Dossier. Les analyses personnelles du génome ne sont pas autorisées en Suisse en raison des nombreuses questions qu’elles soulèvent. Il est facile, cependant, de contourner la loi pour découvrir ce que cache son ADN. «L’Hebdo» a tenté l’expérience.
Ils sont interdits en Suisse en raison des risques de mauvaise interprétation et des craintes qu’ils peuvent susciter auprès de la population.
Et pourtant, les tests génétiques en libre accès sur l’internet séduisent toujours plus de personnes, avides de découvrir ce que révèle leur génome pour quelques centaines de francs.
Cet engouement inquiète de nombreux professionnels de la santé. De la Fédération des médecins suisses à l’Office fédéral de la santé publique, tous déconseillent fermement d’avoir recours aux analyses génomiques capables de prédire les risques de prédispositions aux maladies.
Notamment en raison des interrogations médicales, techniques et éthiques que soulève ce genre de tests. Connaître son ADN représente-t-il dès lors une menace ou une promesse? Les analyses du génome ont-elles une réelle valeur prédictive et préventive? Tour d’horizon en 10 questions.
1 Quelles informations sont-elles délivrées?
Les tests direct to consumer (DTC) font partie de la catégorie des tests dits prédictifs. Leur but affiché est de découvrir des altérations génétiques qui indiqueraient un risque probable de développer ultérieurement une maladie, que cela soit des cancers, des pathologies cardiovasculaires ou encore des maladies auto-immunes.
Et ce sur des personnes ne présentant a priori aucun symptôme. En outre, certains tests génétiques vendus sur la Toile servent également à déterminer les origines ethniques, à connaître ses prédispositions sportives ou à optimiser son alimentation. On parle alors communément de génétique «récréative».
2 Comment les résultats sont-ils obtenus?
Sur la base d’un simple échantillon de salive ou de sang, un ordinateur recherche dans une fraction du patrimoine génétique les variations minimes appelées SNP ou snips, pour single nucleotide polymorphisms.
Certains de ces snips apparaissent plus souvent chez des personnes souffrant de maladies déterminées. Sur la base de ce constat, on suppose que ces infimes variations jouent un rôle dans le développement de diverses affections.
3 Les données sont-elles fiables?
Les tests portant sur des millions de variants, des erreurs sont statistiquement possibles et les risques de faux positifs ou de faux négatifs ne sont donc pas à exclure. De plus, il peut se révéler compliqué de séparer le bon grain de l’ivraie parmi la multitude d’occurrences fournies.
En effet, les résultats proposés peuvent tout autant être fondés sur des indicateurs sérieux et validés par la communauté scientifique, que sur une littérature peu étayée dont il est impossible de tirer des conclusions concrètes.
«Ces tests n’ont pas été validés cliniquement. Cependant, si un patient se présente chez son médecin avec un résultat génétique potentiellement important, celui-ci ne devrait pas l’ignorer, nuance Jacques Fellay, professeur assistant à la faculté des Sciences de la vie de l’EPFL.
Un nouveau test, certifié celui-ci, devrait alors être réalisé afin de confirmer le résultat obtenu et d’agir en conséquence. Dans ce sens, ces analyses peuvent représenter un outil intéressant d’échange entre le patient et son médecin.»
4 Quelle utilité préventive?
Il faut bien l’avouer, l’intérêt médical lié aux résultats de ces tests est encore très faible. En cause? La compréhension du génome humain est pour l’heure extrêmement fragmentaire. Nous sommes ainsi face à une situation inédite où les données sont largement disponibles avant que leurs significations réelles ne puissent être comprises.
«Entre deux personnes du même sexe prises au hasard, on estime qu’il y a 3 millions de différences ponctuelles dans l’ADN. La grande majorité de ces dissemblances sont anodines et ne présentent pas d’effets biologiques.
Certaines ont néanmoins des conséquences, mais lesquelles? Cette connaissance est encore largement à construire», confirme Vincent Mooser, directeur de la Biobanque institutionnelle de Lausanne, qui collecte, stocke et compte analyser les génomes de patients volontaires du CHUV.
