Pour inépuisable qu’il soit, voici le répertoire d’invectives de la langue française fortement mis à contribution par la Schadenfreude de celles et de ceux que ravit le séisme frappant la FIFA ces derniers jours.
Du Haut-Valaisan Sepp Blatter, certes madré, despotique et perfide, on a fait «Don Pallone»* par allusion aux mafieux du roman de Mario Puzo Le Parrain; et Vigousse, en première page, de clamer «Blatter for ever» avec un Kim Jong-un et Bachar el-Assad admirablement croqués par Marc Large, tous deux disant: «Il force notre respect…»; «cloaque», «pourriture», «tout-à-l’égout» sont certaines des autres aménités proférées.
La presse anglaise traite ce Suisse de «cadavre qui marche» («walking dead») et Richard Weber – redoutable directeur des enquêtes pénales de l’Administration fiscale américaine – parle d’une Coupe du monde de la fraude («a World Cup of fraud») à laquelle brandir un carton rouge!
Il est vrai que, pour qui l’avait prédit et annoncé, y compris dans ces colonnes, l’ouragan se fait brise fraîche, car il y roule aussi l’onde suave et succulente de la justice. Le moi est haïssable, mais cédons-y un instant: «A l’heure où notre pays est houspillé de toutes parts, on se passe-rait volontiers d’un opprobre supplémentaire.
Mais la Suisse n’a plus besoin d’ennemis: des «amis» tels que Sepp Blatter suffiront à son malheur», écrivais-je dans L’Hebdo, bien avant la tempête d’aujourd’hui.
Peu importe en définitive
Blatter. Le soir de son «élection» – une fripouillerie de plus en vérité, achetée à coups de matabiches et de pourboires refilés aux présidents vénaux de fédérations du tiers-monde et d’ailleurs –, il déclarait, pathétique: «I take the responsiblity to bring back FIFA. We do it.»
Sénile ou buté, il est le seul à y croire. Dans quelques jours, quelques semaines au plus, calciné par le scandale qui va mettre le feu à tout ce qui l’entoure – et en particulier au népotisme éhonté qu’il pratique –, il aura passé à la trappe de l’histoire, mais la Suisse, elle, demeurera**. Et tel est bien le problème, car d’évidence le préjudice d’image causé par le Néron de Visp est considérable.
Pour avoir su accueillir jadis
des fédérations sportives où quel-ques bourgeois bien nés à qui plaisait notre neutralité devisaient à la manière de Pierre de Coubertin sur l’avenir du sport et du fair-play, notre pays a la chance d’abriter aujourd’hui à peu près tout ce qui compte dans le monde du sport international.
Notre droit connaît l’association, forme juridique souple et simple, qui est toutefois inadaptée à des centres de pouvoir mondiaux où valsent les milliards. En un temps où les amitiés nous sont chichement comptées car on nous jalouse, voici du pain bénit pour qui veut bâtonner les Helvètes! Comment?
Cette «république bananière» offre des «privilèges» à la «corruption» et accueille, une fois de plus, toutes les compromissions sur son sol?
Il faut que le Parlement suisse s’en mêle d’urgence: la loi doit impérativement changer et, à qui dispose d’un monopole de fait sur les droits télévisés d’événements sportifs mondiaux et les milliards qu’ils génèrent, il faut imposer, à l’exclusion de toute forme «associative», le régime de la société anonyme, cotée en Bourse, avec des actionnaires connus et ne détenant pas plus de 5% du capital, directement ou par alliance.
Des états financiers détaillés, dûment audités, seront soumis à la publicité la plus large, accessibles à quiconque. Les dirigeants, rémunérés à la lumière du soleil et avec des limites à leurs salaires – oui, des limites dans la loi! – siégeront deux fois quatre ans au plus.
Les «projets» style «Sepp Blatter Stadium» – en réalité un terrain vague sur une île quelconque – doivent être proscrits par le droit pénal et l’utilisation des fonds reversés en Haïti ou ailleurs contrôlée jusqu’au dernier centime par des réviseurs rigoureux.
Le libéralisme postule un état capable d’imposer des règles là où il en faut. Et, dans ce domaine, il y a longtemps que nous aurions dû légiférer. A défaut, nous connaîtrons une fois de plus le triste sort de l’âne de la fable de La Fontaine, car les autres animaux, pourtant malades de la peste eux aussi, hurleront à plaisir «Haro sur le baudet!»