Essai. A l’occasion du biopic «Oriana Fallaci», notre chroniqueuse Marcela Iacub rend hommage à cette essayiste et journaliste italienne qui a toujours fait de la vérité sa priorité.
Marcela Iacub
Oriana Fallaci, le film de Marco Turco qui retrace certains épisodes de la vie de la célèbre journaliste italienne, est un navet. Qui oserait le contester? Pourtant, il a le mérite d’attirer l’attention sur le destin d’une femme extraordinaire dont l’image a été ternie, les dernières années de sa vie, par ses prises de position sur l’islam après les attentats du 11 septembre.
Née à Florence en 1929, elle a commencé sa vie en faisant la guerre à l’occupant nazi. Son père, qui avait été arrêté et torturé par les Allemands, lui aurait dit, lorsqu’elle avait montré qu’elle avait peur de la guerre: «Les jeunes filles ne pleurent pas.» C’est à cette phrase qu’elle attribue ce courage qui ne l’a jamais quittée et qui a fait d’elle l’une des journalistes les plus étonnantes de la seconde moitié du XXe siècle.
La force d’un engagement
Elle a été grand reporter de guerre (notamment au Vietnam et pendant la première guerre du Golfe) et elle a interviewé les personnalités les plus puissantes de la planète (le shah d’Iran, Willy Brandt, Lech Walesa, Indira Gandhi, Kissinger, Khomeyni, notamment). Pour elle, le métier de journaliste consistait à tâter le pouls du présent, à toucher de près les lieux et les êtres par qui l’histoire prend une direction et aussi un sens. Or, loin de se contenter de poser des questions poliment, Oriana Fallaci rendait fous ses interlocuteurs. Elle se disputait avec eux, les mettait devant leurs contradictions en les forçant à dire ce qu’ils n’osaient jamais avouer.
Ainsi, Kissinger finit-il par concéder à Fallaci que la guerre du Vietnam avait été inutile. Et elle arracha le foulard qu’on l’avait obligée à porter devant un Khomeyni terrassé par tant d’audace. Car, pour elle, les puissants de cette terre étaient tous des minables. Le métier de journaliste consistait à mettre à nu cette vilenie qui résulte du pouvoir. C’est cela qu’elle appelait «dire la vérité», ce qui était pour elle le sens même de sa vie. Certes, cette notion de vérité est très obscure et très relative. On sait qu’en matière politique il n’y a pas de vérités objectives et transcendantes. Mais ce à quoi elle faisait allusion, c’était son engagement en tant que journaliste et en tant qu’intellectuelle.
Penser par soi-même
C’était une manière de dire qu’elle n’allait pas taire ce qu’elle pensait pour plaire aux puissants ou à l’opinion majoritaire. Or, pour l’Italienne, la vérité était quelque chose d’encore plus important que cet engagement professionnel. Par ce mot de vérité, elle faisait allusion au fait d’avoir le courage de penser par soi-même, vertu très rare dans le monde du journalisme et qui l’a rendue tout au long de sa vie unique et inclassable. C’est pourquoi les critiques virulentes suscitées par le biopic de Marco Turco sont si insupportables. Voilà que des journalistes qui croient que leur métier consiste à policer la pensée, à dénoncer les dissidents, voilà que des gens qui n’ont jamais eu le courage d’avoir ne serait-ce qu’une idée à eux attaquent violemment l’hommage que ce film rend à Oriana Fallaci. Pourquoi? Pour les positions qu’elle a prises sur l’islam à la fin de sa vie alors qu’elle se battait contre un cancer incurable. Il n’est pas difficile de comprendre que ces explications sont un leurre. Ce qui les rend fous, c’est la manière dont Oriana Fallaci concevait le métier de journaliste, métier que chaque jour ces misérables gardiens de la pensée qui l’accusent piétinent et déshonorent. Métier que la belle Oriana a anobli, même quand elle a eu tort.