SANTE. L’introduction des forfaits par cas a mis à nu les lacunes de plusieurs cantons en retard dans leur planification hospitalière. Le poids de surcoûts sonne l’heure des choix douloureux.
Sauver l’Hôpital du Jura, sauver l’Hôpital fribourgeois, sauver l’Hôpital neuchâtelois! Fermer des blocs opératoires à Martigny, Sierre, Tavel, Riaz, Porrentruy! Rayer des maternités de la carte! C’est la révolution dans le paysage hospitalier en Suisse romande. Certes, ce n’est pas nouveau. Mais la mise en œuvre du nouveau financement hospitalier en 2012, avec l’introduction des tarifs DRG et la libre circulation des patients qu’elle a apportée, a provoqué partout une dramatique prise de conscience des restructurations à venir.
Cette révolution-là, personne ne l’a vraiment anticipée dans son ampleur actuelle. Lorsque les Chambres fédérales planchent sur la réforme de la Loi sur l’assurance-maladie (LAMal) entre 2005 et 2007, la Suisse est sous le choc de fortes hausses des primes, dues notamment à l’explosion des coûts hospitaliers. A droite comme à gauche, tout le monde s’accorde à dire qu’il est urgent de réagir: «Nous sommes loin de l’efficience, loin de la maîtrise des coûts, loin de la transparence», s’exclame le libéral Claude Ruey au Conseil national. «Nous avons 10 000 lits en trop dans nos hôpitaux et nos patients y restent trop longtemps», déplore la socialiste bâloise Anita Fetz au Conseil des Etats.
Changement de paradigme. En décembre 2007, décision est donc prise de changer de paradigme pour 2012: fini les forfaits journaliers. Les hôpitaux seront désormais rémunérés à la prestation par cas selon un tarif fixé par une société anonyme: SwissDRG, qui regroupe les assureurs, les cantons et les hôpitaux. «Notre but est d’établir un système tarifaire qui correspond à la vérité des coûts pour tous les hôpitaux, précise son directeur général Simon Hölzer. En fin de compte, ce système doit permettre d’aboutir à une assurance-maladie obligatoire au coût raisonnable.»
Les cantons ont donc eu quatre ans pour se préparer à l’échéance. Et même plus si l’on relit un appel qu’avait lancé en 2005 l’ex-ministre de l’Intérieur Pascal Couchepin dans les colonnes de L’Hebdo: «On peut rêver d’un hôpital romand», déclarait-il. Une vision provocatrice qu’il ne fallait bien sûr pas prendre à la lettre, mais comprendre comme une invitation à planifier au-delà des frontières cantonales.
Que constate-t-on aujourd’hui? Dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la réforme, le réveil est brutal. La plupart des cantons romands apparaissent complètement dépassés par les nouveaux paramètres à respecter. Fribourg, Neuchâtel, le Valais et le Jura ont vu la facture des hospitalisations extérieures exploser de 10 à 20 millions au moins pour chacun d’entre eux. Tous se rendent soudain compte qu’ils disposent d’un hôpital cantonal éclaté sur plusieurs sites aux missions trop semblables. Dans l’immédiat, ils ont encaissé le choc des tarifs DRG en gonflant leurs prestations d’intérêt général, soit des tâches qui peuvent se justifier pour des raisons de politique régionaliste et la prise en charge de frais de formation notamment. C’est tout à fait légal et conforme à l’article 49 de la LAMal. Mais les cantons qui recourent à cet artifice se mentent à eux-mêmes en niant leurs lacunes en matière d’efficience.
Gros risque financier. Partout, ils sont confrontés au même dilemme. Faut-il maintenir des structures de proximité coûteuses ou concentrer les forces dans un centre fort capable de s’affirmer dans le futur paysage suisse des 50 à 70 hôpitaux de soins aigus qui subsisteront à l’horizon 2030? Opter pour le premier terme de l’alternative comporte un gros risque financier. «Le danger est que nous payions trois fois: pour le maintien de surcapacités en vertu d’une politique régionaliste, pour une hausse des hospitalisations extérieures et pour une perte de compétences, car les meilleurs médecins préféreront travailler dans de grandes structures», avertit Nicolas Pétremand, le chef du Service jurassien de la santé publique.
