Eclairage. De plus en plus isolés du reste de la Suisse, les italophones risquent encore un échec lors du vote l’an prochain sur le tunnel de réfection du Gothard.
Privé de conseiller fédéral depuis 1999,écrasé par ses problèmes de région transfrontalière au point que le président de son gouvernement, Norman Gobbi, songe à «fermer la frontière» face aux migrants syriens, le Tessin doit se préparer à une prochaine scène de ménage avec le reste de la Suisse. Avec la constitution d’un front bourgeois opposé à la construction d’un second tube routier au Gothard, il apparaît fort probable que le peuple rejettera ce projet l’an prochain.
Inauguré en 1981, le tunnel routier du Gothard doit être assaini, ce qui impliquera sa fermeture durant trois ans. «Le Tessin isolé de la Suisse durant tout ce temps? Ce serait grave pour son économie», affirme Lorenzo Quadri, conseiller national de la Lega. C’est pour éviter cette «vision cauchemardesque» que le Conseil fédéral et le Parlement ont imaginé la construction d’un «tunnel de réfection» au Gothard, qui coûtera quelque 2,8 milliards de francs.
Avec cela, la Suisse disposera de quatre pistes sur cet axe. Pourra-t-elle n’en ouvrir que deux pour respecter l’initiative des Alpes réclamant une baisse du trafic, comme le jure le Conseil fédéral? «Jamais elle ne pourra résister à la pression de l’UE. Ce projet est donc absurde», estime le sénateur Thomas Minder (indépendant/SH), celui qui avait fait plier l’économie sur les salaires exorbitants des patrons.
Une guerre sainte déplacée
Cette déclaration fait bondir les partisans du projet, comme Ignazio Cassis (PLR/TI). «Les opposants mènent une guerre sainte déplacée», regrette-t-il. «Pour circuler sur quatre voies, il faudrait modifier la Constitution à la suite de l’initiative des Alpes. Cela, le peuple ne le veut pas. Comme nous vivons dans un Etat de droit, il n’y a donc rien à craindre», rassure-t-il.
Le psychodrame est-il dès lors programmé entre le Tessin et le reste de la Suisse? Un non du peuple au tunnel de réfection «serait interprété comme un manque de solidarité avec le Tessin», prévient Lorenzo Quadri. «Comme une atteinte à la cohésion nationale», ajoute Ignazio Cassis.
Ces avertissements n’émeuvent pas la gauche tessinoise. «Le Tessin ne sera pas isolé, car il bénéficiera de l’ouverture du tunnel ferroviaire en 2017», répond Marina Carobbio, socialiste et seule élue de son canton à rejeter le deuxième tube. «La solution de remplacement, c’est une chaussée roulante temporaire et le transport des marchandises par le nouveau tunnel de base.»
Au Tessin, le résultat risque d’être beaucoup plus serré qu’on ne le pense. En 1994, les italophones avaient approuvé l’initiative des Alpes (à 64%). Et en 2004, ils avaient rejeté (à 56%) le contre-projet Avanti prévoyant un doublement du Gothard. «La députation tessinoise à Berne n’est pas représentative de la réalité du terrain», constate le politologue Nenad Stojanovic.
Du Tessin, la Suisse n’entend plus que les ruades verbales de la Lega. «Les responsables de cette situation sont tous les adversaires politiques de ce parti populiste qui n’ont pas réussi à dresser un cordon sanitaire autour de lui», relève Nenad Stojanovic. Ce n’est pas fini: outre-Gothard, les socialistes viennent de virer à l’euroscepticisme en remettant en cause les accords bilatéraux si les mesures d’accompagnement ne sont pas renforcées.