Décryptage. Les mouvements politiques de masse comme Syriza en Grèce et Podemos en Espagne ont un attrait évident. Mais ils recèlent une face obscure de par leur illibéralisme.
Cas Mudde
Les succès électoraux de partis populistes de gauche – Syriza en janvier en Grèce, Podemos en mai en Espagne – ont relancé le débat sur le populisme en Europe. Jusqu’ici, le populisme était presque uniquement l’apanage de la droite radicale, ce qui a créé un fâcheux amalgame entre populisme et xénophobie. Dans sa forme originelle, le populisme est une idéologie qui considère que la société est principalement divisée en deux groupes homogènes et antagonistes: le «peuple pur» et les «élites corrompues». Il soutient que la politique doit être l’expression de la «volonté générale» du peuple. Concrètement, les politiciens populistes combinent presque toujours cette vision avec d’autres idéologies, soit le nativisme à droite et le socialisme à gauche.
Il y a encore quelques années, il existait en Europe un consensus entre les élites de gauche comme de droite pour dire que le populisme était mauvais par nature. On le rejetait comme une «maladie de la démocratie» ou, comme l’a écrit dans les années 60 l’historien américain Richard Hofstadter, un «style politique paranoïaque».
L’avènement de mouvements et partis populistes de gauche indique cette fois un glissement dans le débat public, notamment sous l’influence de la philosophe belge Chantal Mouffe et de feu Ernesto Laclau, auteur de La raison populiste, qui soutient que le populisme est finalement l’essence d’une politique démocratique. A leurs yeux, le populisme est bon pour la démocratie, c’est le libéralisme qui constitue le vrai problème. Ils ont à la fois raison et tort: le lien entre populisme et démocratie libérale est complexe et inclut le meilleur, le mauvais et l’abominable.
Des thématiques importantes
Le meilleur, c’est que le populisme met en avant des thématiques qui concernent de larges pans de la population mais que les élites politiques veulent éviter de discuter: par exemple l’immigration pour les populistes de droite et l’austérité pour ceux de gauche. Les responsables de partis différents se mettent d’accord pour éliminer de leur agenda des thèmes qui divisent leurs électorats respectifs, tels qu’intégration européenne et immigration.
Dans d’autres cas, ils vont même plus loin et excluent les domaines controversés du processus démocratique en les confiant à des institutions technocratiques (tribunaux ou banques centrales). Dans bien des cas, les élites politiques ont travaillé main dans la main avec les élites économiques et culturelles, ne concédant virtuellement aucun espace à une opposition démocratique. Pour paraphraser le politologue Benjamin Arditi, professeur à l’Université nationale autonome de Mexico, dans de tels cas le populisme se comporte comme l’invité ivre au dîner, qui ne respecte pas les règles du débat public et énonce les problèmes douloureux et bien réels de la société.
Refus du compromis
Le mauvais, dans le populisme, est qu’il constitue une idéologie moniste et moraliste, qui conteste l’existence d’intérêts et opinions divers au sein du «peuple» et dénie toute légitimité à ses adversaires politiques. Comme les populistes sont la vox populi, la voix de tous les citoyens, quiconque manifeste une opinion différente défend des «intérêts particuliers», autrement dit l’élite. Comme la distinction essentielle intervient entre le peuple pur et les élites corrompues, tout compromis aboutirait à corrompre le peuple – il faut donc l’éviter. Cette situation de non-compromis entraîne une culture politique polarisée où les non-populistes deviennent des antipopulistes.
Le populisme tend à devenir abominable quand il parvient au pouvoir. S’il doit partager le pouvoir avec des non-populistes, ses effets – positifs ou négatifs – tendent à s’amoindrir: pensez au gouvernement autrichien de Wolfgang Schüssel avec le FPÖ, l’extrême droite populiste de Jörg Haider. Même lorsque les populistes dominent un gouvernement, comme c’est aujourd’hui le cas en Grèce, les aspects négatifs du populisme restent souvent limités, en dépit de ses efforts pour dicter sa loi. Des populistes tels que Silvio Berlusconi en Italie, les frères Kaczynski en Pologne ou Vladimir Meciar en Slovaquie ont tenté sans relâche de saboter ou de circonvenir la puissance des forces qui leur étaient adverses, y compris les juges indépendants et les partis d’opposition.
La situation actuelle en Hongrie et au Venezuela nous montre en revanche de quoi le populisme est capable quand il prend le contrôle intégral d’un pays. Soutenus par d’impressionnantes majorités populaires lors des élections, des leaders populistes tels que Viktor Orbán et Hugo Chávez ont fait adopter de nouvelles Constitutions qui sapent la séparation des pouvoirs de la démocratie libérale. En outre, des hommes liges y ont été placés à la tête d’organisations où ils n’ont pas la majorité, telles que les tribunaux et autres instances de surveillance, souvent pour une durée excédant largement celle de la législature. Les oppositions sont alors opprimées par un cocktail de pressions légales et extralégales, entre descentes d’inspecteurs fiscaux et refus de renouveler une licence d’activité à un média. En deux mots, le populisme est une réponse démocratique illibérale à un libéralisme non démocratique. Il critique l’exclusion par l’élite de thématiques importantes de l’agenda politique et appelle à les remettre à l’ordre du jour.
Tout cela a un prix. La vision populiste en noir et blanc et son refus du compromis mènent à la polarisation de la société – dont les deux parties sont responsables – et son extrémisme dominant dénie toute légitimité aux opinions de ses adversaires et affaiblit les droits des minorités. Tandis que le populisme de gauche est souvent moins excluant que celui de droite, la principale différence entre eux n’est pas de savoir s’ils excluent peu ou prou mais qui est exclu, un facteur largement déterminé par l’idéologie qui les sous-tend, nationalisme ou socialisme.
© the guardian traduction et adaptation gian pozzy
L’auteur
Cas Mudde
Ce politologue néerlandais de 48 ans est un spécialiste de l’extrémisme politique et du populisme en Europe. Il a enseigné dans diverses universités, à Edimbourg, Anvers, en Géorgie, dans l’Oregon et l’Indiana. Il est l’auteur de plusieurs essais et contribue à divers supports de presse, dont The World Post et le Huffington Post.
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