Institutions. S’ils font preuve de grande prudence dans leurs propos, les responsables français d’institutions suisses assurent que leur passeport ne leur est en rien préjudiciable.
Jean-Yves Marin, directeur du Musée d’art et d’histoire de Genève, le dit avec franchise: «Mon équipe me reproche parfois de trop parler!» Le patron normand du plus grand musée généraliste de Suisse note aussi que son sens aigu de la hiérarchie a été mis à mal à son arrivée à Genève, en 2009: «Des collaborateurs m’ont dit qu’ils avaient autant de diplômes que moi et qu’ils ne me considéraient pas comme leur chef.
Quand on vient de France, ce genre de remarque surprend!» Et l’art difficile du consensus? «Au début, c’était difficile à comprendre. Guy-Olivier Segond m’avait dit que les hauts fonctionnaires français qui s’installent pour le travail en Suisse implosent après une période de dix-huit à vingt-quatre mois s’ils n’assimilent pas les règles du consensus.
Moi, je les ai apprises. En appréciant leur effet: lorsqu’une décision est prise, elle est prise. C’est l’une des grandes forces de la Suisse. En France, on n’est jamais à l’abri d’un revirement de dernière minute.»
Comme son compatriote Jean-Pierre Greff, directeur de la Haute école d’art et de design de Genève, Jean-Yves Marin évite toute tentation clanique, c’est-à-dire d’engager trop de collaborateurs français: «Je prends soin lors des recrutements d’avoir des comités de sélection les plus indépendants et internationaux possible.
Nous engageons des non-Suisses seulement s’il est prouvé, après beaucoup de recherches, que leurs compétences n’existent pas dans le pays.»
Vincent Baudriller, directeur du Théâtre de Vidy, assure ne jamais avoir eu de problème avec sa nationalité française, lui qui n’aime guère les drapeaux ni les mentions d’origine: «Bien au contraire, l’assimilation progressive et donc la compréhension des codes culturels suisses est profitable à mon travail, qui est d’inscrire un théâtre dans la cité et de participer au débat public.»
Sam Stourdzé, jusqu’à peu directeur du Musée de l’Elysée de Lausanne, s’inquiète en revanche d’un phénomène plus global: les prises de parole vengeresses, souvent xénophobes, sur les réseaux sociaux, qui ne l’ont pas épargné.
Il tempère aussitôt: «Le fait que la Suisse accueille autant de responsables culturels de l’étranger est le signe d’une ouverture digne d’une grande nation. Cette tolérance, qui est aussi une tradition, montre que le niveau culturel du pays est haut placé dans l’échelle européenne ou mondiale.»