Zoom. Marie-Louise Baumann, la lobbyiste devenue persona non grata sous la Coupole fédérale avec l’affaire Markwalder, conseille la branche cinématographique depuis 2001. Avec un franc succès. Mais la voici contrainte de suspendre ses activités.
Quel beau jour pour la culture que ce mardi 2 juin! Des acteurs, des cinéastes et des yodleurs sur la place Fédérale le matin, 1,12 milliard de francs pour les cinq ans à venir vers midi. Une hausse de 3,4% par rapport à la période précédente.
Notamment pour le cinéma, qui voit son budget porté à 254 millions. Le ministre de la Culture, Alain Berset, qui a guidé le dossier de très près comme à son habitude, sort en homme heureux du Palais fédéral.
Tout comme sa directrice de l’Office fédéral de la culture, Isabelle Chassot, maîtresse d’œuvre qui a su, notamment, travailler de concert avec les cantons, essentiels dans ce domaine. Les lauriers leur reviennent, ainsi qu’à plusieurs parlementaires engagés. Normal.
Mais en ce qui concerne le cinéma, qui a reçu la part du lion de l’aide fédérale, il est encore une autre personne à qui l’on doit le succès du message culture au Parlement. Pourtant, elle n’est pas là. Parce qu’elle est devenue persona non grata. Il s’agit de Marie-Louise Baumann, 69 ans.
Ce nom vous dit quelque chose? Normal. Dans l’affaire qui secoue la conseillère nationale radicale Christa Markwalder pour avoir transmis des informations obtenues en commission, et donc confidentielles, à une lobbyiste travaillant pour des clients du Kazakhstan, Marie-Louise Baumann est la lobbyiste en question.
Celle qui n’aurait pas tout dit, n’aurait pas précisé qu’elle était payée, que ses clients soi-disant résistants au régime étaient plutôt des sympathisants et qu’elle allait relayer prestement les infos.
Des portes se ferment
Depuis l’affaire, Mme Baumann s’est vu retirer son badge d’accès au Palais fédéral. Et elle ne peut plus exercer son mandat pour le septième art, attribué par Cinésuisse, l’association faîtière de la branche suisse du cinéma et de l’audiovisuel et qui lui a rapporté 50 000 francs l’an dernier. Dans la scène cinéma, on est bien embêté.
Parce qu’on sait qu’on lui doit beaucoup. Matthias Aebischer, le président de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national, également président de Cinésuisse, déclare: «Nous avons très bien travaillé avec Marie-Louise Baumann, y compris sur le message culture actuel.»
Pourtant l’organisation a convenu avec elle de mettre un terme à leur collaboration à la fin de l’année, précisant que le mandat actuel expirait de toute façon à ce moment-là. Et de suspendre ses activités. Quoi qu’il en soit, depuis le 6 mai, date de la parution de l’article de la Neue Zürcher Zeitung qui dévoilait l’affaire Markwalder, «je ne pouvais plus prendre contact avec les parlementaires, c’eût été inopportun.
En revanche, j’ai encore parlé avec beaucoup d’entre eux avant et durant la session spéciale jusqu’au 5 mai», précise Mme Baumann.
En fait, tout le monde l’aura compris, la lobbyiste ne peut tout simplement plus travailler sous la Coupole. Même si un parlementaire la faisait entrer – ce qui est toujours possible, même sans badge permanent –, les médias la prendraient d’assaut et les parlementaires risqueraient bien de l’éviter. Ce qui ne servirait pas les dossiers qu’elle est censée défendre.
Pour ces mêmes raisons, la lobbyiste a décidé de renoncer à se joindre à la sortie du groupe libéral-radical le 10 juin.
Une carrière sous la coupole
En off, de nombreux parlementaires nous diront qu’elle était une des lobbyistes les plus professionnelles du Palais, pas trop insistante, extrêmement rapide, elle connaît le moindre rouage de la machinerie administrative et parlementaire.
«Elle sait exactement quel est le meilleur moment pour déposer un amendement, en dix secondes, elle fournit des idées quant aux personnes susceptibles de vouloir s’engager», relève une parlementaire de gauche.
