Cuisine. Fille issue de la bourgeoisie chilienne, Maria Eliana Nunez ne pensait pas un jour gérer un restaurant.
On l’appelle la «dame des empanadas». Difficile de passer par le marché de Lausanne sans remarquer son petit stand. Fièrement assise derrière ses empanadas, Maria Eliana Nunez n’hésite pas à vendre haut et fort ses produits. «Bonjour, messieurs-dames, venez goûter mes empanadas, faites avec beaucoup d’amour.»
De l’amour, Maria Eliana en reçoit et en donne encore plus. Avec un visage qui respire la sympathie, la douceur d’une grand-maman et un sourire éternel, elle finit chacune de ses phrases par un «oui, ma chérie». Sa plus grande histoire d’amour, elle la partage avec son fils, Hector. C’est ensemble qu’ils ont ouvert Creacion Del Tata, ce restaurant dont les empanadas sont considérées par beaucoup comme les meilleures de la ville. Pourtant, rien ne destinait Maria Eliana à ce domaine.
Issue d’une riche famille bourgeoise, Maria Eliana est née à Santiago il y a soixante-trois ans. Son père, propriétaire de plusieurs prisons, a offert à sa famille la vie de château. «Avant de venir en Suisse, je ne savais même pas faire cuire des pâtes», raconte-t-elle. Lorsque le dictateur Augusto Pinochet accède au pouvoir au Chili dans les années 70, le père de Maria Eliana se retrouve derrière les barreaux d’une des prisons dont il était propriétaire. La vie bascule. Jusqu’au jour où, sorti de prison, le patriarche propose de se lancer dans la production d’empanadas. Un véritable succès grâce auquel Maria Eliana rencontre son mari, Luis. Opposé au régime, ce dernier est forcé de fuir et trouve refuge en Suisse.
«J’étais très amoureuse et je l’ai suivi», se rappelle Maria Eliana. La vie de réfugiés à Lausanne est bien loin du luxe chilien. «C’était très dur, je devais me débrouiller par moi-même alors que j’ai toujours eu de l’aide.» Mais Maria Eliana s’adapte vite, se lance dans un boulot de maman de jour et apprend le français «grâce à la télévision».
En 2010, Maria Eliana arrête de travailler. «Elle ne faisait plus rien à la maison, elle connaissait même mieux Facebook que moi et elle prenait du poids», se souvient son fils Hector, alors âgé de 22 ans. Afin que sa mère se replonge dans la vie active, le jeune homme décide de louer un local avec une idée en tête: il ouvrira un snack chilien, comme son grand-père. «Quand j’ai annoncé à ma mère que nous allions cuisiner des empanadas, elle a tout de suite refusé.» Après une longue négociation, Maria Eliana se laisse convaincre.
Situé à la rue de la Borde, le petit restaurant ressemble davantage à une pièce familiale. Les murs sont peints en orange, une petite table ronde et deux chaises trônent à côté des escaliers en colimaçon et des photos de personnes souriantes décorent un coin de la pièce. «Ce sont des missionnaires mormons qui sont venus nous rendre visite, explique Maria Eliana sur fond de musique chilienne. Pour nous, la Creacion Del Tata est bien plus qu’un restaurant, c’est un lieu d’échange et de communication.»
Vient alors la question de la succession du restaurant. Hector hausse les épaules, il est trop tôt pour y penser. Maria Eliana, elle, est plus directe: «J’espère que mes petits-enfants reprendront le business familial et que, de la même manière que mon père m’a initiée à sa recette, je la transmettrai à la plus jeune génération des Nunez.» En attendant, Hector a signé un prolongement du bail pour les cinq prochaines années.
Creacion Del Tata, rue de la Borde 9, Lausanne
Née au Chili
Prénoms: Maria Eliana
Nom: Nunez
Profession: traiteur
En Suisse depuis: 1982
Nationalité: chilienne
Du Kosovo au Chalet suisse
Le prince indien du Valais
La Suisse comme deuxième patrie
Le cinéphile qui se rêvait explorateur
Le trader devenu glacier
Les meilleures empanadas de Lausanne
Mauro Botazzi, l’Italie au cœur
Au croisement des nationalités
Une passion pour l’art suisse
Un coin d’Espagne aux Pâquis
L’héritage des saisonniers
Racines iraniennes, valeurs suisses
Le chef dont le Tout-Berne raffole
L'homme qui ne s’arrête jamais
Un barbier kurde en quête d’identité
La mélodie du Tennessee
Un pionnier de l’hôtellerie
Le chef qui aimait «Othello»
La kiosquière qui se rêve horlogère
Entre deux notes, une raclette africaine
Sur l’alpe, un provocateur musical
Reine du gommage oriental sur Léman
