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Successions: le match des arguments

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Jeudi, 28 Mai, 2015 - 05:58

Samuel Bendahan

Plaidoyer. Faut-il taxer les successions pour financer l’AVS? C’est une des questions que peuple et cantons sont appelés à trancher le 14 juin prochain. «L’Hebdo» a demandé à deux de ses blogueurs associés, l’avocat Philippe Kenel et le député socialiste Samuel Bendahan, d’indiquer cinq bonnes raisons de voter oui ou non.

Pour

1) imposer les très grandes successions pour financer l’AVS, c’est la source de financement la plus juste

Si vous gagnez votre vie en travaillant, en contribuant, vous devez payer un impôt. N’est-ce pas normal que les personnes qui gagnent de grosses sommes d’argent sans même travailler, sans contribuer et sans l’avoir mérité paient aussi quelque chose?

Aujourd’hui, si vous gagnez 100 000 francs à la sueur de votre front, vous payerez 15% d’impôts. Avec l’initiative, si vous avez la chance d’hériter de 5 millons de francs d’un coup, vous ne payerez que 4% d’impôts.

Imposer les successions, c’est un des seuls moyens qui évitent que l’argent ne se concentre entre les mains des mêmes personnes. Si nous renonçons à imposer les successions, ce sont d’autres qui devront payer: les travailleurs, les retraités, les entreprises, par exemple.

2) Pour une fois, ce n’est pas la classe moyenne qui paie

Le texte met en place une franchise de 2 millions de francs (4 pour les couples). Cela fonctionne ainsi. Les deux premiers millions de l’héritage ne seront pas imposés. En plus, tout ce qui est donné au conjoint ou à des organismes d’utilité publique sera aussi exonéré.

Enfin, l’impôt ne sera payé que sur ce qu’il reste. Une personne qui décède et dispose de 6 millions, qui donne 3 millions à son conjoint, 500 000 francs à une association humanitaire et le reste à des personnes de son choix, ne verra sa succession imposée que sur 500 000 francs. Avec le taux prévu, cela donnera un impôt de 100 000 francs sur les 6 millions!

Or, il ne faut pas oublier que la plupart des fortunes ne dépassent pas les 2 ou 4 millions. Donc, 98% de la population ne sera pas concernée. Posez-vous la question: avez-vous 4 millions de fortune? Qui dans votre entourage a 4 millions de fortune?

N’oubliez pas que la fortune doit être calculée nette. Si vous avez une maison qui vaut 1 million, mais avec une hypothèque de 600 000 francs dessus, alors la fortune n’est que de 400 000 francs.

3) Les entreprises familiales et les PME seront protégées

Beaucoup prétendent que le texte met en danger l’entreprise. C’est un pur mensonge. Ne me croyez pas sur parole, lisez le texte et vérifiez par vous-même: la transmission d’une entreprise ou d’une exploitation agricole est spécifiquement mentionnée et protégée.

Si vous transmettez votre entreprise pour que des successeurs l’exploitent, la loi sera obligée de limiter ou de supprimer l’impôt pour garantir sa bonne marche. Si les successeurs préfèrent vendre l’entreprise plutôt que de l’exploiter, ils payeront un impôt, beaucoup plus faible que l’argent qu’ils auront reçu par la vente sans travailler.

Alors qu’on accuse l’imposition des successions de forcer les héritiers à vendre l’entreprise familiale pour payer l’impôt, le texte prévoit l’exact contraire: il incite les héritiers à poursuivre l’activité en les exonérant.

4) Imposer les successions stimule l’économie plutôt que l’accumulation

La TVA ou l’impôt sur le revenu incite à moins consommer ou gagner. Si, au lieu de cela, vous imposez un peu les gains hérités, cela pousse les gens à dépenser, utiliser ou donner leur argent de leur vivant.

Les grandes fortunes dorment trop: au lieu de créer de l’emploi ou d’être investies et dépensées, elles sont conservées, voire utilisées à des fins spéculatives. Imposer les successions pour financer l’AVS, c’est choisir une source de financement qui incite notre économie à se renforcer et à créer de l’emploi.

5) Défendre l’AVS, c’est assurer notre avenir

Il ne faut pas oublier l’objectif final de l’initiative: financer les rentes AVS. Si nous ne trouvons pas de bonne source de financement, le risque est la baisse des rentes, ou une source de financement moins juste. Cela aura pour effet une baisse du niveau de vie des retraités et de la classe moyenne.