Elle ne serait pas du genre à se vanter, à attirer à elle les lauriers, contrairement à d’autres consultants. Enfin, elle entretenait d’excellents rapports avec la droite du Parlement, elle qui travailla vingt ans au sein du secrétariat du Parti libéral-radical.
Marie-Louise Baumann connaît donc sur le bout des doigts les arguments qui convainquent le camp bourgeois, et les personnes susceptibles de s’allier à la cause culturelle. Pour ne rien gâcher, l’administration n’a pas de secret non plus pour celle qui entra il y a quarante-quatre ans au service juridique de la Chancellerie fédérale.
Pour la petite histoire, elle quitta cet emploi après dix ans de service. Parce qu’elle attendait le premier de ses quatre enfants et que l’administration, à l’époque, n’offrait pas de temps partiel.
Reconnaissance malgré tout
Gérard Ruey, le producteur lausannois, estime beaucoup Mme Baumann, lui qui la côtoie depuis de longues années. «Une femme extrêmement précieuse, très professionnelle, qui comprenait les enjeux et savait quel était le meilleur moment pour intervenir.
J’ai travaillé avec elle encore récemment, au début de l’année, quand j’ai défendu le soutien au tournage de films en Suisse et l’augmentation des subventions au cinéma devant la Commission de la culture du Conseil des Etats. J’avais discuté avec elle mon intervention et elle fut de bon conseil.»
Philippe Clivaz, membre de Vision, le groupe de relations publiques de Cinésuisse et par ailleurs secrétaire général du festival Visions du Réel, abonde dans le même sens. «Si la partie cinéma du message culture a passé tel quel, ce n’est pas que grâce à elle mais notamment grâce à elle.
Son analyse de la réalité politique du Parlement s’est révélée extrêmement pertinente. Nous avons eu des retours très positifs et, même si je n’appartiens pas à sa famille politique, je peux dire que nous avons été fort satisfaits de son travail.»
Marie-Louise Baumann, une passionnée de culture – son mari, Felix, fut directeur du Kunsthaus de Zurich durant vingt-quatre ans, jusqu’en 2000 – fréquentait également le Festival du film de Locarno.
Elle y a participé à l’organisation du Dîner politique qui se donne chaque été depuis 2001, cela à la satisfaction de tous, dont la fameuse productrice Ruth Waldburger, initiatrice de cette rencontre qui réunit la branche cinématographique et des politiciens autour d’une polenta. L’été venu, sera-t-elle devenue gênante là aussi?
Alléchés par l’odeur du mandat
Et, dans un avenir plus lointain, comment le cinéma suisse va-t-il donc tourner sans sa super-lobbyiste? Le groupe Vision de Cinésuisse se réunira début juillet pour en parler. En principe, on ne compte pas attribuer de nouveaux mandats dans les deux ans qui viennent, mais plus tard, quand le prochain message culture 2021-2025 pointera le bout de son nez.
Va-t-on alors se tourner vers d’autres consultants? Par exemple ceux de furrerhugi qui ont déjà «coordonné dans les coulisses» le message culture sur mandat d’Alliance patrimoine, l’association faîtière qui regroupe Archéologie suisse, le Centre national d’information sur le patrimoine culturel et la Société d’histoire de l’art en Suisse?
C’est un bruit qui court à Berne, même si Lorenz Furrer lui-même, copropriétaire de l’agence bernoise, précise qu’il n’a pas été approché dans ce sens. Cela dit, parmi les bureaux alléchés par l’odeur du mandat, furrerhugi aurait de bonnes chances, lui qui – outre le travail qu’il vient d’accomplir pour le message – abrite également le secrétariat du Groupe parlementaire culture.
Et puis Lorenz Furrer entretient lui aussi d’excellentes relations avec le PLR puisqu’il n’est autre que l’époux de Nicole Loeb, des magasins Loeb, fille de l’ex-conseiller national libéral-radical François Loeb.
Ce même bureau s’occupe d’ailleurs du secrétariat de Christa Markwalder. Y travaille aussi Claudine Esseiva, secrétaire générale des femmes PLR suisses et candidate bernoise au Conseil des Etats.
Et oui, la politique bernoise est un monde aussi petit qu’impitoyable.