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Salaires: Atlas 2015

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Jeudi, 27 Août, 2015 - 06:00

Dossier. Franc fort, baisse des prix, les hausses des salaires ne paraissent pas au programme cette année. Malgré tout, certaines professions vont encore progresser, alors que d’autres souffrent depuis longtemps.

Yves Genier et Philippe Le Bé
photos Régis Colombo Diapo.ch

Les salaires, en Suisse, augmentent. Régulièrement, constamment, depuis la fin des années 90: l’Office fédéral de la statistique (OFS) calcule cette croissance annuelle moyenne à 0,6% en termes réels. Pourtant, le sentiment de ne pas progresser dans l’échelle des revenus est, pour beaucoup, une réalité. Pour d’autres, une simple stagnation serait déjà un fantastique cadeau. Maints salariés vivent effectivement au rythme des baisses depuis plusieurs années.

La pression sur les rémunérations vient d’abord de l’urgence. Celle d’une économie en sérieuse perte de vitesse depuis l’abandon du cours plancher par la Banque nationale suisse en janvier dernier, qui incite les patrons à l’immobilisme salarial, voire, dans certains cas, à des reculs. Des patrons qui profitent aussi de la diminution générale des prix (–1% prévu en 2015 par l’OFS), pour freiner les hausses des salaires.

Sans surprise, c’est au sein des entreprises exportatrices que les tensions sont les plus sensibles. «A la suite de la crise du franc fort, souligne un porte-parole du groupe vaudois Bobst, premier fournisseur mondial d’équipements et de services pour les fabricants d’emballages, nous avons gelé les hausses des salaires pour toutes les catégories en Suisse. Et cela ne va pas changer dans les mois à venir.» Même constat chez le fabricant de machines Tornos, dans le Jura bernois: «Si aucun changement n’intervient dans la fonction occupée par la personne et que l’inflation demeure négative, le salaire n’évolue pas.»

L’économie, dans l’ensemble florissante malgré les à-coups conjoncturels, doit aussi s’adapter à une tendance à la raréfaction de la main-d’œuvre, particulièrement depuis la votation du 9 février 2014. C’est principalement le cas dans les branches qui ont bénéficié du franc fort. Ce rétrécissement des forces de travail pousse les syndicats à ne pas faire de cadeaux et à exiger une nouvelle hausse des salaires lors des négociations paritaires qui s’engagent.

Un homme porte, depuis longtemps, un regard attentif à l’évolution des revenus en Suisse. Parfait bilingue, Philipp Mülhauser, employé par la Direction de l’économie publique du canton de Zurich, compile depuis dix-sept ans la liste exhaustive des salaires. Il se base sur les minima des conventions collectives de travail (CCT) et les pratiques des professions qui dressent des statistiques fiables. Sa liste est publiée dans le Lohnbuch, ou «livre des salaires», édité par le canton de Zurich. «Depuis la crise de 2008, les salaires n’ont que très peu progressé dans l’ensemble. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que les situations sont extrêmement diverses. Pour résumer, le niveau des salaires reflète assez bien l’état du marché du travail.»

«La situation est plus complexe», résume l’expert Roman Graf, auteur de plusieurs études sur le sujet. Certains corps de métier ont le vent en poupe, portés par des secteurs en plein boom. C’est particulièrement le cas, depuis longtemps, des employés de l’industrie pharmaceutique et chimique. Les banquiers amorcent leur retour après plusieurs années difficiles, grâce à des bonus qui reprennent l’ascenseur. D’autres connaissent des évolutions plus inégales.

Les damnés du salaire

Il y a aussi la face sombre du monde du travail. Ces professions qui subissent un recul constant de leurs rémunérations. Selon Philipp Mülhauser, cette érosion des revenus affecte plus d’un emploi sur cinq depuis quinze ans.

