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60 000 chrétiens d’Alep promis au martyre

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Jeudi, 11 Juin, 2015 - 06:03

Témoignage. Dans la ville syrienne, plus que jamais menacée, les  chrétiens ne savent plus comment s’échapper. Une tragédie pour Claude Zerez. Cet historien des religions, originaire d’Alep et réfugié en France,  voit dans les conflits du Moyen-Orient la fin de la présence chrétienne dans la région.

Notre guide Claude, c’était il y a dix ans, nous montrait, à Saint-Siméon où vivent des chrétiens depuis le IIIe siècle, des vestiges portant diverses croix. Il nous désigna l’une d’elles, récemment cassée. Signe avant-coureur de la montée de l’islamisme. «Cela a commencé, commenta-t-il, avec la guerre d’Irak de 2003…»

C’était le temps où les voyageurs pouvaient entendre, dans cette même région, dans une église de village, une jeune fille réciter le Notre Père dans la langue du Christ, l’araméen.

C’était le temps où, le jour de Pâques, les familles musulmanes en congé flânaient dans la mosquée des Omeyyades à Damas, «parce que la Syrie célèbre tant les jours de fêtes musulmans que chrétiens», nous expliquait-on.

La fin d’une vie

Aujourd’hui, Claude Zerez, historien des religions, originaire d’Alep et de confession melkite-catholique, a dû fuir son pays. Après une tragédie personnelle effroyable. Sa fille de 18 ans, Pascale, mariée depuis un mois, se trouvait dans un bus près de Hamah. A un barrage islamiste, elle fut reconnue comme chrétienne, enlevée et assassinée. Quelques mois après, sa famille se résolut à émigrer. Elle y parvint, par le Liban, accueillie en France, dans la Sarthe, où elle vit maintenant.

«Ce fut dur de partir. Les voisins de notre maison, musulmans, venaient nous embrasser. Car nous vivions en bonne harmonie. Il est arrivé que des villageois bédouins, lors de conflits personnels, ne désirant pas recourir à la police, me demandent de les aider, de trancher en homme neutre parce que chrétien. Lors de la fête Aïd al-Adha où l’on égorge l’agneau et l’on donne aux pauvres, certains m’offraient une part pour les déshérités de notre communauté.»

Depuis lors, l’horreur ne cesse de monter. Alep, plus que jamais menacée, est prise entre plusieurs fronts: les quartiers encore tenus par l’Etat syrien, d’autres occupés par l’Etat islamique, d’autres par al-Nosra, rallié à al-Qaida. Claude Zerez, qui reste en communication avec ses proches, déclare aujourd’hui: «Les 60 000 chrétiens qui vivent encore dans cette ville sont promis au martyre.» Ils ne savent plus comment s’échapper. La frontière turque proche est aux mains des islamistes. Quant au Liban, où un million et demi de Syriens ont trouvé refuge, il tente de fermer la frontière: il exige, pour la franchir, le paiement de 100 dollars pour un séjour de deux jours. Ou des visas et des billets d’avion.

La voix de Claude Zerez reste ferme lorsqu’il dit: «Nous assistons à la fin de la présence chrétienne au Moyen-Orient. Après celle des juifs dans les pays arabes.» Et il enchaîne avec ce qui lui tient à cœur: «L’Occident ne se rend pas compte du danger que représente la fin de la cohabitation séculaire de diverses communautés religieuses en Syrie, en Irak et même, d’une façon différente, en Egypte. Le manque de connaissances réciproques ne peut conduire qu’à de durables conflits qui touchent aussi l’Europe et toute l’humanité.»

Par respect pour ses hôtes, il ne s’attarde pas à son étonnement devant l’écho des événements en France. «Tant d’ignorance. Les médias ne donnent qu’une version.» Puis il se tait. Les chrétiens d’Orient et bien d’autres ne comprennent pas que l’on diabolise à ce point l’Etat syrien, son président Bachar al-Assad, quelles que soient les ombres terribles du régime. Sans voir que les rebelles promettent un avenir bien plus cauchemardesque. Que ceux-ci, d’obédience islamiste, sont de la même sorte que ceux combattus par ailleurs au Sahel et au Nigeria. Inexplicable contradiction.

