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Azov, une pépinière de néonazis ukrainiens

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Jeudi, 6 Août, 2015 - 05:53

Reportage. Immersion dans l’unique centre de recrutement des ultranationalistes du régiment Azov, dans la banlieue de Kiev. Malgré leurs efforts, les miliciens ne parviennent pas à déguiser leur antisémitisme.

Textes et Photos Boris Mabillard, Kiev

Le bataillon ultranationaliste Azov a son unique centre de recrutement dans la banlieue de Kiev. C’est là que les volontaires sont sélectionnés avant d’être envoyés vers un camp d’entraînement dans l’est de l’Ukraine, puis sur le front. Les «hommes en noir», comme on appelle parfois les combattants d’Azov, car ils portent généralement une cagoule pour se dissimuler le visage, préfèrent rester discrets sinon secrets. D’autant plus qu’une série de déclarations fracassantes leur ont fait une sulfureuse réputation dont ils ont désormais du mal à se débarrasser: on compterait un nombre important de néonazis dans leurs rangs. Ils ont beau démentir et protester de leur innocence, derrière leur apparence composée de patriotes bon teint, les militants d’Azov n’ont rien des agneaux qu’ils prétendent être.

L’usine ATEC, une vieille fabrique de tracteurs abandonnée après une banqueroute, abrite les casernes et les terrains d’entraînement d’Azov. Sur le portail métallique de deux mètres de haut qui barre l’entrée, l’inscription est presque invisible. Aucun drapeau ni écusson, le centre ne paie pas de mine. A l’intérieur, une partie des bâtiments gris et borgnes paraît désaffectée. Des recrues au garde-à-vous, le poing sur le torse, jurent ensemble une fidélité absolue à la patrie et au bataillon. Azov ne souffre d’aucune compromission, s’y engager signifie épouser une idéologie radicale.

Gratch, le responsable du centre, de son vrai nom Ivan, a rejoint le groupe une année plus tôt, à l’âge de 26 ans. Il était alors responsable des ventes pour une petite entreprise de produits chimiques et n’imaginait pas devenir soldat. Mais la peur que son pays ne soit démembré, à cause des séparatistes prorusses, explique-t-il sans que son visage trahisse la moindre émotion, le décide à s’enrôler. Pour lui, «l’urgence de la situation nécessite une discipline de fer, tendue vers un seul but, la souveraineté de l’Ukraine». C’est pour cette raison que lui et ses hommes sont là, et c’est ce qu’ils enseignent à leurs troupes.

«Inculquer l’obéissance, tester la motivation des recrues et leur donner les rudiments de la vie militaire, c’est à cela que sert le camp», explique Gratch. A l’issue de leur stage de quinze jours, tous les troufions ne seront pas retenus. «Ils sont évalués sur le plan physique et mental. L’examen est difficile. Seule une moitié d’entre eux sera retenue», précise Gratch.

Au terme du stage, les candidats passent un concours, le «test de Sparte», en guise de bizutage. Il comprend différentes épreuves, parmi lesquelles une marche avec 70 kilos sur le dos, une course de 10 kilomètres et un combat de lutte. Les élus iront à Marioupol, sur les bords de la mer d’Azov. Là justement où le régiment a sa base principale. Selon Gratch, sur les 400 élèves qui sont passés par le camp, seuls 200 ont été retenus et ont été intégrés au régiment qui compterait désormais un millier d’hommes. Et, tous les quinze jours, 60 nouveaux aspirants débarquent dans le camp.

Azov a négocié avec les anciens créditeurs de l’usine le droit d’occuper les locaux. Les autorités locales de Kiev ont aussi agréé la création de la base et ont même octroyé un permis spécial pour l’usage d’armes à feu, normalement interdit dans les limites de l’agglomération de Kiev. L’ancienne usine à tracteurs a une deuxième raison d’être, dans les anciens ateliers vaguement réhabilités: des mécaniciens affiliés à Azov remettent en état de vieux tanks pour les envoyer à Marioupol, où le bataillon défend des positions sur la ligne de front, notamment l’un des points les plus chauds, Cherokiné. Un petit groupe traverse la place d’armes à grands pas. «C’est Igor «Tcherkass», le chef exécutif, il a remplacé Andreï Biletski, qui, lui, est entré en politique mais garde un œil sur l’organisation», explique Gratch. Possible de lui parler? «Impossible, il refuse les interviews.»