Un constat partagé par le professeur Yves Flückiger, spécialiste des questions d’emploi et de rémunération à l’Université de Genève, dont il est devenu le recteur en juillet dernier: «Depuis le début des années 2000, la progression des salaires a été indéniable. Mais il est aussi vrai que le pouvoir d’achat dans certains domaines d’activité a reculé en raison de la forte croissance des dépenses dites obligatoires. Le chiffre de 20 à 25% de travailleurs affectés par une telle baisse me semble crédible.»

Les métiers les plus fortement soumis à la pression à la baisse ne sont pas ceux que l’on croit. Ils ne se situent pas dans la vente, les services à la personne (coiffeurs, etc.) ou encore dans l’hôtellerie-restauration, qui restent les plus mal payés. Au contraire, ils ont en partie bénéficié de la votation sur les bas salaires de l’an dernier, qui ont été relevés aux alentours de 4000 francs brut par mois.

Ce sont avant tout les professions routinières, répétitives, exigeant des tâches automatisables et exportables, comme celles occupées par des employés d’administration, à l’instar du back-office bancaire ou de certains domaines de la comptabilité. Des fonctions pouvant être aisément sous-traitées à des spécialistes bon marché, par exemple à l’étranger, telles ces tâches que Credit Suisse a transférées à Wroclaw en Pologne. Ou encore celles de collecte de données, de plus en plus automatisées par des moyens informatiques.

La liste des métiers dont le pouvoir d’achat s’érode prend même la forme d’un cruel inventaire à la Prévert. Dans le bâtiment, par exemple, on y recense les charpentiers, les installateurs sanitaires et les gypsiers-peintres, des activités qui se sont trouvées sans convention collective pendant quelques années. Un recul contesté par le syndicat Unia.

Et, dans une tout autre catégorie, les pilotes de ligne ainsi que les contrôleurs aériens. Ces professions traditionnellement très bien payées ont subi une dégradation marquée en raison de l’exacerbation de la concurrence.

La lutte contre la relégation

A côté des salariés qui peuvent s’estimer heureux d’avoir un revenu qui ne fléchit pas trop, il y a ceux qui bataillent pour éviter un déclassement. «Les informaticiens sont un exemple éclairant, relève Philipp Mülhauser. Les spécialistes sont très demandés. Mais ils perdent très rapidement beaucoup de leur valeur dès que le logiciel dont ils sont les experts est dépassé. Dans ce métier plus qu’ailleurs, il est hautement nécessaire de se recycler.»

Les syndicats le savent, eux qui sentent que les négociations deviennent toujours plus dures au fil des ans. Le secteur de la santé et du social, comme les infirmiers, enregistre des augmentations de salaires nominaux inférieures à la moyenne en raison de la politique d’austérité des finances publiques que Daniel Lampart, chef économiste à l’Union syndicale suisse (USS), juge sans fondement. Les salariés de ce secteur font les frais de prévisions budgétaires exagérément pessimistes depuis des années.

Particulièrement fragiles sont les personnes détentrices d’un certificat fédéral de capacité (CFC), toutes professions confondues. «Elles subissent depuis 2002 une quasi-stagnation de leur salaire réel», déplore Daniel Lampart. Aucune étude n’explique ce phénomène qui ne favorise pas la vocation des jeunes candidats aux CFC, alors même que les entreprises en sont friandes. Le chef économiste suppose que, si les employeurs affichent un grand intérêt pour les personnes détenant un certificat, dans la réalité ils préfèrent engager celles qui bénéficient d’une formation supérieure, issue par exemple des hautes écoles spécialisées (HES) ou des universités.

Qui reçoit quoi

Cela dit, Philipp Mülhauser reconnaît qu’il est très ardu de dresser une carte précise de l’état des rémunérations. Seuls deux salariés sur cinq sont au bénéfice d’une convention collective de travail prévoyant des rémunérations minimales. En outre, les revenus sont fréquemment plus élevés que les planchers conventionnels, surtout dans les professions à haut niveau de qualification ou d’encadrement.

