Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Ces étrangers qui nous accueillent en Suisse: l’héritage des saisonniers

$
0
0
Jeudi, 30 Juillet, 2015 - 05:49

Restauration. Venu des Pouilles, Antonio Antonazzo gère à Neuchâtel le bistrot italien le plus authentique de Suisse romande. Dans l’esprit de la tradition des cercles.

La Famiglia Leccese,à Neuchâtel? Il faut connaître. Non seulement le bistrot se cache dans un immeuble disgracieux fiché dans le coin le plus moche de la ville, mais aucune enseigne ne signale l’établissement au passant.

Coquetterie? Snobisme slow? Ce qu’il y a, c’est que tout Neuchâtel connaît. «Le monde est venu à nous, je ne me suis jamais posé la question de l’enseigne», rigole Antonio Antonazzo, qui gère depuis 1997 le resto italien le plus authentique de Suisse romande. Des comme ça, on n’en trouve ni à Genève ni à Lausanne. Pas seulement à cause du décor: baby-foot d’époque, nappes en toile cirée et statuette de Padre Pio. Ici, on mange des choses introuvables à la carte des Italiens helvétisés: le poulpe grillé, la petite friture, la cicoria (chicorée) avec sa purée de fèves, le tout cuisiné à l’huile d’olive de chez le patron, Tuglie, près de Gallipoli, dans le Salento, le talon de la Botte.

Antonio Antonazzo est arrivé à Neuchâtel en 1985 pour passer Noël avec son frère. «Les oliviers de mes parents avaient beaucoup donné cette année-là, il y avait trop de travail, je suis venu seul.» Et il est resté. Il a appris à faire la plonge, puis la pizza. Il a vécu la vie du saisonnier avec ses quinze heures par jour, ses contrôles médicaux annuels, son célibat forcé et son retour au pays tous les neuf mois. Avant d’accéder aux permis B puis C.

Lorsque, désormais marié avec Ada, une Salentina ex-saisonnière comme lui, il a repris la Famiglia Leccese, en 1997, l’implacable statut aboli en 2002 était encore en vigueur. «Pour ces immigrés isolés, le cercle était un refuge, un substitut à la famille», raconte-t-il.

La Famiglia Leccese (de Lecce, la Perle baroque du Salento), créé en 1971, était donc – et reste à ce jour – un cercle d’association issu de cette tradition, et dont le public s’est peu à peu renouvelé. Parce que les saisonniers ne sont plus là, mais aussi parce que les cercles, dans le canton de Neuchâtel, ont joui d’une souplesse horaire particulière et prisée des noctambules: dans les années 80, c’étaient les seules adresses où l’on pouvait manger une pizza à 2 heures du matin.

L’esprit maison

Les années ont passé, mais la Famiglia Leccese n’est jamais devenu un bistrot italien parmi d’autres. La sagesse d’Antonio et d’Ada, à l’heure où la tendance est à l’italien chic et cher, est d’avoir précieusement conservé l’esprit maison: les prix restent raisonnables, les antipasti sott’olio et le pecorino viennent tout droit du Salento, le pain aux olives est fait sur place et frais du four. Et le patron ne quitte jamais son poste. «Si un jour il n’est pas là, les clients le réclament», dit Ada, qui ajoute dans un demi-soupir: «L’authenticité, c’est d’abord beaucoup de travail.» Antonio acquiesce: «Aujourd’hui je suis mon propre patron, mais mes journées sont celles du saisonnier d’autrefois, les responsabilités en plus.»

Il a désormais 50 ans, Antonio, et il accueille avec un même sourire les jeunes désargentés et les notables de la république venus tomber la veste dans ce petit morceau d’Italie vraie. Jusqu’à quand? «Je suis content de ma trajectoire et j’ai l’intention de continuer, même si je commence à fatiguer un peu…» Ses deux garçons, Gabriel et Alessio, sont venus poser pour la photo (respectivement à gauche et à droite) avec leurs parents. Ada: «Franchement, je ne les pousse pas trop à reprendre l’affaire, j’espère pour eux une vie plus confortable.»

Compris? Si vous voulez goûter à la saveur authentique des Pouilles, vous avez encore quelques années devant vous, mais ne tardez pas trop.

Pour ce qui est de l’huile d’olive maison, il est à craindre qu’il ne faille se dépêcher encore plus. «Ce coin de terre près de Gallipoli d’où je viens, c’est de là qu’est partie la maladie de l’olivier», dit Antonio, d’une voix soudain voilée par la tristesse. Le temps passe, pour le meilleur et parfois pour le pire.

La Famiglia Leccese, rue de l’Ecluse 49, Neuchâtel

Né dans les Pouilles
Prénom: Antonio
Nom: Antonazzo
Profession: restaurateur
En Suisse depuis: 1985
Nationalité: italienne

 


Sommaire:

Du Kosovo au Chalet suisse
Le prince indien du Valais
La Suisse comme deuxième patrie
Le cinéphile qui se rêvait explorateur
Le trader devenu glacier
Les meilleures empanadas de Lausanne
Mauro Botazzi, l’Italie au cœur
Au croisement  des nationalités
Une passion pour l’art suisse
Un coin d’Espagne aux Pâquis
L’héritage des saisonniers
Racines iraniennes, valeurs suisses
Le chef dont le Tout-Berne raffole
L'homme qui ne s’arrête jamais
Un barbier kurde en quête d’identité
La mélodie du Tennessee
Un pionnier de l’hôtellerie
Le chef qui aimait «Othello»
La kiosquière qui se rêve horlogère 
Entre deux notes, une raclette africaine
Sur l’alpe, un provocateur musical
Reine du gommage oriental sur Léman

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles