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A Berlin, tous à poil

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Jeudi, 20 Août, 2015 - 05:56

Reportage. Les habitants de la capitale allemande se déshabillent dès que la température dépasse les 25 degrés. Et partout en ville. Une tradition centenaire qui semble en régression.

Déshabillez-vous! Par ces jours de grosse chaleur, il semble que Berlin exécute cet ordre impérieux sans broncher. Une ville tout entière offre alors un numéro de striptease collectif. Rien d’anormal, les Berlinois aiment se déshabiller dès que le thermomètre grimpe au-dessus des 25 degrés. Et volent pantalons, chemises, petites culottes, tels les pétales de la marguerite que l’on effeuille. Malheur aux pudiques qui souhaitent dissimuler un petit carré de peau.

La culture FKK (Freikörperkultur), le naturisme allemand, a une tradition centenaire. Elle est née au tout début du XXe siècle. Le corps sain et proche de la nature s’offrait aux rayons du soleil et aux regards d’autrui après des siècles de pruderie et de répression. Comme son nom l’indique, le FKK est une affirmation de liberté individuelle, une bravade contre l’ordre établi.

Interdit par les nazis et un peu oublié durant les pudibondes années 50, le mouvement connaît une renaissance après la révolution de 1968 en Allemagne de l’Ouest. De leur côté, les Zonies, comme on appelait les Allemands de l’Est avant la chute du mur, jouaient partout à Adam et Eve.

Des kilomètres entiers de plages sur les côtes de la Baltique ignoraient l’existence du maillot de bain. Le naturisme était une des seules transgressions tolérées sous un régime oppressant qui muselait les langues et les libertés. Aujourd’hui encore dans l’Allemagne unifiée, l’industrie du tourisme naturiste se porte comme un charme: agences de voyages spécialisées, terrains de camping, chemins de randonnée, hôtels FKK…

D’ailleurs, il suffit de se promener en été à Berlin pour s’en convaincre. Sur la plage du Wannsee, le grand lac en bordure de Potsdam baptisé «la baignoire de Berlin», une palissade de bois sépare le segment de 200 mètres réservé aux naturistes.

C’est là que le nudisme fut autorisé pour la première fois en Prusse en 1907. Une révolution! Dès le petit matin, les Berlinois à la peau tannée comme du vieux cuir, le sexe et les seins à l’air, installent sur le sable fin leurs fauteuils pliants et leurs tables de camping.

Franck s’est échappé de son bureau pour l’après-midi: «Nous sommes une petite famille. Tous des habitués. Nous nous retrouvons chaque année aux premiers rayons du soleil. Etre nu, c’est une manière d’affirmer notre liberté.»

Franck, fonctionnaire dans la même et terne administration municipale depuis des années, a besoin de cette échappatoire. «Et de ne pas sentir le bikini qui vous lacère la chair», ajoute sa femme en picorant dans une salade de pommes de terre.

Le tenancier de la buvette se plaint de ces étrangers, des jeunes Turcs principalement, qui viennent tout habillés pour mater. «Des inhibés!» décrète-t-il. Le règlement est très clair: qui vient s’asseoir sur cette plage est «aimablement» prié de retirer ses vêtements et gare à celui qui prendrait une photo.

Les gardiens l’obligent à l’effacer sous leurs yeux et l’intrus est raccompagné vers la sortie. Sous les peupliers au bout de la plage FKK s’est établie la communauté gay. Les guides homos mentionnent la plage du Wannsee et quelle n’est pas la surprise des touristes quand ils découvrent qu’ils doivent, c’est obligatoire, laisser leur maillot design au vestiaire.

Promiscuité délirante

A la piscine municipale du Prinzenbad, une pelouse naturiste a également été aménagée. Berlin la progressiste est la première ville en Allemagne où le FKK fut autorisé dans les piscines publiques. Le Prinzenbad se trouve en plein cœur de Kreuzberg, le quartier turc et arabe de Berlin.

Dans les années 90, la mairie d’arrondissement tenue par les Verts a tenu à protéger le sens de la pudeur de ces populations-là et a fait ériger une cloison opaque pour mettre la zone FKK à l’abri des regards des familles musulmanes. Pour aller se baigner dans les bassins, les nudistes doivent enfiler un maillot.