De plus, une foule d’avantages peut compléter un chèque de fin de mois: départ en retraite précoce, voiture de fonction, prise en charge de factures téléphoniques, semaine de congé supplémentaire, chèques Reka qui permettent d’obtenir des vacances bon marché, etc. Enfin, l’attribution de bonus, particulièrement aux cadres et auprès des banques et assurances, brouille encore plus les cartes.

La loi du silence

Le principal obstacle à la transparence des salaires, chaque travailleur le connaît intimement: c’est l’extrême discrétion. Révéler sa rémunération est un saut que très peu de gens effectuent. De peur d’avouer que l’on gagne moins que la moyenne et de passer pour un perdant. Ou, au contraire, en raison d’un montant substantiel, qui pourrait susciter la jalousie. Ou par goût du secret. Voire par interdiction contractuelle de parler. C’est notamment le cas de nombre d’employés de banque.

«L’opacité est «un obstacle au bon fonctionnement du marché, car elle favorise la concurrence déloyale», dénonce Roman Graf. L’expert juge que «la confidentialité des salaires permet à des entreprises inefficientes de prolonger leur existence en payant des rémunérations inférieures aux niveaux du marché. La transparence inciterait les employés mal payés à réclamer un salaire plus élevé auprès de leur patron ou aller voir ailleurs.»

Toutefois, même en instaurant plus de clarté, les salaires des professions les plus fragilisées vont rester sous forte pression tandis que les autres ne devraient guère progresser. Si un employé tient vraiment à gagner plus, une solution toute simple s’offre à lui: se lancer à son compte. A condition d’accepter de prendre des risques.
 


Tous les salaires n’ont pas progressé
De 1999 à 2014, un métier sur quatre a vu son pouvoir d’achat reculer.

Comment négocier votre salaire

Chaque contrat est négociable. Vous avez tout à perdre à ne pas le faire.

Négocier son salaire, ce n’est pas inné. Cela s’apprend. Notamment à la Harvard Business School. Le professeur Deepak Malhotra y prodigue maints judicieux conseils à ses étudiants en administration des affaires. Voici une synthèse de ses recommandations, jointe à d’autres sources provenant notamment de cabinets de recrutement.

S’il s’agit d’un entretien d’embauche:

  1. Avant même votre entretien, informez-vous de la situation économique et financière de l’entreprise approchée, identifiez les points sur lesquels elle est flexible et ceux sur lesquels elle ne l’est pas, essayez de comprendre pourquoi elle s’intéresse à vous. Connaître, dans la mesure du possible, les salaires pratiqués dans d’autres entreprises pour le même poste est très utile.
  2. Toujours avant la négociation, déterminez votre valeur afin que votre demande soit réaliste. L’analyse des prix du marché en consultant vos connaissances et les conventions collectives éventuelles de votre secteur d’activité vous permet d’affiner votre argumentation.
  3. Lors de l’entretien, laissez le recruteur ou l’employeur direct vous faire une proposition. Ce faisant, vous gagnez du temps et vous vous faites une première idée sur le prix qu’il est prêt à payer. Evitez de parler de votre dernier salaire si vous étiez moins payé.
  4. Persuadez votre interlocuteur que vous méritez le salaire demandé. Sans paraître arrogant, faites valoir vos réussites. Il faut que votre employeur ait vraiment envie de vous accorder ce que vous désirez.
  5. Décryptez le sens caché des questions qui vous sont posées. Si, par exemple, votre recruteur vous demande si vous avez des entretiens avec d’autres entreprises, c’est plutôt bon signe: cela signifie qu’il craint déjà que vous soyez happé par la concurrence.
  6. Si le salaire proposé vous semble trop bas, ne vous braquez pas. Prenez connaissance, précisément, des avantages proposés: primes, véhicule de fonction, prise en charge des communications téléphoniques, congés spéciaux, etc.

Si vous êtes déjà employé et que vous demandiez une augmentation de salaire, la plupart des conseils ci-dessus restent valables. «Etes-vous satisfait de mon travail?» A cette question posée, si votre employeur répond positivement, faites-lui comprendre clairement et poliment qu’il doit vous le prouver.


La suisse paie Les meilleurs salaires d’Europe

Les rémunérations suisses sont les plus élevées d’Europe. En valeur nominale, converties en euros, elles sont nettement supérieures à celles de la Norvège, qui arrivent en deuxième position. Et elles restent en tête, mais avec un avantage réduit, lorsqu’elles sont évaluées en pouvoir d’achat standard (indicateur reflétant ce qu’il est possible d’acheter avec une somme d’argent déterminée), juste devant les salaires luxembourgeois.


 


Banque et assurance

Cadres et spécialistes retrouvent le sourire. Les métiers d’exécution ne progressent pas.

Les bonus repartent à la hausse

Il était un temps où le métier de banquier rapportait beaucoup, mais beaucoup d’argent: jusqu’à plus de 800 000 francs par an entre la part fixe et la part variable. La crise financière et la fin du secret bancaire ont mis un terme à cette époque. Cependant, les rémunérations restent confortables dans ce secteur, pour autant que l’on occupe une fonction de cadre ou de spécialiste. Parmi ces derniers, Julien Garnier*, responsable d’un département octroyant des crédits à une clientèle aisée dans une banque de gestion de fortune à Genève, qui a préféré apparaître sous une identité d’emprunt.
Fort de huit ans d’expérience bancaire, il a vu sa rémunération progresser régulièrement après avoir démarré à 9600 francs par mois, auxquels s’ajoutait un bonus de 10 000 francs. Mais, pour les gagner, il arrive aux alentours de 7 h 30 au bureau, qu’il ne quitte pas avant 19 h 30 sauf pour une brève pause à midi. «J’ai négocié le droit de ne pas avoir de BlackBerry: je suis donc au moins tranquille les week-ends.» Mais l’avenir s’annonce difficile. Les bonnes places se raréfient à mesure que les banques se rachètent les unes les autres. * Prénom et nom d’emprunt

Profil
Nom Garnier*
Prénom Julien*
Profession Banquier
Canton Genève
Age 39 ans
Salaire mensuel brut 11 150 francs payés 13 fois et 40 000 francs de bonus annuel


Chimie et pharmacie

Traditionnellement prospère, le secteur offre de réelles occasions, à tous les niveaux.

Les salaires qui s’élèvent le plus vite

Il n’est pas facile pour la mère d’un enfant ne vivant pas en couple de concilier un emploi hautement qualifié et des responsabilités familiales. C’est le défi auquel a été confrontée Sophie Quiriol*, pseudonyme d’une cadre d’une entreprise chimique basée dans le canton de Fribourg. «La Suisse n’est pas optimale: pas d’encadrement disponible pour la garde des enfants pour une personne qui ne travaille pas à des heures fixes et qui n’a pas de famille proche pour l’aider.» Une situation qui a bloqué la progression de son salaire ces dernières années, en dépit de 25 ans d’expérience. Néanmoins, elle aperçoit le bout du tunnel: «Cette année, je progresse de nouveau grâce au fait que mon enfant est devenu plus autonome.»

Sophie Quiriol se réjouit par ailleurs de travailler pour une entreprise très flexible qui lui offre la possibilité de participer à des projets qui ne sont pas directement liés à sa fonction, «ce qui ne serait pas nécessairement possible dans une grande structure», précise-t-elle. Son salaire, comme ceux de l’administration et de la recherche, n’est pas soumis à une CCT. Celle-ci ne vise que la production et prévoit pour 2015-2016 des hausses jusqu’à 2%. * Prénom et nom d’emprunt

Profil
Nom Quiriol*
Prénom Sophie*
Profession Cadre
Canton Fribourg
Age 49 ans
Salaire mensuel brut 9000 francs payés 13 fois, plus une part variable atteignant au maximum un salaire mensuel


ARCHITECTURE

Les revenus peu attractifs des architectes et ingénieurs n’encouragent pas les vocations.

