les échantillons en ligne car les kits ne portent qu’un numéro, et on attend environ quatre semaines que les résultats soient délivrés.

J’ai ainsi opté pour l’analyse généalogique, avant de soumettre à Promethease mes données brutes.

La procédure adoptée par easyDNA laisse quant à elle perplexe. Le site parle d’écouvillons buccaux mais, en lieu et place, arrive un kit de prélèvement sanguin dans une enveloppe vaguement déchirée. Le sang collecté à l’aide d’une lancette doit être absorbé par un buvard, le tout placé dans une nouvelle enveloppe en papier.

Comme il est difficile de savoir si la quantité de sang suffit, je me retrouve le doigt criblé de trous à la fin du processus. En outre, le service après-vente est rapidement mis à contribution car le kit, qui a coûté 290 francs, n’arrive pas dans les délais promis à mon adresse.

Et pour cause, il s’est perdu à la poste… C’est du moins la raison annoncée par e-mail (dans un français approximatif) avant qu’un nouveau test me soit renvoyé.

De l’existence des palpitations cardiaques

Déjouant tous les pronostics, les premiers résultats parviennent d’easyDNA. Il aura fallu trois semaines – durant lesquelles chaque ouverture de mon e-mail a engendré une série de palpitations cardiaques – pour qu’atterrisse dans ma boîte de réception un dossier PDF d’une trentaine de pages au titre rassurant de «Savoir, c’est prévenir». Je frôle la tachycardie.

«Que dois-je faire maintenant? En premier lieu, nous vous recommandons de porter le rapport à votre médecin.» Merci pour le conseil, easyDNA, mais plus facile à dire qu’à faire. Mon médecin est un homme très serviable et compétent, mais dans son cabinet trône majestueusement un fascicule déconseillant de faire ce genre de tests.

Et il m’avoue que, n’ayant que peu d’expérience dans le domaine (comme beaucoup de médecins généralistes), s’il devait recevoir d’autres patients avec de telles questions, il les enverrait aussitôt à la consultation des maladies génétiques du CHUV à Lausanne. En termes d’accompagnement médical, ce n’est donc pas gagné.

Heureusement, le professeur Jacques Fellay, qui étudie le génome humain dans son laboratoire à l’Ecole polytechnique fédérale à Lausanne, accepte de m’accompagner dans cette démarche.

Lui-même ayant soumis il y a quelques années son ADN à 23andMe, il est particulièrement familier de ce type de résultat. Un soulagement, car autant dire que sans son éclairage, j’aurais aisément pu me perdre en conjectures et aboutir à des interprétations fantaisistes.

Faire parler l’ADN

Résultats d’easyDNA: sur 25 affections, le rapport ne me prédit que des risques moyens ou faibles. Pas très palpitant sur un plan journalistique, mais relativement rassurant sur un plan humain. «Cela correspond bien à l’état actuel de la génétique par l’internet.

Pour la majorité des gens, cela résulte en une absence de nouvelles, comme un check-up que l’on ferait chez son médecin», explique Jacques Fellay. Deux aspects me semblent toutefois particulièrement intéressants au sein de ce rapport jugé globalement «pas si mal» par le spécialiste: mes résultats prédisent un risque jugé à presque 16% de développer une dégénération maculaire liée à l’âge (DMLA), entraînant une perte progressive de la vision. Alors que la probabilité «normale» est de 8%.

A contrario, on me signale bizarrement des risques diminués de développer la maladie de Basedow (affection touchant la thyroïde), alors que j’ai été diagnostiquée pour cette pathologie.

Alors, c’est grave, docteur? «Un risque de 15% pour la DMLA, même s’il est bien plus important que la moyenne, n’est pas extrêmement élevé dans l’absolu. Il signifie aussi que 85% des gens avec un profil génétique similaire ne développeront pas la maladie.

Toutefois, un résultat comme celui-ci pourrait représenter une motivation de faire un contrôle ophtalmique à 50 ou 60 ans si des symptômes particuliers devaient apparaître.»

