Dossier. Ils sont claniques, accordent une importance démesurée à la hiérarchie, ignorent la notion de partenariat et passent des heures à débattre, juste pour le plaisir. Enquête autour de ces chefs français qui crispent les Suisses.
Huit ans. C’est le nombre d’années que Remo*, architecte EPFZ, a passé à côtoyer des chefs français venus travailler en Suisse. Lorsque son entreprise est rachetée par un grand groupe de l’Hexagone, le Fribourgeois se réjouit. «J’ai pensé: génial, je pourrai tantôt parler l’allemand, tantôt le français!»
Les choses se gâtent lorsqu’il monte dans la hiérarchie, devient directeur et entretient des contacts directs avec ses supérieurs français. «Ce fut une révélation», commente-t-il sobrement. Sa liste de doléances est longue. Evidemment, durant toutes ces années, il a eu le temps d’observer et de s’énerver.
Les séances et les débats qui durent une éternité et au terme desquels il ne ressort pas grand-chose, le poids énorme de la hiérarchie et la moindre importance des compétences ne sont que quelques exemples de mauvais souvenirs.
«Certains n’avaient pas les capacités et les connaissances pour leurs responsabilités. Ils avaient juste un super réseau à l’interne et savaient bien s’exprimer.» De guerre lasse, le quadragénaire est parti chez la concurrence.
«En quelques années, notre entreprise a perdu énormément de know-how. Beaucoup de collaborateurs suisses, qui étaient motivés et voulaient faire avancer l’entreprise, sont partis.»
Des réalités
Exceptionnelle et caricaturale, l’expérience de Remo? Pas sûr. A l’heure où le nombre de frontaliers français est en hausse et où celui des frontaliers qui sont promus directeurs, cadres de direction et gérants (voir encadré chiffres) augmente, nombreux sont les Suisses sous leurs ordres qui découvrent la méthode de management «à la française».
Et s’arrachent les cheveux. En mars dernier, la très sérieuse NZZ titrait «Des traits napoléoniens» en évoquant la suffisance de Bruno Lafont, patron de Lafarge en plein processus de fusion avec le géant suisse Holcim.
«Le président-directeur général s’est montré sous un jour arrogant, ce qui n’est pas inhabituel pour un patron français (…) L’arrogance de Lafont reflète également l’impuissance à unir les cultures de deux entreprises différentes», détaillait encore le quotidien alémanique.
Mais que reproche-t-on à nos plus proches voisins? L’Hebdo a mené l’enquête auprès de collaborateurs qui ont travaillé sous les ordres de Français, et surtout de Parisiens, dans divers domaines et différents cantons, mais également auprès de chasseurs de têtes, de responsables RH, de consultants dans le domaine du leadership et du management.
Si les anecdotes diffèrent, les mêmes façons de (mal) faire et de (dys) fonctionner rythment les témoignages. Encore des clichés? Certainement pas, à entendre les récits détaillés et les analyses des collaborateurs qui ont travaillé, durant des années, sous des ordres français, avant de s’en aller ou de se faire renvoyer pour être remplacés par des… Français. Le marché de l’emploi romand étant petit, aucun d’entre eux n’a accepté de témoigner à visage découvert.
Le même appelle le même
Christian*, 38 ans, est l’un d’eux. Dans un emploi précédent – qu’il a quitté de son plein gré – au sein d’une multinationale bien connue, il a pu expérimenter la notion de copinage, élevée au rang de pratique courante. «Chez les Français, c’est très clanique. Leur credo en matière de RH?
Je positionne mon petit clan qui va me soutenir ou, en tout cas, ne pas me nuire. Après, chacun reproduit le même modèle, à son niveau, et place ses lieutenants à des postes stratégiques.» Le Vaudois donne l’exemple d’un cadre qui, six mois après sa nomination, avait réussi à faire engager ses connaissances, des anciens de l’Ecole de commerce de Nantes, dans la moitié des postes sous sa responsabilité. Où est le problème? «On finit par être d’accord avec soi-même. Il n’y a pas de mixité des cultures et on ne se challenge plus.»
Le trentenaire explique combien il est regrettable que les collaborateurs brassent toujours les mêmes idées et les mêmes concepts. «Le manque de mixité de cultures et de modèles amène à une stagnation. On a connu ce même phénomène avec les Allemands dans des positions dirigeantes.