Des honoraires en constant déclin

«Nous vendons du savoir. Or, on ne devient pas riche en vendant des heures.» Associé depuis 2002 avec Héléna Carnal de la société éo architectes à Lausanne, qui emploie huit collaborateurs, Laurent Fragnière annonce la couleur: son équipe d’architectes salariés (il est lui-même salarié de sa propre entreprise) est bien différente des architectes promoteurs. Ces derniers rémunèrent souvent grassement le risque de leurs opérations. «Ce n’est pas ma vocation», souligne l’architecte lausannois, notamment formé à la HES de Fribourg.

Certes, comme actionnaire de son entreprise, il peut, si les affaires vont bien, recevoir un dividende représentant un quatorzième salaire; ses frais de véhicule et de communication (1100 francs par mois inclus dans le montant de son salaire) sont pris en charge par son entreprise. Mais Laurent Fragnière, comme ses confrères et consœurs majoritaires dans la profession, n’a vraiment pas le sentiment de rouler sur l’or. Soumis à une très forte pression sur les honoraires, les revenus «peu attractifs» des architectes et ingénieurs non promoteurs n’encouragent pas les vocations. Au grand bonheur «d’architectes européens fort bien formés et dont les prétentions salariales sont sensiblement moins élevées que celles des Suisses».

Profil
Nom Fragnière
Prénom Laurent
Profession Architecte
Canton Vaud, Lausanne
Age 51 ans
Salaire mensuel brut 9300 francs payés 13 fois


COMMERCE DE DéTAIL

Les salaires historiquement bas dans ce vaste secteur ne devraient pas vraiment évoluer.

Des métiers toujours aussi mal payés

Quand, après avoir hésité, Danielle Parmentier a demandé une augmentation de salaire à son patron pharmacien, dans la boulangerie tea-room située en face de sa pharmacie, ce dernier a refusé. «A cause de votre fichu caractère», s’est-elle entendu dire. C’est vrai, après quarante ans d’exercice d’un métier qu’elle a commencé à apprendre à 15 ans et demi pour obtenir un CFC, cette assistante en pharmacie, fort expérimentée, n’a pas la langue dans sa poche. Présidente du syndicat Unia à Genève, elle touche un salaire brut mensuel de 4900 francs (avec un bonus de 2000 francs en 2014).

Engagée il y a sept ans et demi alors qu’elle était à la recherche d’un emploi après avoir été licenciée, pour raisons économiques, de la Pharmacie Bédat, Danielle Parmentier a dû dans un premier temps se contenter d’un salaire équivalant à son allocation de chômage sous peine de se voir privée de son droit aux allocations de chômage et sans ressources, ce qu’elle considère comme «lamentable» et révélateur d’un «esclavagisme des temps modernes». Aujourd’hui, si son temps de travail hebdomadaire est respecté (40,3 heures), il lui arrive fréquemment d’enchaîner de longues journées, toujours debout, tout en pensant à tous ceux qui sont encore moins bien lotis qu’elle.

Profil
Nom Parmentier
Prénom Danielle
Profession Assistante en pharmacie
Canton Genève
Age 60 ans
Salaire mensuel brut 4900 francs payés 12 fois


RESTAURATION

Mal défendues, les professions de ce domaine n’attendent pas de sensibles améliorations.

Les rémunérations parmi les plus basses

Les clients du Starling Hotel Geneva, réputé pour ses belles salles de conférences, n’imaginent sans doute pas que, dans les cuisines, le plongeur Rui Gualberto Lima Silva gagne 3407 francs brut par mois, un salaire augmenté de 7 francs depuis qu’il a été embauché en avril 2012. Avec cette manne, lui et son épouse doivent notamment payer 1090 francs pour un appartement genevois de 20 m2 ainsi que 632 francs d’assurance maladie, avec une franchise de 1500 francs. «Des ennuis de santé deviennent bien vite des ennuis financiers», constate cet homme d’origine portugaise. Sans les quelque 2000 francs mensuels apportés par sa femme qui fait des nettoyages dans un spa de détente, la vie économique serait impossible à Genève.