Une décision radicale

Parmi les novices à l’entraînement, aucun caïd ni skinhead arborant des tatouages distinctifs. Un jeune homme au regard bleu clair, Serhii, peine à accomplir le parcours d’obstacles que les nouveaux doivent exécuter. L’exercice du jour consiste à passer les embûches en rapatriant un blessé. «Ce ne sont pas les conditions réelles, il n’y a pas d’explosion. Mais en les mettant dans un contexte de stress, de panique, en les poussant au-delà de leurs limites, on voit ce qu’ils valent», détaille Gratch. Certains des exercices peuvent mettre la vie des futurs conscrits en danger, admet le responsable du centre: «A chaque session, nous avons quelques blessés. Il ne s’agit pas d’un jeu, mais de guerre.»

Serhii joue le blessé: sa jambe est alors nouée et repliée pour qu’il ne puisse pas l’utiliser. Ses camarades l’aident à passer les difficultés. Mais il doit se hisser seul le long d’un filin placé à 5 mètres de hauteur, sans filet de sécurité. L’exercice touche à sa fin, Serhii est à bout, en sueur, laminé. L’éreintement redouble l’émotion. «Je veux faire mon devoir et défendre l’Ukraine», dit-il d’une voix étranglée. Il étudie la médecine. «Je peux être utile sur le front, sauver des vies.» En évoquant les raisons qui l’ont amené à prendre une décision radicale, il craque et sanglote.

Quelle fêlure, quel drame a dicté son choix? Il n’a pas le profil de l’emploi. Hormis sa coupe de cheveux, «à la cosaque», souvent arborée par les nationalistes ukrainiens. «Etre cosaque, c’est un état d’esprit, pas une appartenance ethnique. De tous les courants nationalistes, c’est Azov qui prône le patriotisme le plus pur. On retrouve cela dans le sigle du groupe, un i et un n entremêlés pour une «Idée de la Nation». C’est presque une quête mystique. Le sigle ressemble aussi étrangement au Wolfsangel nazi, l’emblème de la Waffen SS. Serhii balaie les critiques: «Nous apprenons des principes d’amour et de fraternité plus forts que ce qu’enseigne la Bible. Le christianisme asservit les hommes, il faut s’inspirer des Celtes pour devenir plus forts.»

Le discours est celui d’un étudiant qui se cherche, il tranche avec les propos des instructeurs qui ne font, eux, pas dans la métaphysique ni dans la dentelle. Ils sont deux douzaines qui inculquent à marche forcée l’art de la guerre. La plupart sont des malabars aux airs de mauvais garçons. Les tatouages sont légion sur les parties visibles de leurs corps. Au moins un sur la dizaine de cadres du mouvement présents ce jour-là porte une croix gammée tatouée sur le bras. Entre deux cours, à l’entrée du mess des officiers, les gradés et les formateurs se provoquent vulgairement, s’échangent des noms d’oiseaux. Une plaisanterie sur les juifs est jetée à la cantonade. Dans le fond, un combattant lance «Sieg Heil» (le salut nazi), au milieu des rires. Il n’y a pas besoin de chercher longtemps pour que le vernis de respectabilité s’écaille brutalement.

Le plus célèbre sniper

Des étrangers figurent parmi les deux douzaines de formateurs: des Biélorusses, un ancien militaire suédois, Mikael Skillt, l’un des initiateurs du centre et sympathisant notoire d’un parti néonazi suédois, retourné depuis sur le front à Marioupol, où il est le plus célèbre sniper. Un Français aussi, ancien de l’armée, qui ne consent qu’à donner son nom de guerre: Gibbs. Il enseigne le tir tactique et dit ne pas se sentir concerné par les polémiques sur la présence de néonazis dans les rangs du bataillon: «Je ne m’intéresse qu’aux valeurs humaines, pas à la politique. Les hommes que j’ai rencontrés en Ukraine ont le patriotisme pour seule foi. Je respecte ça. Je trouve injuste que l’agression dont est victime l’Ukraine se passe en toute impunité. Ni l’OTAN ni l’Europe, paralysée par ses vieux démons, n’osent intervenir. Ça me révolte.»

Gibbs n’est pas le seul Français, mais, ajoute-t-il, «il n’y a pas de Suisse. Pas encore.» Un nom circule, celui d’un intermédiaire français, Gaston Besson, ancien parachutiste, qui aurait recruté pour le compte d’Azov. Gibbs n’infirme pas, il connaît l’oiseau: «Un ancien compagnon d’armes m’a proposé de donner un coup de main aux Ukrainiens. Je ne suis pas payé. Il s’agit uniquement de convictions. Grâce aux b. a.-ba militaire que je dispense ici, certains sauveront leur peau sur le champ de bataille. Mais il ne faut pas se leurrer, je ne peux pas résumer une formation militaire qui dure des années en quelques jours.»

 

 

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Boris Mabillard
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