Trajectoires. A travers l’Europe et les Etats-Unis, un petit groupe de personnes vit en n’utilisant volontairement pas d’argent. Zoom sur ces utopistes d’un nouveau genre.
Il se déplace en général à pied ou à vélo. Mais lorsqu’il prend les transports publics, Elf Pavlik n’achète pas de billet, et ne s’en cache pas: il attache autour de son cou un écriteau sur lequel on peut lire «No Ticket» en grosses lettres rouges. En cas de contrôle, le jeune trentenaire originaire de Pologne explique qu’il vit sans argent et propose de mettre ses compétences de programmateur informatique au profit des usagers du réseau.
Elf Pavlik a renoncé à utiliser de l’argent en 2009. Il réside alors à San Francisco, où il travaille pour une start-up qui vend des voyages de luxe. Depuis, il vit sans emploi et sans appartement, se déplace en Europe au gré des projets auxquels il collabore. Son sac à dos contient toutes ses affaires. «Mon expérience du travail a complètement changé, raconte-t-il dans la websérie documentaire Sideways. Je ne vends plus mon temps pour réaliser ce que veulent les autres. Je partage mes compétences autour d’un but commun et ne fais que ce qui me rend vraiment heureux.» Ses vêtements? De la récup. Ses repas? Composés de ce que lui offrent ses amis, d’aliments jetés par les commerces ou de produits de l’agriculture collaborative.
Elf Pavlik n’est pas totalement isolé dans sa démarche. En Europe et aux Etats-Unis, quelques personnes ont aussi choisi de se passer d’argent pour entretenir d’autres liens sociaux, se concentrer sur l’essentiel ou ne plus faire partie d’un système économique jugé injuste. Des parcours qui trouvent un vaste écho. L’économiste Mark Boyle, qui a adopté ce mode de vie pendant deux ans et demi en Angleterre, a tenu une chronique sur le site du quotidien The Guardian. The Moneyless Man, le livre dans lequel il relate son expérience «libératrice», a été traduit en 17 langues. Il est à l’origine d’une communauté online d’échange de compétences de près de 50 000 membres, intégrée aujourd’hui à la plateforme streetbank.com. Depuis quelques années, le mouvement a même un nom: freeconomy, (contraction de «gratuit» et «économie»).
La démarche, sans surprise, essuie aussi des critiques. La principale qu’entend Elf Pavlik porte sur le fait qu’il utilise indirectement de l’argent via les personnes qui le soutiennent. Il admet, et précise que cette situation l’attriste. «Mais je vois ma démarche comme un travail inachevé. Nous avons encore besoin de temps pour que de nouveaux modèles de collaboration se mettent en place. Pour l’heure, il faut considérer que, argent ou pas, nous sommes tous interconnectés. Ceux qui décident de m’aider le font simplement en ne prenant en compte aucun critère monétaire.»
«Une année sabbatique, c’est reculer pour mieux sauter»
Ils rêvent d’un monde sans argent