Cela ne veut pas dire que les hôpitaux de proximité soient irrémédiablement condamnés. Ils offriront toujours une porte d’entrée dans la chaîne de soins – avec un service d’urgences –, de la médecine de base et de la réadaptation. Dans les cas les plus favorables, ils disposeront encore d’un bloc opératoire, lequel sera cependant fermé la nuit et le week-end.
Quantité et qualité. En fait, les cantons ne pourront plus s’offrir le luxe d’une politique régionaliste trop généreuse. Pas seulement pour les motifs financiers susmentionnés, mais aussi et surtout pour des raisons d’excellence. Dans le domaine médical, la quantité devient synonyme de qualité: plus un geste est répété, mieux il est exécuté. «Le principe de la masse critique est un des facteurs de qualité aux yeux des associations de patients», note Jean-François Steiert, conseiller national (PS/FR). Il est donc faux de croire que la proximité d’un hôpital signifie toujours un surcroît de sécurité pour le patient. «En cas de complication lors d’une intervention, c’est même le contraire qui peut être vrai lorsque les spécialistes concernés ne sont pas présents», ajoute Bernard Vermeulen, directeur médical de l’Hôpital fribourgeois.
Bien sûr, le système du tarif DRG est encore loin d’être parfait. D’abord, il n’intègre les frais d’investissement qu’à raison de 10%. Au risque de voir le parc hospitalier se dégrader, l’association des hôpitaux H+ souhaite faire passer ce taux à 14% au minimum.
Ensuite, il ne rémunère pas à leur juste prix les prestations des hôpitaux universitaires, dont ceux de Genève et Lausanne en Suisse romande. Il ne tient compte qu’aux deux tiers des différences de lourdeurs de cas, contre 85% en Allemagne. Outre-Rhin, les hôpitaux universitaires reçoivent de plus des paiements complémentaires qui représentent 15 à 20% de leur budget, alors que ces montants sont dérisoires en Suisse.
«On risque ainsi de sous-financer les hôpitaux publics et de surfinancer les établissements privés qui peuvent se concentrer sur des opérations plus simples, ce qui pourrait induire une surmédicalisation et une croissance des coûts», déplore Oliver Peters, directeur administratif et financier du CHUV.
L’exemple allemand.«En Allemagne, le système DRG a fait ses preuves. La concurrence incite forcément à la qualité. En fin de compte, ce sont les patients qui sont gagnants», rétorque Philipp Teubner, le directeur allemand de la Clinique Cecil.
A terme, il faudra également un autre vainqueur: le contribuable. Actuellement, ce n’est pas encore le cas.
Notre dossier plus détaillé à propos de: Vaud, Genève, Fribourg, Valais, Neuchâtel, Jura.
Tarifs DRG: des hôpitaux sous pression (voir diaporama)
Dès 2012, les hôpitaux figurant sur une liste cantonale ne sont plus rémunérés à la journée, mais par cas traité. C’est-à-dire qu’ils reçoivent une somme fixe pour la même opération. Ce montant s’obtient en multipliant deux éléments: d’une part l’indice de coût (ou code DRG pour diagnosis related groups), le même dans toute la Suisse, qui est calculé en fonction de la complication du cas; d’autre part le «prix de base» (ou tarif du point DRG), qui est négocié selon les spécificités de chaque hôpital ou groupe d’hôpitaux dans chaque canton par les partenaires tarifaires (assureurs et hôpitaux). Exemple: dans le canton de Vaud, une appendicite a coûté 6479 francs (0.623 x 10 400) au CHUV l’an dernier. A partir de 2017, cette somme sera systématiquement couverte à raison de 55% par le canton et de 45% par les assureurs. Ce système de rémunération permet pour la première fois de comparer les hôpitaux entre eux. Indirectement, il incite les cantons à mieux planifier leurs infrastructures et les oblige parfois à de douloureuses mesures de restructurations, comme c’est le cas dans le canton de Fribourg.
En collaboration avec l’association faîtière des assurances Santésuisse, L’Hebdo a choisi trois opérations et calculé leur prix dans les cantons de Suisse occidentale. Nous avons ajouté le canton de Zurich, considéré comme un modèle, et l’un des établissements les moins chers de Suisse, la clinique privée Santa Chiara au Tessin.
Un tel exercice de transparence a ses limites. Cela n’a pas grand sens de comparer un hôpital universitaire, contraint de traiter les cas les plus compliqués, avec une clinique privée qui choisit de cibler son domaine d’excellence. Tout de même: la prestation fournie au patient est la même.