De plus, les maladies génétiques dites multifactorielles (telles que les cancers, les affections cardiovasculaires ou respiratoires) sont, comme leur nom l’indique, dues à l’interaction de plusieurs modifications génétiques, combinées à des facteurs environnementaux et au mode de vie.
Autant de données dont on ignore encore l’impact respectif et face auxquelles il se révèle ardu d’adopter des mesures préventives efficaces. Il y a toutefois fort à parier que, d’ici à dix ans, l’état des connaissances permettra de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’apparition de certaines pathologies.
5 Quelles applications médicales?
Bien que le rôle déterminant des gènes soit encore relatif pour l’immense majorité des affections communes, il est toutefois des maladies où les analyses génétiques permettent d’anticiper des bombes à retardement.
Qui n’a pas en tête le cas d’Angelina Jolie, porteuse d’une mutation sur le gène BRCA1 augmentant considérablement ses risques de contracter un cancer du sein et des ovaires? Ou encore du cofondateur de Google, Sergeï Brin, chez qui l’on a diagnostiqué une probabilité très élevée de développer la maladie de Parkinson (lire ci-contre)?
D’autres affections sont également associées à des mutations génétiques identifiées comme faisant particulièrement augmenter les probabilités de les contracter. Il s’agit du cancer du côlon, de la maladie d’Alzheimer ou encore de certaines affections cardiovasculaires comme l’hypercholestérolémie familiale (une maladie génétique responsable d’une hausse importante des taux de cholestérol).
Certes, des traitements n’ont pas encore été trouvés pour chacune de ces pathologies, mais des mesures préventives peuvent parfois être entreprises, à l’exemple de dépistages plus précoces.
Les tests prédictifs apportent aussi des connaissances intéressantes en termes de prescriptions médicamenteuses. Il apparaît que la toxicité et le taux de réponse à certains traitements sont variables en fonction de nos gènes.
Face à une dose standard de médicament, d’aucuns développent des effets secondaires importants, alors que l’efficacité du traitement sera mise en cause chez d’autres. Des corrélations ont notamment été démontrées entre la résistance à certains médicaments réduisant la formation de caillots sanguins et la présence de variants dans certains gènes.
De même, l’efficacité des statines (dont le but est de réduire le taux de cholestérol) ou des bêtabloquants serait aussi liée à des prédispositions génétiques.
6 Quel accompagnement?
C’est sans doute là que le bât blesse le plus: bon nombre des sociétés qui proposent ces tests travaillent sans contrôle médical et sans interaction directe avec le client. La plupart du temps, la personne testée se retrouve donc seule face à une liste de résultats difficiles à interpréter si l’on ne bénéficie pas de conseils spécialisés et de notions de statistiques.
«Ce qui fait très peur, notamment aux autorités de surveillance, c’est que les clients se retrouvent seuls et démunis face à de mauvaises nouvelles, analyse Jacques Fellay. Il est vrai que le risque existe que l’on se découvre porteur d’une mutation qui augmente fortement la probabilité de développer la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, par exemple.
Toutefois, pour la grande majorité des résultats présentés dans ces tests, les différences sont souvent minimes par rapport au risque moyen de contracter une affection.»
7 Quelle protection des données?
Une adresse e-mail et un mot de passe. Voilà les seules barrières protégeant l’accès aux données hautement sensibles des clients de 23andMe, société américaine proposant pour 99 dollars des analyses génomiques en libre accès.
Un peu pauvre, quand on considère le niveau de protection toujours plus élevé entourant les opérations d’e-banking, par exemple. «Contrairement à une carte de crédit volée que l’on peut annuler à tout moment, les données génétiques sont immuables», s’inquiète Jean-Pierre Hubaux, professeur au Laboratoire des communications et applications informatiques de l’EPFL.
