Décodage. Depuis que l’actrice a révélé qu’elle était porteuse d’une mutation génétique augmentant considérablement ses risques de développer un cancer du sein et de l’ovaire, les demandes de consultations ont explosé en Suisse.
L’annonce a fait l’effet d’une bombe. «Le choix d’avoir opté pour une double mastectomie n’a pas été facile. Mais je suis très heureuse de l’avoir fait. Je peux désormais dire à mes enfants qu’ils n’ont pas à avoir peur de perdre leur mère d’un cancer du sein», écrivait en mai 2013 l’Américaine Angelina Jolie dans les colonnes du New York Times. Nouveau torrent médiatique en mars 2015, lorsque l’actrice confesse avoir subi, à 39 ans, une ablation préventive des ovaires et des trompes de Fallope.
Deux décisions difficiles, motivées non seulement par ses antécédents familiaux (sa mère, sa grand-mère et sa tante sont toutes trois mortes des suites d’un cancer), mais aussi par la découverte, dans son génome, d’une mutation du gène BRCA1 augmentant massivement ses probabilités de développer un cancer du sein et de l’ovaire (respectivement à 87 et 50%).
Démocratisation des tests
Ce coming out a eu pour corollaire une véritable explosion des demandes de dépistages génétiques à l’échelle mondiale, y compris en Suisse, phénomène que les scientifiques ont rapidement nommé «l’effet Angelina Jolie».
A titre d’exemple, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et de Berne ont doublé leurs consultations depuis deux ans, alors que le CHUV, à Lausanne, a vu une hausse des demandes de 40%.
«Notre unité d’oncogénétique et de prévention des cancers a comptabilisé près de 1000 consultations en 2014, dont 235 nouveaux cas pour des problèmes liés au cancer du sein et de l’ovaire, détaille le Dr Pierre Chappuis, responsable de cette unité aux HUG.
Bien qu’il soit difficile d’évaluer concrètement l’impact de l’annonce d’Angelina Jolie, il est vrai que nous avons constaté un brusque saut d’activité et une augmentation constante depuis le printemps 2013.»
Une tendance de fond également constatée dans d’autres branches actives dans le domaine de la génétique médicale. La société Sophia Genetics, basée à Saint-Sulpice (VD), a par exemple vu ses clients se multiplier à une vitesse exponentielle depuis sa création en 2011.
Cette dernière a mis au point des algorithmes permettant aux laboratoires d’analyser les données génétiques de manière standardisée, dans le but de détecter avec précision des mutations caractéristiques pour plus de vingt maladies du génome, dont le cancer du sein et de l’ovaire.
«En 2014, nous avons participé au diagnostic de 3000 patients. Avec une moyenne de cinq nouveaux hôpitaux par mois, nous travaillons aujourd’hui avec 55 établissements dans quatorze pays et ambitionnons de collaborer avec 100 institutions et aider au diagnostic de 20 000 patients d’ici à la fin de 2015, appuie Jurgi Camblong, directeur et cofondateur de Sophia Genetics.
Cette hausse spectaculaire s’explique sans doute aussi par une diminution des coûts. Il y a encore trois ans, un dépistage des mutations de BRCA1 et BRCA2 coûtait environ 9000 francs, contre 3500 à 4000 francs aujourd’hui, remboursés par l’assurance de base.
«La connaissance est le pouvoir», clamait Angelina Jolie en conclusion de son dernier billet dans le New York Times. Tout comme l’actrice, les patientes qui consultent les services d’oncogénétique semblent avant tout motivées par le désir de comprendre, par la volonté de donner du sens à une histoire familiale considérée comme frappée par la fatalité ou le mauvais sort.
Il faut toutefois savoir que seuls 2 à 4% des cancers du sein et environ 10% des cancers des ovaires sont directement liés à une mutation des gènes BRCA1 et BRCA2. Raison pour laquelle une analyse de ces gènes est indiquée uniquement chez les patients remplissant certains critères, à l’exemple d’Angelina Jolie, tels que la présence d’autres cas familiaux, leur nombre, le lien de parenté ou encore l’âge au diagnostic.
La décision de procéder à ce type de dépistage s’inscrit en outre dans une procédure très standardisée. «Nous voyons les patientes en général deux ou trois fois avant d’éventuellement leur proposer un test, ajoute Pierre Chappuis.
Le fait de dessiner un arbre généalogique sur plusieurs générations permet parfois de relativiser l’importance du cancer sur l’ensemble de la famille.» «La moitié environ des consultations aboutissent à un dépistage des gènes BRCA1 et BRCA2», précise Manuela Rabaglio, médecin-chef en oncologie médicale à l’Hôpital de l’Ile à Berne.
Décisions difficiles
Dans le cas d’une mutation confirmée, différents programmes de prédispositions existent pour déterminer de manière plus affinée les risques. En moyenne, les probabilités de développer la maladie s’élèvent à 70% pour le cancer du sein (avec un risque augmenté de cancer dans les deux seins) et à 50% pour le cancer de l’ovaire.
La décision quant au choix thérapeutique n’est toutefois pas toujours aisée, car il existe près de 3000 mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 et il reste encore très difficile d’évaluer si ces mutations prédisposent vraiment à développer un cancer.
«La patiente doit mettre dans la balance tous les facteurs, comme l’importance de l’histoire familiale ou un éventuel désir de maternité ou d’allaiter, et analyser le poids de chacun, explique Sheila Unger, responsable de l’unité d’oncogénétique médicale du CHUV.
Notre rôle est de donner toutes les informations nécessaires et de présenter les différents choix thérapeutiques existants, mais en aucun cas de pousser vers l’une ou l’autre des options.»
Concrètement, la patiente qui serait dans une telle situation a le choix entre subir une double mastectomie préventive suivie d’une reconstruction mammaire, une opération très lourde mais faisant chuter les risques à moins de 5%, ou opter pour une surveillance dans le but de diagnostiquer précocement une éventuelle lésion, ce que semble privilégier la majorité des femmes.
Quant à la prédisposition au cancer des ovaires, la situation s’avère beaucoup moins nuancée, car il n’existe aucune option véritablement efficace autre que la chirurgie prophylactique dès l’âge de 35 ans. La prévention de ce type de cancer, très difficilement détectable à un stade précoce, se révélant malheureusement encore beaucoup trop incertaine.