Analyse. Depuis la décision de la BNS de supprimer le taux plancher entre le franc et l’euro, l’idée d’un fonds souverain suisse a émergé. Elle transcende même le clivage gauche-droite.
En Suisse, le souverain, c’est le peuple. Un fonds souverain, c’est un gigantesque capital à investir, détenu par l’Etat. Dans le cas de notre pays, donc, par la population. Généralement, les pays qui souhaitent en développer le font car ils détiennent des excédents de capitaux. Souvent, ce sont les revenus du pétrole que certains pays cherchent à placer.
La Suisse n’a pas de pétrole, mais elle détient aujourd’hui un autre atout qui a énormément de valeur sur le marché: la force de sa devise. Constituer un fonds souverain, c’est faire d’une pierre deux coups.
Premièrement, nous essayons de nous débarrasser de ce produit dont nous ne voulons pas, le franc fort, car il fait mal à notre économie. Deuxièmement, nous plaçons des capitaux en investissant dans le monde, en espérant créer de la valeur pour nous, et pourquoi pas aussi pour nos partenaires.
Comment ça marche?
Quand le franc suisse est trop fort, les produits suisses sont trop chers à acheter, ce qui affaiblit notre économie. La Banque nationale suisse (BNS) peut influencer la force du franc en achetant massivement des devises étrangères comme l’euro ou le dollar.
En échange, bien sûr, elle vend des francs suisses qui sont sur le marché. En augmentant le nombre de francs à disposition du marché, notre monnaie perd de sa valeur, mais nous avons en contrepartie des centaines de milliards de stocks d’euros ou d’autres devises.
Cette masse immense d’argent peut être vue comme un problème, car il y a un risque associé à détenir quelque chose. L’euro peut perdre encore plus de valeur. Lorsque cela arrive, d’ailleurs, on constate des pertes massives de la part de la BNS.
Détenir ces richesses peut aussi être perçu comme une opportunité d’investir et justement de recréer de la richesse autour de nous. Nous pouvons même choisir d’investir dans des secteurs que nous jugeons stratégiques, par exemple dans le domaine des énergies renouvelables.
Gagner sur tous les plans
Certains ont peur que le fonds constitue un grand risque, car si le franc suisse s’affaiblit trop dans un futur lointain, il faudra revendre ce qu’on aura acheté. Mais c’est en réalité la force de la stratégie. Si un jour nous réussissons à faire baisser le franc, notre économie sera beaucoup plus compétitive sur la scène internationale.
Si le franc baisse, les centaines de milliards d’investissements que nous aurons effectués en monnaie étrangère auront donc mécaniquement pris énormément de valeur. Nous pourrons alors les revendre beaucoup plus cher que ce que nous les avons payés initialement. Le peuple se sera ainsi enrichi, tout en créant de la valeur et des emplois.
N’oublions pas que, malgré la mode nationaliste de certains, nous ne pouvons pas nous en sortir sans les autres pays et avons intérêt à leur bien-être. Si le franc suisse reste trop fort, nous n’avons absolument pas besoin de récupérer les devises du fonds souverain, et pouvons bénéficier de sa rentabilité.
Pourquoi l’idée n’avance pas?
Même si de nombreuses personnes de droite comme de gauche pensent qu’il s’agit d’une excellente idée, elle va à l’encontre d’un dogme ultralibéral auquel certains n’ont pas envie de renoncer: la sacro-sainte indépendance de la BNS. Constituer un fonds souverain, c’est laisser à la population son mot à dire sur une partie de la politique monétaire de sa banque nationale.
Au-delà du fait que l’on peut penser que cette indépendance fait plus de mal que de bien, parfois lorsqu’un excellent projet est bloqué par une règle trop rigide, c’est la règle qu’il faut changer.
L’alternative au fonds souverain, c’est ne rien entreprendre. Nous perdons alors sur tous les plans. Le franc devient ainsi plus fort. Ce qui affecte nos emplois et notre économie. Si notre économie va mal, les finances publiques elles aussi se porteront moins bien, et finalement toute la population en subirait les conséquences.
Nous sommes dans une situation que de nombreux pays nous envient, et nous nous refusons par dogmatisme libéral à agir. Pour une fois que la croissance pourrait vraiment profiter à l’ensemble de la population plutôt qu’aux seuls investisseurs!