Zoom. La police fédérale belge intervient à la suite des révélations de «L’Hebdo».
Aliaume Leroy et François Pilet
Le 26 juin 2012, comme chaque matin, le diamantaire Alain Lesser quittait son domicile de Sorbenlaan, une banlieue cossue d’Anvers, pour se rendre au travail. «Il est parti en se demandant s’il devait prendre une veste», se souvient un proche. Quelques heures plus tard, le corps sans vie d’Alain Lesser était retrouvé partiellement carbonisé dans un terrain vague, à côté de sa voiture.
Rien dans la vie apparemment tranquille d’Alain Lesser ne pouvait laisser présager une fin aussi tragique. Petit-fils de commerçants juifs disparus à Auschwitz, cet homme affable et bon vivant de 58 ans était père de trois enfants adolescents. La thèse du suicide est inconcevable, tant pour ses proches que pour les membres de la communauté juive à laquelle il appartenait. L’enquête sur ce décès hautement suspect a été confiée au juge d’instruction de Termonde, Paul De Bruecker. En deux ans et demi, il n’a pas avancé d’un pouce.
Investigations américaines
Jusqu’au 12 février 2015. Ce jour-là, dans le cadre de l’opération SwissLeaks, L’Hebdo révélait l’implication d’Alain Lesser dans un vaste réseau de blanchiment d’argent de la drogue entre les Etats-Unis, la Suisse et le Vietnam (lire «Monsieur Simon et l’abeille reine: des trafiquants au-dessus de tout soupçon» dans L’Hebdo du 12 février 2015). L’article expliquait que les noms du diamantaire et de sa société anversoise, Intercontinental Diamond Company, étaient apparus en 2004 dans une enquête de l’agence antidrogue américaine, la DEA.
Les relevés d’un compte appartenant à Alain Lesser chez HSBC Private Bank à Genève avaient été retrouvés lors d’une perquisition au domicile d’un membre d’un gang vietnamien d’Atlanta. Les dealers avaient viré des centaines de milliers de dollars au diamantaire, qu’ils appelaient «Alain». Il avait fallu des années de procédure aux autorités américaines pour remonter la piste et obtenir le blocage par la Suisse du compte d’Alain Lesser à Genève.
La nouvelle de l’implication du diamantaire dans ce réseau de blanchiment s’est répandue comme une traînée de poudre dans la communauté israélite d’Anvers, avant de remonter jusqu’au parquet de Temonde. Les autorités belges ignoraient tout de ce versant sombre des affaires d’Alain Lesser, comme le confirme le juge d’instruction Paul De Bruecker. «Au vu de ces éléments, nous allons revoir nos investigations autour de cette affaire», indiquait le magistrat à L’Hebdo il y a quelques semaines. Depuis, le procureur a demandé que l’instruction soit confiée à la police fédérale belge, qui dispose d’une unité spécialisée dans les affaires diamantaires, surnommée Diamond Squad.
Les proches d’Alain Lesser ne se font pas d’illusions sur les chances d’élucider cette mystérieuse disparition si longtemps après les faits. L’avocat de la famille, Frank Marneffe, veut pourtant y croire. A ses yeux, les révélations de L’Hebdo «tendent à accréditer la thèse d’un assassinat».
Seule certitude: les autorités belges ne se sont pas donné beaucoup de peine pour tenter d’éclairer les circonstances de la mort d’Alain Lesser. Notamment, elles ne semblent pas avoir prêté grande attention au volet financier de l’affaire.
Trois mois après la mort du diamantaire, sa société, Intercontinental Diamond Company, était placée en liquidation, laissant derrière elle un trou de 2 millions d’euros. Le procureur du roi d’Anvers avait ouvert une enquête sur cette faillite. Peu après la publication de l’article de L’Hebdo, le parquet a fait savoir à la liquidatrice de la société que l’enquête avait été close, car elle «ne représentait pas une priorité».
Cette autre affaire gênante
La justice belge entretient des rapports compliqués avec la communauté diamantaire d’Anvers. Les autorités ont souvent été accusées de laxisme envers une fraude fiscale endémique au sein de l’industrie. Les révélations de SwissLeaks avaient encore relancé ces critiques, faisant apparaître des centaines de noms de diamantaires échappant au fisc belge. La communauté avait prévenu que, en cas de poursuites trop rigoureuses, il serait tentant pour beaucoup de diamantaires de déménager à Londres ou à Tel-Aviv.
A cela vient de s’ajouter une affaire très embarrassante. En mars dernier, le chef de la division de la police fédérale belge chargée de lutter contre la fraude chez les diamantaires, la fameuse Diamond Squad, a été arrêté dans une affaire de blanchiment. Le train de vie d’Agim De Bruycker, 46 ans, aurait attiré l’attention de ses collègues. Le policier s’était offert une villa et une Range Rover de luxe, juste après son divorce. Une perquisition à son domicile a permis de retrouver l’équivalent de 550 000 euros en diamants, en or et en liquide.
Contacté par L’Hebdo, un porte-parole de la police fédérale d’Anvers n’a pas commenté l’état de l’enquête sur la mort d’Alain Lesser.