L’anéantissement des minorités

Mais les forces pro-régime bombardent bel et bien les villes… Ces explosifs largués depuis des hélicoptères? «En attaquant leurs adversaires dans les quartiers d’où ils tirent eux aussi, l’armée et ses alliés tuent, c’est vrai, des milliers d’innocents. Qui font comme toujours les frais de la guerre.»

Claude Zerez ne se lasse pas d’expliquer la situation. Devant des Français qui découvrent un point de vue inhabituel. «Je trouve certes une certaine compréhension dans les communautés catholiques où je prends la parole, mais il faut dire que, dans ces milieux, il y a aussi des réactions maladives d’intolérance…»

Quid alors des rebelles dits modérés que les Occidentaux disent vouloir aider? Là, la voix se noue, prise entre rire et angoisse: «C’est une blague! Il n’y en a pas. La révolte des citadins démocrates du début et des populations abandonnées à leur sort dans les campagnes par le régime de Damas a été aussitôt utilisée par les religieux. Ceux-ci veulent en finir non seulement avec l’Etat syrien mais avec toutes les minorités.»

Etonnement, enfin, devant l’amnésie occidentale. Le centenaire du génocide arménien a été marqué avec solennité. Mais pas un mot sur le génocide simultané des Araméens, des Assyro-Chaldéens. L’Empire ottoman a longtemps toléré les chrétiens, profité de leurs talents, mais a connu des périodes où il souhaitait les éliminer. Zerez est en train de traduire un ouvrage approfondi sur ces massacres oubliés de 1915. Commis par les Turcs… qui aujourd’hui appuient discrètement les rebelles d’al-Nostra, mus par le même projet d’imposer l’islam à tous. Quoi qu’en dise son chef, Abou al-Goani, qui a donné une interview sur la chaîne du Qatar – preuve de son allégeance! – pour rassurer les Occidentaux.

Le Qatar, l’Arabie saoudite… Les chrétiens de Syrie n’ont pas de doute. Ils font les frais, avec tant de musulmans, d’une guerre propagée par les pays du Golfe et, de façon plus discrète, par la Turquie. Avec des buts politiques et économiques divers, mais une motivation commune: imposer l’islam sunnite extrémiste et faire barrage aux chiites irakiens, iraniens, alaouites et libanais.
Une division tacitement acceptée

Aux yeux des chrétiens, l’Occident, Israël compris, cherche depuis longtemps à abattre l’Etat syrien, le dernier qui représentait une puissance militaire de niveau international après la chute de l’Irak, l’effondrement de la Libye et l’affaiblissement de l’Egypte à travers ses crises. «Au nom de la démocratie, vraiment?» Zerez a le sourire jaune. Il est vrai que les Occidentaux s’en prévalent moins dans leurs relations avec les monarchies du Golfe.

Alors quand la guerre finira-t-elle? «Pas avant longtemps. Personne ne la gagnera. Le régime tiendra dans les villes de l’ouest, les islamistes des deux camps s’installeront durablement dans les zones qu’ils occupent.» La division de la Syrie, maintenant tacitement acceptée par les Occidentaux, est en route.

Les Zerez rentreront-ils un jour au pays? «Si la paix revient, ma femme et moi, oui. Mais mes deux fils, de 22 et 24 ans, sont décidés à faire leur vie en France.»
En attendant, Claude Zerez parle à ceux qui veulent l’entendre et demande aux Européens de tendre la main à des dizaines de milliers de malheureux, chrétiens ou non, en fuite sur la mer, victimes de passeurs mafieux. Surtout, il prie. Un Dieu d’amour bafoué.

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