Cela provoque le découragement des gens qui n’adhèrent pas à ce modèle unique. L’entreprise ne se réinvente pas.» Et de rappeler qu’en Suisse la formation continue occupe une place très importante. Le fait que les gens retournent sur les bancs de l’école et se repensent participe au succès économique suisse.
«Mais la formation continue n’intéresse pas les Français. Ils font toutes leurs études d’affilée, arrivent sur le marché du travail à 28 ans avec la science infuse et la déploient, sans jamais se remettre en question.»
Au travail comme à la guerre
D’où vient cette propension hexagonale à placer ses copains d’études? Dans un monde professionnel très compétitif, elle s’explique en partie par la peur que suscite la personne qui occupe un poste inférieur dans la hiérarchie, mais juste derrière soi.
«Les collaborateurs sont prêts à piétiner le collègue devant eux pour prendre sa place. C’est un fonctionnement tellement acquis qu’il n’y a pas la possibilité de passer à autre chose. On sent une vraie lutte des classes.
Les gens ont peur de perdre le niveau qu’ils ont atteint et se battent pour le conserver», analyse Janine*, responsable RH qui a travaillé six ans en France, mais qui est revenue s’installer dans le canton de Vaud.
Même constat de la part de Daniel*, qui a œuvré durant sept ans, à un poste de cadre, pour un groupe français, dont une des filiales est basée en Suisse romande. «Mes collègues français craignaient sans cesse de se faire saquer. C’est comme lorsqu’un homme est à la guerre, il regarde de tous les côtés pour voir qui le guette et va lui tirer dessus.
Dans le monde professionnel, le Français jette sans cesse des coups d’œil autour de lui pour voir qui va lui piquer sa place. Il s’y agrippe d’ailleurs avec tous les moyens du bord.» Remo confirme: «C’est le combat entre les chefs, pour grader encore plus. Mais une promotion ne dépend pas forcément de la qualité du travail. Il faut avoir un parrain dans la maison…»
Laurent*, père de trois enfants, qui a travaillé de nombreuses années pour une entreprise dirigée par des Français, fait le même constat: «Quand des dirigeants français ont repris la main, ils ont mis en place des personnes qui pouvaient apporter quelque chose par leur réseau.
J’entendais des phrases comme: «Machin a été conseiller de Truc.» On s’habitue un peu à cette façon de fonctionner, jusqu’à ce que cela devienne insupportable. Ou alors jusqu’au prochain changement de directeur, qui préfère mettre un de ses petits copains à votre place…»
Evidemment, ces comportements belliqueux tendance clanique désarçonnent les paisibles Helvètes qui accordent plus d’importance au travail et aux compétences. Janine, responsable RH: «Les Français arrivent ici en pensant que l’on fonctionne de la même façon qu’eux.
Des tensions naissent très vite dans leur entourage. Les Suisses ne comprennent pas ce comportement agressif.» De même, les collaborateurs suisses sont étonnés de constater la toute-puissance du réseau, qui supplante les qualités professionnelles.
«Parce qu’un collaborateur a fréquenté telle ou telle école, qu’il a tel ou tel contact, même s’il était nul dans un autre poste, ça garantit sa valeur sur le marché, précise Janine. Une personne qui est dans le circuit d’une école comme les Mines ou qui est énarque aura plus de chances.»
N’est-il donc pas possible de lutter contre ce système? Le Neuchâtelois Pierre*, responsable RH, qui a travaillé dans plusieurs grands groupes, constate: «Si la direction générale est en France, on ne peut rien faire. Si une personne a un peu d’ambition et de talent et qu’elle travaille dans une telle entreprise, il vaut mieux qu’elle aille voir ailleurs. J’ai été confronté à ce genre de situation: les gens restent trois ou quatre ans, voient ce qui se passe et repartent.»
Système hiérarchique
Si les grandes écoles assurent un réseau, les fréquenter garantit une position au top dans la hiérarchie. Ceux qui parviennent à y entrer, en passant des concours, sont «des types bien pour la vie» et les autres sont à leur service. Et pour nos voisins de l’Hexagone, le respect de la hiérarchie est une notion fondamentale.
