Interview. L’ancien conseiller d’Etat vaudois popiste estime qu’il faut donner au gouvernement grec les moyens et le temps de réaliser ses réformes.
Contacté mardi à Patmos, l’une des îles de la mer Egée en face de la côte turque où il séjourne plusieurs fois par an, l’ancien conseiller national popiste vaudois Josef Zisyadis vit au cœur de la tragédie grecque qui se joue avec l’Union européenne (UE). Bien décidé à voter non dimanche prochain lors du référendum sur l’accord avec Bruxelles, il se fait l’ardent avocat du gouvernement Tsipras comme du maintien de la Grèce dans la zone euro.
Etait-il vraiment indispensable d’organiser dimanche 5 juillet un référendum sur l’accord avec Bruxelles qui a suscité une levée de boucliers au sein de l’UE?
Ce référendum s’impose. Alexis Tsipras est un homme de dialogue, tout le contraire d’un vieux bureaucrate. Il est capable d’aller vers l’autre avec l’objectif de trouver une solution. C’est ce qu’il fait en permanence. Mais visiblement la seule volonté de l’UE est de casser toute expérimentation sociale et politique novatrice. Le gouvernement grec issu des urnes doit être respecté. Sur les questions de privatisation ou de bas salaires, par exemple, Tsipras a fait d’énormes concessions. A tel point que certains de ses proches au sein de son parti Syriza se sont posé des questions. Mais aux yeux de l’UE, cela n’a pas suffi. Lorsque, il y a une douzaine de jours, est arrivée la dernière proposition grecque, l’UE a dans un premier temps considéré qu’elle allait dans le bon sens. Pour ensuite en demander encore davantage. Il y a toujours plus à exiger de quelqu’un que l’on cherche à briser.
Vous croyez vraiment qu’il y a une volonté de l’UE de faire tomber Tsipras?
On peut vraiment parler de coup d’Etat rampant. Il s’agit soit de faire tomber le gouvernement Tsipras soit de lui faire trahir ses options d’origine pour qu’il ressemble à des François Hollande ou à des Matteo Renzi, à tous ceux qui ont accepté de mener leur pays dans le courant du néolibéralisme. Les dirigeants de l’UE redoutent par-dessus tout un effet boule de neige entraînant d’autres pays comme l’Espagne ou le Portugal.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dit aux Grecs qui voteraient non qu’il ne faut pas se suicider parce qu’on a peur de la mort. Qu’est-ce que cela vous inspire?
C’est lamentable. Jean-Claude Juncker, sans doute à dessein, mélange tout. Le référendum de dimanche a un aspect très concret. Il s’agit de soumettre au peuple les dernières propositions de l’UE qui prônent davantage d’austérité et que le gouvernement grec actuel refuse. Si le non l’emporte, on revient à la table des négociations. En aucun cas il n’est question d’accepter ou de rejeter l’euro ou l’adhésion à l’UE. Quoi de plus démocratique pour nous, Suisses, qui sommes habitués à des référendums parfois sur des broutilles, de demander aux citoyens de se prononcer sur ce qui va engager la Grèce dans les cinquante prochaines années?
Pourquoi ne pas avoir organisé un tel référendum plus tôt, par exemple ce printemps?
Alexis Tsipras pensait sans doute ce printemps qu’il était encore possible de changer les choses. Au sein de l’UE il n’y a hélas pas de culture de consensus d’où peuvent émerger des solutions médianes. C’est tout ou rien. Cette façon de faire pose des problèmes à tous les peuples européens. Si les dirigeants actuels de l’UE sont incapables de discuter avec des gens issus d’une gauche pro-européenne comme Syriza, avec qui vont-ils négocier demain? Si cette gauche-là disparaît, c’est avec l’extrême droite qu’ils devront discuter. Et ce sera la fin de l’Europe.
Alexis Tsipras n’est-il pas à la fois antisystème, anticapitaliste et finalement profondément anti-européen?
Anticapitaliste, bien sûr et tant mieux! Mais certainement pas anti-européen. Ceux qui le sont appartiennent notamment au Parti communiste grec qui ne récolte aujourd’hui que 4% des voix. Une petite minorité, au sein de Syriza, souhaite en effet que la Grèce sorte de l’euro, mais pas de l’UE. Je le répète: le gouvernement actuel est pro-européen, ses membres ont été élus sur cette base.
Le secteur public représente 40% du PIB grec et emploie près de 70% de la main-d’œuvre. N’est-ce pas un handicap majeur pour le développement du pays?
