Zoom. La rémunération au chapeau crée une dynamique particulière entre artistes et public. Exemple à La Chaux-de-Fonds, avec le festival de la Plage des Six Pompes.
Théo Jeannet
Ancré dans la culture chaux-de-fonnière depuis vingt-deux ans, la Plage des Six Pompes reste un festival d’arts de la rue qui accueille chaque année une cinquantaine de troupes et plus de 200 représentations. La particularité de cet événement? Les artistes sont rémunérés au chapeau, comme le veut la tradition du spectacle de rue. Pas de cachet, pas de salaire, c’est le public qui décide de ce qu’il veut donner (ou non) en fin de représentation.
Ce mode de fonctionnement dit au chapeau semble créer une dynamique particulière dans laquelle le lien entre l’artiste et son public se révèle différent de celui d’un spectacle où le billet est payé à l’avance. «La générosité du public est un vrai acte citoyen, par lequel il choisit de faire vivre son festival et, par la même occasion, sa ville», analyse Manu Moser, programmateur de la Plage. Un brin provocateur, il dit ne pas comprendre les spectateurs qui achètent encore des billets de théâtre. «Le théâtre, c’est pour les gens qui ont les moyens. Avec le chapeau, on rencontre un autre public, celui de la rue, celui qui n’a pas envie de venir. Et c’est là que ça devient intéressant, c’est ce qui crée la grande variété des spectateurs.»
Flop ou jackpot
Si certains spectacles cartonnent à la Plage et récoltent jusqu’à 5000 francs en une représentation, le programmateur précise que ce n’est de loin pas le cas de tous les artistes. A sa connaissance, le plus petit chapeau fut de 4 fr. 70. Mais, pour les organisateurs, ce qui leur tient à cœur, c’est que les comédiens ne repartent pas perdants. A cet effet, ils s’efforcent de leur réserver le meilleur accueil possible, en mettant à leur disposition nourriture et logement.
En étant rémunéré au chapeau, l’artiste prend le risque de ne pas gagner sa vie. Manu Moser reconnaît le danger de ce mode de fonctionnement et précise que «le métier d’amuseur de rue est un métier comme un autre, qui mérite d’être rémunéré et ne doit pas être dévalorisé, malgré une paie aléatoire».
Alors peut-on vivre du chapeau? «Non, on n’en vit pas!» La réponse de Sara, directrice de la compagnie Thank you for coming, est claire. L’artiste belge et son acolyte Fleur appartiennent à une troupe professionnelle qui se produit également en salle avec des entrées à prix fixes, ce qui constitue leur principale source de revenu. Elles viennent depuis plusieurs années à la Plage pour y tester leurs spectacles auprès d’un public très réceptif.
«Il y a quelque chose d’unique à La Chaux-de-Fonds. Dans cette ville, il se dégage une énergie et un accueil fabuleux. Nous avons joué notre spectacle plus de 200 fois et c’est quelque chose que l’on n’a jamais retrouvé ailleurs. De plus, même si l’on n’y gagne pas notre vie, on rencontre ici des artistes qui nous font découvrir d’autres festivals.» «En arts de rue, tu as une liberté artistique incroyable et le public a la liberté de partir s’il s’ennuie, ajoute Fleur. C’est quelque chose de génial, que je ne retrouve pas dans l’opéra, où je chante la moitié de l’année.»
En mauvaise posture
Si le principe du chapeau peut placer les artistes dans une situation de précarité, celle du festival chaux-de-fonnier l’est tout autant. Fortement dépendant des subventions publiques, il se trouve en mauvaise posture face aux circonstances financières de la ville et à la baisse des subventions culturelles de 10% opérée en 2015. Les organisateurs comptent alors sur les recettes des bars pour faire tourner la boutique, tout en se sachant tributaires autant de la clémence du public, eux aussi, que de celle de la météo. ■
La Plage des Six Pompes, La Chaux-de-Fonds, jusqu’au 8 août.