Arrivé en Suisse le 18 décembre 2010 avec deux contrats de travail – plongeur et femme de ménage – dans un petit hôtel-restaurant à Interlaken, le couple a quitté Porto en y laissant un magasin de produits traditionnels en faillite. Après une période de flottement, Rui Gualberto a finalement été engagé au Starling Hotel Geneva. A la fin de l’an dernier, la direction de l’hôtel lui a offert un bon d’achat de 200 francs. Mais le plongeur aimerait bien maintenant être entendu quand, par exemple, il se plaint d’avoir à porter des charges trop lourdes. Lesquelles ne sont donc pas seulement financières.

Profil
Nom Gualberto  Lima Silva
Prénom Rui
Profession Plongeur
Canton Genève
Age 48 ans
Salaire mensuel brut 3407 francs payés 13 fois


Services à la personne et aux entreprises

Le secteur reste l’un des plus mal payés, même si la situation s’améliore graduellement.

Modeste progression du revenu minimum

«J’ai sept ans d’expérience. Après l’apprentissage, qui a duré trois ans, j’ai été engagée dans un salon de coiffure de la ville de Fribourg, où je reçois le salaire prévu par la Convention collective de travail. Bien sûr, ce serait bien d’être mieux payée, peut-être 4000 francs par mois. Mais lorsque l’on choisit ce métier, c’est pour le contact avec les clients et pour la joie de créer des coiffures. On sait très bien qu’on ne deviendra pas riche.»

L’avenir salarial n’est toutefois pas bouché. Coiffeuses et coiffeurs fribourgeois devraient bénéficier d’une augmentation de 100 francs par mois si la renégociation de la Convention collective de travail cantonale aboutit cet automne. Sinon, le régime actuel se poursuivra. L’employé peut certes demander une hausse individuelle, mais «le risque de refus est trop important», poursuit Amaëlle Maillard.

Une autre solution s’esquisse pour les employés de la branche, celle de devenir indépendant. Soit seul, soit en s’associant avec d’autres coiffeurs pour partager les risques et les bénéfices d’un salon. La jeune coiffeuse se verrait bien se lancer. Mais pas tout de suite.

Profil
Nom Maillard
Prénom Amaëlle
Profession Coiffeuse
Canton Fribourg
Age 23 ans
Salaire mensuel brut 3700 francs payés 12 fois


Technologies de l’information

Les revenus dans la branche font le grand écart entre spécialistes et généralistes.

Salaires élevés pour compétences rares

C’est par passion que le Valaisan Tony Germini est devenu informaticien voici dix-sept ans. Le goût de l’indépendance le pousse à reprendre dès 2001 la direction de la société Calyps, active dans l’informatique décisionnelle. Avec un succès confirmé puisque cette entreprise emploie aujourd’hui 22 personnes à Sion, Lausanne et Vaulruz, près de Bulle. Mais en matière d’évolution salariale, le patron se montre prudent, à commencer par lui-même: «En appliquant une gestion minutieuse, nous pouvons espérer garder le niveau actuel. Nous sommes soumis à une concurrence intense, notamment de la part d’entreprises basées en France, qui n’appliquent évidemment pas les mêmes rémunérations que les nôtres, ce qui déstabilise le marché suisse.»

Cette prudence contraste avec certaines évolutions salariales qui s’observent sur le marché, comme ces jeunes issus de filières spécialisées et qui se voient offrir des ponts d’or. «Il y a une bulle des rémunérations dans ce métier. Un jeune très bien formé peut espérer gagner 150 000 francs après quelques années d’expérience. Mais pas à la sortie de l’EPFL comme on le voit parfois. Il faut d’abord une phase d’apprentissage.»

Profil
Nom Germini
Prénom Tony
Profession Informaticien
Canton Valais, Sion
Age 40 ans
Salaire mensuel brut 11 000 francs payés 12 fois


Mécanique de précision

La branche requiert des compétences très pointues. La demande influence les salaires.