Le gonflement de la bureaucratie demeure le mal prédominant de la Grèce qui, notamment depuis l’ère de la junte militaire, a toujours subi l’influence de partis vivant de clientélisme politique. Avec à la clé des pourcentages perçus directement par les ministres ou les partis sur les décisions budgétaires ou l’engagement de fonctionnaires compte tenu de leur couleur politique. L’hypertrophie d’une administration inefficace est une réalité que Syriza a voulu réformer dès le début.
L’Etat grec est-il vraiment réformable?
C’est une opération d’envergure mais il faut donner du temps au temps, aussi bien pour la réforme fiscale que celle de la fonction publique. L’actuel ministre de la Réforme administrative, Georges Katrougalos, est un passionné des initiatives et référendums suisses. Constitutionnaliste, il raffole du système politique helvétique. Il incarne le renouveau.
La Grèce est un importateur net de biens industriels et de produits alimentaires. Si elle devait abandonner l’euro, cela lui coûterait une fortune…
Assurément. D’où la volonté de Syriza de maintenir la Grèce dans l’euro. Mais en même temps qu’ils demandent une restructuration de la dette pour pouvoir respirer à nouveau, les ministres grecs en exercice souhaitent mettre en route les réformes indispensables au pays.
Lesquelles principalement?
La réforme fiscale, notamment, avec des impôts payés par tout le monde. Aujourd’hui, l’Eglise est exonérée des impôts foncier et sur le revenu, tout comme les riches armateurs. Autres défis: la «débureaucratisation» de l’Etat, la mise en place d’une agriculture de proximité, des transports publics dignes de ce nom, des énergies renouvelables. Encore une fois, il faut du temps pour réaliser un tel programme.
Ce printemps, le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, indiquait que la Grèce allait élaborer un projet de loi visant à inciter les contribuables à dévoiler leurs dépôts dans des banques étrangères. Elle devait ensuite signer un accord avec la Suisse pour faciliter l’imposition de ces avoirs. Où en est-on aujourd’hui?
Comme tout est axé sur les négociations avec l’UE, les autres dossiers sont en attente.
Concernant l’agriculture, quelles sont les réformes prioritaires?
Le pays doit retrouver une souveraineté alimentaire. La Grèce importe des pommes de terre d’Egypte et des tomates du Maroc, c’est invraisemblable. Les campagnes sont désertifiées. Il est urgent de réintroduire une agriculture de proximité avec des labels de qualité. L’avenir de la Grèce repose essentiellement sur l’agriculture à côté du tourisme.
Et les énergies renouvelables?
La Grèce, qui dispose déjà de chauffe-eau solaires en quantité, pourrait développer des projets solaires ou éoliens, en collaboration notamment avec la Suisse. Voyez l’île de Patmos. Elle pourrait devenir entièrement autonome quant à son énergie avec seulement deux millions d’euros, me confiait récemment un spécialiste de l’UE. Il ne faut donc pas annuler la dette grecque mais la restructurer pour donner vie à des projets locaux.
La Grèce compte 11,3 millions d’habitants et quelque 7 millions d’expatriés, dont vous êtes. Devraient-ils contribuer au sauvetage du pays?
Leur premier devoir serait, forts de leur expérience acquise à l’étranger, de venir en Grèce pour l’aider à se redresser. Encore faudrait-il que ces 7 millions d’expatriés soient respectés. Lors de leur visite annuelle dans le pays, ils sont considérés comme un réservoir financier occasionnel. Ils ne peuvent toujours pas voter dans leur pays de résidence. Ils doivent retourner dans leur ville ou village d’origine pour accomplir leur devoir électoral. On se prive d’une foule de compétences qui, mises en réseau, pourraient donner corps à des projets, même de petite dimension.
A l’image de ce que vous avez entrepris sur l’île de Patmos?
Le projet Patoinos impliquant une association suisse et quatre vignerons vaudois, dont Raymond Paccot et Raoul Cruchon, a développé sur trois hectares de la vigne et de l’huile d’olive, cultivées en biodynamie. Nous venons de terminer un financement participatif qui nous a permis de récolter 22 000 francs pour financer du matériel de cave. Plus de 500 personnes sont devenues propriétaires de ceps du domaine agro-écologique Patoinos. La vinification commence début 2016. C’est bien sûr un minuscule projet. Mais il s’inscrit dans une dynamique de réhabilitation de la vigne dans une île qui jadis jouissait d’une agriculture lui permettant de vivre en autarcie. C’est un retour vers le futur.
Profil
Josef zisyadis
Né le 17 avril 1956 à Istanbul, détenteur d’un passeport grec, licencié en théologie, il est membre de La Gauche après avoir été notamment secrétaire politique du POP vaudois, section vaudoise du Parti suisse du travail. Conseiller d’Etat du canton de Vaud de 1996 à 1998, chef du Département de justice, police et affaires militaires, il est conseiller national de 1999 à 2011.