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Les principes de la ménagère souabe durement appliqués à la Grèce

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Jeudi, 16 Juillet, 2015 - 05:56

Analyse. D’où vient l’intransigeance allemande incarnée par le tandem Angela Merkel et Wolfgang Schäuble?

Pascale Hugues Berlin

Six heures du matin à Bruxelles. Le Grexit a été évité de justesse. Un accord in extremis a été trouvé avec Alexis Tsipras.

Angela Merkel apparaît devant une haie de caméras. Elle a les traits tirés. Elle ne sourit pas. Elle ne triomphe pas. Aucun pathos. Pourtant elle est visiblement soulagée. «Les avantages de cet accord sont plus importants que ses inconvénients», rassure-t-elle sobrement à l’intention du contribuable allemand et des députés encore hésitants qu’elle doit rassembler derrière elle avant le vote au Bundestag vendredi. Le oui à une poursuite des négociations avec les Grecs semble pourtant être acquis. La chancelière a sauvé sa peau. Elle risquait gros, c’est vrai. Car c’est à la crise grecque que sera mesuré le bilan de son actuel mandat à la tête de l’Allemagne.

On murmure même dans les allées du pouvoir à Berlin qu’elle ne rechignerait pas à en briguer un quatrième. Or, si elle veut être réélue dans son pays, si elle désire s’assurer un beau chapitre dans les livres d’histoire, celle que tout le monde surnomme la «reine de l’Europe» ne peut en aucun cas être tenue pour responsable de l’éclatement de la maison européenne et d’une catastrophe humanitaire chez le voisin grec.

Entre mission et devoir

Angela Merkel est bien consciente de l’énorme responsabilité qui lui incombe à tenir le gouvernail à travers la grosse tempête que traverse l’Ancien Continent. D’ailleurs elle n’a pas ménagé ses forces au cours des cinq dernières années pour éviter bien des écueils. Combien de nuits sans sommeil, combien d’heures d’âpres tractations, combien de sommets extraordinaires et de longues conversations au téléphone avec ses partenaires européens? Jamais elle n’a perdu ses nerfs, jamais elle n’a haussé la voix, fidèle à sa tactique des petits pas bien tempérés.

Angela Merkel est tiraillée. D’un côté, elle se sent investie d’une mission historique: faire progresser l’intégration européenne en ces temps de mondialisation brutale. Mais de l’autre, elle ne doit pas décevoir ses compatriotes qui refusent de débourser un centime de plus pour venir en aide à la Grèce si celle-ci rechigne à mettre en place des réformes drastiques. Si nous nous sommes serré la ceinture pour relancer la compétitivité de notre industrie, si nous avons accepté de partir à la retraite à 67 ans, ce n’est pas pour que les Grecs se la coulent douce à la terrasse des tavernes, un verre d’ouzo à la main. Tel est le ton de la vox populi allemande. Les Allemands en ont assez des promesses vagues. Ils veulent des engagements concrets, des chiffres, des bilans qui tiennent debout.

Au lendemain du sommet de Bruxelles, la moitié des Allemands sont d’accord pour que l’Europe continue à soutenir la Grèce. Néanmoins, 80% d’entre eux doutent de la capacité d’Athènes à mettre en œuvre les mesures d’économies. La classe politique aussi est chauffée à blanc. Le départ de Yanis Varoufakis, la bête noire de Berlin, a été accueilli avec soulagement. Les Grecs doivent s’en tenir aux règles du jeu de la zone euro, dit Sigmar Gabriel, chef de l’opposition sociale-démocrate et coéquipier de Merkel au sein de la grande coalition au pouvoir à Berlin, sinon pas question de débloquer des aides de plusieurs milliards d’euros. Au sein de la CDU aussi, le propre parti de la chancelière, la coupe est pleine. Quand c’est assez, c’est assez!

Le retour du casque à pointe

Pas étonnant, dans un tel climat, que la Bild Zeitung, titre phare de la presse populaire, ose, au lendemain du non grec, poser sur le crâne de la chancelière un casque à pointe et cette injonction: «Restez dure, Madame la Chancelière, dure comme fer!» Comme elles ont dû jubiler, les Stammtische de ce pays! Comme ils ont dû approuver à l’unisson, les buveurs de bière sous les tonnelles de Bavière! Quel chemin de décomplexion de l’identité nationale a parcouru cette république pour oser cela! Le casque à pointe n’appartient-il pas, avec la moustache de Hitler et la croix gammée, à l’arsenal facile dans lequel nous puisons, nous les autres Européens, quand nous avons envie d’asséner un coup bas à l’Allemagne? Mais que les Allemands eux-mêmes puissent y avoir recours prouve bien leur degré d’exaspération.

L’ensemble de la presse est d’ailleurs quasi unanime: les dirigeants grecs ne sont pas sérieux! Ils ne savent pas ce qu’ils veulent et ne tiennent pas leurs engagements! Des machos qui, pour éviter de perdre la face auprès de leurs électeurs, rejettent la faute sur les autres, selon le vieux principe bien connu du bouc émissaire.