Au Prinzenbad, on assiste donc à cette promiscuité délirante: d’un côté de la cloison, les nudistes se dorent comme des lézards au soleil. De l’autre, les jeunes Arabes se baignent en burkini, cette burka-bikini qui masque les courbes du corps tout entier.

«La nudité est classée parmi les outrages sur la voie publique et soumise à un règlement très strict, explique Matthias Oloew, porte-parole des Berliner Bäder-Betriebe, l’organisme qui chapeaute les lieux de baignade publics à Berlin.

Nous avons décidé d’avaler la couleuvre de la burkini parce que notre mission est avant tout de nous assurer que tous les enfants apprennent à nager. La burkini est coupée dans un textile semblable à celui des maillots de bain. Les juives orthodoxes par contre ne sont pas autorisées à se baigner avec leurs vêtements de ville. Pas question de commencer à faire des exceptions, sinon nous ne nous en sortirons plus.»

Il semble pourtant que depuis quelque temps cette tradition très allemande est en voie de régression. Berlin s’est internationalisée depuis qu’elle est redevenue capitale, les touristes affluent des quatre coins du monde. Et les étrangers n’ont pas le même rapport à la nudité que les Allemands.

Pour tous ces Israéliens, ces Italiens, ces Français, ces Américains, retirer son maillot est souvent inconcevable. Les associations de naturistes dénoncent ces touristes tout habillés qui rôdent, passent à vélo ou viennent s’asseoir dans le pré carré des nudistes pour mater et se tordre de rire.

A Bad Doberan, le long de la Baltique, les naturistes se plaignent des demandeurs d’asile et autres hommes esseulés venus de pays musulmans médusés par ce spectacle surréaliste.

Si l’affluence des étrangers à Berlin change la donne, se montrer nu aujourd’hui n’a en outre plus rien de transgressif. C’est pourquoi au Teufelssee, un joli petit lac niché dans un puits de verdure, haut lieu du nudisme dans les années 80, on assiste à ce spectacle singulier: les vieux babas cools sont nus et sans gêne.

Les jeunes pudiques portent des maillots design. L’idéal de liberté n’est plus le même. «A l’heure de la publicité, souligne Matthias Oloew, des réseaux sociaux, d’internet et de la pornographie, la vue d’un corps nu ne déclenche plus aucun émoi chez les jeunes. Ils voient des corps nus partout. Leur façon à eux de se démarquer c’est plutôt de porter des maillots de bain de marque. Ce que nous demande notre clientèle: des horaires réservés aux femmes ou aux transsexuels.»

Une tradition tolérée

En plein cœur de Berlin, sous les fenêtres de la chancellerie, dans le grand parc du Tiergarten, les corps nus sont allongés en toute indolence sur les pelouses à quelques mètres de la Strasse des 17. Juni où circulent les voitures, les vélos, les joggeurs et les promeneurs.

Ici aucun règlement, mais une tradition tolérée. Un exhibitionnisme qui surprend les touristes. Imaginez des corps nus sur les pelouses du jardin du Luxembourg où retirer ses chaussettes relève déjà de l’attentat à la pudeur!

«Qu’est-ce que vous êtes coincés, vous les Européens!» accusent les Allemands. D’ailleurs, les Berlinois se moquent: quand un baigneur se contorsionne dans sa serviette pour enfiler son maillot de bain à l’abri des regards, vous pouvez être certain qu’il s’agit d’un étranger.

Inutile d’essayer d’argumenter en répliquant que tout ôter, se montrer nu comme un ver en public, n’est pas forcément la preuve de la libération des corps. Bien au contraire, cette exposition purement hygiéniste et sans gêne est un déni du fondement de l’érotisme: ce jeu du montrer/cacher, cette alternance subtile du voiler/dévoiler.

Aucun frisson sensuel ne parcourt les corps rougis par le soleil, allongés pourtant à quelques centimètres les uns des autres sur les pelouses de Berlin. Quand on autorise le tout montrer, l’impudeur perd sa capacité sulfureuse et formidable de transgression. Bien plus émoustillant: que se cache-t-il sous le maillot ou la serviette? Allez faire comprendre cela aux dogmatiques naturistes allemands!

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Jean-Luc Bertini  Picturetank
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