Des hausses pour garder les talents

Si l’on imagine mal le monde se passer de pain, on ne le voit pas non plus se passer de lunettes. Dès lors, la garantie de l’emploi est grandement assurée pour un opticien qui, de surcroît, a du talent. C’est le cas de Stéphane Kern*. Après dix ans d’expérience, d’abord à Genève auprès de maisons réputées puis à Lausanne, le jeune homme n’a pas besoin de demander des hausses de salaire à son patron. Ce dernier les lui accorde régulièrement, environ 100 francs par an. Sans compter les gratifications calculées en fonction du chiffre d’affaires réalisé par la société.

Ayant toujours souhaité exercer une profession manuelle à la fin de sa scolarité obligatoire, Stéphane Kern ne tient pas à se spécialiser dans les lentilles de contact, ce qui l’obligerait à passer une maturité avant d’entrer dans une haute école spécialisée (HES). «Les cours du soir, merci bien!» ll considère qu’il est plutôt bien payé, même s’il avoue que certaines fins de mois lui sont difficiles comme père de famille de deux jeunes enfants résidant dans la capitale vaudoise, avec une épouse qui travaille à temps partiel. Pour bénéficier d’un salaire plus élevé, il lui faudrait augmenter ses compétences et se former, par exemple, dans le marketing. * Prénom et nom d’emprunt

Profil
Nom Kern*
Prénom Stéphane*
Profession Opticien
Canton Vaud, Lausanne
Age 32 ans
Salaire mensuel brut 6500 francs payés 12 fois


CONSTRUCTION

Les négociations salariales sont tendues dans ce secteur. Sauf exceptions dans certaines PME.

Des rémunérations vite plafonnées

Quand Armindo Goncalves arrive discrètement en Suisse en 1983, un paysan jurassien l’engage durant trois ans. Malgré un salaire et des congés au compte-goutte, le Portugais devenu Suisse ne regrette pas ces temps difficiles qui lui ont permis de s’installer définitivement dans son pays d’accueil. «J’ai beaucoup travaillé. Il faut le vouloir», dit-il dans un français fluide sans une once d’accent.

Responsable depuis 2002 de l’atelier de l’entreprise chaux-de-fonnière Façade Rideau P.-A. Bozzo SA, spécialisée dans le revêtement de façades ventilées, il s’est offert il y a neuf ans un appartement de quatre pièces de 315 000 francs en utilisant 20% de son deuxième pilier. Marié, sans enfants, Armindo Goncalves n’a qu’un seul salaire. A huit ans de la retraite, il ne compte pas vraiment être augmenté. Très sensible à l’atmosphère familiale de cette entreprise de douze collaborateurs qui l’emploie depuis vingt-neuf ans, il n’a pas à craindre pour son emploi.

Tout récemment rachetée par deux entrepreneurs, la société qui façonne et pose des pièces intégralement importées prévoit de se développer et de profiter d’un intérêt croissant pour une isolation thermique de qualité.

Profil
Nom Goncalves
Prénom Armindo
Profession Responsable d’atelier
Canton Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds
Age 57 ans
Salaire mensuel brut 5700 francs payés 13 fois


Sécurité

Evoluer dans un domaine aussi hiérarchisé est difficile. D’où la force des combats collectifs.

De fortes disparités entre public et privé

«C’est la passion qui m’a amené à embrasser la profession de gendarme, un métier où tout peut arriver. La question du salaire n’a pas été déterminante. Je suis satisfait du niveau actuel de ma rémunération. Du reste, les perspectives de progression individuelles sont nulles vu que les niveaux sont régulés par la convention collective de la police.»

Le policier genevois, comme ses collègues, dispose de quelques instruments pour faire varier le montant de son chèque de fin de mois. En plus d’une rémunération de base de près de 7000 francs, il perçoit une prime de «risque de fonction» (quelque 900 francs par mois), qui lui est néanmoins retirée s’il n’est pas sur le terrain plus de deux mois de suite. Il voit ses services de nuit payés 7,55 francs de l’heure (de 19 h à 6 h). Mais il n’en fera pas plus de cinq dans le mois.

