Analyse. Le gouvernement ukrainien intègre les groupes paramilitaires à son système de défense. Des milices qui ont bénéficié du soutien financier de l’oligarque Igor Kolomoïski, qui réside une partie de l’année à Genève.
Textes et photos Boris Mabillard, Kiev
Les groupes ultranationalistes se sont multipliés après la révolution de Maïdan: Azov ou Pravi Sektor, le plus connu. La chute de l’ancien président Viktor Ianoukovitch aurait pu ramener les militants chez eux, mais l’annexion de la Crimée puis la guerre dans l’est du pays leur ont donné une nouvelle raison d’être. L’armée nationale ne pouvant assurer la protection du territoire, les militants se sont mués en combattants. Ils opposent leur nationalisme et l’intégrité du territoire aux ambitions sécessionnistes des prorusses, qu’ils taxent de terroristes.
En intégrant les groupes paramilitaires dans son système de défense, le gouvernement de Kiev a fait d’une pierre deux coups: il renforce ses capacités militaires et contrôle les ultranationalistes en les envoyant au front dans l’est. Une chimère, car les problèmes posés par Azov et Pravi Sektor peuvent revenir comme un boomerang.
Au Ministère de la défense, on se félicite pourtant du support apporté par les unités de volontaires, explique le colonel Valentyn Fedichev, de l’état-major de l’armée: «Azov a montré son âpreté au combat. Ses combattants ont mérité notre respect. Ils participent pleinement à l’effort commun. Nous avons un seul but, lutter contre les terroristes, un seul commandement, ce qui permet une collaboration totale.» Mais derrière la bonne entente affichée, certains au sein du gouvernement ne dissimulent pas leur méfiance à l’égard de ces supplétifs qui donnent une mauvaise image de l’Ukraine.
Une autonomie presque totale
La propagande russe ne cesse de reprendre les déclarations des militants néonazis pour étayer la thèse selon laquelle les nouvelles autorités de Kiev sont noyautées par des néonazis. La plupart des groupes armés ont intégré une structure paramilitaire, la Garde nationale, qui dépend du Ministère de l’intérieur. C’est le cas du régiment Azov. Pravi Sektor, en revanche, pourrait rejoindre la Défense. Enfin, il reste quelques unités combattantes marginales qui ne relèvent ni de l’un ni de l’autre. En réalité, chaque groupe garde son commandement et une autonomie presque totale, précise Maestro (un nom de guerre, ndlr), un commandant local du bataillon Azov à Marioupol: «Nous n’obéissons qu’à notre hiérarchie.»
Maestro est venu passer le dimanche sur la plage, l’une des plus polluées du monde. Il effectue des rotations vers le Chirokiné, position avancée à une vingtaine de kilomètres de Marioupol, où les combats n’ont jamais cessé malgré les accords de Minsk II, conclus en février de cette année. Sur la ligne de front, les unités d’Azov et les soldats des forces régulières ukrainiennes cohabitent facilement et se coordonnent même, parfois. Les militants d’Azov estiment leurs frères d’armes des forces régulières, mais critiquent en bloc la hiérarchie militaire, le Ministère de la défense et l’ensemble du gouvernement: «Ils bradent l’Ukraine», dénonce Maestro.
Pravi Sektor partage avec Azov la même attitude envers le gouvernement. Les deux groupes n’affichent plus seulement leur défiance vis-à-vis de Kiev, mais profèrent aussi des menaces. Un milicien d’Azov, sous couvert d’anonymat, avertit: «Lorsque nous en aurons fini avec les prorusses, nous retournerons à Kiev pour y mettre de l’ordre.» Ces paroles inquiétantes résonnent avec l’actualité: des membres de Pravi Sektor ont mené des arrestations illégales à Moukatcheve, dans l’ouest du pays, le 12 juillet. La police est intervenue, les miliciens refusant de se déplacer, des échanges de tirs ont suivi, qui ont fait trois morts.
Le régiment Azov a été créé en mai 2014 à l’initiative du parlementaire d’extrême droite Oleg Liachko et grâce à ses deniers. Mais le principal soutien financier a été apporté par l’oligarque milliardaire Igor Kolomoïski. Ce dernier a la triple nationalité ukrainienne, chypriote et israélienne, et réside une partie de l’année à Genève. Nommé gouverneur de Dnipropetrovsk en mars 2014, il délie les cordons de sa bourse au profit des milices qui font le coup de poing contre les séparatistes. «Nous ne manquons pas de moyens financiers», confirme Gratch, le chef du centre de recrutement d’Azov. Désormais en disgrâce auprès du gouvernement, en rivalité avec Petro Porochenko, le président, Igor Kolomoïski a été démis de son poste de gouverneur. Mais il garde une influence sur les groupes paramilitaires. Il pourrait même les utiliser comme levier pour faire trembler Kiev.