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Espagne: le grand ménage, pas la révolution

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Jeudi, 28 Mai, 2015 - 05:53

Analyse.Les deux camps qui ont gouverné l’Espagne depuis la fin du franquisme sont bousculés par des partis tout neufs, Podemos et Ciudadanos, mais aussi par des mouvances issues du mécontentement social. Une grogne qui s’explique notamment par une corruption érigée en système et les gaspillages publics.

La claque infligée à la droite espagnole a de quoi faire réfléchir les Européens sur l’usure du pouvoir. Passé de 37 à 27% des voix, le PP du premier ministre Rajoy ne sauverait que trois régions sur treize, sans majorité absolue. Les socialistes (PSOE) perdent aussi des plumes (de 28 à 25%). Mais ils trouveront des alliances et s’en sortent plutôt bien.

Les deux camps qui ont gouverné le pays depuis la fin du franquisme sont bousculés par des partis tout neufs, Podemos (nous pouvons) et Ciudadanos (citoyens), mais aussi par des mouvances issues du mécontentement social, sans argent ni journaux.

C’est la fin du bipartisme. C’est le tocsin pour toute une génération de dirigeants discrédités. Ce n’est pas la révolution, mais c’est le grand ménage.

Deux femmes incarnent cette ébullition. Manuela Carmena, septuagénaire énergique, juge, militante sous l’étiquette improvisée d’Ahora Madrid, devenue en quelques semaines la coqueluche de tout un pan de la gauche. Elle sera maire de Madrid. A la place d’une figure de proue de la droite, Esperanza Aguirre, ultralibérale dure sinon pure.

Promise à la mairie de Barcelone, Ada Colau, 41 ans, lutte depuis des années pour les locataires expulsés de leur appartement alors que des milliers de logements restent vides, phénomène lié à la spéculation immobilière.

Elle aussi surgie sur scène il y a peu, elle a réussi l’exploit de dépasser le parti nationaliste catalan au pouvoir qui espérait faire oublier la douleur sociale par son projet séparatiste.

Ces deux battantes ont en commun de ne débiter aucun catéchisme, elles restent dans le concret: en finir avec les privilèges des élus; terminé les voitures de fonction, les notes de frais faramineuses, les enveloppes en sous-main.

Promesse d’un revenu minimum aux familles sans revenus (600 euros), d’un contrôle des banques, d’un tourisme assagi, mais rien qui ne compromette l’économie. L’ambition n’est pas de
refaire le monde mais de redescendre sur terre.

A la différence de la France, personne ne parle ici de lutte «contre l’austérité», formule vague pour dire la fuite dans la dette. Personne, pas même Podemos, ne se dit «antilibéral». Les relents même dilués du marxisme ne plaisent guère en Espagne. Personne non plus, pour excuser les maux du pays, n’accuse l’Europe, l’Allemagne, la BCE, le FMI ou autres cibles visées ailleurs.

«Si nous sommes dans la panade, c’est à nous que nous le devons…» Personne enfin, de la vieille droite à l’extrême gauche, ne s’en prend à l’immigration (14% de la population). Pas trace de xénophobie: un cas unique en Europe!

Le pouvoir en place crut s’en sortir grâce au bilan économique: en 2014, la croissance est repartie (+1,5%), prévue à 2,5% pour cette année. Le déficit se réduit. Le chômage reste élevé (23%) mais diminue chaque mois.

Les investissements redémarrent, les exportations, agricoles et industrielles, sont en hausse. Même l’immobilier frémit après une crise d’une ampleur inimaginable: des milliers d’étrangers achètent à nouveau des appartements pour leurs vieux jours au soleil.

Précarité de l’emploi

Mais la chanson n’a pas convaincu. Les emplois restent rares, bas et précaires. Bien que le modeste niveau des prix étonne les visiteurs étrangers, la vie quotidienne reste plus que difficile pour les trois quarts de la population. Les jeunes, même bien formés, continuent d’émigrer.

Outre ces soucis, ce qui a joué, c’est la colère contre la corruption et la dépense publique mégalomaniaque.

La troisième ville du pays, Valence, est l’emblème de ces fléaux. Début mai, l’UE a infligé une amende à la Comunidad valenciana pour avoir maquillé des déficits abyssaux (38 milliards). Folie des grandeurs à la faveur de l’argent facile.

Sa Cité des arts et des sciences, couverte de céramique, aurait coûté 1,3 milliard d’euros, dont 94 millions d’honoraires à l’architecte Santiago Calatrava. Pire encore: la maire de la ville, Rita Barbera, a justifié une dépense de 2 milliards d’euros pour attirer la Coupe de l’America: amarrages spéciaux, bâtiments aujourd’hui quasiment inutilisés. La compétition ne s’y est tenue que deux fois.

Depuis lors, le budget de l’éducation a été réduit de 28%. Les crédits au logement populaire ont été coupés. Pas étonnant que la dame ait été battue à plate couture.

Là comme ailleurs, la droite et la gauche traditionnelles sont loin d’être hors jeu mais mises sous la surveillance des nouveaux venus, ces alliés qu’il leur faudra.

Les gaspillages sont allés de pair avec une corruption érigée en système. Dans cette seule région de Valence, 150 dirigeants locaux sont inculpés, quelques-uns en prison. Ces derniers jours est apparu l’enregistrement d’un notable qui, dans sa voiture, comptait à haute voix les milliers d’euros qu’un entrepreneur lui glissait. Valence, disent les Espagnols, c’est Ali Baba et les quarante voleurs.

Colère donc, mais pas de pleurnicheries. Le voyageur est surpris par la dignité et l’énergie d’une population qui veut tourner la page. Elle a pu le faire à travers une campagne d’une tenue remarquable. En novembre, les élections générales conduiront sans doute à un changement de gouvernement. Il sera dû autant à la surprise des mobilisations citoyennes qu’au jeu des vieux partis. Réjouissant, non?

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