Dejan Nikolic
Analyse. Victimes de leur succès, les équipes légales de l’entité basée à Genève tutoient la saturation.
Alors que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) fête cette année ses 20 ans d’existence, son mécanisme de règlement des différends s’apprête à franchir la barre des 500 plaintes. Du jamais vu pour une institution de cette taille. Mais ce système arbitral, qui se heurte à des effectifs jugés encore insuffisants, montre des signes d’essoufflement.
Car au nombre de contentieux, en constante augmentation, s’ajoutent des procédures toujours plus complexes. Conséquence: les litiges s’éternisent. Exemple avec le duel Airbus contre Boeing, contentieux emblématique accaparant un record de douze juristes, qui dure depuis plus de dix ans, alors qu’il était censé être liquidé en trois fois moins de temps. Explications.
L’OMC doit en grande partie son succès à l’efficacité de ses tribunaux. Car, contrairement à la mission négociatrice de l’entité basée à Genève, sa mission de gestion des conflits commerciaux fonctionne bien. Trop bien même: 53 décisions, rien que pour les six premiers mois d’existence du mécanisme.
Une dynamique qui a depuis fait grimper à 13% du budget de l’OMC – qui est d’environ 200 millions de dollars par an – les dépenses liées au règlement de différends. «Le dispositif en place est unique.
C’est même, à ce jour, le meilleur que l’on ait inventé au monde, estime Alan Yanovich, avocat chez Akin Gump et ex-juriste à l’organe d’appel de l’OMC. Je conseille toujours à mes clients de s’adresser à l’OMC plutôt qu’à un autre tribunal international.»
Les raisons de cet apparent succès? «Un rapport taille-efficacité remarquable du système», résume Gabrielle Marceau, professeure à l’Université de Genève, conseillère à la Division des affaires juridiques de l’OMC et auteure d’un ouvrage historique, publié il y a deux semaines, retraçant l’épopée du droit international du commerce, de la fondation du GATT, qui a abouti à la création de l’OMC, à nos jours.
Pour preuve, notamment: 27 accords préférentiels prévoient, en cas de conflit, la saisie du directeur général de l’OMC pour nommer leurs arbitres. «Ce qui porte aujourd’hui à 22% le taux de litiges régionaux traités depuis Genève», indique l’experte.
Deux cas sur trois en cassation
Autre explication: dans près de 70% des cas, les contentieux finissent devant l’organe d’appel de l’OMC. «En 1995, personne n’imaginait que deux cas sur trois iraient en cassation. Les Etats tablaient plutôt sur un ratio de 1 sur 10, voire sur 20 plaintes», relève Gabrielle Marceau.
Le réflexe de saisir la plus haute instance juridique de l’OMC est devenu monnaie courante. Ce qui prolonge mécaniquement le délai de règlement et porte actuellement à près de 40 le nombre de contentieux (nouveaux litiges, procédures en cours et appels) traités simultanément au bord du Léman.
En termes d’arbitrage, 2014 a été parmi les années les plus chargées depuis la création de l’OMC en 1995. Les pays les plus actifs, historiquement? Les Etats-Unis (229 différends) et l’Union européenne (175 procédures), en tant que partie plaignante ou défenderesse.
Mais aussi la Chine, qui a déposé douze plaintes, tout en étant visée par 32 doléances, rien que depuis son accession à l’OMC en 2001, date du lancement du Cycle de Doha, ronde de négociations au point mort depuis plusieurs années.
A titre d’exemple, la Suisse s’est portée accusatrice quatre fois ces deux dernières décennies, sans jamais avoir encore fait l’objet de procédure contre elle.
Bilan: d’une évolution «en coulisses» pendant les premières décennies du GATT, les juristes sont devenus aujourd’hui incontournables pour l’OMC. Ils n’étaient qu’une poignée il y a trente ans. Leurs effectifs sont depuis passés à 65.
Conscient du risque de saturation de son dispositif, Roberto Azevêdo, directeur général de l’OMC, vient de doter ses équipes légales de quinze équivalents plein temps supplémentaires. Une initiative jugée encore insuffisante: «L’effort est exceptionnel au vu des contraintes budgétaires, commente Alan Yanovich.
Toutefois, l’organisation doit encore recruter des calibres expérimentés si elle veut s’en sortir. Ce qui s’annonce compliqué, vu la forte concurrence du privé pour ce type de profils.»