Marcela Iacub
Essai. L’annulation de la garden-party du 14 Juillet à l’Elysée est irréversible parce que les démocraties tendent vers la sobriété. Jusqu’où iront-elles dans le refus du faste, se demande notre chroniqueuse.
Depuis 2010, il n’y a plus de fête grandiose à l’Elysée pour célébrer le 14 Juillet. Organisé chaque année depuis 1880 dans les jardins du palais présidentiel, baptisé garden-party sous François Mitterrand, ce rendez-vous réunissait des milliers de personnes de tous horizons: politiques, intellectuels, people, syndicalistes. Dorénavant, on se contente d’une humble réception au Ministère de la défense après le défilé. Le chômage de masse, les attaques terroristes, les soldats morts en opération rendraient obscène de dépenser 750 000 euros dans une garden-party comme l’avait fait Nicolas Sarkozy en 2009, avant de supprimer la réception.
Mais s’il n’y avait pas ces misères, est-ce que le gouvernement pourrait la remettre à l’agenda? Rien n’est moins sûr. Car cette sobriété républicaine est le signe d’un profond changement dans la manière dont les Français perçoivent les privilèges de la classe politique. On supporte de moins en moins que cette dernière détourne à son profit les palais et les deniers mis à sa disposition dans le but de mettre en scène les fastes de la puissance nationale. Les temps de la mélancolie monarchique sont révolus.
François Hollande a fait quelques gestes pour accompagner un tel tournant. Il a notamment réduit certaines dépenses de l’Elysée. Mais qui pourrait prétendre que c’est suffisant pour ne pas être soupçonné d’abuser du pouvoir? Cela est vrai non seulement pour la France mais aussi pour les autres grandes démocraties. Est-ce que les chefs d’Etat doivent habiter dans des lieux comme la Maison Blanche ou l’Elysée et avoir un train de vie fastueux? Ne s’agit-il pas d’une forme de corruption incrustée en plein cœur des régimes démocratiques?
En effet, pourquoi cette vie de château serait-elle nécessaire à la réussite des mandats que le peuple leur confère? Et si les élus ne profitaient pas de ces fastes et de ces dorures, de ces châteaux et de ces chambres à coucher, de ces vins et de ces costumes, il y aurait sans doute beaucoup moins de personnes peu recommandables qui lutteraient toute leur vie pour occuper ces postes.
Pour une sobriété complète
Il est possible que, dans les années à venir, les grandes démocraties du monde finiront par vendre ces palais pour payer leurs dettes ou par les transformer en musées pour que tous les citoyens puissent profiter d’une manière ou d’une autre de ces lieux somptueux. Et qu’elles sépareront clairement et distinctement le lieu de travail des gouvernants de celui dans lequel ils habitent – qui ne sera plus financé par le contribuable.
Mais il faudrait aller encore plus loin et faire en sorte que cette sobriété affecte non seulement le train de vie des gouvernants mais aussi les sommes allouées pour l’exercice de leurs fonctions. La pratique du pouvoir politique sera entièrement différente quand le chef d’une république sera habillé en jean et en casquette, en short et en tongs par temps de canicule pendant qu’il travaillera pour son pays ou qu’il le représentera. Et c’est ainsi, dans ces tenues, qu’il recevra ses homologues étrangers, conviés à des repas simples et amicaux. Et dès que les visiteurs afficheront le moindre signe de richesse, ce sera la preuve du déficit démocratique du régime que ces derniers auront la mission d’incarner.
Ce jour-là, il n’y aura pas assez de candidats à la fois capables d’occuper ces fonctions et désireux de le faire. On finira par les désigner par tirage au sort. Et eux – ou elles – seront obligés d’accepter comme quand on était forcé de faire le service militaire ou la guerre.
