Décodage. Une personne sur deux pense «puer du bec» . Pour la plupart, c’est pure imagination. Mais ceux qui sont bel et bien concernés s’en tireront par des moyens très simples.
Texte Jörg Zittau
Dessin original Hélène Bruller
L’être humain n’aime pas ses congénères qui puent. Et quand les détestables remugles proviennent de la bouche, il réagit d’autant plus brutalement, en excluant l’importun de son paysage olfactif.
«La mauvaise haleine isole», professent les brochures des caisses maladie, des dentistes et de l’industrie cosmétique. Raison pour laquelle les Américains dépensent chaque année plus de 1,5 milliard de dollars pour des produits d’hygiène buccale. Reste à voir si cet investissement vaut vraiment la peine car, souvent, derrière la crainte d’avoir mauvaise haleine se cache un trouble obsessionnel compulsif (TOC). Et lorsque le problème est bel et bien effectif et qu’il a une origine biologique, il peut être éliminé par une simple tasse de thé (vert).
Des préjugés et de la paranoïa
Il y a plus de deux cents ans, Napoléon écrivait à sa chère Joséphine: «Ne te lave pas, j’arrive!» mais ce temps-là est bien passé. De nos jours, rares sont les tares jugées aussi inconvenantes en société qu’une odeur corporelle marquée. Et au pinacle des exhalaisons inconvenantes figure la mauvaise haleine. Que ce soit en couple ou au travail, dans le dialogue intime ou en conversation d’affaires, celui qui a une haleine d’égout a tiré la mauvaise carte. On lui reproche – en général à tort – des problèmes de santé ou d’hygiène et on le repousse en marge des rapports sociaux. Et comme ce n’est qu’à la fin du siècle dernier que la science a découvert l’halitose – ainsi que l’on nomme en médecine l’indélicat fumet buccal – elle fait toujours l’objet d’innombrables préjugés.
Cela dit, la fréquence des problèmes d’haleine est souvent surestimée. Des enquêtes téléphoniques aux Etats-Unis ont montré qu’une personne sur deux recourait à de coûteux collutoires buccaux. Or, selon de récentes études, ce sont au mieux 25% des gens qui exhalent de-ci de-là une odeur désagréable, la plupart du temps après un repas fortement épicé ou tôt le matin, avant le petit-déjeuner. Ils ne sont que 6% à pâtir d’une halitose chronique.
Dans le cadre de leurs consultations portant sur cette affection, des médecins-dentistes de l’Université de Bâle ont établi que 12,5% de leurs patients ne fouettaient pas du bec mais se l’imaginaient. Autrement dit, les examens à l’aide de respirateurs spéciaux n’ont pas apporté le constat d’un relent effectif: les patients souffraient en réalité d’une pseudo-halitose ou même d’une halitophobie, le TOC lié à la peur de la mauvaise haleine.
Un TOC qui isole
Comme le souligne le professeur Andreas Filippi, un tel TOC peut faire dérailler une vie sociale: «Parce que dans les contacts interpersonnels, l’halitophobique se concentre presque uniquement sur les supposés signes que son interlocuteur aurait reniflé ses effluves buccaux. Une communication normale devient alors presque impossible puisque l’halitophobe va interpréter n’importe quel geste innocent – se couvrir brièvement le nez de la main ou détourner un instant la tête – comme une réaction à son haleine méphitique, nauséabonde. Conséquence: l’halitophobique s’isole au même titre que le vrai malade d’halitose et devient un cas pour le psychothérapeute.
Mais les gens à l’haleine pestilentielle ont aussi tendance aux préjugés. Nombre d’entre eux croient que leurs miasmes sont provoqués par des problèmes digestifs et se font soigner à coups de lavements de l’intestin. D’autres pensent que leurs dents sont responsables et se procurent tout un attirail d’appareils électroniques pour l’hygiène dentaire.
La langue, véritable coupable
Or, la réalité est que, dans 90% des cas, les relents buccaux proviennent bel et bien de la bouche et que les principaux coupables sont installés sur le dos de la langue, comme l’a montré Mel Rosenberg, de l’Université de Tel-Aviv. «C’est un endroit qui est peu nettoyé par la salive et les bactéries peuvent aisément se nicher dans ses innombrables replis», explique le microbiologiste. Et ces bactéries s’en mettent plein la panse puisque, sur le dos de la langue, on ne va pas trouver les seuls reliefs de repas mais aussi les sécrétions qui dégoulinent des cavités nasales. Un réservoir d’aliments inépuisable que les micro-organismes transforment par exemple en hydrogène sulfuré (odeur d’œuf pourri). Ou en acide d’isovalériane, qui rappelle la puanteur des pieds. Ou même en cadavérine, autrement dit l’odeur de charogne. «Rien d’étonnant, par conséquent, que la respiration humaine puisse parfois disconvenir au nez d’un interlocuteur», commente Mel Rosenberg.
Au regard de cette indésirable marée de bactéries, il semble évident de soigner l’halitose avec des antibiotiques. Mais ces derniers n’évacuent que pour un temps limité la couche installée sur la langue et, pire, ils tuent les bactéries, adversaires naturelles des champignons, avec pour conséquence que la langue sera dès lors recouverte d’une épaisse champignonnière. «Et là, ça devient vraiment sérieux», prévient Mel Rosenberg. Il vaut mieux stabiliser le milieu buccal en le ravitaillant en cultures probiotiques. Car il est désormais scientifiquement établi qu’une telle approche fonctionne et que les bactéries probiotiques savent évincer leurs consœurs puantes. Mais on n’a pas encore élucidé le moyen de les mobiliser et si, par exemple, il suffit d’avaler quelques gobelets de yaourt nature chaque jour.
Les remèdes
Le traitement à l’aide d’eaux aromatiques ne change pas grand-chose et les huiles essentielles – telle l’huile de menthe, très courue – sont très surestimées. L’intervention contre l’haleine chargée est promise à un plus grand succès quand, outre les dents, on frotte aussi le dos de la langue avec la brosse, comme cela se pratique depuis des siècles en Extrême-Orient. Des études cliniques corroborent les effets de cette méthode traditionnelle, car une bonne partie de la couche de bactéries est éliminée dès le premier passage. Un traitement par jour pendant une à deux minutes suffit. (Bien sûr, la brosse ne doit pas être trop dure pour éviter des blessures à la langue.)
On a constaté des effets analogues avec le thé vert, dont l’avantage est que l’on peut l’intégrer sans dommage à son régime alimentaire quotidien.
Ceux qui souhaiteraient obtenir un nettoyage particulièrement soigné du dos de la langue peuvent en revanche se procurer en pharmacie des racloirs spéciaux. Leur conception simple consiste en une bande souple de plastique aromatisé, formée en arc de cercle, que l’on tire sur la langue en avant et en arrière. Par ailleurs, il vaut aussi la peine de prendre un solide petit-déjeuner, car cela nettoie le dos de la langue et augmente le flux de salive. En outre, il faut s’habituer à respirer par le nez afin que la bouche ne s’assèche pas et reste rincée de salive.
Enfin, il s’agit de toujours se rappeler que l’haleine chargée n’est qu’une des multiples odeurs que nous exhalons. Si, après un repas généreusement garni d’ail, vous vous rincez la bouche avec un coûteux collutoire, on pourra néanmoins vous suivre à la trace. Car les sulfures de la gousse d’ail traverseront allègrement votre peau et vos poumons pour s’en aller chatouiller les narines de votre prochain.
© Die Welt
Traduction et adaptation Gian Pozzy