Zoom. Plus de 2 millions de Suisses partagent leur temps entre plusieurs habitations. Le phénomène, qui prend de l’ampleur, n’est pas sans conséquence sur le marché immobilier.
Leïla Hussein
«Je vis à Lausanne en couple et je travaille à Berne, où j’ai une chambre dans une colocation avec un ami, raconte Romain Bach, 29 ans, employé dans un cabinet de conseil politique. C’est un choix personnel. J’aurais pu faire les trajets quotidiennement, mais je ne voulais pas du métro-boulot-dodo. J’ai préféré prendre un pied-à-terre à Berne pour me permettre d’avoir une vie sociale sur place.» A l’image de Romain Bach, ils sont plus de 2 millions de Suisses, locataires et propriétaires, à avoir opté pour le multilogement, soit l’organisation de leur vie autour de plusieurs habitations. Un résultat qui ressort d’une récente étude publiée par le centre de recherche sur le logement de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, l’ETH Wohnforum.
Ce mode de fonctionnement, les bergers d’alpage ou les parlementaires l’ont adopté depuis bien longtemps. «Mais le phénomène a pris une ampleur importante, relève le sociologue Cédric Duchêne-Lacroix, l’un des auteurs de l’étude. Près de la moitié de la population suisse a déjà vécu dans deux ou plusieurs logements simultanément, et 28% se trouvent actuellement dans cette situation.» Des chiffres beaucoup plus élevés que ceux que l’on trouve ailleurs en Europe, notamment en France où l’on compte moins de 11% de personnes ayant divers domiciles. Cette multiplication des résidences témoigne d’un changement du rapport des Suisses à leur habitat.
Cette tendance n’est plus seulement associée à certains métiers, mais liée à nos modes de vie et à des changements sociétaux récents: étudier dans une autre ville, vivre en couple sans pour autant cohabiter, être enfants de parents divorcés en garde alternée.
Influence sur les prix
Une évolution qui ne devrait pas en rester là. «La majorité des jeunes entre 15 et 25 ans a tenté au moins une fois l’expérience d’habiter en plusieurs lieux. Pour les générations futures, cela deviendra tout à fait normal de vivre ainsi», prévoit le sociologue. Et l’aspect financier ne semble pas être un obstacle puisque ce type d’arrangement n’est pas nécessairement accompagné d’un loyer. Plus de la moitié des personnes qui partagent leur temps entre deux habitations résident gratuitement dans l’une des deux, «souvent accueillies par la famille, des amis ou le conjoint».
La pénurie de logements se ressentant encore dans plusieurs villes et régions du pays, quel est alors l’impact du phénomène des logements multiples sur le marché immobilier? «Il est clair que cela crée de la demande supplémentaire. Certains multirésidents peuvent se retrouver en confrontation directe avec une famille ou un couple cherchant son seul et unique domicile», explique Anthony Baumberger, administrateur à la régie Chamot & Cie à Lausanne. Le spécialiste se veut pourtant rassurant. «Le marché immobilier est avant tout influencé par la conjoncture. Et la crise du franc fort que nous connaissons actuellement entraîne une chute de la demande. Il n’est dès lors plus question de pénurie mais d’un excédent d’offres. Les projets mis en route face à l’urgence de construire sont nombreux et, pour beaucoup, bientôt achevés. A moyen terme, nous allons vers une détente du marché dans les grands centres urbains tels que Lausanne.»
Du côté de l’Association suisse des locataires (Asloca), le secrétaire général adjoint Pierre Zwahlen estime que «la multilocation joue un rôle dans la crise de l’immobilier dans la mesure où elle contribue à la hausse des loyers. Nous n’envisageons pas la fin de la pénurie avant 2020. Du moins pas pour les familles ni pour les ménages à bas et moyens revenus. Car même si davantage de logements seront bientôt sur le marché, leurs prix resteront peu abordables dans les agglomérations.»