Français d’origine, Michel Abellan a fait ses études d’ingénieur en chimie à l’EPFZ et vit en Suisse depuis plus de trente ans. Consultant et spécialiste en «assessment», il porte un regard critique sur son pays. «Les Français ont eu beau tuer leur roi, ils n’ont pas changé le système. Ce dernier est basé sur la hiérarchie et les castes.»
Une analyse que partagent les auteurs de Cultures et organisations. Nos programmations mentales**, véritable atlas des valeurs culturelles, paru en dix-huit langues. Ils consacrent un chapitre à la distance hiérarchique. La France – comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Roumanie – a des résultats au-dessus de la moyenne.
Les pays européens de langues allemande, anglaise, danoise, néerlandaise, norvégienne et suédoise ont des résultats plus bas. Il semble donc y avoir une relation entre la région linguistique et la programmation mentale en matière de distance hiérarchique.
«Dans l’Empire romain, le pouvoir était centralisé, ce qui présuppose des peuples prêts à accepter les ordres venus d’un centre unique. Au contraire, dans la partie germanique de l’Europe cohabitaient de petits groupes dirigés par des chefs, peu enclins à accepter la moindre ingérence extérieure.» Voilà pour l’histoire.
L’ouvrage remarque encore que, plus le niveau d’éducation augmente, plus la distance hiérarchique diminue. De même, plus un pays est riche, plus son indice de distance hiérarchique est faible. On l’aura compris, la tendance mondiale ne va pas dans le sens des pratiques françaises. Hélas pour les roitelets installés sur leur perchoir, mais heureusement pour tous leurs collaborateurs soumis à leur bon vouloir.
C’était le cas de Serge*, la vingtaine, traumatisé par son expérience au service d’une entreprise basée dans le Jura. Il ne se sent pas prêt à retravailler un jour sous les ordres d’un chef français, «sauf si cela fait vingt ou trente ans qu’il est établi en Suisse.
Ou alors, si c’est un Alsacien.» A ses yeux, ces derniers ressemblent davantage aux Suisses: ils sont plus droits et corrects. Il raconte: «Un chef français, c’est vraiment un autre monde! Lorsqu’il est arrivé, nous avons vite compris qu’il fallait le caresser dans le sens du poil et lui lécher les bottes. Il était très rude dans les séances.
Quelque- fois, il m’a même dit: «Tais-toi!» devant tout le monde. Il en a fait pleurer des collaboratrices; il était arrogant, hurlait et raccrochait au nez des gens. Je ne comprends pas pourquoi l’entreprise l’a gardé. Les RH savaient, il a reçu un avertissement.»
Avec ses supérieurs précédents, des Suisses, Serge n’avait pas connu un tel rapport hiérarchique. Ils lui ont d’ailleurs transmis beaucoup de leur savoir. «Mon supérieur français n’était pas généreux, il ne nous apprenait rien. Avait-il peur qu’on lui pique sa place? Lorsqu’on lui tenait la porte, il ne disait ni bonjour ni merci.
Pour lui, c’était normal, il était notre chef. Si un assistant venait lui demander de rattraper le retard qu’avait pris la production, il n’entrait pas en matière. Mais si c’était un autre supérieur, alors, oui, il donnait suite.»
Consultant en ressources humaines et organisation, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel et à la HEIG-VD, Daniel Held a beaucoup travaillé avec la France. Ce docteur en économie n’est pas étonné par un tel témoignage.
«En France, traditionnellement, le discours d’un chef à ses collaborateurs est: «Vous êtes à mon service et vous devez être contents de bosser pour moi!» Dans le monde anglo-saxon, le chef a davantage un autre rôle. Il se demande ce qu’il apporte comme valeur ajoutée et en quoi il permet à ses collaborateurs de réussir et d’être meilleurs.
Ça change le monde. En France, être loyal veut le plus souvent dire obéir à son chef. Dans le monde anglo-saxon, loyal veut plutôt dire respecter les engagements que l’on a pris ensemble.» Daniel Held constate encore que le mot «partenariat» est une notion qui n’est guère compatible avec la culture des entreprises françaises.
