Interview. Seifeddine Rezgui fait partie d’une génération de jeunes Tunisiens «désespérés» et «désenchantés» par la révolution de 2011, analyse la politologue franco-tunisienne Olfa Lamloum.
Comment expliquer qu’un jeune sans histoire comme Seifeddine Rezgui se soit tourné vers l’extrémisme?
Son profil correspond au moins en trois points à celui d’autres Tunisiens qui se sont radicalisés et qui sont notamment partis en Syrie pour faire le djihad. Premièrement, cette radicalisation est un phénomène générationnel. Elle touche en priorité des jeunes de 18 à 25 ans, nés sous le régime autoritaire de Ben Ali et qui se sont politisés dans le cadre des mobilisations révolutionnaires de 2010-2011. Deuxième élément, l’origine sociale. Seifeddine Rezgui est issu d’une famille pauvre, qui vit dans une ville marquée par la relégation et le chômage. En troisième lieu, la rapidité avec laquelle il s’est radicalisé se remarque chez d’autres jeunes qui ont été gagnés aux thèses djihadistes.
Quel est le moteur de cette radicalisation?
De mon point de vue, l’explication principale réside dans le désespoir et le désenchantement des jeunes issus des milieux populaires. Une enquête quantitative* que nous avons menée dans deux quartiers populaires de Tunis, Douar Hicher et Ettadhamen, montre que les jeunes qui ont participé à la révolution, cru à la possibilité d’un monde meilleur, espéré obtenir un travail et recouvrer leur dignité se sentent aujourd’hui floués par les élites politiques et toujours ignorés par l’Etat. Lorsqu’on leur demande si leur situation a changé après la révolution, 90% répondent que non et 46% considèrent qu’elle s’est détériorée. Ils mentionnent d’abord la dégradation des conditions de vie, puis la corruption et, enfin, les violences policières.
La motivation n’est donc pas religieuse?
Réduire le salafisme djihadiste à une forme de fanatisme religieux empêche de le saisir dans ses dimensions sociale et politique. Notre étude confirme que les jeunes des quartiers populaires, acteurs majeurs de la révolution, se retrouvent désormais à la marge de la démocratie représentative et exclus de toute citoyenneté sociale. Pour s’en sortir, certains tentent l’immigration illégale. D’autres, une toute petite minorité, ont décidé de partir en Irak ou en Libye. Choisir la voie du djihad est une façon de fuir la désespérance et l’incertitude du chômage, de retrouver une dignité, une reconnaissance, de donner un sens à sa vie. Le répertoire djihadiste s’apparente dès lors à un cadre de mobilisation qui cristallise leur désenchantement et leur fort ressentiment à l’égard de l’Etat.
Que faire face à cette situation?
Plutôt, que ne faut-il plus faire? Je ne pense pas qu’adopter des mesures qui impliquent des restrictions de libertés ou la remise en cause de droits politiques soit une réponse appropriée à la situation actuelle, au contraire.
Criminaliser la pauvreté ou diaboliser les jeunes des quartiers pauvres ne peut qu’envenimer la situation. Il est urgent d’ouvrir un débat public sur les stratégies d’inclusion politique et sociale des jeunes afin de leur donner de l’espoir et de leur garantir des droits sociaux et économiques.
Propos recuEillis par BK
* «Les jeunes de Douar Hicher et d’Ettadhamen», Ed. Arabesques, 2015.