Face à cette identité biologique ultime que représente notre ADN, la question de la privacité des données semble donc fondamentale.
Par ailleurs, les données ont beau être anonymisées, il suffirait théoriquement d’un échantillon de référence pour mettre un nom sur une séquence. Un aspect hautement problématique, si l’on imagine que l’avancée inexorable de la génomique permettra de tirer toujours plus de données prédictives sur les individus séquencés et que ces informations pourraient éventuellement être utilisées à des fins malveillantes. «Il s’agit là d’une menace dont l’ampleur n’est pas encore entièrement connue», prévient Jean-Pierre Hubaux.
8 Quel cadre légal?
En Suisse, la loi fédérale sur l’analyse génétique humaine (LAGH), datant de 2004, interdit la vente de tests génétiques aux particuliers. Seuls les médecins peuvent alors prescrire des analyses génétiques.
Cependant, compte tenu de la facilité avec laquelle le grand public peut désormais avoir accès aux tests DTC sur l’internet, le Conseil fédéral a décidé d’ouvrir, en février dernier, un processus de consultation concernant une révision totale de la LAGH.
Estimant que, en sa forme actuelle, cette législation n’était plus adaptée au contexte, notamment en ce qui concerne les analyses génétiques en provenance de l’étranger, les autorités suisses ont notamment décidé d’étendre le champ de la loi aux analyses génétiques réalisées en dehors du cadre médical, comme les tests concernant l’alimentation, le sport et la généalogie.
Les dispositions pénales ont aussi été adaptées afin que, en plus des professionnels, des particuliers puissent être poursuivis, dans le cas, par exemple, où des tests seraient prescrits ou des résultats communiqués sans le consentement préalable de la personne testée.
9 L’ADN peut-il être revendu à des tiers?
Il serait illusoire de croire que les sociétés proposant ces tests ne tirent pas parti des précieuses données fournies par leurs clients. Un exemple? En janvier 2015, la société 23andMe a revendu pour 60 millions de dollars à Genetech, l’un des leaders internationaux en matière de biotechnologie, le profil génétique de 14 000 clients concernés directement ou indirectement par la maladie de Parkinson.
En mars de cette année, cette même société a fait un pas dans la direction de l’industrie pharmaceutique en fondant un nouveau groupe thérapeutique. L’idée étant de créer des médicaments en se servant de la base de données fournie par ses propres utilisateurs.
Ce recyclage de matériel extrêmement sensible ne se fait toutefois pas sans consentement préalable: 80% des personnes ayant envoyé leur matériel génétique à 23andMe ont en effet accepté que leurs données soient réutilisées à des fins de recherches médicales.
10 Quels risques éthiques?
Contrairement aux tests génétiques à visée diagnostique, les tests prédictifs sont effectués sur des individus ne présentant aucun symptôme. Dès lors, comment vivre avec le risque de contracter la maladie d’Alzheimer lorsqu’on se découvre une mutation du gène ApoE4 et qu’il n’existe encore aucun traitement?
Une femme qui serait porteuse d’une mutation du gène BRCA1 ou BRCA2 et présenterait un risque de 60% de développer un cancer du sein ou de l’ovaire avant l’âge de 70 ans devrait-elle nécessairement envisager une ablation des organes concernés?
On fait face, ici, à de vrais dilemmes préventifs. Et ces tests génétiques ne risquent-ils pas d’instaurer à terme une tyrannie de la bonne santé? «Il y a un imaginaire de perfection illimitée de l’homme lié à la médecine hypertechnique, analyse Lazare Benaroyo, professeur en éthique et philosophie de la médecine à l’UNIL.
La perfection biologique ne permet cependant pas à elle seule d’assurer une existence humaine saine et heureuse. Un des écueils possibles serait de ne pas prendre suffisamment en compte la notion de finitude, qui me semble être constitutive de l’existence humaine.»
«l’effet angelina jolie»
L’actrice et le cofondateur de Google Sergeï Brin ont contribué à l’énorme médiatisation des tests génétiques.