«On ne définit pas de vision commune pour les projets et missions à réussir ensemble. Mais les choses sont, là aussi, en train de changer avec les nouvelles générations lorsqu’elles ont étudié ou travaillé à l’étranger.»
Débats sans fin
Autres spécificités françaises qui crispent de nombreux interlocuteurs: l’éloquence creuse, l’art de se vendre et les débats sans fin. Laurent: «Si, en Suisse, nous sommes axés sur les résultats, dans un schéma français, la bonne moitié du travail consiste à bien parler, même si on dit des conneries…
Les Français passent beaucoup de temps à s’exprimer les uns envers les autres. Les gens s’écoutent causer et se répètent. Ce genre d’exercice nous gonfle, en Suisse, car notre influence germanique est plus forte. Et, en grande partie, leurs discours, c’est du vent.»
Daniel Held remarque qu’en France «on débat pour débattre». «C’est culturel, ils ne peuvent pas s’en empêcher. Ils sont capables de perdre beaucoup de temps à débattre le pourquoi du comment, la place de la virgule à gauche ou à droite d’un mot, sans que toutes ces discussions aboutissent vraiment à un résultat concret ou à une décision.
De toute façon à la fin, hiérarchie oblige, c’est le chef qui décide. Le processus de décision n’est pas collectif.»
Remo, lui, se souvient d’un séminaire auquel assistaient des collègues alémaniques et français. A la fin, les participants étaient invités à dire ce qu’ils avaient retenu. «Les Suisses allemands étaient très clairs et très concrets, ils énonçaient les point 1, 2 et 3.
Avec les Français, ça durait des plombes. Ils faisaient de longues réflexions enrobées de beaux mots sur ce qu’ils avaient vécu et pensé.»
Cette éloquence et cette facilité à s’exprimer servent bien sûr les candidats français lors des entretiens d’embauche. Chasseur de têtes dans les domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’industrie, Christophe Andreae reconnaît leurs qualités.
«Ils ont une meilleure maîtrise du français, arrivent mieux à argumenter et à se vendre.» Leurs côtés plus sombres? «Ceux qui n’ont aucune expérience professionnelle en Suisse viennent renégocier leur salaire, même si, dans un premier temps, ils avaient accepté la somme qui leur était proposée.
Ils sont également moins loyaux vis-à-vis de leur employeur. Un premier emploi leur permet d’observer le marché helvétique et de partir ailleurs dès qu’ils trouvent mieux.» De fait, selon une étude vaudoise publiée début juin, si les frontaliers gagnent 13% de moins que leurs collègues suisses, dans le haut de l’échelle des salaires, leur rémunération est de 5% supérieure à celle des Helvètes.
Evidemment, les responsables RH et autres recruteurs ne sont pas dupes et savent que, derrière un discours chatoyant, il y a pas mal de vent. Michel Abellan: «Je perds trente minutes dans un entretien avec un Français. Ils sont très, très vendeurs et savent se positionner.»
Et comme cette façon de se mettre en valeur et l’éloquence naturelle font partie de la culture française, et surtout parisienne, le clash est immense lorsque Alémaniques et Français sont amenés à collaborer, voire fusionner, comme dans le cas d’Holcim-Lafarge.
Thierry de Preux, consultant, retient que «les cadres français font preuve d’une incompréhension totale envers la Suisse alémanique. Nommer un patron français en territoire alémanique, c’est assez catastrophique. Les Français sous-estiment les Suisses allemands à cause de leur façon lourde et paysanne de s’exprimer en français. A leurs yeux, ce sont des imbéciles.»
Question cruciale: au vu du nombre de frontaliers français travaillant sur le territoire helvétique, les Suisses seront-ils amenés à subir encore longtemps les effets du management à la française? Daniel Held: «Ce modèle est amené à disparaître rapidement, comme le montrent les difficultés de la France à s’adapter à un monde global.
Dans un tel monde, où les gens travaillent à distance, par partenariat et non plus par hiérarchie, dans un monde où internet permet d’évaluer les entreprises ou les supérieurs – ce qui se fait déjà beaucoup aux Etats-Unis grâce aux réseaux sociaux – ce modèle n’a guère de chance de survie. Reste à savoir à quelle vitesse il va mourir.»
