Essai. Pour notre chroni-queuse Marcela Iacub, l’émission de télévision «Les reines du shopping» œuvre pour une démocra-tisation de la beauté grâce à l’habillement. Elle permet de renverser le diktat imposé par les marques sur notre corps et notre apparence.
Marcela Iacub
Tandis que les magazines féminins ne cessent de perdre des lectrices, l’émission de Cristina Cordula Les reines du shopping fait un tabac en France, en Belgique et en Suisse. Il serait néanmoins trop facile d’attribuer ce succès au charme irrésistible de l’animatrice brésilienne.
Ce programme remplit une fonction que les autres médias ignorent. En effet, alors que ces derniers nous montrent des femmes de rêve habillées par des marques de luxe, Les reines du shopping prend le parti inverse. Les participantes, qui ont entre 18 et 70 ans, sont pour la plupart issues de milieux populaires. Elles sont jolies ou laides, minces ou grosses, raffinées ou vulgaires. Elles ont un budget et un temps limités à consacrer à leur garde-robe. Bref, l’émission met les candidates dans des conditions analogues à celles de la vie courante. Et, plutôt que d’être jugées selon un quelconque paramètre objectif, les tenues sont notées en fonction de la morphologie des candidates et du but qu’elles se sont fixé.
Se mettre en valeur
Les participantes donnent leur avis sur les choix vestimentaires des autres en se fondant sur un savoir informel selon lequel chaque type de femme dispose d’une technique pour se mettre en valeur. On ne juge ni le poids, ni l’âge, ni la physionomie des candidates. Bien au contraire. Le but est de faire au mieux avec ce que l’on a.
Les choses ont toujours été ainsi, du moins depuis l’abandon du corset et l’essor du prêt-à-porter. Les femmes cherchent à se mettre en valeur sans tenir compte des normes esthétiques des magazines de mode. Mais le fait de transformer ces pratiques et savoirs obscurs en un concours validé par cette fabrique d’idéaux de beauté qu’est la télévision change complètement la donne.
On assiste à la révolte des savoirs et des pratiques populaires contre l’emprise que le mannequinat et les marques de luxe exercent sur l’élégance, emprise qui n’a pas lieu d’être dans les sociétés démocratiques. Depuis leur apparition, ces dernières n’ont en effet pas cessé de délier les habits de l’appartenance à une caste, à une classe, à une catégorie d’âge. Plus l’égalité et la liberté démocratiques se développent, plus cette mutation de la fonction des vêtements devient nette.
L’inégalité des corps
De nos jours, ce qui nous distingue et nous rend inégaux, ce ne sont pas les habits mais les corps. Les catégories sociales les plus aisées sont plus minces, plus musclées. Elles font du sport, des régimes et peuvent accéder aux miracles de la chirurgie esthétique. Or, jusqu’à présent, les magazines féminins ont mélangé les modèles de beauté corporels et les manières de se vêtir sans comprendre que cette confusion était révolue. Les vêtements ne sont pas voués à nous hiérarchiser mais au contraire à nous rendre égaux. Ils confrontent tout un chacun à ses talents, à ses capacités. Les citoyens sont sommés de se transformer en artistes de leur apparence.
C’est pourquoi, à notre époque, nous avons besoin d’images, de conseils et de savoirs qui nous apprennent à tirer le meilleur parti de nous-mêmes en dépit de la prégnance des normes esthétiques corporelles qui nous hiérarchisent en catégories sociales et d’âge.
Qui sait? Le jour où nos démocraties seront plus fortes, les normes esthétiques corporelles disparaîtront au profit de l’anarchie bienheureuse des vêtements. Ce jour-là, il n’y aura plus de beaux ou de laids, de gros ou de minces, de vieux ou de jeunes, mais simplement des reines et des rois du shopping. ■