Metin arditi
Témoignage. Metin Arditi a passé onze ans en internat dans la région lausannoise. De cette période, il retient que les écoles privées ont de nombreux mérites, mais aussi des inconvénients. Quoi qu’il en soit, il a choisi de placer ses enfants à l’école publique.
Il y a en Suisse des internats privés de réputation mondiale, où la longueur des listes d’attente est proportionnelle à la facture qui attend les parents. Des écoles où l’on capte les langues étrangères comme par magie, où l’on pratique tous les sports, où l’on apprend les bonnes manières et où l’on forge des amitiés avec des condisciples du monde entier.
Ces écoles ont quelque chose du conte de fées, et c’est légitime. En turc, les contes débutent par une expression étrange: Bir varmıs¸, bir yokmus¸. Littéralement traduit, cela donne: une fois il était, et une fois il n’était pas. En d’autres termes, ce qui définit une réalité est autant son contenu que ce dont elle nous prive.
J’ai été placé dans un internat de la région lausannoise à l’âge de 7 ans, j’y suis resté onze années et, des décennies plus tard, je m’interroge: aurais-je reçu une meilleure éducation en fréquentant un système public?
Les mérites des écoles privées sont nombreux, je les ai mentionnés, c’est juste de le faire. Mais elles ont aussi des inconvénients. Je n’inclus pas ici l’absence d’affect. Cela valait de mon temps. L’école où je me trouvais n’avait qu’une seule ligne téléphonique, et appeler à l’étranger était hors de prix.
Aujourd’hui, les communications sont faciles, les voyages aisés et le fait d’être Loin des bras par périodes de quelques semaines n’est pas une mauvaise chose.
Si je m’arrête à trois de leurs inconvénients, c’est qu’ils sont tous cachés (comme dans un conte oriental) et, surtout, qu’ils sont tous pervers.
Un réseau
Le premier touche à cette idée séduisante: les écoles privées offrent aux élèves l’occasion de se constituer «un réseau». Ils se feront «des relations», disséminées dans le monde entier. Les parents des copains sont haut placés, demain ce sera au tour de leurs enfants, et cela pourrait se révéler utile…
Elle est bien misérable, la confiance du parent à l’égard de son enfant, lorsqu’il lui dit: «Tu feras ton chemin à l’aide de relations.» Quel message lui envoie-t-il sur l’idée qu’il se fait de lui? De sa personnalité? De sa capacité à se créer des amis, des collègues, à se construire un chemin de vie…
Où est l’estime, l’irremplaçable estime du parent, lorsqu’il parle à son enfant de «réseautage»? Il l’initie à la combine! Je ne peux imaginer regard plus humiliant. De quoi pousser l’enfant à se dresser contre son père. «C’est donc comme ça que tu me vois?» Vraiment trop gentil…
Le deuxième inconvénient touche à la facture faramineuse de certaines écoles privées. Combien de fois n’ai-je entendu ces mots: «Si je peux lui offrir cette chance que je n’ai pas eue,
j’en fais volontiers le sacrifice.» Du coup, la culpabilité change de camp. Ce n’est plus le parent qui se sent coupable d’éloigner son enfant.
C’est l’enfant qui doit porter sur ses épaules ce que son écolage coûte à sa famille.
L’absence de contacts extérieurs
Enfin, «l’ouverture au monde» prônée par l’école privée soustrait l’élève à une vie de quartier, à un contact quotidien avec des enfants de toutes les origines sociales. Posons la question: de tout ce qu’une éducation doit apporter, s’il fallait choisir une qualité et une seule, laquelle faudrait-il retenir?
A mes yeux, ce serait la capacité à dialoguer avec tout un chacun. A l’écouter. A l’accepter autant qu’à se faire accepter de lui. J’y vois la qualité essentielle d’une réussite professionnelle et sociale solide. Bien sûr, on peut penser que, pour un enfant de chez nous, converser avec un Chinois ou une Russe est enrichissant.
C’est indéniable. Mais je crois qu’il apprendra moins de son condisciple étranger avec lequel il partagera les mêmes goûts, les mêmes cercles, les mêmes préoccupations de privilégiés, que d’une cohabitation avec des enfants de son quartier aux origines socioéconomiques autrement différentes des siennes.
Pour ma part, j’ai mis mes enfants à l’école publique. Sans hésitation.
Sommaire :
Ecoles: le privé parfois moins cher que le public
Quelle école privée pour mon enfant?
«Il était une fois»