Nous devons vivre dans une société ou chacune et chacun a ses chances. L’extrême concentration des richesses, la très grande difficulté d’améliorer son niveau de vie si l’on n’est pas déjà riche démotivent tout le monde: ceux qui n’ont pas les moyens de réussir, et ceux qui n’ont rien besoin de faire pour réussir.

Voter oui, c’est ajouter un peu d’espoir pour nos retraites, et chez toutes celles et ceux qui hériteront de moins de 2 millions de francs, en demandant un effort aux 2% de personnes qui commencent déjà leur vie avec un immense avantage financier. 


Philippe Kenel 

Contre 

L’initiative qui tend à imposer à un taux de 20% les successions (les mêmes règles s’appliquent également aux donations) supérieures à 2 millions de francs sur laquelle le peuple suisse sera appelé à se prononcer le 14 juin prochain doit être absolument rejetée pour les raisons suivantes.

1) On ne peut pas imposer le capital deux fois

S’il est juste d’imposer une fois le capital, il est totalement inéquitable de le faire à deux reprises. En d’autres termes, il y a lieu de choisir entre soit l’impôt sur la fortune, soit celui sur les successions et les donations.

La Suisse, contrairement à la quasi-totalité des Etats européens, impose le capital durant toute la période de détention de celui-ci par son propriétaire. Par conséquent, il n’y a pas lieu de l’imposer une seconde fois lors de son transfert entre vifs ou au décès.

Le seul Etat qui n’a jamais compris que ces deux impôts ne pouvaient pas être cumulés est la France… Tout ce qui lui arrive démontre que ce n’est pas l’exemple à suivre! De grâce, je vous remercie de ne pas m’accuser de French bashing…

2) L’initiative tue la progressivité de l’impôt

Dans une société, il est important que chacun participe au bien commun à la hauteur de ses moyens. Ce principe se traduit par le système de la progressivité de l’impôt. L’initiative va à l’encontre de ce principe en n’imposant que les successions et les donations supérieures à 2 millions de francs et en ne prévoyant pas un taux progressif.

Par ailleurs, si le taux est unique dès que le montant de 2 millions est atteint, il l’est également quel que soit le lien existant entre le défunt et l’héritier ou le donateur et le donataire. Cette manière de faire est contraire à la protection de la famille, puisqu’elle met enfant, maîtresse ou amant dans le même lit…

3) Il faut respecter le fédéralisme

Chaque jour, il est loisible de constater à quel point le fédéralisme est une force pour notre pays, notamment en raison de son multilinguisme. Le fait que l’impôt sur les donations et sur les successions soit de compétence cantonale et non pas fédérale est l’un des bastions du fédéralisme helvétique.

Si mes concitoyens devaient voter oui le 14 juin, nous ne nous réveillerions plus, le 15 au matin, dans la même Suisse, non seulement sur le plan fiscal, mais également politique.

4) L’initiative stigmatise les personnes fortunées

Cette initiative a un côté détestable dans la mesure où elle stigmatise les personnes aisées ayant une fortune supérieure à 2 millions de francs. Sous le couvert d’une pseudo-justice sociale, les initiants divisent la société helvétique, alors que son homogénéité est sa force.

L’acceptation de l’initiative aurait comme conséquence de pénaliser lourdement les entreprises et les entrepreneurs, d’engendrer le départ d’un certain nombre de personnes fortunées suisses ou étrangères et de mettre fin à l’arrivée de nouvelles personnes fortunées dans notre pays.

L’importance de leur présence, qui a été largement reconnue par le peuple suisse le 30 novembre 2014, a encore été confirmée par le fait que la présence du propriétaire de Patek Philippe à Anières a rapporté environ un demi-milliard de francs en 2014 à cette commune et au canton de Genève.

5) Un emblème des tares de la démocratie directe

Enfin, outre son objet, cette initiative comporte toutes les tares illustrant la crise de la démocratie directe. D’une part, elle pose une question beaucoup trop large en mélangeant le problème de l’imposition des donations et des successions avec celui du financement de l’AVS. D’autre part, elle prévoit un système rétro-actif contraire à la philosophie même de l’ordre juridique helvétique.

Pour toutes ces raisons, il importe que cette initiative soit rejetée massivement, ce qui aura comme effet, notamment, de préserver notre cohésion sociale et d’éviter de savonner la pente de la dérive de la démocratie directe.

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