Des chiffres en progression
Durant l’année 2014, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), le nombre de frontaliers de nationalité étrangère travaillant en Suisse a progressé de 3,1% par rapport à l’année antérieure, pour atteindre 287 000 personnes (64,2% d’hommes et 35,8% de femmes).
Un peu plus de la moitié de la main-d’œuvre frontalière est domiciliée en France (52,4%), environ un quart réside en Italie (23,7%) et un cinquième (20,4%) en Allemagne.
L’augmentation du nombre de frontaliers varie selon les groupes de professions: sur une période de cinq ans, les hausses enregistrées dans les groupes de professions «employés de type administratif» (+ 72,6%), «professions élémentaires» (+ 45,4%) et «directeurs, cadres de direction et gérants» (+ 37,3%) sont nettement supérieures à la progression de 29,6% du total des frontaliers.
Selon l’OFS, c’est dans la région lémanique que le nombre absolu de frontaliers est le plus élevé (99 900). Cependant, la situation diffère quand on considère leur part dans la population active occupée. Dans la région lémanique (10,7%) comme dans le nord-ouest de la Suisse (9,7%), un actif occupé sur dix est un frontalier.
Cette proportion est en revanche bien plus élevée au Tessin, où la main-d’œuvre frontalière représente 26,2%. Au cours des cinq dernières années, elle a progressé le plus fortement dans la région lémanique et au Tessin, respectivement de + 1,8 et + 3,4 points.
Durant le premier semestre 2015, le nombre de frontaliers étrangers résidant en France était le suivant: GE: 71 740; VD: 25 545; NE: 10 897; JU: 7 315; VS: 1649; FR: 538.
Dans une thèse soutenue fin mai à l’Université de Lausanne, Claire Johnston montre – sur la base d’un échantillon de 1661 employés comprenant 18% de migrants, parmi lesquels 43,4% de Français et d’Allemands – que les employés français et allemands, perçus comme ultracompétitifs, subissent plus d’incivilités de la part de leurs collègues suisses que les personnes d’Europe du Sud ou de l’Est. Cette forme de discrimination se manifeste par des attitudes hostiles comme interrompre son interlocuteur, l’ignorer ou utiliser un ton condescendant avec lui.
Philippe Le Bé
«Y en a point comme eux»
Plus Suisses que les Suisses, les horlogers français ont intégré toutes les vertus de leur pays d’accueil.
Quand un horloger patron français tombe dans la marmite de potion magique helvétique, comme Obélix il n’a pas besoin d’en reprendre une louche pour dynamiser sa conviction: assurément, les Suisses, «y en a point comme eux».
Dans ce pays, «on trouve des gens plus responsables, les syndicats sont plus coopératifs, c’est le paradis», souligne Henry-John Belmont, Franc-Comtois d’origine, ancien pilier du groupe Richemont et de sa manufacture Jaeger-LeCoultre.
Il fait partie de ces patrons qui se souviennent, comme si c’était hier, des heures passées en France dans les comités d’établissement, comités d’entreprise et commissions du personnel à essayer de régler une flopée de problèmes politiques et sociaux. «Environ 30% de mon temps.»
Dès lors, comment ne pas apprécier cette Suisse où les clichés semblent si bien coller à la réalité? «J’adore la France, mon pays, je ne veux pas la critiquer, s’exclame François Thiébaud, président de Tissot, l’une des principales marques de Swatch Group.
Mais je constate que son esprit en permanence contestataire, sa focalisation sur les droits acquis sans considérer ses devoirs sont la marque d’un manque de maturité.» Et toc. Considéré désormais comme «plus Suisse que les Suisses», le Français Thiébaud aurait bien de la peine à venir travailler dans l’Hexagone.
Comme son compatriote Belmont qui apprécie particulièrement qu’en Suisse, contrairement à la France, «tout contribuable connaisse l’utilisation de ses impôts communaux, cantonaux et fédéraux».
A force d’aimer la Suisse, certains patrons horlogers français n’hésitent plus à demander et recevoir le passeport à croix blanche. Comme Jérôme Lambert, CEO de Montblanc devenu Vaudois, ou Philippe Léopold-Metzger, CEO de Piaget devenu Bâlois. Tous deux représentent des marques du groupe Richemont.