Analyse. Le Tessin manifeste une méfiance accrue à l’égard d’une Confédération jugée incapable de résoudre ses problèmes.
Moreno Bernasconi
Le vote négatif du Tessin sur la SSR confirme le malaise qui touche le canton, même s’il faut relativiser ce résultat. Si l’on se limite à l’aspect comptable, le 52% de non tessinois est surprenant. La Radiotelevisione svizzera di lingua italiana (RSI) profite d’une clé de redistribution des ressources proportionnellement bien plus élevée que le pourcentage d’italophones en Suisse. Ce qui permet à la RSI d’offrir des programmes complets et diversifiés, essentiels pour la promotion de la troisième langue et culture de la Suisse, et de garantir plus de 1000 places de travail dans un canton qui a un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale. La Suisse romande – qui bénéficie elle aussi d’une clé de redistribution favorable – n’a pas eu de doutes et a exprimé clairement sa volonté d’assurer à la SSR une position forte qui lui donne la possibilité de fournir, même à l’avenir, un service public garant de la pluralité linguistique suisse.
Absence de mobilisation
Les choses sont plus complexes que cela. Notons que le Valais – romand et bilingue – a repoussé la réforme avec 53,5% de voix. Quant aux Grisons trilingues – où la SSR est essentielle pour la Radiotelevisiun svitzra rumantscha (RTR) – ils ont approuvé la réforme à une infime majorité (50,8%). S’il existe un malaise tessinois, il y a aussi un malaise SSR diffus (Zurich a voté comme le Tessin) que les millions redistribués pour la promotion de la RSR, de la RSI et de la RTR ne sauraient effacer. Le nouveau modèle proposé ne pouvait susciter l’enthousiasme dans un pays comme la Suisse, très méfiant à l’égard de tout ce qui peut être vu comme une nouvelle taxe. Les dirigeants de la SSR ont intérêt à bien analyser le résultat national et à apporter les corrections nécessaires, notamment dans leur positionnement sur un marché de l’information en grande difficulté.
Au Tessin, cela fait des années que l’hebdomadaire de la Lega tire à boulets rouges sur la SSR. Cela a sans doute contribué à ternir l’image de la radio télévision suisse. Mais il faut avouer que les autres journaux ne se sont pas non plus battus pour le renforcement d’un concurrent qui – selon les éditeurs – veut le beurre (la redevance) et l’argent du beurre (la publicité). Qui a donc, au Tessin, fait campagne pour la généralisation de la redevance? Le PDC s’est déclaré pour le oui mais sans vraiment se mobiliser. Quant aux libéraux-radicaux, ils ont laissé la liberté de vote. Et la gauche – sortie battue et très affaiblie des élections cantonales – est toute concentrée sur ses déchirures internes et confrontée à un nouveau populisme de gauche antibernois et antieuropéen.
Le malaise d’une majorité de Tessinois s’exprime par une méfiance accrue à l’égard d’une Confédération jugée incapable de voir, de comprendre et de résoudre les problèmes du canton. La force dont la Ligue des Tessinois jouit au gouvernement et au Parlement n’est pas la cause du ressentiment à l’égard de la Berne fédérale, mais la conséquence d’une déception qui a fini par gagner tous les partis. Cette déception vise tout d’abord le SECO, qui a nié pendant des années les problèmes de dumping posés par les 60 000 frontaliers sur le marché du travail cantonal. Et elle se traduit aussi par une méfiance à l’égard du Conseil fédéral.
Le gouvernement suisse s’est engagé à obtenir un accord fiscal sur les frontaliers avec l’Italie plus favorable que l’actuel pour les caisses déficitaires du Tessin, mais en fin de compte le nouvel accord pourrait se solder par un gain minime pour le canton. Le Conseil fédéral s’attelle à expliquer que la nouvelle convention contre la double imposition fiscale avec Rome, qui est presque sous toit, est très importante pour la place financière suisse et tessinoise (et aussi pour les caisses cantonales). Malheureusement, quand un malaise est diffus, on a de la peine à faire une pondération lucide des intérêts globaux. La visite du gouvernement in corpore au Tessin est un geste d’attention appréciable. Je doute toutefois qu’il arrive à faire tourner le vent.