Quant à la maladie de Basedow, ce résultat démontre qu’il est tout à fait possible de développer une affection même avec des facteurs protecteurs, notamment en raison du poids d’autres éléments en lien avec l’apparition de maladies, tels que l’environnement, l’alimentation ou encore l’exposition à la fumée.

Il s’avère aussi que le type de marqueur utilisé joue un rôle crucial dans la qualité des résultats obtenus. Selon Promethease, qui se base sur d’autres indicateurs, mes risques de développer ce type de maladie auto-immune seraient ainsi plus élevés que la moyenne. Un résultat qui semble déjà plus conforme à la réalité.

Par ailleurs, selon easyDNA, il semblerait que je ne présente pas de risques augmentés de développer un cancer du sein. Des cas ayant été diagnostiqués dans ma famille, voilà qui est rassurant, non? «Attention, me met en garde Jacques Fellay.

Cette société a testé des indicateurs qui ne sont pas les plus importants dans l’apparition de cette pathologie, comme le seraient BRCA1 ou BRCA2, deux gènes responsables de cancers familiaux. Présenter un risque génétique de cancer du sein sans même dire que ces indicateurs n’ont pas été testés est inacceptable sur un plan éthique.

La société se protège ici contre tout risque de devoir annoncer une mauvaise nouvelle, mais ces résultats pourraient faire croire à la cliente, en la rassurant, qu’elle n’a pas besoin de se faire dépister, alors même qu’elle pourrait bel et bien être porteuse d’une mutation grave.»

Du côté de Promethease, on joue la carte de la transparence. BRCA1 et BRCA2 ont bien été testés, mais j’avoue être un peu perdue devant les 36 occurrences liées au cancer du sein et parfois totalement discordantes.

«Avec autant d’informations présentées de cette manière, il n’est pas surprenant de découvrir des résultats apparemment contradictoires. Nous sommes porteurs d’une mosaïque de mutations qui modulent notre risque absolu dans différentes directions, confirme Jacques Fellay.

Le chemin est encore long pour que toutes ces données soient comprises et intégrées de manière cohérente, afin de mieux prédire notre rapport à la maladie.» Et en ce qui me concerne? Avec une combinaison d’un facteur de risque modéré et de quelques polymorphismes plutôt favorable, mon résultat est probablement un risque «moyen».

«Il faut toutefois savoir que comme 23andMe ne teste pas toutes les mutations BRCA1 et BRCA2, ce résultat ne garantit pas l’absence de mutation pathogénique dans ces gènes.» Retour à la case départ…

Se découvrir, vraiment?

A l’heure du bilan, que m’a donc appris cette expérience? Pêle-mêle et sans exhaustivité: que j’avais 99% de chances d’avoir les yeux bleus (bingo!); que 35% de mon ADN provenait d’Italie (rebingo!); que mes risques de développer des maladies courantes étaient dans la moyenne; que j’avais plus de risques de mourir après 11 heures mais avant 100 ans (soit…); que des erreurs statistiques étaient certainement en cause lorsque l’on m’a annoncé avoir 0,5% d’ADN en provenance du Moyen-Orient ou encore du Mexique; que 0,1 à 0,8% d’ADN déclaré juif ashkénaze se retrouvait en réalité chez la majorité des personnes d’origine européenne (tant pis pour la recherche d’exotisme); et que, compte tenu des segments importants de chromosomes conservés dans mon ADN mitochondrial (qui est exclusivement maternel étant donné qu’une fille n’a pas de chromosome Y), il y avait de fortes chances que quelqu’un parmi mes ancêtres récents ait été apparenté avec des Européens du nord de l’Europe (grand-maman, elle vient d’où notre famille, déjà?)…

Et que j’avais sans doute un peu le goût du risque, finalement. Une aventure qui n’a donc pas bouleversé mon existence, mais qui aura eu le mérite de chambouler mon quotidien.

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Matthias Rihs
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