Les policiers de la cité de Calvin sont des durs à la négociation. S’appuyant sur une très forte culture collective, leur syndicat (UPCP), présidé par Marc Baudat, s’est illustré à plusieurs reprises par ses combats parfois hauts en couleur face au gouvernement cantonal pour relever les salaires. Avec des succès inégaux.

Profil
Nom Baudat
Prénom Marc
Profession Gendarme
Canton Genève
Age 38 ans
Salaire mensuel brut 8000 francs payés 13 fois (varie de plus ou moins 5% d’un mois à l’autre)


Santé

Exigeant en engagement personnel, le secteur peine à rémunérer chacun au juste tarif.

Les salaires stagnent à tous les niveaux

Dans ce cabinet médical, plusieurs associés se partagent un secrétariat et un petit centre de radiologie nichés dans une vieille demeure au cœur d’un bourg médiéval. Le médecin généraliste livre volontiers son revenu moyen pour 2013: 17 550 francs par mois. Mais il ne veut pas que ses patients et ses voisins le sachent, raison pour laquelle il ne dévoile pas son nom.

«C’est un chiffre qui demande des explications», tient-il à souligner. D’abord, il résulte de semaines de travail de cinquante à soixante heures, rémunérées selon le tarif médical Tarmed. Le chiffre d’affaires obtenu est ensuite amputé pour plus de la moitié par les charges de fonctionnement du cabinet (salaires des secrétaires, loyer, matériel, etc.). Le médecin doit, enfin, honorer ses charges sociales (AVS, 2e pilier, etc.) sur la base du solde. Et les premières années, lorsqu’il avait la trentaine, le généraliste a dû contracter 350 000 francs de dettes pour financer son installation et couvrir ses charges alors qu’il n’avait pas encore constitué sa patientèle. «Je ne cotisais pas beaucoup au 2e pilier, retard que je suis en train de combler actuellement.» Toutefois, il souhaite diminuer ses heures de travail pour être davantage avec sa famille et s’ouvrir à d’autres choses que le seul exercice de la médecine. * Prénom et nom d’emprunt

Profil
Nom Dupont*
Prénom Joël*
Profession Médecin généraliste
Canton Vaud
Age 53 ans
Salaire mensuel brut 17 550 francs en moyenne payés 12 fois


Enseignement

Les salaires sont souvent considérés comme satisfaisants. Mais restent très réglementés.

Des revenus qui n’évoluent guère

Diplômée en 1980 de l’Ecole normale Sainte Agnès à Fribourg, Chantal Savary a enseigné deux ans dans le canton de Vaud, a quitté la Suisse quelque temps avant d’y retourner pour des remplacements, une activité à mi-temps, puis à 100% depuis plus de dix ans. «Je pourrais réduire mon temps de travail mais j’aime trop ce dernier pour m’y résoudre», sourit-elle, la voix claire et dynamique. Voilà vingt-huit ans qu’elle reste fidèle au collège de Grolley (FR). Cette année scolaire 2015-2016, elle est responsable d’une classe de 18 élèves (11 garçons et 7 filles), âgés de 7 à 8 ans.

Pourquoi quitterait-elle une école à bonne réputation, où les relations avec les collègues et les parents sont excellentes? Au cours de ces dix dernières années, plus que l’arrivée de l’informatique, le travail en équipe a le plus transformé la vie professionnelle de l’enseignante. Un bémol dans ce rose tableau: le salaire. Non seulement il n’augmente pas mais a diminué à la faveur d’une contribution de solidarité à répétition. La baisse s’est inscrite à 60 francs par mois il y a deux ans. «Quand on fait bien son travail, recevoir moins d’argent n’est pas très motivant.» Mère d’une fille également enseignante et d’un fils étudiant en économie, Chantal Savary pourrait rendre son tablier à 62 ans. Lucide: «Avec les petits, il faut rester en forme!»

Profil
Nom Savary
Prénom Chantal
Profession Enseignante primaire
Canton Fribourg, Grolley
Age 56 ans
Salaire mensuel brut 8665,30 francs payés 13 fois

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