Lettre à. Léonard Gianadda fêtait ses 80 ans dimanche 23 août à Martigny à l’occasion de la première du film «Faire de sa vie quelque chose de grand».
Isabelle Falconnier
Cher Léonard Gianadda,
j’ai été ravie de participer à votre anniversaire dimanche. Surtout que je n’y étais pas invitée. Pas personnellement. C’était une fête d’anniversaire publique: tout Martigny était invité à la première du film Faire de sa vie quelque chose de grand, réalisé par Antoine Cretton.
Normal: vous avez fui la presse tout l’été, refusant toutes les demandes d’interview, dont celle de L’Hebdo. Faisant même annuler la veille de manière parfaitement mufle par votre secrétaire le café que nous devions prendre ensemble malgré tout.
Vous avez donc passé l’été de vos 80 ans dans une débauche de fausse modestie, répétant à l’envi que fêter son anniversaire n’est pas une actualité, que tout est raconté dans l’exposition au Vieil Arsenal intitulée 80 ans d’histoires à partager. Appelez d’ailleurs mon ami Jean-Henry Papilloud à la Médiathèque Valais, il sait tout.
C’est une erreur. Vous n’avez pas à jouer le faux modeste. Vous avez changé le paysage culturel valaisan, romand et suisse. Vous êtes de la trempe des Jean Paul Barbier-Mueller, des Metin Arditi, des Marcel Sandoz ou des Michel-Edouard Slatkine, qui, chacun à sa manière, mêlent ou ont mêlé avec bonheur esprit d’entreprise et rayonnement culturel.
Vous en voulez encore au magazine L’illustré parce qu’en 1957 – 1957! – il a refusé de publier le reportage photo que vous aviez réalisé lors du Festival de la jeunesse et des étudiants à Moscou. Tant mieux! Il y a assez de reporters photographes, bons ou mauvais. En revanche, il n’y a qu’une personne au monde qui pouvait prendre en charge l’héritage gallo-romain de Martigny comme vous l’avez fait, préférant en 1976 construire un écrin autour du temple mis au jour plutôt que de le bétonner comme vous en aviez le droit. Il n’y a personne d’autre qui pouvait faire de Martigny ce lieu où les génies baptisés Picasso, Renoir, Monet, Van Gogh, Erni, Hodler, Claudel, Degas, Schiele ou Bartoli se donnent rendez-vous depuis quarante ans.
La fabrique intime d’un homme
C’était très émouvant, dimanche. Vous avez accueilli chacun et chacune au cinéma Corso d’une poignée de main, ou d’une bise pour les dames. Comme la salle était comble, il a fallu improviser une séance dans l’autre cinéma de la ville. J’ai pleuré, pendant le film. Vous aussi. Je vous ai vu essuyer vos yeux au moment où les lumières se rallumaient. Antoine Cretton, qui vous suit depuis quinze ans, a eu accès à vos archives personnelles: son documentaire en tire une force extraordinaire et donne à voir la fabrique intime d’un homme, bâtisseur, grand voyageur, mécène, nommé Léonard Gianadda. Sur l’écran défilent des mariages, des enterrements, des jeunes gars bouffant la vie à belles dents, des rêves, des voyages de noces, des amitiés éternelles, des ponts et des maisons qui se bâtissent, du soleil sur la Syrie en paix. A la fin, on vous entend vous demander comment vous avez pu faire tout ça: les voyages à Bornéo, les études d’ingénieur, les projets immobiliers, la Fondation, les expositions, les concerts, le Musée de l’automobile, le Musée et chiens du Saint-Bernard, le Parc de sculptures. Nous aussi, on se demande.
On vous voit faire un discours en italien dans l’église du village d’origine de votre grand-père, arrivé en 1886 du Piémont en Valais, seul, âgé de 13 ans: vous dites que c’est la reconnaissance de Curino, plus encore que l’entrée à la prestigieuse Académie des beaux-arts de Paris, qui vous fait plaisir. On vous croit.
En sortant du cinéma, en marchant vers la salle où vous offrez l’apéro, avant le concert de vos amis des Solisti Veneti qui clôture à la Fondation votre journée d’anniversaire, on longe la Fondation Annette et Léonard Gianadda, qui fait dans le social. Vous l’avez inaugurée en 2010 avec votre femme, Annette, mère de vos deux fils, et votre amie Cecilia Bartoli, marraine de la fondation.
Annette est morte le 8 décembre 2011. Votre père et votre mère sont décédés en 1972 et 1973. Votre frère cadet adoré, Pierre, avec qui vous avez passé quatre mois autour de la Méditerranée, est mort dans un accident d’avion en 1976. Votre frère aîné et votre sœur sont partis depuis longtemps. Vous êtes seul. Presque: au cinéma, au moment des questions du public, quelqu’un a entonné «Joyeux anniversaire, Léonard», et tout le monde a suivi. Pas de question. Juste: «Joyeux anniversaire.» Et merci.
«Faire de sa vie quelque chose de grand». D’Antoine Cretton. DVD en vente à la Fondation Gianadda et auprès de antoine@cine2000.ch