Sang-froid légendaire

Il faut dire que l’interminable crise grecque a mis à rude épreuve le légendaire sang-froid de la chancelière. Une fois seulement, après le non tonitruant du référendum grec, ses nerfs ont un peu lâché. Devant ses amis politiques de la CDU réunis en cercle restreint, elle a fustigé la politique «dure et idéologique» de Tsipras, tout en accusant le dirigeant grec de laisser son pays «aller se fracasser contre le mur avec les yeux grands ouverts».

La fermeté d’Angela Merkel et le dogmatisme budgétaire de son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, ont remonté une grande partie des Européens contre l’Allemagne. Il n’y a ainsi pas que les Grecs qui dessinent de petites moustaches nazies à la chancelière: plusieurs intellectuels français aussi font ressurgir les sombres heures du passé allemand. Ils comparent Merkel à Bismarck, condamnent l’hégémonisme de Berlin. Mais Angela Merkel reste stoïque. Jamais elle ne hausse le ton. Je suis pour la liberté d’expression, dit-elle avec un grand sourire désarmant.

Il faut dire que le marathon du dernier sommet de Bruxelles n’a pas arrangé les choses. Wolfgang Schäuble crée la surprise en proposant un Grexit temporaire. Tout de suite on parle de putsch. Que le ministre allemand des Finances, connu pour être l’un des Européens les plus fervents et les plus profondément convaincus au sein de la classe politique allemande, s’autorise cette percée en cavalier seul et impose sa volonté à tous lui vaut bien des critiques. On l’accuse d’avoir «humilié» la Grèce.

Certes le compromis ficelé durant dix-sept heures de négociations porte très nettement la griffe allemande, mais combien de porcelaine a été brisée pour y arriver? Même la sacro-sainte amitié franco-allemande a été mise à rude épreuve. C’est François Hollande qui a joué les intermédiaires entre les Grecs et les Allemands. Le président français est le vrai vainqueur de ce sommet, murmure-t-on à Berlin.

Diplomatie d’après-guerre anéantie

En Allemagne aussi, les critiques fusent de partout: «chantage», «solution nébuleuse», voire «dangereuse». C’est le style rentre-dedans du tandem Schäuble/Merkel qui déplaît. «En l’espace d’un week-end, écrit de façon drastique l’éditorialiste du Spiegel, le gouvernement allemand a anéanti septante ans de diplomatie d’après-guerre. La proposition d’exclure momentanément la Grèce de la zone euro a fait office de levier pour faire capituler la Grèce.» Pourtant, avec Angela Merkel, Wolfgang Schäuble est l’homme politique le plus respecté des Allemands. Par les temps qui courent, sa cote de popularité atteint son zénith. Ce gardien scrupuleux des cordons de la bourse de l’Etat rassure les Allemands qui redoutent par-dessus tout l’inflation et la démesure budgétaire qui ont déjà, sous la République de Weimar, anéanti toutes leurs économies.

Schäuble applique à son pays l’arithmétique bien carrée de la ménagère souabe, la région dont il est originaire: pas question de dépenser plus qu’on ne gagne. Il n’a pas oublié que, il y a quelques années à peine, c’est l’Allemagne qui était la «malade de l’Europe». Le remède de cheval que lui a administré le chancelier social-démocrate Schröder dans le cadre de son «agenda 2010» lui a permis de retrouver santé financière et vigueur économique. Aux autres de prendre exemple!

Un plan de croissance

«Bien sûr, écrit un autre éditorialiste, le ministre des Finances a raison sur plusieurs points. Mais que personne ne soit dupe: son style si intransigeant ne lui attire pas que des amis.» La classe politique allemande partage cette ligne de conduite à la quasi-unanimité. Au Bundestag, il n’y a guère que dans les rangs des Verts et de Die Linke, le parti à la gauche de la gauche, que ce libéralisme à tout crin est contesté. Au lieu de s’agripper au principe de l’austérité, les deux coéquipiers feraient mieux de proposer un plan de croissance européenne. Les détracteurs du dogme de l’austérité ne mâchent pas leurs mots: ils accusent Schäuble et Merkel de diviser l’Europe et d’assister sans aucune émotion au naufrage d’un pays voisin.

Au-delà du test politique pour le gouvernement d’Angela Merkel, il y va de l’avenir de l’Europe, cette construction à laquelle les Allemands ont contribué avec enthousiasme et dont ils ont tant profité, politiquement et économiquement. Angela Merkel a grandi dans le bloc communiste, elle est née après la guerre. Elle n’a pas le même rapport émotionnel à l’Europe que le Rhénan Helmut Kohl qui vécut, petit garçon, le bombardement des villes allemandes. Elle est plus encline à défendre les intérêts nationaux de son pays. Sans complexes. Sans fausse pudeur. Mais elle sait, et le répète, que «sans l’Europe, rien ne va plus».

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IAN LANGSDON
Francois Lenoir / Reuters
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